Teilhard de Chardin et sa vision transhumaniste de notre humanité

Auteur : Eric LEMAITRE

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La théologie de la noosphère chez Teilhard de Chardin est fondée sur une conception évolutionniste de l’univers intriquant la matière et l’esprit, « l’Esprit qui entraîne et soutient constamment la Matière dans l’ascension vers la Conscience, c’est la matière, en revanche, qui permet à l’esprit de subsister en lui fournissant constamment un point d’action et un aliment. (…) Matière et Esprit ne s’opposent pas comme deux choses, comme deux natures, mais comme deux directions d’évolution à l’intérieur du Monde [1]». S’il est vrai que le théologien a une vision Christique de l’univers, loin d’une conception panthéiste, immanente et matérialiste défendue par les transhumanistes, il n’empêche que Teilhard imagine l’agrégation des intelligences ou plutôt des consciences multiples se mêlant aux évolutions fulgurantes de la technologie, reconnaissons que Teilhard n’imagine pas ici la fusion des êtres dans un grand tout « comme le grain de sel se dissout dans la mer », mais il perçoit le rapprochement des êtres pour former une union. Pour Teilhard  cette union résultera autant des progrès moraux que des progrès technologiques « chaque machine, ne s’engendre plus qu’en fonction de toutes les autres machines de la terre ; et de plus en plus aussi, toutes les autres machines de la terre prise ensemble, tendent à former une seule grande machine organisée [2]». Teilhard ajoute que le noyau inventif de « cet immense appareil » technologique sera « le foyer pensant de la Noosphère ». Cette vision développée par Teilhard relève bien d’une conception plus proche d’une vision transhumaniste et gnostique que de celle qui émane des écritures Bibliques. Jean l’auteur de l’évangile du même nom, rappelle dans le livre de l’Apocalypse que Dieu crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre, l’homme n’est donc pas à l’ouvrage dans l’émergence d’une nouvelle cité, appelée la « Nouvelle Jérusalem [3]» et en outre il n’est nullement question d’une fusion des êtres, mais d’êtres humains transformés pour servir Dieu et Dieu manifestant sa gloire en eux. Or la vision de Teilhard est aux antipodes de la vision biblique, Teilhard, voit l’homme comme un acteur moral, totalement impliqué dans la transformation et l’évolution de la création et il s’émerveille de la fécondité inventive de l’homme et des capacités interactives de l’être humain via ses inventions, de rendre possible l’achèvement d’un projet qui participerait à l’accroissement de conscience, « Pourquoi… » s’interroge Teilhard «… ne serait-ce pas la machine industrielle qui libérerait l’humanité[4] ». N’écrit-il pas dans l’avenir de l’homme « je songe à la montée insidieuse de ces étonnantes machines à calcul qui grâce à des signaux combinés à raison de plusieurs centaines de mille par seconde, non seulement viennent soulager notre cerveau d’un travail fastidieux et épuisant, mais parce qu’elles augmentent en nous, le facteur essentiel…de la vitesse de la pensée, sont en train de préparer une révolution dans le domaine de la recherche [5]». Teilhard poursuit en indiquant que ces machines à calcul reliées les unes aux autres, inéluctablement formeront un super cerveau « capable de s’élever à la maîtrise de quelque super domaine dans l’univers et dans la pensée ». Cette théologie promue par le penseur fait ainsi valoir que les consciences vont finalement s’agréger de la même façon que les molécules se sont assemblées, pour transmuter brusquement « de l’inerte au vivant » et puis finalement de consciences multiples à une supra conscience. Cette conception de Teilhard est finalement et ainsi très proche d’une vision gnostique, puisque l’homme participe à l’achèvement d’un projet divin pour éradiquer le mal. Le mal étant dans le multiple pour Teilhard et finalement l’humanité est appelée à converger vers l’unification et non la juxtaposition pour effacer la dimension du mal. Ainsi pour Teilhard de Chardin, l’univers se trouve dans un état d’évolution continue dans laquelle l’évolution humaine est une partie intégrante. L’univers est pour le Théologien un univers en convergence vers l’union avec Dieu, à travers un accroissement continu de la conscience qui finira par nous conduire vers l’harmonisation absolue.

