La barbarie moderne

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal.

Texte de Eric LEMAITRE

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal. Ainsi il sera plausible avec l’aval du législateur d’introduire des cellules souches humaines dans un embryon animal. En implantant L’embryon dans l’utérus d’un animal, les chercheurs espèrent ainsi développer des organes humains chez des animaux en vue d’une transplantation dans un corps malade. Ces organes pourraient être, en effet, prélevés pour être à nouveau greffés sur des patients humains malades. Il y invariablement dans l’avancée des progrès scientifiques encouragés par la loi, une coloration très humaniste pour nous faire avaler la pilule puis reléguer les opposants à ces lois mortifères, dans le camp de radicaux malfaisants, empêchant la marche du progrès transhumaniste.  

Notre époque assiste à une forme d’accélération de la déconstruction de l’homme ; le pire est le rapprochement d’une dissolution totale de ces civilisations, civilisations qui fuient vers le consumérisme, le nihilisme, l’eugénisme, le technicisme, ou le fondamentalisme. Il est frappant que dans ces périodes de crise, de relever la propagation de la violence, de l’empilement des maux qui viennent submerger les nations. Ouvrons le journal et c’est l’étalement de l’horreur qui se répand sur la terre. Même l’Europe à ses portes est en proie à des exactions et à des déchirements qui lui font craindre le pire. Dans la nuit du 16 au 17 juillet 2020 à Reims, un quartier Rémois a été confronté à des violences urbaines, à des tirs de mortiers et à une série d’incendies, il n’y a pas eu de blessés, mais on relève comme une forme « d’ensauvagement[3] » généralisée de la société, une jeunesse qui transgresse tous les interdits et ne se prive pas de braver les lois, d’enfreindre la tranquillité des quartiers. Dans le même département et quelques jours plus tôt précédant les événements vécus à Reims, la ville de Saint-Dizier était également en proie à des tensions urbaines. L’année 2020 est ainsi traversée par des épisodes de brutalités, d’exactions parfois communautaires comme nous si nous vivions à une forme de dérèglement de la planète impactant toutes les dimensions sociales, comme climatiques ou sanitaires. Le monde en délogeant le Dieu du ciel et toutes ses lois a finalement engendré le lit de la « barbarie » en abandonnant les valeurs prétendues civilisationnelles et morales, les repères, les attaches, les piliers qui nous faisaient discerner le Bien et le Mal. L’occident au cours de son histoire s’est longuement, fait le chantre de la civilisation, en s’identifiant à ce processus des nations civilisatrices, considérant les autres nations comme primitives rassemblant des barbares, dans le sens d’êtres attachés à une vie archaïque, de personnes qui ne connaissent pas ou sont demeurées dans l’ignorance des références qui qualifient la civilisation. Le mot même de barbare était entaché par une notion d’inculture avant d’embrasser plus tard celui de cruauté, pendant longtemps le corollaire de la cruauté fut ainsi associé à celui de barbarie.   

Cette époque de relativisation qui caractérise les dernières décennies précédant le XXIe siècle, a accouché les idéologies les plus extrêmes, celles de déconstruire l’homme, en enfantant les lois les plus radicales, l’aliénant. Ce constat contemporain nous renvoie plusieurs millénaires en arrière à ce récit de la Genèse qui depuis la chute de l’homme, cette rupture avec Dieu est entrée dans un cycle de violence. Cycle qui commença avec Caïn : ce dernier assassine son frère. Pourtant, Dieu entend casser ce cycle pour ne pas engendrer des générations de meurtriers ; Il protège Caïn comme la manifestation d’un premier signe de sa grâce. La violence telle qu’elle est décrite dans le livre de la Genèse, est devenue l’un des maux qui couronne les autres calamités traversant l’humanité. Mais qui en est responsable ? La Bible déclare que toute chair porte cette responsabilité : c’est le commentaire extrait du livre de la Genèse au chapitre 6, verset 11. « Toute chair est corrompue, la terre s’est remplie de violence ». La violence ne résulte pas ainsi et en soi d’une catégorie d’hommes. Intrinsèquement et structurellement toute chair porte en elle cette dimension de corruption et de violence qui en représente l’aboutissement. La violence est quelque part destructrice et les traumatismes l’accompagnant, dévastateurs. La violence est autant du fait d’individus que d’organisations ou d’états. Avortements, crimes, terrorisme, génocide constituent les illustrations de la violence menée à son paroxysme, et ce à différentes échelles, de l’individu à l’état. La violence demeure une forme de corollaire de la barbarie. Les sociétés violentes sont imprégnées d’une forme de nihilisme de la pitié, une contre-humanité. La violence, est-elle lors la traduction de la barbarie ou le retour à la barbarie primitive ? La dimension même de la barbarie est devenue une expression qui a été au cours des dernières années, utilisée à de nombreuses reprises par les médias et sur réseaux sociaux, pour évoquer la cruauté de l’Etat Islamique (L’EI), la monstruosité, l’inhumanité d’hommes qui sous couvert d’une idéologie s’emploie à imposer une conception religieuse et ultra-légaliste de leur monde au mépris des cultures, des valeurs, des croyances d’autres peuples, d’autres humains.

