Conséquences de la loi bio éthique sur la famille et répercussions sur la nation

La spoliation voire l’aliénation de la figure paternelle engendre des situations difficiles, compliquées, éprouvantes non seulement pour l’enfant, mais aussi pour la femme. Les répercussions associées à la disparition de la figure paternelle touchent également et collatéralement la vie en société, portant atteinte à une dimension qui touche à la transmission, au lien et à la solidarité.

Auteur Eric LEMAITRE

La ville de Reims dans le cadre des ateliers santé ville, il y a 15 ans de cela me confiait plusieurs études orientées principalement sur les quartiers en difficulté.

Plusieurs thématiques de santé étaient abordées et au fil de nos enquêtes, une problématique émergeait et concernait la figure du père. L’un de mes interlocuteurs m’avait invité à approfondir le sujet qui selon lui, allait constituer un enjeu majeur de société. Quand cette personne aborda avec moi, la figure du Père, elle précisa sa pensée et me partagea que cette figure semblait disparaître et que ses répercussions pourraient formellement être dramatiques pour les prochaines décennies. Quand je vous évoque ici la disparition du père, ce n’est pas le père en soi, c’est la disparition d’un ensemble qui permet de le définir. Le père cet homme, n’existe pas sans la mère cette femme, et la mère cette femme n’existe pas sans le Père cet homme. Les deux figures interagissent ensemble, elles sont essentielles, nécessaires à la vie de l’enfant.

La spoliation voire l’aliénation de la figure paternelle engendre des situations difficiles, compliquées, éprouvantes non seulement pour l’enfant, mais aussi pour la femme. Les répercussions associées à la disparition de la figure paternelle touchent également et collatéralement la vie en société, portant atteinte à une dimension qui touche à la transmission, au lien et à la solidarité. Mais ce point qui concerne la transmission, le lien et la solidarité, je l’aborderais dans un instant.

Je reviens à nouveau à cette mission d’étude des Ateliers Santé Ville, dans le cadre de ces enquêtes, nous avions alors pris conscience que des enfants laissés à leur compte en l’absence de père assumant leurs responsabilités éducatives menaient leurs enfants à rechercher inexorablement la figure d’un Papa qui incarnerait l’autorité, la dimension d’un cadre éducatif. Les enquêtes santé m’ont alors conduit vers les jeunes pré-ados et ados   qui vivent dans des quartiers où l’on dénombre une quantité de femmes seules, de foyers monoparentaux et des enfants en proie à des addictions alcool, cannabis et voire drogues. Ce que nous observions dans le cadre de ces enquêtes auprès de ces pré-ados, et ados, ce fut chez eux la recherche de pères de substitutions, des pères par procuration, le clan formerait alors le Père de remplacement, faute d’un vrai Père. 

Il est criant dans notre société et de façon beaucoup plus générale qu’un enfant passe beaucoup plus de temps avec ses écrans cathodiques ou numériques qu’avec son Père comme avec sa mère. Que deviendra alors une société où le Père est absent où la figure paternelle disparaît, voire « éliminée » et si la mère ne se révèle pas à travers la figure du Père !

Quel signal nous renvoie, alors ces lois bioéthiques qui signent l’effacement du Père, la dissipation, voire l’élimination de la figure paternelle. Chaque enfant a besoin d’un père et d’une mère. Chaque Père et chaque mère présentent une relation d’affection différente à son enfant. L’amour d’un père est une présence qui n’est pas celle d’une mère.

Les fils ou les filles, ont besoin du regard de leur Père, de la fierté de leur Père pour se construire, grandir. C’est la relation tacite passée entre un père et un fils ou sa fille, une mère et un fils ou sa fille. Or, cette source de motivation qui est l’essence même de notre humanité, est en train de se débiliter, de s’effacer subrepticement, de s’affaiblir inexorablement.

Il est évident que le vide émotionnel ne concerne pas uniquement la figure paternelle, ce vide émotionnel concerne aussi la figure maternelle, quand l’enfant en a été privé.

Ces lois bioéthiques sont pour moi le miroir et le reflet d’une tragédie qui se déroule sous nos yeux, qui couve sûrement, sur le point d’enfanter demain, les prochaines barbaries et révoltes des enfants devenus adultes qui ne supporteront plus l’égoïsme d’une génération qui les a privés d’une réelle affection, préférant le désir plutôt que l’accueil, choisissant l’envie, plutôt que le don d’une vie qui s’offre à eux naturellement et sans recours à une solution démiurgique.

Les lois bioéthiques approuvent ceci : en accédant à des désirs pour soi et des désirs auxquels ne peut répondre la loi naturelle, on ne répond pas aux attentes immenses de tout le genre humain qui a ce droit absolu de connaître les deux figures nécessaires et complémentaires d’un homme et d’une femme offrant une relation singulière et absolument nécessaire à la vie d’un enfant.

En m’interrogeant sur les répercussions des lois bioéthiques qui participent à la disparition des figures paternelles et ses effets sur la nation, je songeais à ce texte fameux de l’historien Ernest Renan lu à la Sorbonne le 11 mars 1882. À propos de la nation qui n’est ni l’état, ni en soi un peuple, mais plutôt une communauté de transmissions, héritière d’un passé, d’un legs et dont la dimension même de nation est incarnée par la solidarité. Je vous décline les éléments essentiels de ce texte partagé par l’historien Renan et je vous le commente ensuite :

« La nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre-ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. [] Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. »

Implicitement nous comprenons que la famille représente une des cellules et une des composantes indissociables de cette idée de nation qu’elle en représente nécessairement l’essence.

Nous pourrions à l’instar de cette citation de Renan, affirmer que la famille loge aussi une âme, un principe spirituel, un principe même sacré. Ce qui caractérise en effet la famille et l’enfant qu’elle accueille, c’est l’héritage naturel qu’elle lui transmet, la filiation de l’enfant, son origine, ses origines puisque la naissance de l’enfant découle d’un principe naturel, un legs spirituel : une parturition qui découle de la rencontre d’un homme et d’une femme et qu’il accède à la richesse de ses deux parents.

De la différence entre son père et sa mère, l’enfant apprend alors la solidarité, et même s’il n’y a pas de famille en soi idéale, l’enfant s’instruit de par la richesse des différences de ces deux visages qui forment un même cœur, sa famille.

Lorsque la famille éclate, car il n’y a pas de famille qui ne connaît pas de mésentente, l’enfant en est troublé, perturbé et cela touchera aux dimensions du lien et de la solidarité. Lorsque les lois bioéthiques lui assignent qu’il n’a pas de Père et je songe à la PMA et ce que cette réification biologique autorise, elle efface du coup le legs, le patrimoine d’un Père, d’une figure complémentaire.

La loi bioéthique exprime des revendications de désirs d’adultes qui ne prennent pas en compte les liens complémentaires et essentiels à la croissance de l’enfant pour devenir eux-mêmes adultes : d’une part le lien entre conjugalité et filiation, le lien entre enfantement et transmission, d’autre part.

La loi bioéthique omet sciemment, mais gravement l’intelligibilité de la filiation, exclue la relation père et mère, et consacre institutionnellement le déni d’un des deux parents, supprime le père, sans se préoccuper des besoins de l’enfant pour grandir. C’est une atteinte grave, un crime contre l’humanité, une blessure causée à la vie de l’enfant que ces hommes et femmes, élus de la nation, mais sans conscience, auront définitivement ruiné. Nous sommes ici ce 11 octobre 2020 pour être ce petit caillou dans la chaussure de nos élus, pour protester vigoureusement contre ces lois iniques qui déconstruisent l’homme et la femme.

Éric LEMAITRE

La barbarie moderne

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal.

Texte de Eric LEMAITRE

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal. Ainsi il sera plausible avec l’aval du législateur d’introduire des cellules souches humaines dans un embryon animal. En implantant L’embryon dans l’utérus d’un animal, les chercheurs espèrent ainsi développer des organes humains chez des animaux en vue d’une transplantation dans un corps malade. Ces organes pourraient être, en effet, prélevés pour être à nouveau greffés sur des patients humains malades. Il y invariablement dans l’avancée des progrès scientifiques encouragés par la loi, une coloration très humaniste pour nous faire avaler la pilule puis reléguer les opposants à ces lois mortifères, dans le camp de radicaux malfaisants, empêchant la marche du progrès transhumaniste.  

Notre époque assiste à une forme d’accélération de la déconstruction de l’homme ; le pire est le rapprochement d’une dissolution totale de ces civilisations, civilisations qui fuient vers le consumérisme, le nihilisme, l’eugénisme, le technicisme, ou le fondamentalisme. Il est frappant que dans ces périodes de crise, de relever la propagation de la violence, de l’empilement des maux qui viennent submerger les nations. Ouvrons le journal et c’est l’étalement de l’horreur qui se répand sur la terre. Même l’Europe à ses portes est en proie à des exactions et à des déchirements qui lui font craindre le pire. Dans la nuit du 16 au 17 juillet 2020 à Reims, un quartier Rémois a été confronté à des violences urbaines, à des tirs de mortiers et à une série d’incendies, il n’y a pas eu de blessés, mais on relève comme une forme « d’ensauvagement[3] » généralisée de la société, une jeunesse qui transgresse tous les interdits et ne se prive pas de braver les lois, d’enfreindre la tranquillité des quartiers. Dans le même département et quelques jours plus tôt précédant les événements vécus à Reims, la ville de Saint-Dizier était également en proie à des tensions urbaines. L’année 2020 est ainsi traversée par des épisodes de brutalités, d’exactions parfois communautaires comme nous si nous vivions à une forme de dérèglement de la planète impactant toutes les dimensions sociales, comme climatiques ou sanitaires. Le monde en délogeant le Dieu du ciel et toutes ses lois a finalement engendré le lit de la « barbarie » en abandonnant les valeurs prétendues civilisationnelles et morales, les repères, les attaches, les piliers qui nous faisaient discerner le Bien et le Mal. L’occident au cours de son histoire s’est longuement, fait le chantre de la civilisation, en s’identifiant à ce processus des nations civilisatrices, considérant les autres nations comme primitives rassemblant des barbares, dans le sens d’êtres attachés à une vie archaïque, de personnes qui ne connaissent pas ou sont demeurées dans l’ignorance des références qui qualifient la civilisation. Le mot même de barbare était entaché par une notion d’inculture avant d’embrasser plus tard celui de cruauté, pendant longtemps le corollaire de la cruauté fut ainsi associé à celui de barbarie.   

Cette époque de relativisation qui caractérise les dernières décennies précédant le XXIe siècle, a accouché les idéologies les plus extrêmes, celles de déconstruire l’homme, en enfantant les lois les plus radicales, l’aliénant. Ce constat contemporain nous renvoie plusieurs millénaires en arrière à ce récit de la Genèse qui depuis la chute de l’homme, cette rupture avec Dieu est entrée dans un cycle de violence. Cycle qui commença avec Caïn : ce dernier assassine son frère. Pourtant, Dieu entend casser ce cycle pour ne pas engendrer des générations de meurtriers ; Il protège Caïn comme la manifestation d’un premier signe de sa grâce. La violence telle qu’elle est décrite dans le livre de la Genèse, est devenue l’un des maux qui couronne les autres calamités traversant l’humanité. Mais qui en est responsable ? La Bible déclare que toute chair porte cette responsabilité : c’est le commentaire extrait du livre de la Genèse au chapitre 6, verset 11. « Toute chair est corrompue, la terre s’est remplie de violence ». La violence ne résulte pas ainsi et en soi d’une catégorie d’hommes. Intrinsèquement et structurellement toute chair porte en elle cette dimension de corruption et de violence qui en représente l’aboutissement. La violence est quelque part destructrice et les traumatismes l’accompagnant, dévastateurs. La violence est autant du fait d’individus que d’organisations ou d’états. Avortements, crimes, terrorisme, génocide constituent les illustrations de la violence menée à son paroxysme, et ce à différentes échelles, de l’individu à l’état. La violence demeure une forme de corollaire de la barbarie. Les sociétés violentes sont imprégnées d’une forme de nihilisme de la pitié, une contre-humanité. La violence, est-elle lors la traduction de la barbarie ou le retour à la barbarie primitive ? La dimension même de la barbarie est devenue une expression qui a été au cours des dernières années, utilisée à de nombreuses reprises par les médias et sur réseaux sociaux, pour évoquer la cruauté de l’Etat Islamique (L’EI), la monstruosité, l’inhumanité d’hommes qui sous couvert d’une idéologie s’emploie à imposer une conception religieuse et ultra-légaliste de leur monde au mépris des cultures, des valeurs, des croyances d’autres peuples, d’autres humains.

