Auteur Éric LEMAITRE
Socio économiste
auteur de l’Essai la conscience mécanisée
Le Covid 19, ce nouveau fléau mondial n’a finalement rien de nouveau sous le soleil. La peste en son temps fut perçue comme un véritable cataclysme, la peur gagna alors l’Europe face à cette destruction massive liée à l’épidémie dévastatrice. L’époque, cette période appelée moyen-âge fut marquée comme vous le savez « par le sauve-qui-peut », un sentiment de frayeur, d’insécurité face à la brutalité de l’épidémie due au bacille de Yersin. Quand la peste se répandait en véritable pandémie, ce sont des foules qui tentèrent de prendre la fuite n’empêchant pas le virus de migrer également, Des processions avaient aussi été organisées partout en Europe, pour invoquer le secours de Dieu. Mais notre monde a refoulé Dieu et s’emploie à imaginer que les distanciations et les barrières humaines suffiront à endiguer le mal.
Le monde est de ce fait secoué par une crise qui ressemble à l’expression d’une forme de terreur quasi mondiale propagée par une entité biologique qui ne choisit ni ses proies, ni ses victimes, qui n’a pas de visa et s’invite ou voyage incognito [nous sommes si nous sommes affectés le véhicule corporel, transportant le virus], invisible, pour frapper l’innocent comme le coupable, le riche et le pauvre, ne discrimine ni la couleur, ni l’orientation, pas même la religion de ses victimes, c’est l’humanité dans sa totalité qui est visée. L’appétit de ce virus semble insatiable et il met en péril tous les écosystèmes relationnels, sociaux, économiques. Ce virus est devenu le fléau de ce siècle. Il vient frapper la conscience humaine et nous interroge sur le modèle de société universaliste et consumériste, que nous avons bâti.
L’émotion (surtout pour soi) est en train de gagner aujourd’hui le globe dans son ensemble, notre monde. Avec l’endémie suscitée par ce germe dévastateur, ce que j’observe, est bien l’émergence d’une forme de repli sur soi associé aux mesures de confinement prises par les états : la fin des rassemblements, de toute forme de convivialité, l’évitement de tous les lieux de rendez-vous, l’isolement claquemuré de préférence. Pourtant toutes les mesures de prévention n’ont pas anéanti la fulgurance de la diffusion de ce virus, ce virus ne semble pas craindre les mesures d’endiguement et nous fait prendre conscience de notre finitude, de notre vulnérabilité que nous redécouvrons. Notre société a tellement refoulé la mort, la maladie que leurs spectres se sont finalement tapis, incrustés sur les paliers de nos maisons.
Dans ces contextes d’appréhension et même de terreur planétaire, une matinée, je suis allé chez le boulanger. Habituellement cette boulangerie fait le plein de clients et je remarquais que j’étais étrangement seul dans le magasin, absence de mondes, absence de contacts. J’ai fait rire l’aimable vendeuse, en lui proposant de payer le pain « sans contact ». Ce « sans contact », ce mode de paiement qui est finalement à l’image d’une société qui se dessine, évitons de nous toucher, de nous embrasser, de tendre la main, d’échanger un sourire des fois que ce sourire ne transpire le visage de cette calamité et qu’à mon tour je ne croise le virus assassin. Je me suis également rendu dans une école d’ingénieurs pour surveiller un examen le 13 mars 2020, trois jours avant le confinement décidé par les autorités du pays, et je fus frappé par le regard inquiet chez quelques élèves s’interrogeant sur leur avenir après que leur fussent annoncées les mesures de fermeture des frontières alors que certains devaient se rendre à l’étranger pour effectuer un stage devant valider leur futur diplôme d’ingénieur.