L’expression de cette barbarie brutale, atroce secoue l’entendement et les consciences à l’aune d’un XXIe siècle en proie à de profondes mutations culturelles, sociétales, écologiques, politiques. Siècle soudainement secoué par des images féroces qui traduisent l’insensibilité et la bestialité d’hommes qui s’excluent du coup du genre humain, tant les actes commis nous font horreur, abîment et blessent l’image même de l’homme lui-même image de Dieu, d’un Dieu compassionnel. Le mot barbare ou d’autres mots similaires reviennent sur toutes les lèvres, mais les mots mêmes sont impuissants et révèlent parfois leurs limites. L’emploi du mot barbare couvre comme nous l’avions déjà rappelé deux notions que déclinent la cruauté et l’archaïsme. Cette cruauté est devenue une forme même d’inculture poussée à son paroxysme, mais associée le plus souvent à l’archaïsme. Pourtant, l’absence de culture n’a pas toujours caractérisé ceux que l’on qualifiait de barbares. Contrairement à l’idée reçue la Barbarie n’est pas systématiquement l’inculture L’histoire récente, nous renvoie ainsi et pour mémoire à l’idéologie nazie, où certaines figures cruelles de cette idéologie inhumaine ont été éprises de cultures. Ces mêmes nazis ont porté au pinacle des œuvres qui ont marqué l’humanité, voire jusqu’à les protéger. Le savoir civilisé, soi-disant policé de l’Europe n’engendra-t-il pas d’une certaine manière un monstre, le monstre lui-même célébré par le philosophe Heidegger qui ne se dissimula pas, de partager les thèses nazies. Montaigne, dans le chapitre de ses Essais intitulé « les cannibales » nous évoque avec stupeur un paradoxe sur la culture anthropologique : Le plus barbare n’est pas nécessairement celui que l’on se figure. Ainsi le plus sauvage n’est pas nécessairement celui que l’on a coutume de caractériser à l’aune de nos constructions culturelles et des représentations de notre civilisation qui impactent et influent ces mêmes représentations. Le cannibalisme n’est pas ainsi l’exclusivité ou l’apanage des hommes que l’on qualifie habituellement de primitifs, une forme de « cannibalisme » peut aussi caractériser les civilisations dites les plus avancées. Dans sa vision critique, Montaigne juge en évoquant sa propre civilisation que les cannibales du royaume s’avèrent bien plus barbares que ceux du royaume des cannibales. « Les cannibales du royaume sont spécialistes en trahison, tyrannie, cruauté et déloyauté, accusant les « barbares » d’attitudes qui se révèlent pourtant moins graves que les leurs, et ceci sans démarche d’introspection. » Pour poursuivre son analyse Montaigne juge les guerres de religion notamment l’inquisition et fait valoir qu’elles ne sont pas plus civilisées que les rituels d’anthropophagie des cannibales, « mangeurs de chairs humaines ». La barbarie participe d’une forme d’aliénation de l’être humain comme différence. Nous osons en effet aborder la notion de barbarie comme l’expression même de la violence, une violence qui est le mépris de l’autre, de l’humain, le mépris de la différence, une violence qui est tout simplement la négation de l’autre, l’aliénation de l’être humain comme l’expression de la diversité. La barbarie qui est une forme de puissance aliénante est une façon de gommer les disparités, d’imposer une forme de totalitarisme nivelant les autres au nom même d’une croyance, d’une idéologie. Il faut alors exécuter le bouc émissaire qui porte en lui ce que je hais comme symbole de l’altérité ou de la dissemblance. L’eugénisme est en soi une forme de barbarie, quand elle dicte qui doit vivre ou est digne d’être. La barbarie se traduit ainsi par une forme totalitaire de rejet absolu, une stigmatisation des populations voire même des êtres parmi les plus vulnérables, les plus fragiles, une exclusion violente de l’être humain dans ce qu’il peut incarner à travers son histoire, son identité, sa croyance, sa naissance, ses infirmités, son handicap. Comme l’exprime Fabrice Hadjad dans le livre la foi des démons, cette forme de barbarie atroce « gît dans le mal et a l’angoisse du bien ».