Ce récit philosophique de Teilhard relève également et selon moi d’une pure spéculation transhumaniste fondée sur une croyance quasi gnostique que la technologie est le moyen salutaire[6] de parvenir à l’harmonie de l’humanité réconciliée avec elle-même.  Cela n’est pas sans rappeler les propos figurant dans un rapport américain publié en 2002[7] « Quand les technologies du XXIème siècle convergeront, l’humanité, grâce à elles, pourra enfin atteindre un état marqué par la paix mondiale, la prospérité universelle et la marche vers un degré supérieur de compassion et d’accomplissement ». Dans « l’avenir de l’homme », Teilhard soutient la même thèse celle décrite dans ce rapport évoquant les convergences technologiques au service d’une paix mondiale et d’une prospérité universelle, il indique ainsi qu’un réseau mondial se forme imbriquant la dimension économique et psychique et qu’ « il deviendra impossible d’agir et de penser autrement que sous une forme solidaire », l’humanité progressivement et subrepticement se « céphalise » grâce aux convergences technologiques qui l’entrainent dans son évolution et la perfectibilité du genre humain. Nous voyons bien que les propos de Teilhard sont bien éloignés de la vision que restitue les évangiles et dont le message est d’ailleurs bien plus ancré dans la dimension de la nature et très éloigné du discours technologique.

[1] Citation de Pierre de Teilhard de Chardin, Œuvres IX, 78-79

[2] Citation extraire du Livre l’avenir de l’homme Pierre Teilhard de Chardin Editions Sagesse page 188.

[3] Apocalypse 21.9-22.5, ce passage décrit la ville créée par Dieu afin d’y manifester sa gloire.

[4] Citation extraite du Livre l’énergie humaine Pierre Teilhard de Chardin « L’énergie humaine » Editions Sagesse page 105.

[5] Citation extraire du Livre l’avenir de l’homme Pierre Teilhard de Chardin Editions Sagesse page 190.

[6] Cette conception de Teilhard est très éloignée de l’annonce de la croix qui sauve l’humanité de son péché.

[7] Document officiel de l’autorité fédérale américaine, la National Science Foundation, (NSF) qui a lancé en 2002 ce programme interdisciplinaire.

La noosphère de Teilhard de Chardin, l’autre gnose transhumaniste

Auteur Eric LEMAITRE

La noosphère de Teilhard de Chardin, l’autre gnose transhumaniste

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 Teilhard de Chardin, scientifique théologien et philosophe français, insistait dans ses différents livres et notamment dans Le Phénomène humain sur le caractère inéluctable du progrès de l’évolution, celle-ci s’achèvera selon lui vers une transhumanité « lorsque les consciences, mises en réseau les unes avec les autres, créeront de facto, une sorte de super-être. ». Cette mise en réseau des consciences chez Teilhard s’appelle la noosphère mais le concept est également développé par le chimiste russe Vladimir Vernadsky comme nous l’avions déjà rappelé précédemment. Pour Teilhard la noosphère sera, le point ultime de l’humanité, la fin de cycles de développements, d’une succession de phases de développement de la création.

Le rapprochement osé et parfois contesté entre Teilhard et la gnose transhumaniste tient selon moi à l’idée que Teilhard se fait du progrès, il rejoint la pensée Gnostique lorsque notamment il considère que le monde est inachevé, que la création du monde résulte d’un processus continu. Cette création ou la création plus exactement pour Teilhard est un devenir, la création est inachevée et ceci est bien la thèse soutenue par les gnostiques du premier siècle. Teilhard n’écrira-t-il pas dans une de ses œuvres « Le milieu divin » ceci : « Nous nous imaginions peut-être que la Création est depuis longtemps finie. Erreur, elle se poursuit de plus belle, et dans les zones les plus élevées du monde… Et c’est à l’achever que nous servons, même par le travail le plus humble de nos mains »

Pour Teilhard l’achèvement de la création impliquera donc l’humanité qui sera la source de cette transformation [N’est-il pas écrit pas Teilhard que c’est à cela que nous servons]. Il est évident que Teilhard associe à cette transformation, une dimension spirituelle, et qu’il le fait en effet, en évoquant la figure du Christ. Christ l’auteur de l’achèvement de cette création, mais Teilhard occulte le message de l’évangile fondé sur la dimension du rachat et de la réconciliation du monde au travers de la dimension de la croix. Le mal est au cœur de l’évangile mais la restauration de l’homme ne résulte nullement d’un processus mécanique dont le progrès serait la matrice, le mal est effacé dans la dimension de la croix [Pour Teilhard dans le progrès moral et technique] ce qui suppose et de manière incontournable la réconciliation avec Christ qui prend sur lui le mal qui résulte du péché. La prétention de l’homme de réparer et d’être lui-même l’artisan moral, d’être co-responsable de l’achèvement de cette création constitue de fait le pendant de la gnose chrétienne. Ce qui renforce également le rapprochement entre Teilhard et la conception gnostique, c’est l’idée d’un mouvement, d’une évolution totalisante et universelle qui embrasse l’ensemble des êtres pour aller vers une idée de plénitude. Teilhard a en perspective la vision de l’unité humaine et ceci passe par l’idée d’une évolution continue, dont la matrice est le progrès.