L’expression de cette barbarie brutale, atroce secoue l’entendement et les consciences à l’aune d’un XXIe siècle en proie à de profondes mutations culturelles, sociétales, écologiques, politiques. Siècle soudainement secoué par des images féroces qui traduisent l’insensibilité et la bestialité d’hommes qui s’excluent du coup du genre humain, tant les actes commis nous font horreur, abîment et blessent l’image même de l’homme lui-même image de Dieu, d’un Dieu compassionnel. Le mot barbare ou d’autres mots similaires reviennent sur toutes les lèvres, mais les mots mêmes sont impuissants et révèlent parfois leurs limites. L’emploi du mot barbare couvre comme nous l’avions déjà rappelé deux notions que déclinent la cruauté et l’archaïsme. Cette cruauté est devenue une forme même d’inculture poussée à son paroxysme, mais associée le plus souvent à l’archaïsme. Pourtant, l’absence de culture n’a pas toujours caractérisé ceux que l’on qualifiait de barbares. Contrairement à l’idée reçue la Barbarie n’est pas systématiquement l’inculture L’histoire récente, nous renvoie ainsi et pour mémoire à l’idéologie nazie, où certaines figures cruelles de cette idéologie inhumaine ont été éprises de cultures. Ces mêmes nazis ont porté au pinacle des œuvres qui ont marqué l’humanité, voire jusqu’à les protéger. Le savoir civilisé, soi-disant policé de l’Europe n’engendra-t-il pas d’une certaine manière un monstre, le monstre lui-même célébré par le philosophe Heidegger qui ne se dissimula pas, de partager les thèses nazies. Montaigne, dans le chapitre de ses Essais intitulé « les cannibales » nous évoque avec stupeur un paradoxe sur la culture anthropologique : Le plus barbare n’est pas nécessairement celui que l’on se figure. Ainsi le plus sauvage n’est pas nécessairement celui que l’on a coutume de caractériser à l’aune de nos constructions culturelles et des représentations de notre civilisation qui impactent et influent ces mêmes représentations. Le cannibalisme n’est pas ainsi l’exclusivité ou l’apanage des hommes que l’on qualifie habituellement de primitifs, une forme de « cannibalisme » peut aussi caractériser les civilisations dites les plus avancées. Dans sa vision critique, Montaigne juge en évoquant sa propre civilisation que les cannibales du royaume s’avèrent bien plus barbares que ceux du royaume des cannibales. « Les cannibales du royaume sont spécialistes en trahison, tyrannie, cruauté et déloyauté, accusant les « barbares » d’attitudes qui se révèlent pourtant moins graves que les leurs, et ceci sans démarche d’introspection. » Pour poursuivre son analyse Montaigne juge les guerres de religion notamment l’inquisition et fait valoir qu’elles ne sont pas plus civilisées que les rituels d’anthropophagie des cannibales, « mangeurs de chairs humaines ». La barbarie participe d’une forme d’aliénation de l’être humain comme différence. Nous osons en effet aborder la notion de barbarie comme l’expression même de la violence, une violence qui est le mépris de l’autre, de l’humain, le mépris de la différence, une violence qui est tout simplement la négation de l’autre, l’aliénation de l’être humain comme l’expression de la diversité. La barbarie qui est une forme de puissance aliénante est une façon de gommer les disparités, d’imposer une forme de totalitarisme nivelant les autres au nom même d’une croyance, d’une idéologie. Il faut alors exécuter le bouc émissaire qui porte en lui ce que je hais comme symbole de l’altérité ou de la dissemblance. L’eugénisme est en soi une forme de barbarie, quand elle dicte qui doit vivre ou est digne d’être. La barbarie se traduit ainsi par une forme totalitaire de rejet absolu, une stigmatisation des populations voire même des êtres parmi les plus vulnérables, les plus fragiles, une exclusion violente de l’être humain dans ce qu’il peut incarner à travers son histoire, son identité, sa croyance, sa naissance, ses infirmités, son handicap. Comme l’exprime Fabrice Hadjad dans le livre la foi des démons, cette forme de barbarie atroce « gît dans le mal et a l’angoisse du bien ».

Le monde occidental a coutume de pointer la barbarie des autres civilisations, mais sa civilisation n’est pas en soi exempte d’en porter également les germes ou même de manifester les symptômes d’une société mortifère. Je reprends ici l’intégralité d’un texte écrit par Fabrice Hadjadj  : « Après Auschwitz et Hiroshima : le pire de notre époque est l’imminence de la destruction totale. Peut-on encore parler d’un Dieu bon et puissant ? S’il est bon, il est faible, vu qu’il n’a pas pu empêcher la catastrophe (position de philosophe juif Hans Jonas). Mais dans ce cas, si Dieu n’est plus celui qui intervient dans l’Histoire, Hitler n’a-t-il pas détruit le Dieu de la Bible ? Si la religion de David est invalidée, il ne reste plus que le culte de la Shoah. C’est ce que reproche Benny Lévy à ses frères lorsqu’il les accuse d’avoir fait une idole d’Auschwitz. Ce qui interroge avec la Shoah et le Goulag, c’est la forme prise par le mal, sa banalité comme dit Hannah Arendt.Ces destructions ne sont pas le fruit d’un accès de rage barbare, mais d’une froide planification pour obéir à de prétendues lois de l’Histoire ou de la nature. Ceci démontre que l’idéologie du progrès mène à la catastrophe et que le libéralisme a engendré d’une manière indéniable le totalitarisme, ils éprouvent la même volonté d’exploitation de l’homme. A cela s’ajoute la possibilité pour l’homme d’anéantir l’espèce humaine. La spécificité de la crise actuelle et notamment de la pandémie est la conscience de notre disparition probable, pas seulement en tant qu’individu, mais surtout en tant qu’espèce. « L’humanisme a fait long feu et les lendemains ne chanteront pas ».La barbarie occidentale de la prétendue civilisation, est de la sorte un anti prochain une forme de contre idéologie de l’amourLa Barbarie est en soi la manifestation possible d’une puissance démoniaque en ce sens qu’elle est une haine de l’autre, le contraire de « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il est parfaitement concevable de supposer une volonté démoniaque d’être le contre-pied de l’amour du prochain : L’amour du prochain dans toute sa dimension relationnelle est à combattre dans la pensée qui incarne « le monde de demain », il ne saurait faire sens. Combien de religions se sont finalement fourvoyées y compris celles d’inspiration chrétienne en occultant le message fondamental qui est l’amour de l’autre, un amour de l’autre qui est sans condition. L’amour de l’autre est en effet sans dogmatisme, sans hypocrisie, c’est un amour christique. « Tu aimes ton prochain » dans ce qu’il a de différent. Ce qui ne plait pas en lui y compris sa vulnérabilité insupportable, ne doit pas nous conduire l’avorter[4] ou à le supprimer, même sous prétexte même d’humanisme.Le livre d’Ézéchiel évoque la violence du Prince de Tyr rappelant qu’initialement il siégeait auprès de Dieu « Tu as été intègre dans tes voies, depuis le jour où tu fus créé jusqu’à celui où l’iniquité a été trouvée chez toi. Par la grandeur de ton commerce, tu as été rempli de violence, et tu as péché ; Je te précipite de la montagne de Dieu, Et, je te fais disparaître, chérubin protecteur, Du milieu des pierres étincelantes. » Ezéchiel 28 : 11-15 ». L’expression « tu as été rempli de violence », d’une certaine manière orchestre l’influence qu’exerce Satan dans le monde faisant de l’humanité empreinte divine, l’ennemi à abattre.Ce constat de cette violence envers la notion du prochain a été décrit par le philosophe espagnol Ortega qui dépeint un autre trait de la barbarie à travers la haine, « La haine sécrète un suc virulent et corrosif. […] La haine est annulation et assassinat virtuel – non pas un assassinat qui se fait d’un coup ; haïr, c’est assassiner sans relâche, effacer l’être haï de l’existence ».Un étudiant posa un jour cette question à Hannah Arendt « pourquoi appelez-vous « crime contre l’humanité un crime contre le peuple juif ? », elle répondit : « parce que les Juifs sont d’abord des hommes ». Je crois tout simplement que Hannah Arendt résumait parfaitement le propos que nous souhaitons défendre : la Barbarie ne s’inscrit pas comme un crime contre un groupe, une entité ou une catégorie d’hommes, c’est avant tout un crime contre l’homme. Les barbaries que nous dénonçons, en témoignant au cours de nos veillées, sur les places publiques où nous nous rassemblons, sont la manifestation de notre attachement à l’être humain, à tout l’être humain. C’est pourquoi nous sommes aussi solidaires à nos frères non seulement chrétiens, mais tous ceux qui doivent souffrir au nom de leur foi, de leurs croyances. Cette expression de l’amour est aussi pour les plus vulnérables, les plus fragiles, les enfants, ceux qui sont à naître également, les plus âgés également, les plus dépendants parmi eux.Dans cette revue de l’humanité haïe pour des raisons d’identité, Hannah Arendt inscrit le problème du mal radical advenu avec la Shoah dans la perspective de l’universalisme humain.

La nouvelle Barbarie occidentale est un habillage humaniste. Le barbare n’est pas seulement l’expression d’une violence d’un individu, ou d’un groupe d’individus, elle peut résulter d’une organisation qui peut habiller sa barbarie en la justifiant de concepts humanistes. Comme nous l’avons par ailleurs rappelé, la notion même de barbarie n’est pas nécessairement l’antithèse de la civilisation. La barbarie peut être le produit de la civilisation, Montaigne ne dit pas autre chose. Notre civilisation, n’est-elle pas entrée dans une crise profonde. Cette crise qui annonce une forme de délitement des valeurs morales peut générer comme le décrit Montaigne « le cannibalisme du Royaume » de nouvelles violences non nécessairement produit par les fanatismes religieux, mais par des dogmatismes idéologiques, comme ce fut d’ailleurs le cas avec le marxisme-léniniste, le nazisme. Il est étrange que l’Europe démocrate qui a combattu les idéologies barbares caresse aujourd’hui les idéologies mortifères, malthusiennes qu’elle voulait combattre jadis.  Comme me le partageait un ami « Nous, dénonçons, à juste titre, la barbarie de certains fondamentalistes musulmans, mais que leur répondre quand, à leur tour, ils dénoncent la barbarie de certaines pratiques occidentales comme celle consistant à aspirer l’enfant dans le ventre de sa mère, comme c’est le cas lors d’un avortement ? Cet acte est-il plus « digne » que l’excision que nous dénonçons chez eux… ». Mais nous le réécrivons : rien ne vient gommer ou légitimer tout acte de violence, et ce, quelle que soit la culture qui la promeut, occidentale ou non. Cette civilisation occidentale puisqu’il faut aussi parler d’elle, sombre en réalité et subrepticement dans la barbarie. Nous devons être prudents sur les leçons données par l’Occident laïque et démocrate qui s’arroge, s’accommode de donner des « leçons de civilisation à l’ensemble de la Planète ». Notre civilisation occidentale a développé des concepts normatifs pour évoquer la barbarie (Génocide, camps de concentration, Euthanasie, Eugénisme, les Lebensborn …), mais est sur le point de réintroduire, de reproduire, de répliquer les lois mortifères du Nazisme, ceux qu’elle considérait comme une atteinte à l’humain et n’ose qualifier par exemple de barbarie l’atteinte à l’enfant conçu dans le ventre d’une mère ou l’eugénisme en sélectionnant l’enfant à naître si ce dernier correspond aux dimensions normatives de la société occidentale. La GPA qui tôt ou tard sera adoptée après la PMA (commençons par habituer l’opinion) réintroduira une forme de darwinisme social. D’ailleurs l’actualité ne l’a-t-elle pas démontrée ? Cette même GPA est susceptible de détruire la notion de filiation, de créer des troubles identitaires comme ce fut le cas avec les Lebensborn qui ont été dévastateurs pour des enfants qui n’ont pas connu l’affection paternel et maternel. L’actualité n’a-t-elle pas mis à jour ces nouvelles formes de Lebensborn, ces cliniques et maternités ou des femmes pauvres accueillies, marchandent leurs corps au profit de couples en manque d’enfants ? La GPA, si ce dispositif est mis en œuvre, violera demain le droit des enfants à avoir un père et une mère biologique et exploitera les femmes sans ressource et dans le besoin pour donner satisfaction aux désirs de deux adultes, lesquels pourront rejeter cet enfant s’il n’est pas « conforme » aux normes en vigueur, comme on l’a déjà vu par le passé.

Faut-il également évoquer dans les arcanes des pouvoirs publics, ces réflexions menées sur l’euthanasie pour abréger les souffrances, l’incurabilité au lieu d’accompagner le mourant au travers des soins palliatifs. L’euthanasie dont les pratiques humanistes pourraient bien couvrir des raisons purement « économiques ». L’avortement (quoi de plus barbare qu’un tel acte, même si on peut excuser la femme qui le commet et qui, bien souvent, n’a pas le choix ?), la GPA, la théorie du genre dans sa version extrême le « queer » (qui conduira comme nous le développons plus loin à une sexualisation de l’enfance s’il est vrai que l’identité sexuelle est déconnectée de tout rapport au « corps sexué »), tout cela témoigne alors d’une plongée dans la barbarie. Ainsi la « Queer theory » de Judith Butler, fait du travesti la norme moderne venant se substituer à l’hétérosexualité, déconstruite comme pure convention sociale, et dont on peut craindre qu’elle ne conduise, à terme, à cautionner des pratiques comme celles de la pédophilie puisque si le « corps sexué » ne signifie plus rien, il ne faudra bientôt plus attendre la puberté pour admettre une forme de « sexualité » aux enfants et abuser d’eux sous couvert d’un consentement qu’il leur sera bien difficile de refuser aux adultes, comme l’a illustré une affaire récente en Italie ». C’est sûr que c’est assez crû, mais mieux vaut prévenir et alerter que guérir ! Comme nous l’avons écrit à propos et à l’instar de Montaigne, la barbarie n’est pas l’apanage des seuls extrémistes, la barbarie des civilisés, des cols blancs peut s’avérer aussi abject que la barbarie des fondamentalistes qu’elle condamne. Nous condamnons explicitement ces deux barbaries, ces deux tyrannies qui aliènent l’être humain. Sans oublier que les incivilités les plus insignifiantes sont les premiers pas vers la barbarie. Or, qui parmi nous pourrait affirmer qu’il est exempt de toute ignominie, qu’aucune flétrissure ne l’a jamais atteint ? Les Écritures (la Bible) évoquent que toute chair est corrompue et que nous portons tous des germes de barbarie.