Le monde occidental a coutume de pointer la barbarie des autres civilisations, mais sa civilisation n’est pas en soi exempte d’en porter également les germes ou même de manifester les symptômes d’une société mortifère. Je reprends ici l’intégralité d’un texte écrit par Fabrice Hadjadj  : « Après Auschwitz et Hiroshima : le pire de notre époque est l’imminence de la destruction totale. Peut-on encore parler d’un Dieu bon et puissant ? S’il est bon, il est faible, vu qu’il n’a pas pu empêcher la catastrophe (position de philosophe juif Hans Jonas). Mais dans ce cas, si Dieu n’est plus celui qui intervient dans l’Histoire, Hitler n’a-t-il pas détruit le Dieu de la Bible ? Si la religion de David est invalidée, il ne reste plus que le culte de la Shoah. C’est ce que reproche Benny Lévy à ses frères lorsqu’il les accuse d’avoir fait une idole d’Auschwitz. Ce qui interroge avec la Shoah et le Goulag, c’est la forme prise par le mal, sa banalité comme dit Hannah Arendt.Ces destructions ne sont pas le fruit d’un accès de rage barbare, mais d’une froide planification pour obéir à de prétendues lois de l’Histoire ou de la nature. Ceci démontre que l’idéologie du progrès mène à la catastrophe et que le libéralisme a engendré d’une manière indéniable le totalitarisme, ils éprouvent la même volonté d’exploitation de l’homme. A cela s’ajoute la possibilité pour l’homme d’anéantir l’espèce humaine. La spécificité de la crise actuelle et notamment de la pandémie est la conscience de notre disparition probable, pas seulement en tant qu’individu, mais surtout en tant qu’espèce. « L’humanisme a fait long feu et les lendemains ne chanteront pas ».La barbarie occidentale de la prétendue civilisation, est de la sorte un anti prochain une forme de contre idéologie de l’amourLa Barbarie est en soi la manifestation possible d’une puissance démoniaque en ce sens qu’elle est une haine de l’autre, le contraire de « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il est parfaitement concevable de supposer une volonté démoniaque d’être le contre-pied de l’amour du prochain : L’amour du prochain dans toute sa dimension relationnelle est à combattre dans la pensée qui incarne « le monde de demain », il ne saurait faire sens. Combien de religions se sont finalement fourvoyées y compris celles d’inspiration chrétienne en occultant le message fondamental qui est l’amour de l’autre, un amour de l’autre qui est sans condition. L’amour de l’autre est en effet sans dogmatisme, sans hypocrisie, c’est un amour christique. « Tu aimes ton prochain » dans ce qu’il a de différent. Ce qui ne plait pas en lui y compris sa vulnérabilité insupportable, ne doit pas nous conduire l’avorter[4] ou à le supprimer, même sous prétexte même d’humanisme.Le livre d’Ézéchiel évoque la violence du Prince de Tyr rappelant qu’initialement il siégeait auprès de Dieu « Tu as été intègre dans tes voies, depuis le jour où tu fus créé jusqu’à celui où l’iniquité a été trouvée chez toi. Par la grandeur de ton commerce, tu as été rempli de violence, et tu as péché ; Je te précipite de la montagne de Dieu, Et, je te fais disparaître, chérubin protecteur, Du milieu des pierres étincelantes. » Ezéchiel 28 : 11-15 ». L’expression « tu as été rempli de violence », d’une certaine manière orchestre l’influence qu’exerce Satan dans le monde faisant de l’humanité empreinte divine, l’ennemi à abattre.Ce constat de cette violence envers la notion du prochain a été décrit par le philosophe espagnol Ortega qui dépeint un autre trait de la barbarie à travers la haine, « La haine sécrète un suc virulent et corrosif. […] La haine est annulation et assassinat virtuel – non pas un assassinat qui se fait d’un coup ; haïr, c’est assassiner sans relâche, effacer l’être haï de l’existence ».Un étudiant posa un jour cette question à Hannah Arendt « pourquoi appelez-vous « crime contre l’humanité un crime contre le peuple juif ? », elle répondit : « parce que les Juifs sont d’abord des hommes ». Je crois tout simplement que Hannah Arendt résumait parfaitement le propos que nous souhaitons défendre : la Barbarie ne s’inscrit pas comme un crime contre un groupe, une entité ou une catégorie d’hommes, c’est avant tout un crime contre l’homme. Les barbaries que nous dénonçons, en témoignant au cours de nos veillées, sur les places publiques où nous nous rassemblons, sont la manifestation de notre attachement à l’être humain, à tout l’être humain. C’est pourquoi nous sommes aussi solidaires à nos frères non seulement chrétiens, mais tous ceux qui doivent souffrir au nom de leur foi, de leurs croyances. Cette expression de l’amour est aussi pour les plus vulnérables, les plus fragiles, les enfants, ceux qui sont à naître également, les plus âgés également, les plus dépendants parmi eux.Dans cette revue de l’humanité haïe pour des raisons d’identité, Hannah Arendt inscrit le problème du mal radical advenu avec la Shoah dans la perspective de l’universalisme humain.