Pourtant il faut en convenir, prenons soin des uns et des autres et ne nous prêtons pas inutilement à cette folie de croire que l’on est protégé et insubmersible ; que l’on ne transmettra pas le virus autour de nous. Une proche travaillant dans un établissement a été la première à s’appliquer les consignes, saluer aimablement ses collègues, mais sans embrassades et serrages de mains. Quand elle fit ce choix, gentiment ses collègues ne se sont pas souciés de cette prévention et continuèrent leurs aimables pratiques. Un soir, un message d’alerte fut partagé par la direction de l’entreprise, un cas de coronavirus [suspecté puis démenti] a été signalé, une collègue en était atteinte, ce fut le vent de panique, le chacun pour soi, le repli, la stratégie de calfeutrage. Lorsque le virus était loin de chez soi, nous avons tendance parfois à en rire, à jouer aux braves, à nous moquer gentiment des autres, mais voilà, c’est arrivé à la porte de l’entreprise [démenti par la suite] de cette proche, qui fut l’une des rares employé(e)s, à retourner pourtant dans son entreprise, mais une entreprise quasi désertée. Le coronavirus est un agent antisocial, et sans doute cette épidémie à l’heure où ces lignes ont été écrites (le 16 mars 2020) va s’aggraver, n’épargnera aucune ville, aucune commune, aucun village, îlot, aucun quartier, aucune rue, aucun voisinage. Ce virus antisocial est aussi mondialiste [métaphore], il ne connait pas de frontières et même si le président Trump ferme les frontières US, barricade l’Amérique, il n’empêchera pas la propagation de cette peste nouvelle, car il faut bien que les Américains séjournant en Europe reviennent dans leurs pays. D’ailleurs la Californie, état américain a déclaré récemment l’État d’urgence, dans la région de Seattle, siège des géants de la technologie digitale qui dominent le marché mondial du numérique, plusieurs cas de coronavirus ont été signalés, multipliant les mesures de protection, encourageant les salariés à se terrer chez eux, à une forme de burrowing. J’entends ici là que le monde numérique va finalement sauver le monde en réinventant les conditions d’une vie sociale sécurisée, grâce à l’intelligence artificielle, au télétravail, aux mails, aux robots qui viendront nous apporter les colis, à Skype ou autres supports pour continuer le lien social avec nos aînés privés de relations vivantes susceptibles de les mettre en danger. Mais hélas, nous créons chez ces derniers de l’insécurité affective et un sentiment de repli, d’abandon qui pourrait les gagner du fait du délitement des interactions sociales. Ces aînés seront aussi les victimes directes ou collatérales de la pandémie.
Nous allons, avec la propagation du virus, entrer dans un monde d’hyperconnectivité accélérée, l’esclavagisme virtuel des temps modernes et sans doute les mesures de confinement vont amplifier et précipiter un mouvement d’inventions numériques [géolocalisation du virus : lieux à ne plus fréquenter, rues à éviter et qui sait voisins à éviter] et d’applicatifs à télécharger pour mieux nous divertir, nous tenir en laisse, tracer les mouvements des populations, mais c’est un leurre, le numérique ne sauvera pas le monde, le numérique ne nous sauvera pas de cette pandémie. Je crains que d’autres mesures ne soient aussi prises afin de mieux gouverner et tracer les populations, de les traquer, de contrôler leurs ventes et leurs achats.
Pourtant dans ces contextes, nous devrions absolument lire les recommandations de ceux qui nous ont précédés au cours de notre histoire, Je m’en tiendrais ainsi à la lettre de Luther qui lui-même a été confronté à la peste, il écrivait ces mots[1] pleins de sagesses qui peuvent nous éclairer sur la façon dont nous abordons les événements qui se passent dans les contextes d’une époque angoissée.
« Je demanderai à Dieu par miséricorde de nous protéger. Ensuite, je vais enfumer, pour aider à purifier l’air, donner des médicaments et les prendre. J’éviterai les lieux, et les personnes, où ma présence n’est pas nécessaire pour ne pas être contaminée et aussi infliger et affecter les autres, pour ne pas causer leur mort par suite de ma négligence. Si Dieu veut me prendre, il me trouvera sûrement et j’aurai fait ce qu’il attendait de moi, sans être responsable ni de ma propre mort ni de la mort des autres. Si mon voisin a besoin de moi, je n’éviterai ni lieu ni personne, mais j’irai librement comme indiqué ci-dessus. Voyez, c’est une telle foi qui craint Dieu parce qu’elle n’est ni impétueuse ni téméraire et ne tente pas Dieu. »
Alors mes chers amis, c’est le moment de redoubler de compassion, d’amour pour vos nos prochains, ne craignons pas le virus, mais ce mal anti relationnel, ne craignons pas la rencontre avec l’autre [Sans le mettre en danger], mais notre isolement, le repli chez soi… Dieu nous appelle à sortir de nos murs, et d’ouvrir nos maisons pour accueillir le prochain, à prier pour les malades à tendre justement la main [le geste de la main est une métaphore, nous n’incitons pas les gens à braver les recommandations]. Ne nous laissons pas intimider par celui que l’on a coutume d’appeler le malin. Aussi je lance cet appel à la prière pour notre pays, pour ses autorités, pour ses médecins, ses personnels soignants et pour la conscience de tous, de revenir à l’essentiel de la vie, l’amour du prochain. Malheur à nous si nous n’écoutons pas l’exhortation véritable qui nous invite à un changement de modèle de vie, à un changement complet de nos habitudes et notre souhait de rester dans notre salière. Soyons le sel et la lumière du monde, soyons l’espérance dans une ambiance profondément mortifère…
[1] Source: Œuvres de Luther Volume 43 p. 132 la lettre « Que l’on puisse fuir une peste mortelle » écrite au révérend Dr. John Hess.