Mais face à la barbarie occidentale, faut-il encourager la bienveillance ou dénoncer l’iniquité de ces lois mortifères ? Face à la barbarie, la prière évoquée dans le Psaume 63 respectivement aux versets 10-12 : « Qu’ils aillent à la ruine ceux qui en veulent à ma vie ! Qu’ils rentrent dans les profondeurs de la terre ! Qu’on les passe au fil de l’épée… » ne revêt-elle pas une forme de légitimité ? N’y-a-t-il pas une forme d’imprécation angélique que d’en appeler à aimer malgré tout, ses ennemis ? Mais ne serions-nous pas les reflets, les miroirs des barbares que nous accusons ? Mettons fin cependant au cycle de la violence ! Face à la barbarie, la vengeance (se faire justice) est d’emblée totalement inadaptée ; elle serait même amplificatrice de la cruauté. La réponse adaptée est celle de la justice (rendre justice), une réponse pour mettre fin au cycle de la violence. La justice est un principe moral qui relève même d’une dimension de transcendance ; elle fait appel à des valeurs universelles. Enclencher la guerre, déclarer la guerre pour mettre fin à la guerre, à la barbarie, nous comprenons que cela fut légitime au cours de notre histoire ; c’est la tentation de toujours, c’est cette logique de pensée qui a amené le déluge. Le déluge est décidé par Dieu, mais il ne résout en réalité rien. La pédagogie du déluge, s’est avérée inadaptée, inefficace, le mal est sans doute beaucoup plus grave et nécessite une transformation volontaire et non une destruction subie de l’homme. Lisons cette déclaration étonnante dans le livre de Genèse « Je ne recommencerai plus à maudire le sol à cause de l’homme, car le produit du cœur de l’homme est le mal, dès sa jeunesse. Plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait ! ». Dieu décide d’abolir à jamais le déluge et envoie le signe d’un arc-en-ciel qui annonce la fin de toute destruction. L’arc en ciel préfigure la croix qui annonce le pardon et par son pardon, la transformation de l’homme. Voilà la justice de Dieu, le choix de Dieu de sauver l’homme, malgré la barbarie, le cœur corrompu, la violence de son âme. Dieu choisit le salut de quiconque afin que celui qui croit ne périsse pas (Jean 3 : 16). Pour conclure, comment ne pourrais-je pas penser à cette conclusion de ce texte admirable écrit en 2014 par Natalia TROUILLER « Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué…. » « L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai revu quelques jours après être rentrée, sur une photo entourée de roses envoyée par ses parents : c’était sa dernière image vivant, souriant, beau, endimanché. Il avait été coupé en deux par un tir de mortier lors de la prise de Qaraqosh. L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai cherché, pleine d’angoisse, parmi les centaines de photos prises là-bas pour savoir s’il était de ceux qui ont ri avec moi – la réponse importe peu. L’enfant que j’ai vu en Irak, j’ai reçu la photo de lui, coupé en deux avec du sang partout, envoyée par un djihadiste sur mon compte Twitter. Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué. »

Cette prière qui semble insignifiante est finalement celle qui a le pouvoir de mettre fin au cycle de la barbarie. Et si nous osions finalement répondre à l’appel de Jésus, aimer nos ennemis.  Matthieu 5.43-45 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.… »


[1] En des termes édulcorés Les députés ont adopté un amendement pour clarifier le fait que la « détresse psychosociale » peut être une cause de « péril grave », justifiant une interruption médicale de grossesse.

[2] Expression reprise de l’archevêque de Paris, Michel Aupetit lors d’une interview accordée à France Info.

[3] Ensauvagement : Terme utilisé par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, « l’ensauvagement » est devenu le nouveau concept au cœur du débat sur l’insécurité.  

[4] Une grossesse sur cinq environ aboutit à une IVG. Source : L’avortement en chiffres [FRED DUFOUR / AFP]

Le monde crépusculaire

Cette période pandémique devrait nous conduire à une réflexion intense sur le sens même que nous donnons à la vie, or cela ne semble pas être la priorité de nos gouvernements. Il nous faut à nouveau faire fonctionner le business du monde, le remettre en marche grâce à nos nouveaux superhéros masqués, nos Batman et consorts. Alors nous attarder sur le monde crépusculaire est une pure gageure, penser un instant que l’homme pourrait changer après cet épisode épidémique est un pari bien hasardeux auquel nous ne devrions pas nous attarder dans cette nouvelle chronique. Mais arrêtons-nous ici, il est impératif comme je l’ai écrit dans une précédente chronique, de ralentir notre marche pour comprendre que vouloir le monde qui va de l’avant est une utopie, une aporie, une incohérence.

Blaise Pascal : « On ne voit presque rien de juste ou d’injuste, qui ne change de qualité, en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du Pôle renversent toute la Jurisprudence. Un Méridien décide de la vérité, ou peu d’années de possession. Les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques. Plaisante justice qu’une rivière ou une Montaigne borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »

Cette période pandémique devrait nous conduire à une réflexion intense sur le sens même que nous donnons à la vie, or cela ne semble pas être la priorité de nos gouvernements. Il nous faut à nouveau faire fonctionner le business du monde, le remettre en marche grâce à nos nouveaux superhéros masqués, nos Batman et consorts. Alors nous attarder sur le monde crépusculaire est une pure gageure, penser un instant que l’homme pourrait changer après cet épisode épidémique est un pari bien hasardeux auquel nous ne devrions pas nous attarder dans cette nouvelle chronique. Mais arrêtons-nous ici, il est impératif comme je l’ai écrit dans une précédente chronique, de ralentir notre marche pour comprendre que vouloir le monde qui va de l’avant est une utopie, une aporie, une incohérence. La vision d’un monde conduit par le prétendu progrès continu relève d’un monde imaginaire, d’une fiction, d’une aventure sans lendemains. Comme je le partageais à un ami, je préfère les grimpeurs aux sprinteurs, l’escaladeur au skieur alpin, dans l’effort et la peine, même au bord de l’épuisement, le bénéfice du grimpeur ou de l’alpiniste est celui du dépassement de lui-même, il est dans la recherche du dosage de son effort et finalement de l’excellence dans la prise de risque. A contrario le sprinteur ou le skieur, grisé par l’élan, la vitesse, recherche coûte que coûte la performance, mais la chute n’est jamais loin, du fait de la perte de l’équilibre ou de la puissance mal dosée. Le monde atteint par la pandémie ne semble pas vouloir se donner la peine de réfléchir au dosage de son effort, prétextant que nous devons sauvegarder la raison et la performance, comme si en effet la raison, la performance, rattraper le temps perdu, devenaient les seules sources de salut de l’humanité. Pourtant face à la pandémie, même la pensée stoïcienne nous est refusée, celle de penser les événements et d’agir en conséquence. La pandémie nous a tous rappelés à l’heure de l’homme augmenté que nous étions tous des êtres vulnérables. Mais tout est entrepris pour nous dispenser de penser ou de songer à cette vulnérabilité, d’aspirer à cette faculté de discerner ce qui doit être remis en cause. J’ai noté dans les réflexions partagées que l’écologie connaissait un nouveau regain, qu’il fallait voir dans les événements, le réveil de la nature comme si la nature remplaçait la divinité judéo-chrétienne d’hier et se suffisait à elle-même pour enseigner l’autosuffisance de l’homme. Mais n’allez pas non plus évoquer Dieu pas même la transcendance, d’ailleurs qui a osé s’aventurer sur ce terrain. L’Église est en effet la grande absente des débats, comme si toute réflexion théologique à propos de la pandémie qui émanerait des croyants, annoncerait un retour menaçant de la théodicée, soit les marginaliserait ou les reléguerait à la condition de purs illuminés. Il me semble que dans cette période de pandémie, tout est en réalité fait pour intimider l’Église et la réduire au silence. D’ailleurs le silence de l’Église est assourdissant ; peu veulent relayer en réalité le message universel de l’Évangile, peu osent prendre la parole pour évoquer la vérité. Notre époque est celle qui a choisi de mettre sous le boisseau la lumière et dans sa salière le sel et tout ce qui dérange est prié de se taire, de faire silence.

En quelques décennies, notre monde a changé, et les structures des sociétés occidentales se démantèlent pour faire place à une déconstruction de tous les socles, à l’effondrement des valeurs qui ont forgé la vie commune. Avec la pandémie qui vient frapper ce nouveau siècle, nous entrons dans une période de relativisme moral, de relativisme anesthésiant qui finit par empêcher tout réel discernement et qui mène furtivement à la déshumanisation. Le relativisme était déjà bien engagé plusieurs siècles plus tôt, depuis l’antiquité, un relativisme qui promeut en définitive la subjectivité. Cette période qui marque « une société devenue liquide [1] » souligne une conception sans différencier ce qui relève du bien ou du mal, où il n’y a définitivement ni absolu ni universel. En quelques siècles et sans doute aggravé depuis les « Lumières » ; nous sommes entrés dans le monde du sophiste Protagoras qui affirmait à l’époque de Platon que « l’homme est la mesure de toutes choses »[2] faisant ainsi éloge à la seule raison humaine et délogerait tout recours à une quelconque divinité.

Le sophiste Protagoras serait à son aise dans cette vision du monde relativiste, que lui-même avait soutenue dans ce célèbre dialogue engagé avec Socrate, rapporté par Platon dans le Théétète. Protagoras se conformerait sans nul doute à l’esprit de notre siècle qui est amené en somme à considérer que toutes les normes se valent, qu’il n’existe en soi aucunes références qui seraient transcendantes, aucune forme de hiérarchie ni même de principe divin, ni différence entre le bien et le mal et « s’il n’y a pas de bien alors tout est permis ». Nous sommes dans un processus permanent, de révision de l’universalité morale et même d’une prétendue vérité scientifique qui a été mise à jour par ailleurs au cours de cette pandémie. Notre siècle a vu finalement le triomphe de la doxa du subjectivisme moral défendue plusieurs siècles plus tôt sur l’agora où se disputaient Socrate et le sophiste. Pourtant le triomphe de cette thèse relativiste ne signifie en rien qu’elle soit vraie. Une telle opinion démontrerait plutôt qu’un monde fondé sur des idéologies non ancrées dans la réalité tendrait plutôt à faire chanceler une société dans l’incertitude des valeurs. Le subjectivisme moral incarne irrémédiablement une dimension en soi toxique, puisqu’il s’agirait si on ne considère strictement que la chose en question que d’abattre l’héritage culturel. En ces temps crépusculaires, notre héritage culturel est en soi soupçonné de n’être que la manifestation déterministe d’une volonté de domination, d’une classe sur une autre ou d’une autre idéologie sur une autre, partant du principe finalement que toutes les idéologies se valent également. En écrivant ces lignes, je me mets à rêver d’un échange épistolaire entre C.S Lewis et le sophiste Protagoras, l’échange aurait quelque chose en soin d’intemporel, mais sans doute de passionnant, mettant en exergue la vision d’un monde réel entamé par l’idéologie nihiliste qui s’épuise à vouloir faire effondrer le principe d’un « TAO[1] », ce principe fondé sur les lois naturelles pourtant défendu par Aristote et Platon puis plus tard par Thomas d’Aquin. Le monde idéologique relativiste s’emploie finalement à priver l’humanité de la capacité vraie de répondre émotionnellement aux expériences de l’amour universel et véritable, de la beauté, du bien et du vrai.


Or nous le percevons bien, nous assistons à ce processus permanent de révision de la pensée. Ce processus de révision concerne toutes les sphères de la vie humaine. Aujourd’hui l’idéologie relativiste vient même à infecter la vie sociale, renverser de façon éruptive toutes les tables. La fétidité idéologique dont l’apogée prolonge la pensée progressiste résulte probablement de l’arbitraire nihiliste, d’une culture discrétionnaire et de toutes les formes d’injustices et de mépris qui ont régné dans ce monde ou l’ont en revanche imprégné. Nous sommes dans un changement radical de métaphysique bafouant l’universel, le bien et le mal et notamment tout ce qui touche au domaine de l’anthropologie. Hier avec quelques amis, nous réfléchissions à la manière d’alerter les députés qui en catimini s’apprêtent à voter une loi dont les conséquences biologiques et éthiques seront redoutables pour l’avenir même de notre humanité. Une loi jugée prioritaire alors que la dette publique augmente brusquement, les faillites des entreprises s’enchaînent, le chômage s’amplifie, mais pour le projet de révision des lois de bioéthique, il n’est pas question de retarder le vote, comme s’il y avait là une véritable urgence. Tout est devenu relatif dans ce monde qui ne discerne ni le bien, ni le mal, qui ne hiérarchise plus rien.   

Ces changements qui viennent en quelque sorte muter la conception anthropologique de l’homme résultent sans aucun doute de cette corruption des équilibres liée aux identités homme et femme. Cette même corruption est venue atteindre la dignité humaine en s’attaquant même au plus faible, au plus fragile, loin également de partager l’idée de défendre l’homme et tout l’homme, d’en prendre soin. Dans la même veine, là où l’altérité démontrait la complémentarité sans domination d’un sexe sur un autre sexe, nous assistons aujourd’hui et de façon consternante à une opposition brutale des hommes et des femmes, une revanche des femmes contre le genre masculin qui par ses outrances d’hier paie aujourd’hui une forme de tribut, de dénonciation radicale et permanente faisant du sexe masculin, un prédateur potentiel, un suspect par nature. Nous entrons manifestement là dans une forme de déséquilibre des rapports homme femme, là où l’enjeu devrait être l’identification des complémentarités des deux moitiés égales d’une même humanité. Mais les oppositions ne se réduisent pas seulement à la guerre des sexes, mais aujourd’hui à d’autres discriminations virulentes et qui opposent les couleurs qui caractérisent la pigmentation associée à la peau. Pour ma part différencier les hommes par la suite de la couleur de peau ou discriminer les hommes et les femmes en raison de leur sexe est évidemment insupportable. Mais aujourd’hui nous entrons dans une nouvelle expression, un mouvement de balancier avec ses excès, avec une forme de démesure des révoltes nihilistes, doublée d’une forme de relativisme du bien et du mal. Mais selon moi les révoltes sont nées de l’abandon des valeurs de l’Évangile qui ont imprégné les fondements universels des lois naturelles[4] de la société. Nous faisons face en fin de compte à une forme de dérèglement absolu des fondements moraux de la vie morale et sociale qui avaient déjà été pensés dans le décalogue et notamment dans les livres des Lévitique et Deutéronome pour vivre une société connaissant en fin de compte le bien-être si celle-ci consent à vivre selon des principes qui ont leur source dans une loi qui transcende l’humanité.