« Le Monde matériel nous apparaît comme suspendu, aujourd’hui, à la conscience spirituelle des hommes. Que nous apprend l’Union créatrice sur l’équilibre et l’avenir de ce système ? – Elle nous avertit formellement que le monde que nous voyons est encore profondément instable et inachevé : instable parce que les millions d’âmes (vivantes ou disparues) incluses aujourd’hui dans le Cosmos forment un multiple branlant qui a besoin, mécaniquement, d’un Centre pour « tenir » ; inachevé, parce que leur pluralité même, en même temps qu’elle représente une faiblesse, est une puissance et une espérance d’avenir, – l’exigence ou l’attente d’une unification ultérieure dans l’esprit […].

 Si le Monde infra-humain est consolidé par nos âmes à nous, le Monde humain, à son tour, n’est concevable que supporté par des centres conscients plus vastes et plus puissants que les nôtres. Et ainsi, de proche en proche (de plus multiple en moins multiple), nous sommes amenés à concevoir un Centre premier et suprême, un oméga, en qui se relient toutes les fibres, les fils, les génératrices de l’Univers, – Centre encore en formation (virtuel), si on envisage la complétion du mouvement qu’il dirige, mais Centre déjà réel aussi, puisque, sans son attraction actuelle, le flux général d’unification ne pourrait soulever le Multiple »

Ainsi la perspective pour les transhumanistes de métamorphoser dans son ensemble l’humanité en une conscience unique dont les éléments seront partagés et interconnectés comme de simples neurones, constitue le socle de la philosophie de Teilhard. Cette vision nie en réalité l’altérité des êtres et la vision biblique de la résurrection des corps. La vision de Teilhard n’est pas la vision biblique car dans l’épilogue Biblique, la création ancienne est anéantie, et Dieu crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre. La création actuelle ne sera pas achevée, mais Dieu ouvre une autre perspective en créant de nouveau, des cieux et une terre.

Pour Teilhard de Chardin, le christianisme est la religion du progrès, la religion de l’évolution. Toute son œuvre et son intuition seront marquées par le désir d’un progrès qui s’accomplit dans une figure qui se voudrait Christique (Nous employons ici figure, car la pensée de Teilhard nous semble très éloigné de celle que nous renvoie les évangiles, Christ nous est présenté plutôt comme celui qui s’incarne et épouse la finitude de l’homme pour manifester la grandeur de Dieu, l’église qui est son corps n’est pas l’humanité dans son ensemble mais le peuple de ceux qui ont accepté la dimension de la croix et ce qu’elle symbolise) .

Teilhard de Chardin, percevait l’évolution technique comme une démarche qui doit conduire au « bien général de tous les hommes » et « rendre communément les hommes plus sages et plus habiles. »

Pour le théologien la planète est destinée immanquablement à s’unifier : « Il est inévitable qu’un processus d’unification se trouve amorcé, marqué de proche en proche par les étapes suivantes : totalisation de chaque opération par rapport à l’individu ; totalisation de l’individu par rapport à lui-même ; totalisation enfin des individus dans le collectif humain. »

N’est-ce pas ce que l’on perçoit de nos jours, de ce processus de maillage, totalisant, mis en œuvre via le WEB, même si Teilhard de Chardin évoquait un processus harmonieux qui relève plutôt de l’amour, il n’en demeure pas moins que l’intuition du Théologien est intéressante dans l’optique d’un univers numérique fondé sur les connexions multiples, et le projet d’un égrégore numérique, forme de ruche humaine.