La manifestation soudaine de la pandémie vient comme accentuer le relativisme comme les crises sociales que nous avons traversées en France. Nous sommes assurément à l’aube d’un point de bascule d’une époque qui s’affranchit de ses lois morales, de ses valeurs cardinales fondatrices d’une société reposant sur des socles partagés qui visaient hier à consolider l’identité même d’une nation. Une frange de notre humanité appartenant à ce monde occidental fait voler en éclats tout ce qui se rapportait à une dimension morale et universelle d’une société forgée que l’on veuille ou non par des lois qui la transcende. Nous ne sommes pas loin de fait d’une société fragilisée par l’avènement de désordres et d’une forme réelle d’anarchie où s’apposent frontalement des cultures aux antipodes d’une société fondée sur le bien commun, la res publica ou autrement dit la chose publique. Je vous fais ici la confession d’avoir été bouleversé par la remarque faite au président de la République par un manifestant qui l’a alpagué, apostrophé lors d’une promenade aux jardins des tuileries, lui faisant savoir que le Président « était son employé » et qu’il avait immédiatement à répondre à son injonction. Ce qui me désole en soi dans cette attitude de rébellion, c’est-à-dire vrai la désacralisation de la fonction présidentielle. Le concept de « Président normal » introduit par le précédent président français, François Hollande, vient en fait jeter comme une forme de trouble sur la dimension réservée à nos institutions. Lorsque le monde est en dehors de toute règle, de toute loi forgeant le respect dû à la fonction, ne serions-nous pas au bord d’une forme d’anomie sociale. Dans son livre, le suicide, le Philosophe Émile Durkheim mettait en évidence une forme de dérèglement, d’effacement des valeurs morales comme l’annihilation du sentiment moral, l’aliénation du discernement, une existence dépourvue de sens. Une société est concernée par l’anomie lorsque cette dernière promeut une forme de prédation en quelque sorte l’instinct plutôt que de coopération. Ainsi un manifestant agit comme un prédateur lorsqu’il se met en quelque sorte à poursuivre le président de la République, le sommant de lui répondre, sans aucune forme d’égard, de considération. Ce manifestant vient à bousculer cette règle admise par tous de respecter nos institutions. L’interpellation en soi est une chose, mais d’y répondre et de se mettre à un niveau de simple citoyen comme l’a fait le président Emmanuel Macron, répondant à un autre citoyen, abaisse finalement la sacralisation de la fonction. Dans ces contextes, l’anomie pour Émile Durkheim provient finalement d’un manque de régulation de la société sur l’individu. C’est un cas type d’anomie, un individu s’affranchit de toutes les bornes, de toutes les limites pour apostropher la fonction hors des champs d’une institution qui par ses principes devait régler la parole citoyenne via l’intermédiation. En fait cette forme d’injonction n’est en soi pas une première, la gouvernance des derniers présidents de la République, a au fil de l’eau accepté l’altercation directe. Or ces escarmouches répétées viennent entacher la fonction et conduisent à une forme de délitement du respect liée à l’incarnation de l’intérêt national. N’est-il pas écrit dans l’épître aux Romains[5] « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes ». Or notre époque ne se caractérise-t-elle pas une forme d’effondrement du respect, qui vient à chahuter de manière permanente l’ordre. Il s’ensuit des révoltes, une sorte de rébellion généralisée contre l’autorité.

L’année 2019 en France fut ainsi caractérisée par une forme d’émeute quasi anarchiste sans leader [Le refus de tout chef, d’un quelconque porte-voix], où les attitudes furent manifestement l’expression de vouloir en découdre avec les autorités, de déboulonner les symboles des tutelles qui gouvernent le pays. De tous les observateurs, l’idée est partagée que notre monde est aujourd’hui traversé par une forme de nihilisme généralisé. Le nihilisme se caractérisait hier par le fait de nier toute possibilité d’accéder à des vérités ultimes, après avoir dénoncé les fondements de la croyance en Dieu, il s’agit aujourd’hui dans ce monde crépusculaire de décaper les figures de notre humanité [Les statues], de fustiger l’histoire, de renverser toutes les valeurs, de mettre à sac la société, de dévoiler toutes les formes d’injustices mais sans pour autant la faire reposer sur d’autres fondements. Nous sommes en permanence sur des logiques de dénonciation, de mise en accusation sans rechercher la vérité, la bienveillance, renonçant au beau, au bien et au vrai. Le monde nihiliste comme relativiste ne semble obéir qu’à ses pulsions et étrangement en appelle à un messie capable de répondre à tous ses désirs. Il est étrange que les cycles de l’histoire se répètent finalement, nous sommes à l’aube d’accueillir le nouveau messie issu d’un monde anti contact, anti relationnel, un messie qui sera à l’envers de l’incarnation relationnel. En écrivant ces lignes, je pense forcément à  Friedrich Nietzsche auteur de ce livre finalement prophétique qui est l’auteur de cet essai « La volonté de puissance », le contenu du livre exprime une nouvelle métaphysique et une nouvelle vision anthropologique de l’homme, le devenir du nouvel homme émergera d’une  hiérarchie d’instincts, de pulsions et d’affects, qui formeront la nouvelle  perspective de l’humanité accueillant les promesses d’un nouveau monde qui aura détruit l’ancien et forcément détruira le christianisme. La cathédrale de Nantes qui brûla ce 18 juillet préfigure-t-elle l’énoncé d’une nouvelle révolte, et comme je le partageais à un ami au cours de cette matinée du 18 juillet, ils se sont attaqués à un bâtiment ce matin, demain ils viendront à brûler le corps. Comme l’écrit le professeur Laurent Jenny « Le crépusculaire se dérobe à une reconnaissance claire parce qu’il recouvre à la fois une dissolution de l’événement et un embrumement de sa perception ». Le même auteur à propos de Baudelaire ajoute : « ce n’est probablement pas la fin du monde mais le monde de la fin, pas l’Apocalypse mais l’avènement des temps crépusculaires. « Ces temps sont peut-être bien proches.» Il se peut même qu’ils soient déjà venus. Notre impuissance à le reconnaître est elle-même crépusculaire [6]».


[1] Le concept de société liquide a été pensé dans les années 1990 par le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman professeur à la London School of Economics.   Pour Zygmunt Bauman, la vie liquide se caractérise à travers des êtres humains qui perdent tout repère, toute attache. Notre humanité selon l’essayiste est entrée dans un monde de confusion sans repères.

[2] « L’homme est la mesure de toute chose » est une citation du sophiste Protagoras reprise par le philosophe Platon dans son Théétète qui forme une trilogie de dialogues dits socratiques. Le premier dialogue concerna la science et sa définition suivi d’un second « Le sophiste » et troisième dialogue « Le Politique ». Cette pensée exprimée par le sophiste Protagoras est une critique sévère des vérités dites « universelles ». Socrate dans le même dialogue rapporté par Platon réfute la pensée du sophiste en s’interrogeant sur le relativisme de Protagoras et lui demandant alors qu’est-ce qui mesurerait alors l’homme ?

.[4] Cicéron homme d’État romain et écrivain définit la loi naturelle, cette idée a été reprise également par Thomas d’Aquin « Il est, en effet, une loi véritable, la droite raison conforme à la nature, immuable et éternelle, qui appelle l’homme au devoir par ses commandements et le détourne du mal par ses défenses et dont les commandements ni les défenses ne restent jamais sans effet sur les bons, ni sans action sur les méchants. On ne peut ni l’infirmer par d’autres lois, ni déroger à quelques-uns de ses préceptes, ni l’abroger tout entière. Ni le sénat, ni le peuple ne peuvent nous soustraire à son empire ; elle n’a pas besoin d’interprète qui l’explique. Il n’y en aura pas une à Rome, une autre à Athènes, une aujourd’hui, une autre demain, mais une seule et même loi éternelle, inaltérable qui dans tous les temps régit à la fois tous les peuples. Et l’univers entier est soumis à un seul maître, à un seul roi suprême, au Dieu tout-puissant qui a conçu et médité cette loi. La méconnaître, pour un homme, c’est se fuir soi-même, renier sa nature et par là même subir les plus cruels châtiments, alors même qu’on échapperait à tout ce qu’on regarde comme des supplices. »

[5] Épitre aux Romains 13 : 1-2. L’épitre est écrite par l’apôtre Paul.

[6] La citation est extraite : https://po-et-sie.fr/wp-content/uploads/2018/10/55_1991_p124_129.pdf

« Les vieux: confinés, isolés, enfermés? »

Nous avons été, pendant deux mois, « confinés ». « Restez chez vous » pour vous protéger, pour
protéger les autres et parce que vous avez conscience de l’intérêt collectif. Les injonctions étaient
pertinentes… Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais elles n’ont pas été vécues par toutes et tous de la même manière. Ainsi parmi nos concitoyens, certains ont vécu des situations particulièrement difficiles. On évoque partout le remarquable travail des soignants. Rendons leur hommage, à eux, et aussi aux enseignants, aux employés de commerces et autres « invisibles » grâce à qui le pays a continué à fonctionner… Mais, au delà de cet hommage, imaginons un instant ce qu’ont vécu les personnes confinées en établissement

Le Philosophe Didier. Martz

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Bonjour à toutes et à tous. C’est la 11ème chronique du ou de la COVID intitulée « Les vieux: confinés, isolés, enfermés? » Elle nous est proposée cette fois-ci par Michel BILLÉ, sociologue, quelque peu philosophe et surtout ami, qui revient avec nous sur la pensée et la pratique du confinement. Celui-ci n’a-t-il pas été proche, en EHPAD en particulier, de l’isolement et de l’enfermement voire de l’immobilisation ?
Nous avons été, pendant deux mois, « confinés ». « Restez chez vous » pour vous protéger, pour
protéger les autres et parce que vous avez conscience de l’intérêt collectif. Les injonctions étaient
pertinentes… Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais elles n’ont pas été vécues par toutes et tous de la même manière. Ainsi parmi nos concitoyens, certains ont vécu des situations particulièrement difficiles. On évoque partout le remarquable travail des soignants. Rendons leur hommage, à eux, et aussi aux enseignants, aux employés de commerces et autres « invisibles » grâce à qui le pays a continué à fonctionner… Mais, au delà de cet hommage, imaginons un instant ce qu’ont vécu les personnes confinées en établissement
d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, autrement dit EHPAD, ou les établissements pour les personnes en situation de handicaps très importants.
Elles avaient accepté, avec parfois beaucoup de difficultés, de quitter leur domicile ou le domicile
familial parce qu’on leur a dit « Tu ne peux pas rester seul, tu ne peux pas continuer à vivre sans voir personne, sans avoir d’échanges, de relations avec d’autres personnes, etc. Il faut bouger, sortir, voir du monde… » Et voilà qu’un virus, par surprise ou presque, conduit les responsables de notre pays à fermer, tout
ce que jusque-là nous voulions ouvrir… les frontières, les magasins, les écoles, les universités, les
commerces, les lieux culturels, les établissements spécialisés… rien n’était assez ouvert !
Que deviennent alors les raisons pour lesquelles on avait convaincu les personnes âgées d’entrer en EHPAD ? Elles partageraient une vie sociale, elles verraient du monde, elles auraient des visites, elles participeraient à des animations, ce serait un lieu de vie, elles y seraient « chez elles »… A leur arrivée on a même écrit pour elles et parfois avec elles leur « projet de vie » ! Mais désormais il leur est interdit de sortir !
Il se pourrait même que le confinement les retienne non seulement dans l’établissement mais aussi dans la chambre dont on dit qu’elle est la leur. Finis les repas partagés dans une salle à manger conviviale, finis les moments d’échange avec les autres résidents : un personnel masqué, méconnaissable vous enjoint de ne pas quitter votre chambre !
Que le confinement soit une exigence sanitaire, admettons ! Mais si les conditions de sa mise en
oeuvre entraînent une fragilisation ou une rupture des liens affectifs, familiaux et sociaux, voilà qu’il se fait redoutable isolement. Non pas solitude « où je trouve une douceur secrète » disait La Fontaine mais bien isolement, c’est-à-dire être dans l’impossibilité de poursuivre ou d’établir des relations. Et les fameux bienfaits de la « connexion » tous azimuts seront une bien maigre consolation.
Ainsi de confinement en isolement, on glisse vers l’enfermement. Pas par intention de faire mal,
mais de fait ! Notamment parce que vous n’en décidez pas et que, d’accord ou non, vous en êtes réduit à le subir. Le « grand renfermement » que Michel Foucault nous aidait à comprendre et à analyser est à l’oeuvre, discrètement sans doute, mais terriblement ! Bien sûr on nous dira que dans nos vies on ne décide finalement
pas de grand-chose et que la liberté ne consiste souvent qu’à décider d’accepter des contraintes que l’on ne peut pas refuser. Mais à ce point !
Confiné, isolé, enfermé. Les références carcérales que ces derniers impliquent a quelque chose
d’insupportable et on préfèrera utiliser le « doux » confiné. Mais la confluence de ces trois termes en appelle un quatrième : confinement, isolement, enfermement appelle immobilisation. Une invisible contention qui contient et maintient l’individu dans l’espace réduit de la chambre. Comme le chantait Jacques Brel : « Les vieux ne bougent plus… du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit. »
Demain nous aurons à inventer la suite, chacun dans notre propre rôle mais pour cela il nous faut dès maintenant penser la manière dont nous souhaitons faire société avec les plus vulnérables de nos concitoyens. Confiner, n’est-ce pas étymologiquement toucher aux confins, aux limites ? Y compris, sans doute, aux limites de notre humaine condition… Ainsi irait le monde ! Merci Michel Billé.
Ainsi va le monde

Chroniques philosophiques de la vie ordinaire
Chez D.Martz : cafedephilosophie@orange.fr

la menace

Il me semblait important de vous partager deux vidéos de mise en garde vis-à-vis des développements futurs l’IA qui font peser une réelle menace sur le sort de l’humanité… Or l’humanité semble s’obstiner désespérément à ne pas vouloir ralentir sa marche vers le progrès, un progrès sans conscience malgré un coup d’arrêt brutal dans les affaires de ce monde. Le COVID nous a mis le bazar pour nous obliger finalement à une réflexion sur soi mais il semble que la volonté de l’humanité est de ne rien entendre et de poursuivre sa conquête prométhéenne et démiurgique d’enfanter sa propre créature (la bête).

Il me semblait important de vous partager deux vidéos de mise en garde vis-à-vis des développements futurs l’IA qui font peser une réelle menace sur le sort de l’humanité… Or l’humanité semble s’obstiner désespérément à ne pas vouloir ralentir sa marche vers le progrès, un progrès sans conscience malgré un coup d’arrêt brutal dans les affaires de ce monde. Le COVID nous a mis le bazar pour nous obliger finalement à une réflexion sur soi mais il semble que la volonté de l’humanité est de ne rien entendre et de poursuivre sa conquête prométhéenne et démiurgique d’enfanter sa propre créature (la bête).

La première vidéo est une mise en garde d’Elon Musk contre cette tentation qui est de laisser à l’homme le soin de tout déléguer à la machine.

La seconde vidéo est une mise en perspective biblique des propos d’Elon Musk. Je remercie Graham et Joy Brodier, Fabrice Bect et Gérald Pech pour leur aide concernant la relecture de cette vidéo très intéressante…

Narrateur : End Times Productions

Narrateur : Ce qu’E.M. a révélé pendant le podcast révèle que la prophétie biblique se déroule plus rapidement que les gens ne le pensent.

J.R. : « L’avez-vous déjà implanté dans un humain ? »

Elon.Musk. : « Non, mais je pense que ma société de recherche (NEURALINK) sera prête à implanter une puce dans le cerveau d’une personne d’ici un an. » C’est-à-dire (que cela permettra de) relier le cerveau d’une personne à Internet via une connexion Bluetooth.

J.R. : « Une fois que vous êtes devenu un dieu, vous pouvez littéralement changer la façon dont les gens interagissent entre eux ? »

Elon.Musk. : « Oui, cela changera fondamentalement la façon dont les humains interagissent les uns avec les autres. »

Narrateur : Voici des avancées technologiques qui amènent l’expérience humaine à des niveaux qui sont décrits dans les romans de science-fiction, sauf que ce n’est pas de la science-fiction, c’est de la science-réalité.

Elon.Musk : explique ici le processus d’implantation : (1) retirer un morceau de 2×2 cm du crâne, (2) implanter le dispositif Neuralink, (3) connecter les différents fils du dispositif dans les neurones du cerveau, (4) assembler le crâne. Un dispositif USB-C permet de connecter l’implant à un ordinateur / une source Internet.

Elon.Musk : « Presque tous les neurones sont connectés à une extension I.A. [n d.t. : Intelligence Artificielle] de vous-même. Toutes les pensées, les émotions, les sentiments sont téléchargés vers le nuage. Finalement, peut-être dans 25 ans, des informations sur la personnalité seront également téléchargées. À l’avenir, il vous serait théoriquement possible de faire une expérience avec votre soi plus jeune. »

Elon.Musk: « Les personnes souffrant de lésions cérébrales bénéficieraient de téléchargements pour améliorer leurs fonctions cérébrales et, si vous souhaitez parler une autre langue, par exemple, vous pourriez télécharger une ‘application linguistique' ».

Puis Le narrateur fait référence à plusieurs versets bibliques pour mettre en garde contre le développement et l’utilisation de ce type de technologie.

Genèse 3:5 : « …vous yeux seront ouverts, et vous serez comme Dieu, connaissant le bien et le mal. »

Ceci est en corrélation directe avec ce qu’E.M. est en train de développer en ce moment.

« Et en ces jours-là les hommes chercheront la mort, mais ils ne la trouveront point ; et ils désireront de mourir, mais la mort s’enfuira d’eux. » Apocalypse 9:6.

Quand vous mourrez, votre conscience est dans le nuage. Si, plus tard, vous réalisez que c’est une erreur d’être dans le nuage, vous ne pourrez pas en sortir. Par conséquent, vous êtes mort, mais vous n’êtes pas mort.

Ésaïe 14:13-14 : « Tu disais en ton coeur : Je monterai au ciel, j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ; je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, à l’extrémité du septentrion ; je monterai sur le sommet des nues, je serai semblable au Très Haut. »

Lorsque nous voyons quelque chose qui a pour but ultime d’éliminer Dieu de l’équation, il ne peut y avoir aucun doute quant à son origine, Satan.

2 Corinthiens 4:4 : « Pour les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence, afin qu’ils ne vissent pas briller la splendeur de l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. »

Nous devons garder les yeux fixés sur Jésus.

Le narrateur a lu un certain nombre d’extraits du document de travail sur le site web de NEURALINK. Voici deux extraits et deux photographies.

NDT : voici le lien de l’article dont sont tirés les extraits traduits ci-dessous : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/703801v2.full

Résumé

Les interfaces cerveau-machine (ICM) sont prometteuses pour la restauration des fonctions sensorielles et motrices et le traitement des troubles neurologiques, mais les ICM cliniques n’ont pas encore été largement adoptées, en partie parce que le nombre modeste de canaux a limité leur potentiel. Dans ce livre blanc, nous décrivons les premiers pas de Neuralink vers un système d’ICM évolutif à large bande passante. Nous avons construit des réseaux de petits « fils » d’électrodes flexibles, comprenant jusqu’à 3 072 électrodes par réseau réparties sur 96 fils. Nous avons également construit un robot neurochirurgical capable d’insérer six fils (192 électrodes) par minute. Chaque fil peut être inséré individuellement dans le cerveau avec une précision de l’ordre du micron pour éviter la vascularisation de surface et cibler des régions cérébrales spécifiques. Le réseau d’électrodes est intégré dans un petit dispositif implantable qui contient des puces dédiées à l’amplification et la numérisation embarquées à faible puissance : le boîtier de 3 072 canaux occupe moins de (23 × 18,5 × 2) mm3. Un seul câble USB-C permet la transmission de données à plein débit à partir de l’appareil et l’enregistrement simultané de tous les canaux. Ce système a permis d’obtenir un rendement atteignant des pointes de 85,5 % dans les électrodes implantées de façon chronique. L’approche de Neuralink en matière d’ICM présente une densité d’assemblage et une évolutivité sans précédent dans un boîtier bien adapté aux utilisations cliniques.

Ils ont créé une interface cerveau / machine.

Les interfaces cerveau-machine (ICM) peuvent aider les personnes atteintes d’un large éventail de troubles cliniques. Par exemple, des chercheurs ont démontré le contrôle neuroprothétique humain de curseurs d’ordinateur [1, 2, 3], de membres robotiques [4, 5] et de synthétiseurs vocaux [6] en n’utilisant pas plus de 256 électrodes. Bien que ces succès suggèrent qu’un transfert d’informations de haute fidélité entre le cerveau et les machines est possible, le développement de l’ICM a été limité de façon critique par l’incapacité d’enregistrer à partir d’un grand nombre de neurones. Les approches non invasives peuvent enregistrer un signal de moyenne effectuée sur des millions de neurones à travers le crâne, mais ce signal est déformé et n’est pas relié à une localisation spécifique [7, 8]. Des électrodes invasives placées à la surface du cortex peuvent enregistrer des signaux utiles, mais elles sont limitées dans la mesure où elles effectuent un moyennage de l’activité de milliers de neurones et ne peuvent pas enregistrer de signaux provenant des profondeurs du cerveau [9]. La plupart des ICM ont utilisé des techniques invasives parce que la lecture extrêmement précise des représentations neuronales nécessite l’enregistrement des potentiels d’action uniques des neurones dans des ensembles distribués et fonctionnellement liés [10].

Cette technologie sera une aide pour les personnes souffrant de graves lésions cérébrales.Source : Podcast de Joe Rogan – Entretien avec Elon Musk (7 mai 2020)

Racisme

Nous sommes ici, cela va de soi, parce que nous voulons combattre le racisme, la xénophobie, le chauvinisme et tout ce qui s’y apparente. Cela au nom d’une position première : nous reconnaissons à tous les êtres humains une valeur égale en tant qu’êtres humains et nous affirmons le devoir de la collectivité de leur accorder les mêmes possibilités effectives quant au développement de leurs facultés. Loin de pouvoir être confortablement assise sur une prétendue évidence ou nécessité transcendantale des « droits de l’homme », cette affirmation engendre des paradoxes de première grandeur, et notamment une antinomie que j’ai maintes fois soulignée et que l’on peut définir abstraitement comme l’antinomie entre l’universalisme concernant les êtres humains et l’universalisme concernant les « cultures » (les institutions imaginaires de la société) des êtres humains. J’y reviendrai à la fin.

Avant l’écriture d’une prochaine chronique sur le sujet … je vous invite à lire de texte de Cornelius CASTORIADIS publié sur le blog Les Amis de Bartleby

Auteur Cornelius Castoriadis

Réflexions sur le racisme

Exposé au colloque de l’Arif
« Inconscient et changement social »,
le 9 mars 1987. Publié dans Connexions, n° 48,1987,
puis dans Les carrefours du Labyrinthe III
Le monde morcelé,
1990, Le Seuil 

Nous sommes ici, cela va de soi, parce que nous voulons combattre le racisme, la xénophobie, le chauvinisme et tout ce qui s’y apparente. Cela au nom d’une position première : nous reconnaissons à tous les êtres humains une valeur égale en tant qu’êtres humains et nous affirmons le devoir de la collectivité de leur accorder les mêmes possibilités effectives quant au développement de leurs facultés. Loin de pouvoir être confortablement assise sur une prétendue évidence ou nécessité transcendantale des « droits de l’homme », cette affirmation engendre des paradoxes de première grandeur, et notamment une antinomie que j’ai maintes fois soulignée et que l’on peut définir abstraitement comme l’antinomie entre l’universalisme concernant les êtres humains et l’universalisme concernant les « cultures » (les institutions imaginaires de la société) des êtres humains. J’y reviendrai à la fin.

Mais ce combat, comme tous les autres, a été à notre époque souvent détourné et retourné de la manière la plus incroyablement cynique. Pour ne prendre qu’un exemple, l’État russe se proclame antiraciste et antichauvin, alors que l’antisémitisme encouragé en sous-main par les pouvoirs bat son plein en Russie et que des dizaines de nations et d’ethnies restent toujours de force dans la grande prison des peuples. On parle toujours – et à juste titre – de 1’extermination des Indiens d’Amérique. Je n’ai jamais vu personne se poser la question : comment une langue qui n’était, il y a cinq siècles, parlée que de Moscou à Nijni-Novgorod a-t-elle pu atteindre les rives du Pacifique, et si cela s’est passé sous les applaudissements enthousiastes des Tatars, des Bourites, des Samoyèdes et autres Toungouzes.

C’est là une première raison pour laquelle nous nous devons d’être particulièrement rigoureux et exigeants au plan de la réflexion. Une deuxième, tout aussi importante, est qu’ici, comme dans toutes les questions portant sur une catégorie social-historique générale – la Nation, le Pouvoir, l’État, la Religion, la Famille, etc. –, le dérapage est presque inévitable. À toute thèse que l’on pourrait énoncer, il est d’une facilité déconcertante de trouver des contre-exemples et le péché mignon des auteurs, dans ces domaines, c’est le manque du réflexe qui prévaut dans toutes les autres disciplines : ce que je dis n’est-il pas contredit par un contre-exemple possible ? Tous les six mois, on lit de grandioses théories échafaudées sur ces thèmes, et l’on se surprend, encore, à s’étonner : l’auteur n’a-t-il donc jamais entendu parler de la Suisse ou de la Chine ? de Byzance ou des monarchies chrétiennes ibériennes ? d’Athènes ou de la Nouvelle-Angleterre ? des Esquimaux ou des Kung ? Après quatre, ou vingt-cinq, siècles d’autocritique de la pensée, on continue de voir fleurir les généralisations béates à partir d’une idée survenue à 1’auteur.

Une anecdote, peut-être amusante, me conduit à un des centres de la question. Comme vous l’avez vu dans l’annonce du colloque, mon prénom est Cornelius – en vieux français, et pour mes amis, Corneille. J’ai été baptisé dans la religion chrétienne orthodoxe, et pour que je sois baptisé, il fallait qu’il y eût un saint éponyme, et en effet il y avait un aghios Kornelios, translitération grecque du latin Cornelius – de la gens Cornelia, qui avait donné son nom à des centaines de milliers d’habitants de l’Empire –, lequel Kornelios a été sanctifié moyennant une histoire qui est racontée dans les Actes (10-11) et que je résume. Ce Corneille, centurion d’une cohorte italique, vivait à Césarée, faisait de larges aumônes au peuple et craignait Dieu qu’il priait sans cesse. Après la visite d’un ange, il invite chez lui Simon, le surnomme Pierre. Celui-ci, en route, a aussi une vision dont le sens est qu’il n’y a plus de nourritures pures et impures. Arrivé à Césarée, il dîne chez Corneille – dîner chez un goy est, selon la Loi, abomination – et pendant qu’il y parle, l’Esprit saint tombe sur tous ceux qui écoutaient ses paroles, ce qui surprend au plus haut point les compagnons juifs de Pierre, qui assistent à la scène, puisque l’Esprit saint s’était aussi répandu sur les non-circoncis, qui s’étaient mis à parler en langues et à magnifier Dieu. Plus tard, revenant à Jérusalem, Pierre a à répondre aux amers reproches de ses autres compagnons circoncis ; il s’en explique, après quoi ceux-ci se calment, disant que Dieu a octroyé aussi bien aux « nations » la repentance afin qu’elles vivent.

Cette histoire a évidemment de multiples significations. C’est la première fois dans le Nouveau Testament qu’est affirmée l’égalité des « nations » devant Dieu, et la non-nécessité du passage par le judaïsme pour devenir chrétien. Ce qui m’importe encore plus, c’est la contraposée de ces propositions. Les compagnons de Pierre « s’étonnent fortement » (« exestesan » dit 1’original grec des Actes : ex-istamai, ek-sister, sortir de soi-même) que le Saint-Esprit veuille bien se répandre sur toutes les « nations ». Pourquoi ? Parce que, évidemment, le Saint-Esprit ne pouvait avoir affaire jusque-là qu’à des juifs – et au mieux à cette secte particulière de juifs qui se réclamait de Jésus de Nazareth. Mais aussi, elle nous renvoie par implication négative à des spécifications de la culture hébraïque – ici, je commence à être désagréable – qui pour les autres ne vont pas de soi, c’est le moins qu’on puisse dire. Ne pas accepter de manger chez les goïm, lorsqu’on sait la place que le repas en commun tient dans la socialisation et l’histoire de 1’humanité ? On relit alors l’Ancien Testament attentivement, notamment les livres relatifs à la conquête de la Terre promise, et l’on voit que le peuple élu n’est pas simplement une notion théologique, mais éminemment pratique. Les expressions littérales de l’Ancien Testament sont du reste très belles si l’on peut dire (malheureusement, je ne puis le lire que dans la version grecque des Septante, ultérieure de peu à la conquête d’Alexandre. Je sais qu’il y a des problèmes ; je ne pense pas qu’ils affectent ce que je vais dire). On y voit que tous les peuples habitant le « périmètre » de la Terre promise sont passés par « le fil de l’épée » (dia stomatos romphaias) et cela sans discrimination de sexe ou d’âge, qu’aucune tentative de les « convertir » n’est faite, que leurs temples sont détruits, leurs bois sacrés rasés, tout ceci sur ordre direct de Yahvé. Comme si cela ne suffisait pas, les interdictions abondent concernant l’adoption de leurs coutumes (bdelygma, abomination, miasma, souillure) et les relations sexuelles avec eux (porneia, prostitution ; mot qui revient obsessivement dans les premiers livres de l’Ancien Testament). La simple honnêteté oblige de dire que l’Ancien Testament est le premier document raciste écrit que l’on possède dans l’histoire. Le racisme hébreu est le premier dont nous ayons des traces écrites – ce qui ne signifie certes pas qu’il soit le premier absolument. Tout laisserait plutôt supposer le contraire. Simplement, et heureusement, si j’ose dire, le Peuple élu est un peuple comme les autres [1].