Teilhard de Chardin percevait enfin la technique comme le facteur ultime de l’ascension vers le « Point Oméga », le point ou s’achève le développement de la complexité et de la conscience vers lequel se dirige l’univers, pour imager un cerveau unique amalgamant les consciences, ce qui est en soi aux antipodes du projet initial de la création qui est celui de générer des êtres semblables mais distincts de soi.   Par analogie avec la pensée de Teilhard, la conception transhumaniste défendue par la société Google, devrait de facto nous rendre capable de communiquer entre nous. Ce qui sera rendu possible avec les outils numériques ou quantiques de la techno science nous reliant désormais à l’intelligence artificielle. Nous sommes sur le point de fait par les réseaux de connexions de former un seul et même esprit. C’est un peu ce que Teilhard de Chardin tentait d’expliquer, en évoquant le point Oméga qui représente, selon le théologien, le point ultime du développement de la conscience, vers lequel se dirige l’univers en assemblant la totalité des consciences humaines.

Le transhumanisme de Teilhard est dès lors une idéologie corrélée à la puissance technicienne, cette puissance technicienne est liée aux avancées fulgurantes et à la convergence des NBIC nous faisant en fait entrer dans une forme de totalisation du monde, nourrie par la capacité d’absorber toutes les données associées à la vie sociale des être humains., c’est la fameuse noosphère imaginée par Teilhard et Vladimir Vernadsky c’est-à-dire le déploiement de la technologie la plus sophistiquée capable de concevoir  la sphère de la pensée humaine.

Teilhard de Chardin, une figure philosophique du transhumanisme/

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Teilhard de Chardin, scientifique théologien et philosophe français, insistait dans ses différents livres et notamment dans Le Phénomène humain, du caractère inéluctable du progrès de l’évolution, celle-ci s’achèvera selon lui « lorsque les consciences, mises en réseau les unes avec les autres, créeront de facto, une sorte de super-être. » Ce sera, selon le théologien, le point ultime de l’humanité.

Pour Teilhard de Chardin, le christianisme est la religion du progrès, la religion de l’évolution. Toute son oeuvre et son intuition seront marquées par le désir d’un progrès qui s’accomplit dans une figure qui se voudrait Christique (Nous employons ici figure, car la pensée de Teilhard nous semble très éloigné de celle que nous renvoie les évangiles, Christ nous est présenté plutôt comme celui qui s’incarne et épouse la finitude de l’homme pour manifester la grandeur de Dieu, l’église qui est son corps n’est pas l’humanité dans son ensemble mais le peuple de ceux qui ont accepté la dimension de la croix et ce qu’elle symbolise) .

Teilhard de Chardin, percevait l’évolution technique comme une démarche qui doit conduire au « bien général de tous les hommes » et « rendre communément les hommes plus sages et plus habiles. »

Pour le théologien la planète est destinée immanquablement à s’unifier :

« Il est inévitable qu’un processus d’unification se trouve amorcé, marqué de proche en proche par les étapes suivantes : totalisation de chaque opération par rapport à l’individu ; totalisation de l’individu par rapport à lui-même ; totalisation enfin des individus dans le collectif humain. »

N’est-ce pas ce que l’on perçoit de nos jours, de ce processus de maillage totalisant mis en oeuvre via le WEB, même si Teilhard de Chardin évoquait un processus harmonieux qui relève plutôt de l’amour, il n’en demeure pas moins que l’intuition du Théologien est intéressante dans l’optique d’un univers numérique fondé sur les connexions multiples, et le projet d’un égrégore numérique.

Teilhard de Chardin percevait enfin la technique comme le facteur ultime de  de l’ascension vers le « Point Oméga », le point ou s’achève le développement de la complexité et de la conscience vers lequel se dirige l’univers.   Par analogie avec la pensée de Teilhard,  la conception transhumaniste défendue par la société Google, devrait de facto nous rendre capable de communiquer entre nous. Ce qui sera rendu possible avec les outils de la techno science nous reliant désormais à l’intelligence artificielle. Nous sommes sur le point de fait par les réseaux de connexions de former un seul et même esprit. C’est un peu ce que Teilhard de Chardin tentait d’expliquer, en évoquant le point Oméga qui représente, selon le théologien, le point ultime du développement de la conscience, vers lequel se dirige l’univers en assemblant la totalité des consciences humaines.

Pour une analyse complète de l’oeuvre de Teilhard et du rapport entretenu avec le transhumanisme, nous vous renvoyons à l’excellent blog : LES AMIS DE BARTLEBY
https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2018/10/23/jean-philippe-qadri-pierre-teilhard-de-chardin-un-affligeant-florilege/