Je trouve nécessaire de rappeler cela ne serait-ce que parce que l’idée que le racisme ou simplement la haine de l’autre est une invention spécifique de l’Occident est une des âneries qui jouissent actuellement d’une grande circulation.

Sans pouvoir m’attarder sur les divers aspects de révolution historique et leur énorme complexité, je noterai simplement :

a) que parmi les peuples à religion monothéiste, les Hébreux ont quand même cette ambiguë supériorité : une fois la Palestine conquise (il y a trois mille ans – je ne sais rien d’aujourd’hui) et les habitants antérieurs « normalisés » d’une façon ou d’une autre, ils laissent le monde tranquille. Ils sont le Peuple élu, leur croyance est trop bonne pour les autres, il n’y a aucun effort de conversion systématique (mais pas de refus de la conversion non plus) [2] ;

b) les deux autres religions monothéistes, inspirées de l’Ancien Testament et « succédant » historiquement à l’hébraïsme, ne sont malheureusement pas aussi aristocratiques : leur Dieu est bon pour tous ; si les autres n’en veulent pas, ils seront obligés de l’ingurgiter de force ou bien seront exterminés. Inutile de s’étendre, à ce point de vue, sur l’histoire du christianisme – ou plutôt impossible : au contraire, il serait non seulement utile mais urgent de la refaire car, depuis la fin du XIXe siècle et des grands « critiques », tout semble oublié, et des versions à l’eau de rose de la diffusion du christianisme sont propagées. On oublie que lorsque les chrétiens s’emparent de l’Empire romain via Constantin, ils sont une minorité, qu’ils ne deviennent majorité que par les persécutions, le chantage, la destruction massive des temples, des statues, des lieux de culte et des manuscrits anciens – et finalement par des dispositions légales (Théodose le Grand) interdisant à des non-chrétiens d’habiter l’Empire. Cette ardeur des vrais chrétiens à défendre le vrai Dieu par le fer, le feu et le sang est constamment présente dans l’histoire du christianisme, oriental comme occidental (hérétiques, Saxons, croisades, Juifs, Indiens d’Amérique, objets de la charité de la sainte Inquisition, etc.). De même, il faudrait restituer face à la flagornerie ambiante la vraie histoire de la propagation à peine croyable de l’islam. Ce n’est certainement pas le charme des paroles du Prophète qui a islamisé (et la plupart du temps arabisé) des populations allant de l’Èbre à Sarawak et de Zanzibar à Tachkent. La supériorité, du point de vue des conquis, de l’islam sur le christianisme était que sous le premier on pouvait survivre en acceptant d’être exploité et privé plus ou moins de droits sans se convertir, alors qu’en terre chrétienne l’allodoxe, même chrétien (cf. les guerres de religion aux XVIe-XVIIe siècles), n’était pas en général tolérable ;

c) contrairement à ce qui a pu être dit (par un de ces chocs en retour répondant à la « renaissance » du monothéisme), ce n’est pas le polythéisme en tant que tel qui assure l’égal respect de l’autre. Il est vrai qu’en Grèce, ou à Rome, il y a tolérance presque parfaite de la religion ou de la « race » des autres ; mais cela concerne la Grèce et Rome – non pas le polythéisme en tant que tel. Pour ne prendre qu’un exemple, l’hindouisme non seulement est intrinsèquement et intérieurement « raciste » (castes), mais a nourri autant de massacres sanglants au cours de son histoire que n’importe quel monothéisme, et continue de le faire.

L’idée qui me semble centrale est que le racisme participe de quelque chose de beaucoup plus universel que l’on ne veut bien l’admettre d’habitude. Le racisme est un rejeton, ou un avatar, particulièrement aigu et exacerbé, je serais même tente de dire : une spécification monstrueuse, d’un trait empiriquement presque universel des sociétés humaines. Il s’agit de l’apparente incapacité de se constituer comme soi sans exclure l’autre – et l’apparente incapacité d’exclure l’autre sans le dévaloriser et, finalement, le haïr.

Comme toujours lorsqu’il s’agit de l’institution de la société, le thème a nécessairement deux versants : celui de l’imaginaire social instituant des significations imaginaires et des institutions qu’il crée ; et celui du psychisme des êtres humains singuliers et de ce que celui-ci impose comme contraintes à l’institution de la société et en subit de sa part à elle.

Je ne m’étendrai pas sur le cas de l’institution de la société ; j’en ai souvent parlé ailleurs [3]. La société – chaque société – s’institue en créant son propre monde. Cela ne signifie pas seulement des « représentations », des « valeurs », etc. À la base de tout cela, il y a un mode du représenter, une catégorisation du monde, une esthétique et une logique, comme aussi un mode du valoriser – et sans doute aussi un mode chaque fois particulier de l’être affecté. Dans cette création du monde trouve toujours place, d’une manière ou d’une autre, l’existence d’autres humains, et d’autres sociétés. Il faut distinguer entre la constitution d’autres mythiques, totalement ou en partie (les Sauveurs blancs pour les Aztèques, les Éthiopes pour les Grecs homériques), qui peuvent être « supérieurs » ou « inférieurs », voire monstrueux ; et la constitution des autres réels, des sociétés effectivement rencontrées. Voici un schéma très rudimentaire pour penser le deuxième cas. Dans un premier temps mythique (ou, ce qui revient au même, « logiquement premier »), il n’y a pas d’autres. Puis, ceux-ci sont rencontrés (le temps mythique ou logiquement premier est celui de l’autoposition de l’institution). Pour ce qui nous importe ici, trois possibilités s’ouvrent, trivialement : les institutions de ces autres (et donc, ces autres eux-mêmes !) peuvent être considérées comme supérieures (aux « nôtres »), comme inférieures, ou comme « équivalentes ». Remarquons tout de suite que le premier cas entraînerait à la fois une contradiction logique et un suicide réel. La considération des institutions « étrangères » comme supérieures par l’institution d’une société (non pas par tel ou tel individu) n’a pas lieu d’être : cette institution n’aurait qu’à céder la place à l’autre. Si la loi française enjoint aux tribunaux : « Dans tous les cas, appliquez la loi allemande », elle se supprime comme loi française. Il se peut que telle ou telle institution, au sens secondaire du terme, soit considérée comme bonne à adopter, et le soit effectivement ; mais l’adoption globale et sans réserve essentielle des institutions nucléaires d’une autre société impliquerait la dissolution de la société emprunteuse comme telle.

La rencontre ne laisse donc que deux possibilités : les autres sont inférieurs, les autres sont égaux à nous. L’expérience prouve, comme on dit, que la première voie est suivie presque toujours, la seconde presque jamais. Il y a à cela une apparente « raison ». Dire que les autres sont « égaux à nous » ne pourrait pas signifier égaux dans l’indifférenciation : car cela impliquerait, par exemple, qu’il est égal que je mange du porc ou que je n’en mange pas, que je coupe les mains des voleurs ou non, etc. Tout deviendrait alors indifférent et serait désinvesti. Cela aurait dû signifier que les autres sont simplement autres ; autrement dit, que non seulement les langues, ou les folklores, ou les manières de table, mais les institutions globalement, comme tout et dans le détail, sont incomparables. Cela – qui en un sens, mais en un sens seulement, est la vérité – ne peut apparaître « naturellement » dans l’histoire, et il ne devrait pas être difficile de comprendre pourquoi. Cette « incompatibilité » reviendrait, pour les sujets de la culture considérée, à tolérer chez les autres ce qui pour eux est abomination ; et, malgré les facilités que se donnent aujourd’hui les défenseurs des droits de l’homme, elle fait surgir des questions théoriquement insolubles dans le cas des conflits entre cultures, comme le montrent les exemples déjà cités et comme je tâcherai de le montrer encore à la fin de ces notations.

Cette idée, en paroles si simple et si vraie : les autres sont tout simplement autres, est une création historique qui va à contre-pente des tendances « spontanées » de l’institution de la société. Les autres ont presque toujours été institués comme inférieurs. Cela n’est pas une fatalité, ou une nécessité logique, c’est simplement l’extrême probabilité, la « pente naturelle » des institutions humaines. Le mode le plus simple du valoir des institutions pour leurs propres sujets est évidemment l’affirmation – qui n’a pas besoin d’être explicite – qu’elles sont les seules « vraies » – et que donc les dieux, croyances, coutumes, etc., des autres sont faux. En ce sens, l’infériorité des autres n’est que l’autre face de l’affirmation de la vérité propre des institutions de la société – Ego (au sens où l’on parle d’Ego dans la description des systèmes de parenté). Vérité propre prise comme excluant toute autre, rendant tout le reste erreur positive et, dans les cas les plus beaux, diaboliquement pernicieuse (le cas des monothéismes et des marxismes-léninismes est obvie, mais non le seul).

Pourquoi parler de probabilité extrême et de pente naturelle ? Parce qu’il ne peut pas y avoir de fondation véritable de l’institution (fondation « rationnelle » ou « réelle »). Son seul fondement étant la croyance en elle et, plus spécifiquement, le fait qu’elle prétend rendre le monde et la vie cohérents (sensés), elle se trouve en danger mortel dès que la preuve est administrée que d’autres manières de rendre la vie et le monde cohérents et sensés existent. Ici notre question recoupe celle de la religion au sens le plus général, que j’ai discutée ailleurs [4],

Probabilité extrême, mais non pas nécessité ou fatalité : le contraire, bien que hautement improbable – comme la démocratie est hautement improbable dans l’histoire – est quand même possible. L’indice en est la relative et modeste, mais réelle quand même, transformation à cet égard de certaines sociétés modernes, et le combat qui y est mené contre la misoxénie (et qui est certes loin d’être terminé, même dans chacun de nous).

Tout cela concerne l’exclusion de l’altérité externe en général. Mais la question du racisme est beaucoup plus spécifique : pourquoi ce qui aurait pu rester simple affirmation de l’« infériorité » des autres devient discrimination, mépris, confinement pour s’exacerber finalement en rage, haine et folie meurtrière ?

Malgré toutes les tentatives faites de divers côtés, je ne pense pas que nous puissions trouver une « explication » générale de ce fait, qu’il y ait à la question une réponse autre qu’historique au sens fort. L’exclusion de l’autre n’a pas pris partout et toujours, tant s’en faut, la forme du racisme. L’antisémitisme et son histoire dans les pays chrétiens sont connus : aucune « loi générale » ne peut expliquer les localisations spatiales et temporelles des explosions de ce délire. Autre exemple, peut-être plus parlant encore. L’Empire ottoman, une fois la conquête faite, a toujours mené une politique d’assimilation puis d’exploitation et de capitis diminutio des conquis non assimilés (sans cette assimilation massive, il n’y aurait pas aujourd’hui de nation turque). Puis soudain, à deux reprises – 1895-1896, 1915-1916 –, les Arméniens (soumis toujours, il est vrai, à une répression beaucoup plus cruelle que les autres nationalités de l’Empire) font l’objet de deux monstrueux massacres en masse, alors que les autres allogènes de l’Empire (et notamment les Grecs, encore très nombreux en Asie mineure en 1915-1916 et dont l’État est pratiquement en guerre avec la Turquie) ne sont pas persécutés.

À partir du moment où il y a la fixation raciste, on le sait, les « autres » ne sont pas seulement exclus et inférieurs ; ils deviennent, comme individus et comme collectivité, point de support d’une cristallisation imaginaire seconde qui les dote d’une série d’attributs et, derrière ces attributs, d’une essence mauvaise et perverse qui justifie d’avance tout ce que l’on se propose de leur faire subir. Sur cet imaginaire, notamment antijuif en Europe, la littérature est immense et je n’ai rien à y ajouter [5]. Sauf qu’il me paraît plus que superficiel de présenter cet imaginaire – baptisé, de surcroît, « idéologie » – comme fabriqué de toutes pièces par des classes ou des groupes politiques pour assurer leur domination ou pour y parvenir. En Europe, un sentiment antijuif diffus et « rampant » a circulé sans doute tout le temps depuis le XIe siècle au moins. Il a parfois été ranimé et revivifié aux moments où le corps social éprouvait avec une intensité plus forte que d’habitude le besoin de trouver un mauvais objet « interne-externe » (l’« ennemi intérieur » est tellement commode), un bouc émissaire prétendument marqué déjà de soi-même comme bouc. Mais ces revivifications n’obéissent pas à des lois et à des régies ; impossible, par exemple, de nier les profondes crises économiques subies pendant cent cinquante ans par l’Angleterre à une explosion quelconque d’antisémitisme – alors que depuis quinze ans de telles explosions, mais dirigées contre les Noirs, commencent à s’y produire.

Chronique du Covid : Des chiffres et des hommes

Depuis le mois de Mars, nous avons pu suivre d’heure en heure l’évolution de l’épidémie avec des données chiffrées sur le nombre de personnes contaminées, admises à l’hôpital et celles qui en sont ressorties ; le nombre de personnes en réanimation et celles qui sont décédées. Pour ces dernières en faisant progressivement le distinguo entre les personnes mortes à l’hôpital et les personnes mortes en EHPAD ou maisons de retraite encore appelées « résidences ». Ou encore celles, mal repérées, mortes à domicile.
Grâce à la conférence de presse quotidienne tenue par Jérôme Salomon, Directeur Général de la
Santé, nous avons pu suivre les progrès – et les régrès – de l’épidémie. Chaque soir ou presque, il
donnait (à l’imparfait parce qu’il est désormais silencieux) un point presse devant les caméras pour commenter l’évolution de l’épidémie dans le pays et donner le nombre de décès, d’entrées en réanimation et d’hospitalisations, moults chiffres et graphiques à l’appui. En dehors de ces
communiqués, nous ne manquions pas d’informations. Tous les médias ont tenu à nous en donner.

Le Philosophe Didier Martz
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Depuis le mois de Mars, nous avons pu suivre d’heure en heure l’évolution de l’épidémie avec des données chiffrées sur le nombre de personnes contaminées, admises à l’hôpital et celles qui en sont ressorties ; le nombre de personnes en réanimation et celles qui sont décédées. Pour ces dernières en faisant progressivement le distinguo entre les personnes mortes à l’hôpital et les personnes mortes en EHPAD ou maisons de retraite encore appelées « résidences ». Ou encore celles, mal repérées, mortes à domicile.
Grâce à la conférence de presse quotidienne tenue par Jérôme Salomon, Directeur Général de la
Santé, nous avons pu suivre les progrès – et les régrès – de l’épidémie. Chaque soir ou presque, il
donnait (à l’imparfait parce qu’il est désormais silencieux) un point presse devant les caméras pour commenter l’évolution de l’épidémie dans le pays et donner le nombre de décès, d’entrées en réanimation et d’hospitalisations, moults chiffres et graphiques à l’appui. En dehors de ces
communiqués, nous ne manquions pas d’informations. Tous les médias ont tenu à nous en donner.
Voici quelques exemples pris au hasard en France, certains datent un peu :
En Île-de-France, le nombre de patients entrant en réanimation baisse, tandis que le nombre de
ceux qui sortent augmente : 138 le 2 avril, dont 58 sont décédés ; L’INSEE a noté ces dernières
semaines une hausse de + 63 % des décès en Seine-Saint-Denis par rapport à la même période en 2019 C’est l’augmentation la plus forte derrière celle constatée dans le Haut-Rhin (+ 84 %) ; Un
plateau semble atteint dans le nombre de réanimations » mais il faut attendre encore un peu pour observer ce plateau pour les décès » ; à terme, la mortalité sera autour de 30 % en réanimation ; nous atteignons un record avec quelques 12000 décès… L’AFP, publie le dimanche 26 avril 2020 à 20h14 : un chiffre en baisse (242 morts en 24h) bien qu’il ne prenne pas en compte les maisons de retraite où plusieurs milliers de personnes âgées sont mortes ; 26/04 à 19:02 BILAN FRANCE : 28.217 personnes sont toujours hospitalisées, soit 5 de moins qu’hier. 4.682 patients sont en réanimation, en baisse de 43. Et à 18 h 24 : 52 personnes sont mortes ces 24 dernières heures en France, pour un total de 22.856. 14.202 sont décédées à l’hôpital
et 8.654 en Ehpad.
Un tour vers l’Espagne quand même où s’annonce une bonne nouvelle. En effet le pays recense
dimanche seulement 87 morts du coronavirus en 24 heures, passant sous la barre des 100 décès pour la première fois en deux mois….etc., etc. Je relève dans le vocabulaire : baisse, hausse, plateau, record, passer la barre, pourcentage, statistiques, « en moins, en plus », comparaison entre pays. On attend presque l’attribution du maillot jaune ou noir au meilleur pays…. Il me revient ce passage du livre de Charles Dickens dans son roman Les temps difficiles. Le professeur utilitariste Monsieur Mac-Choakumchild tente d’enseigner la statistique à Sissy. Il prend comme exemple la statistique des accidents arrivés en mer et indique que sur cent mille personnes qui se sont embarquées pour des voyages au long cours, il n’y en a que cinq cents de noyées ou de
brûlées. « Quel pourcentage agréablement bas » se dit-il. Et il pose la question à Sissy : « combien
cela fait-il de « pour cent » ? Et Sissy de répondre que cela ne faisait rien… « Comment cela ? »
s’indigne le professeur utilitariste. « Oui, poursuit une Sissy en pleurs, cela ne fait rien du tout aux
parents et aux amis de ceux qui avaient été tués ». C’est que, comme dit Martha Nussbaum, sans
doute philosophe, les chiffres ne rachètent pas les morts et ne contiennent aucune valeur que
quantitative. Et sûrement pas la valeur de la mort d’une personne.
Gageons que la peine sera apaisée grâce aux prochains algorithmes qui dessineront à l’avance le
chemin le plus sûr qui conduit fatalement à la mort. Ainsi ira tranquillement le monde !

Distanciation

C’est fou ce que les mots d’hier comme se saluer, s’accueillir, recevoir, se serrer la main, étaient à nos oreilles d’une grande banalité. Ces mots prennent un sens bizarrement singulier, un sens très nouveau quand nous les exprimons dans les contextes de pandémie qui a laissé les traces étranges d’une tout autre infection dans nos esprits. Ces mots qui étaient hier, d’une grande banalité n’auraient franchement mérité aucune réflexion particulière, sauf en ces jours. En d’autres temps, dans des temps qui ne seraient pas ceux d’un monde pollué par l’esprit des courtisans malfaisants de la Reine Corona, ces mots comme se faire la bise auraient été d’une ennuyeuse platitude. Toutes les dimensions qui touchent aux salutations fraternelles, aux politesses cordiales et ces gestes comme une simple accolade, une poignée de main étaient comme pour chacun, une évidence, mais les mêmes gestes ont une tout autre résonance, en nous aujourd’hui.

Auteur Eric LEMAITRE

C’est fou ce que les mots d’hier comme se saluer, s’accueillir, recevoir, se serrer la main, étaient à nos oreilles d’une grande banalité. Ces mots prennent un sens bizarrement singulier, un sens très nouveau quand nous les exprimons dans les contextes de pandémie qui a laissé les traces étranges d’une tout autre infection dans nos esprits. Ces mots qui étaient hier, d’une grande banalité n’auraient franchement mérité aucune réflexion particulière, sauf en ces jours.  En d’autres temps, dans des temps qui ne seraient pas ceux d’un monde pollué par l’esprit des courtisans malfaisants de la Reine Corona, ces mots comme se faire la bise auraient été d’une ennuyeuse platitude. Toutes les dimensions qui touchent aux salutations fraternelles, aux politesses cordiales et ces gestes comme une simple accolade, une poignée de main étaient comme pour chacun, une évidence, mais les mêmes gestes ont une tout autre résonnance, en nous aujourd’hui.

À la veille du mariage de notre fille Anne et de Thibault, une amie Corinne sonne à notre porte, pour offrir à ce jeune couple, un joli cadeau, l’expression d’une amitié pour des voisins qui se connaissent depuis plus de vingt ans. Corinne est arrivée masquée et a rapidement ressenti comme une gêne sociale à porter un masque alors que nous sommes voisins et que nos relations d’amitié sont bien plus que courtoises après tant d’années. Corinne se démasqua s’affranchissant ainsi de la peur de ce contact, elle se dévisagea comme pour se libérer d’une contrainte psychologique que lui bassinent les médias à longueur de journée.

Nous nous sommes habitués depuis quelques mois, à garder nos distances, à cultiver le respect inconditionnel de cette nouvelle rhétorique. Nous avons appris au fil des jours, à nous accommoder avec les gestes barrières. Pourtant nous sommes sortis du confinement, mais la pandémie semble toujours là. Ce confinement où nous étions comme privés de rencontres, de vie sociale, nous tenaille, nous tient toujours en laisse malgré le déconfinement auquel nous avons été invités depuis peu. Nous étions hier tenus en quelques semaines à nous limiter dans nos déplacements, à ne pas enfreindre les distances, nous étions dans l’injonction de les respecter, de ne plus pouvoir nous rendre au chevet de nos parents, ou grands-parents.   La distanciation instaurée par la pandémie est ainsi venue se heurter à la sociabilité d’hier et sans doute également heurter notre conscience. Comment se résoudre à accepter, de priver l’autre fragile, l’autre vulnérable : de rencontres, de partager l’affection, de vivre l’instant d’une étreinte qui s’appelle la tendresse, d’un geste qui se nomme, sourire. Si ces nouveaux gestes barrières ont été appris, il nous semble en réalité que nous ayons été conditionnés à nous y habituer et à suspecter ceux qui s’en affranchissent ou s’en affranchiront comme des hors la loi possible. Ce que je regrette c’est l’absence de culture de la responsabilité, répondre de soi et de ses actes, mais au-delà à répondre de ce qui est fragile, de ce qui est perçu comme infiniment vulnérable. Il y a en somme dans l’idée de responsabilité, celle d’un devoir vis-à-vis de l’autre, le désir d’un infini respect qui lui est dû. Dans des contextes de pandémie, la distance physique peut donc aussi être l’expression d’une manifestation responsable : ne pas mettre autrui en danger. Or la distanciation sociale est autre chose, ce champ lexical de ce nouveau néologisme : distanciation sociale me semble vraiment impropre, maladroit et suspect. La distanciation sociale n’a rien à voir avec les règles d’une distanciation physique, la distanciation sociale comme l’écrirait Jean-Paul Sartre, ce serait plutôt un manque d’être, l’absence d’une présence à l’autre, l’absence d’une communauté de semblables.

Le 5 juin avec ma chère épouse avec laquelle aucune distance n’existe, où l’intime est de règle, nous regardions le film : Contagion. Le synopsis du film dystopique sorti dans les salles de cinéma en 2011 est absolument stupéfiant.  Le film relate comme un copier-coller la pandémie de 2020, le récit de cette fiction mis en scène comme un documentaire, décrit le déroulement d’une fulgurante pandémie qui commence à Hong-Kong. Une femme d’affaires américaine à son retour aux États-Unis tombe très gravement malade puis meurt, très vite, elle infecte son fils qui trépasse des mêmes causes. Au démarrage, les médecins tâtonnent, soupçonnent une maladie, mais qu’ils ne qualifient pas de létale, mais peu à peu, l’infection prend un autre aspect et sa dangerosité finit par être manifeste, sa propagation estimée selon les modèles statistiques comme exponentielle dépassant même le Ro4[1].

La pandémie relatée dans cette fiction est née d’un croisement entre une chauvesouris et un cochon [enfin un cochon sans écailles], vendu dans les étales d’un marché et qui infectera le patient zéro, une Américaine de séjour à Hong-kong Beth Emhoff, la femme de Mitch, contaminera à son tour son propre fils comme le reste du monde, le début d’une foudroyante pandémie à l’échelle de toute la planète.  C’est dans ce film que l’épidémiologiste Erin Mears emploiera le mot « distanciation sociale », ce mot allait ensuite s’imposer dans le vocabulaire de nos médias avec l’irruption du covid19, puis à longueur d’émissions, de débats interminables, de promotions s’incruster dans les mentalités, d’une nouvelle société dont le drapeau serait dorénavant « Gardez vos distances ».  Mais ce 4 juin, avec quelques amis nous décidâmes de franchir le fameux Rubicon, le fameux interdit comme s’il nous fallait sortir et pour une question vitale de ce monde virtuel et hygiéniste que l’on nous prépare, monde infiniment plus menaçant.

Ainsi le 4 juin, nous nous retrouvions avec plusieurs relations pour un temps de retrouvailles, de convivialité, d’échanges et de partages en toute fraternité. Nous décidâmes spontanément sans concertation aucune, de franchir le Rubicon, de briser la fameuse distanciation sociale, sans doute pour conjurer et refuser la peur, la langue que l’on, nous a apprise celle des barrières. Nous avons sans doute pour beaucoup d’entre nous, oublier ce que signifie en soi l’expression comme le geste « se serrer les mains ». « Se serrer les mains » était une façon de dire que nous n’avions pas d’armes, que nous n’allions pas dégainer l’épée de la Reine Corona. En amis, nous sommes venus désarmés, en amis nous nous sommes salués chaleureusement. En amis, nous avons refusé de plier le genou à l’ambiance hygiéniste de notre société. Dans ces retrouvailles fraternelles, nous nous assurions ainsi que nous n’avions entre nous que de bonnes intentions, aucune volonté d’infecter notre ami, mais surtout le désir d’être des hommes et des femmes libres, responsables, dégagés des liens de la peur. Nous refusions en quelque sorte d’être sous le joug de ces injonctions puériles, de nous enfermer dans une forme d’enfantillage. Dans cette agape fraternelle, notre intention n’était pas de braver de façon inconsciente la Reine Corona. Non notre souci était de lui refuser l’allégeance, nous ne voulions pas de ces codes, de cette société hyper protectionniste, hyper hygiéniste qui met l’autre en distance. Nous ne sommes pas à la botte d’un monde qui aimerait nous entraîner dans la méfiance, la crainte de l’autre, nous sommes entre amis, en confiance. Si l’un d’entre nous, est malade, nous serons alors nous dire en homme et femme responsables de garder nos distances et l’absence de contact dans de telles circonstances, n’est aucunement la mort sociale.  Dans ce temps fraternel, nous avons eu l’un des plus beaux témoignages partagés, dans le même village, deux frères, qui résident pourtant au même endroit, ne prenaient guère le temps de se rencontrer sauf lors des grandes fêtes familiales, l’un des deux est infirmier et du fait des soins à apporter à son frère, sont conduits à se rencontrer quotidiennement, se sont redécouverts, se sont appréciés en raison du temps passé entre eux.  Le confinement a été pour eux, une raison de briser la distanciation sociale, distanciation qui s’était donné rendez-vous en raison de l’occupation de chacun. La vie a ainsi parfois des détours qui nous conduisent à l’essentiel. Si la pandémie pour certains annonce l’avènement d’une culture virtuelle, d’une société sans incarnation, à distance, nos deux amis, qui sont frères dans la vie, ont renoué avec le monde de la proximité, avec ceux qui sont les prochains de l’autre.

Je ne sais pas quand ce texte sera lu ni à quel moment. Sans doute, après l’épisode pandémique, ou si la vague arrive, cette chronique fera sourire, rire ou bien suscitera la colère, la menace, car nous aurions été comme des idiots. Avons-nous eu tort d’entrer dans une relation gestuelle qui est loin de ce nouveau lexique, de cette distanciation comptable, parce que métrique. Nous sommes invités dans ce monde estampillé numérique, de ne pas être si proches, mais de garder nos distances, de nous retrouver virtuellement, mais surtout pas dans l’alcôve d’un espace étroit pour échanger, partager. La société nous susurre, c’est fortement déconseillé « imbécile » d’être moins d’un mètre, ne sais-tu pas que tu risques gros, nous allons le dénoncer, crier haro sur ta bravoure bornée, sur ta témérité de nigaud. En écrivant ces lignes, je songe à nouveau à l’applicatif Stop-Covid qui vous avertira dès que vous aurez croisé une personne infectée qui aurait été à moins d’un mètre de vous. Mais l’homme libre et réellement responsable, lui n’a que faire de l’artefact préventif, « il est libre Max ». 

Mais cette distanciation sociale, nous en dit long sur l’esprit, les mentalités de ce nouveau monde qui a transgressé les codes d’hier. Nous approuvons les gestes de prudence d’une manière générale, en revanche nous blâmons comme nous refusons qu’ils deviennent les nouveaux codes de la vie sociale interdisant la manifestation de la vie. Dans l’essai la conscience mécanisée, je mettais en évidence ce long processus de domestication et de surveillance quasi robotisée de l’être humain. Nécessairement ce processus de robotisation sociale, loin d’être une fiction, nous invite à relire ou redécouvrir pour bon nombre d’entre nous, la pensée de Michel Foucault qui théorisa finalement le mouvement de toute une société qui entre dans la dimension de surveillance des corps, des dénonciations des faits et gestes nouvellement appris, de toute une rhétorique apprise concernant la vie non tactile. La pensée remarquable du philosophe fut d’anticiper l’avènement de toute une société régulée et guidée par l’émergence des technologies de surveillance. Michel Foucault écrira que le panoptique “… est [l’art] d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir… ».  Or avec la pandémie nous sommes entrés dans l’ultra précaution des gestes, des comportements, gare aux transgressions sociales. Nous entrons dans les procédés d’une nouvelle langue comportementale à apprendre, des procédés adossés aux techniques orwelliennes, procédés qui se déploient comme pour nous accoutumer à ce nouveau monde hygiéniste. Ce monde qui se dessine subrepticement, sans tapages, agit comme une tyrannie douce.  Mais nous voulons discerner comme pour dénouer les apories et les mensonges de ces nouveaux codes de la distanciation sociale. Ces nouveaux codes sont là comme pour nous faire apparaître leur statut d’outils au service de l’ordre dominant, qui n’a pas choisi d’enseigner et de transmettre le devoir de responsabilisation, mais entretient la peur, cultive les injonctions sociales sans la responsabilité, celle du devoir de prudence vis-à-vis de l’autre. Ce que je dénonce ici ce n’est pas le geste physique respectueux pour m’éviter d’être l’agent contaminant, c’est cet ordre moral sans la conscience, c’est cet ordre imposé sans le respect de l’ordre, c’est cet ordre qui appellera demain au déploiement de toutes les technologies de surveillances pour réguler, contrôler, superviser les gestes sociaux, mais dont les applications ne seront pas seulement sur le seul registre sanitaire mais bien celle qui touchera à toute la vie sociale.


[1]  Nombre moyen de cas (ou de foyers) secondaires provoqués par un sujet (ou un élevage) atteint d’une maladie transmissible au sein d’une population entièrement réceptive.

L’écran total

Nous assistons comme à une forme de bombe nucléaire : d’atomisation massive, la fragmentation des populations obligée à l’hyper individualisation non en raison d’une idéologie qui aurait été décrétée par un gouvernement totalitaire mais résultant d’une pandémie virale et mortifère qui touche la totalité de notre planète. La force virale de ce Coronavirus, l’ennemi de l’homme, impacte tous les écosystèmes, renversant, fauchant les cités arrogantes : ces cités babyloniennes, visages de l’orgueil et de la suffisance humaine. Ce phénomène déconcertant, désarçonnant, et viral vient en quelque sorte mettre comme une couche supplémentaire à ce processus déjà engagé de dislocation de la société, même s’il en était besoin de l’aggraver en mettant à genoux toutes les principautés, les autorités, les gouvernances politiques dont aucunes ne lui résistent, ne sont en capacité de faire front. Un micro-organisme quasi invisible mais d’une dangerosité extrême, est là en mesure d’abattre tous les systèmes sophistiqués de protection médicalisée, toutes les défenses « sanitaires » en imposant sa loi totalitaire sommant les êtres humains de se réfugier dans leurs frêles abris.

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Auteur Eric LEMAITRE

Ce texte est à la suite d’un excellent article écrit par Liliane Held-Khawam : https://lilianeheldkhawam.com/2020/03/31/creer-une-nouvelle-societe-digitalisee-sous-surveillance-permanente-lhk/

Lors d’une conférence en Octobre sur l’homme mutant, j’évoquais l’atomisation future de notre société en citant Tocqueville et surtout l’économiste Jacques Généreux lorsque ce dernier abordait une des caractéristiques de la vie sociale de notre modernité : la dissociété. Or cette dissociété qui est un marqueur de notre vie occidentale, cette mutation anthropologique déjà bien avancée, est un phénomène amplifié par le confinement quasi mondial des populations et décrété par l’ensemble des nations. Avec le confinement vécu par des milliards d’êtres humains, nous sommes en quelque sorte dé-reliés aux autres, détachés, désunis, désolidarisés parce que emmurés, calfeutrés et avec cette situation de confinement nous aboutissons finalement à l’hyper connectivité qui accentue l’ère d’un monde sans relation incarnée.

Nous assistons comme à une forme de bombe nucléaire : d’atomisation massive, la fragmentation des populations obligées à l’hyper individualisation non en raison d’une idéologie qui aurait été décrétée par un gouvernement totalitaire mais résultant d’une pandémie virale et mortifère qui touche la totalité de notre planète. La force virale de ce coronavirus, l’ennemi de l’homme, impacte tous les écosystèmes, renversant, fauchant les mégapoles arrogantes (Londres, New York Paris…) : ces cités babyloniennes, visages de l’orgueil et de la suffisance humaine. Ce phénomène déconcertant, désarçonnant, et viral vient en quelque sorte mettre comme une couche supplémentaire à ce processus déjà engagé de dislocation de la société, même s’il en était besoin de l’aggraver en mettant à genoux toutes les principautés, les autorités, les gouvernances politiques dont aucunes ne lui résistent, ne sont en capacité de faire front. Un micro-organisme quasi invisible mais d’une dangerosité extrême, est là en mesure d’abattre tous les systèmes sophistiqués de protection médicalisée, toutes les défenses « sanitaires » en imposant sa loi totalitaire, sommant les êtres humains de se réfugier dans leurs frêles abris, claquemurant même toute notre humanité, la piétinant parfois en laissant les plus faibles au bord de la route « certains pays » parmi les plus pauvres de la planète, relatent de véritables désastres, de personnes en proie aux pires souffrances que l’on ne peut même plus accueillir dans les hôpitaux et les morts mêmes jonchent les rues.

Ce phénomène, ce choc pandémique, semble pourtant être atténué dans le monde occidental [pour combien de temps ?]. Ce monde occidental qui s’imagine à l’abri via ses relais et ses réseaux, cet ensemble de relations préfabriquées qui s’appuient sur toutes les technologies mises en place au cours de ce confinement, d’inventivité dont font preuve plusieurs d’entre nous. Pourtant il faut bien reconnaître que tout ceci est bien spécieux, superflu et ne remplacera pas la relation vivante, la rencontre salutaire avec l’autre.  Or pour compenser l’absence de l’autre, l’interactivité sociale, nous notons une progression des usages internet, nous glissons peu à peu vers le monde transhumaniste des écrans qui devient l’autre, le substitut, l’aide thérapeutique, l’assistant palliant la solitude insupportable. En attendant sans doute demain le robot affectif palliant à l’ami absent, simulant des capacités de cognition mais sans conscience, sans ressentis ni aucun sens de l’autre, ni aucun désir de vivre notre humanité surtout lorsque la fragilité de l’homme est mise à mal.

Avec ce confinement généralisé, le monde connecté celui de l’écran est en passe de devenir le monde réel, mais un monde surtout factice, un univers d’artefacts conditionnant au fil des jours notre future apathie, notre immobilisme contraint. Notre seul horizon est à peine la fenêtre des voisins, mais devient une fenêtre fermée, un mur sans visage, car ce visage est sans doute rivé à son écran. Nous entrons finalement dans l’habituation d’un monde d’informations qui devient pour le coup le substitut de l’autre en chair. L’habituation est ce syndrome de l’addiction, celle de l’accoutumance à être privé de vie relationnelle, de vie associative ou de vie d’église pour les chrétiens, une accoutumance qui n’est pas facile à vivre pour nos aînés, une situation que j’ose écrire de cataclysmique pour nos aînés, qui plus que jamais ont besoin d’un geste réel et non d’un écran qui simule une animation qui n’est pas la chaleur de l’être aimé. Ces aînés souffrent, sans doute endurent pour certains, d’être privés de cette rencontre avec leurs enfants, de l’absence, de la non-incarnation d’un geste de tendresse d’un petit fils, d’une petite fille, de rires que l’on entend et qui nous relie à celui des vivants, ces personnes avancées dans l’âge, privés à l’heure de leur mort de la main tendre qui les accompagne.

A vivre le monde virtuel qui soi-disant nous protège, sommes-nous réellement en vie, sommes-nous toujours en vie ? Si j’évoquais le monde de nos aînés très âgés, comment ne pas songer également à toutes les personnes qui vivent seules, isolées, chez elles. Ces personnes qui vivent parfois en êtres désolés sans ressources (ni compagnies, ni livres) et passant des journées dans une solitude qui les emmure. Une amie, m’a invité à suivre par téléphone (hélas) cette personne veuve, qui vit dans le mal être d’un espace fermé. Cette personne passe sa vie dans les écrans à consulter et à rechercher désespérément l’âme sœur dans le monde désincarné des réseaux de rencontres, mais sans réponses, se perdant ainsi dans les méandres de ces univers virtuels sans lendemains, un monde de désenchantement comme tout ce qui est virtuel.

L’écran ne remplacera jamais le monde réel ; le monde vivant n’est pas celui du domaine calfeutré du monde virtuel, de cet écosystème envahi par les connexions, les bits, les data. Pourtant ce monde virtuel deviendra notre nouvel écosystème, ce monde se dessine subrepticement et l’ennemi demain sera la rencontre, la peur de l’autre, celui qui vit en chair mais qui pourrait loger un corps étranger. Cette peur nous envahit malgré nous, tant nous sommes habitués à vivre en confinés. Nous sommes soumis ainsi à ce nouvel ordre social, l’ordre de l’immanence fondé sur la peur, imposé par un virus bricolé ou naturel [« sur naturel » en ce sens que virus semble ne s’en prendre qu’à l’homme] . Nous sommes devenus les sujets des réseaux connectés, celle de nos écrans d’où nous recevons de l’information et des injonctions en permanence. Nous sommes dans l’habituation comme je l’ai déjà écrit, une forme d’apprentissage conditionnée à échelle planétaire, l’apprentissage d’un monde virtuel, vide de relations humaines. Oui j’entends bien qu’il faille se protéger et comment faire autrement, surtout parce que nous n’avons pas su anticiper en France, le naufrage de cette crise sanitaire exposant puis plongeant nos armées médicales dans le stress, la peur au ventre face à une peur, loin d’être une paranoïa.

L’habituation à ce monde virtuel, celui des écrans, des smart phones dont il faudra même s’équiper pour justifier et légitimer nos sorties. Nous allons sous peu découvrir les applications qui demain anticiperont et géreront pour nous les interactions sociales qu’il faudra éviter, car selon un sondage les Français seraient prêts à se laisser géolocaliser, autrement dit pister, pour prévenir d’éventuels risques de contamination, fuir les pestiférés, les contaminés et demain d’autres dangers émanant des tensions découlant de l’effroyable crise sanitaire (crises sociales, politiques, révoltes issues de la crise économique).

Le Prince de l’air et oui car il faut bien parler de lui, nous prépare à des moments pénibles, difficiles en voulant domestiquer l’espèce humaine et en la privant d’incarnation. Cette crise sanitaire va aussi révéler la réalité qui touche au cœur de l’homme, ceux qui hier de leurs balcons applaudissaient les blouses blanches pourraient bien se transformer en hydres pour chercher les prétendus boucs émissaires d’un véritable désastre pour l’humanité. Pourtant à l’heure de ce désastre, de ce bouleversement, chacun avec une profonde humilité devrait réfléchir à l’orientation qu’il avait jusqu’à présent, donner à sa vie, et peut-être changer de voie pour mieux s’engager vers les autres, les proches, les parents, les amis, la personne que je croise, celui qui est en réalité mon prochain et non mon ennemi. il nous faut revenir à une vie d’authenticité et de simplicité et fuir ce monde qui nous invite à toujours plus, et à l’homme augmenté, alors que la vraie grandeur est de savoir s’abaisser devant la grandeur de Dieu.

La vérité de ce nouvel ordre se révèle, hélas s’incarne dans le confinement, à nous dés lors de discerner, de ne pas nous laisser séduire par la vanité de ce monde. A nous de relier les autres et à prévenir les dégâts d’une atomisation : l’atomisation de notre vie sociale comme je l’écrivais précédemment, ce risque de délitement du lien social et qui pourrait s’amplifier : chacun à son écran, tous impuissants, en passe de nous laisser domestiquer, naviguant entre deux mondes : le social-réseau virtuel où chacun se donne le sentiment d’exister et l’individu atomisé privé de contacts avec l’autre et qui souffre pourtant, toujours, en secret d’être privé de communion avec ses frères en humanité. Alors changeons de voie et revenons à cette offrande que nous offre la vraie vie, les choses simples, celles d’une proximité avec le prochain…En écrivant ces lignes, je mesure aussi toute notre vanité humaine, notre mémoire qui oublie si facilement son passé, ses terreurs, les  terreurs qui enserrèrent dans les plus grandes frayeurs, ceux que l’on appelait les poilus, confinés dans leurs tranchées, habités par l’angoisse d’une mort à leur trousse; Nous mesurons ainsi que nous ne sommes pas en réalité en guerre mais oui un virus nous interpelle et interpelle la conscience de l’homme à revenir à d’autres valeurs et à contempler une autre grandeur, refoulée par l’homme, niée par l’homme, et sans doute nous invite à contempler celui qui est à l’origine de toutes choses, de la vie, du souffle de vie.