La nouvelle Barbarie occidentale est un habillage humaniste. Le barbare n’est pas seulement l’expression d’une violence d’un individu, ou d’un groupe d’individus, elle peut résulter d’une organisation qui peut habiller sa barbarie en la justifiant de concepts humanistes. Comme nous l’avons par ailleurs rappelé, la notion même de barbarie n’est pas nécessairement l’antithèse de la civilisation. La barbarie peut être le produit de la civilisation, Montaigne ne dit pas autre chose. Notre civilisation, n’est-elle pas entrée dans une crise profonde. Cette crise qui annonce une forme de délitement des valeurs morales peut générer comme le décrit Montaigne « le cannibalisme du Royaume » de nouvelles violences non nécessairement produit par les fanatismes religieux, mais par des dogmatismes idéologiques, comme ce fut d’ailleurs le cas avec le marxisme-léniniste, le nazisme. Il est étrange que l’Europe démocrate qui a combattu les idéologies barbares caresse aujourd’hui les idéologies mortifères, malthusiennes qu’elle voulait combattre jadis.  Comme me le partageait un ami « Nous, dénonçons, à juste titre, la barbarie de certains fondamentalistes musulmans, mais que leur répondre quand, à leur tour, ils dénoncent la barbarie de certaines pratiques occidentales comme celle consistant à aspirer l’enfant dans le ventre de sa mère, comme c’est le cas lors d’un avortement ? Cet acte est-il plus « digne » que l’excision que nous dénonçons chez eux… ». Mais nous le réécrivons : rien ne vient gommer ou légitimer tout acte de violence, et ce, quelle que soit la culture qui la promeut, occidentale ou non. Cette civilisation occidentale puisqu’il faut aussi parler d’elle, sombre en réalité et subrepticement dans la barbarie. Nous devons être prudents sur les leçons données par l’Occident laïque et démocrate qui s’arroge, s’accommode de donner des « leçons de civilisation à l’ensemble de la Planète ». Notre civilisation occidentale a développé des concepts normatifs pour évoquer la barbarie (Génocide, camps de concentration, Euthanasie, Eugénisme, les Lebensborn …), mais est sur le point de réintroduire, de reproduire, de répliquer les lois mortifères du Nazisme, ceux qu’elle considérait comme une atteinte à l’humain et n’ose qualifier par exemple de barbarie l’atteinte à l’enfant conçu dans le ventre d’une mère ou l’eugénisme en sélectionnant l’enfant à naître si ce dernier correspond aux dimensions normatives de la société occidentale. La GPA qui tôt ou tard sera adoptée après la PMA (commençons par habituer l’opinion) réintroduira une forme de darwinisme social. D’ailleurs l’actualité ne l’a-t-elle pas démontrée ? Cette même GPA est susceptible de détruire la notion de filiation, de créer des troubles identitaires comme ce fut le cas avec les Lebensborn qui ont été dévastateurs pour des enfants qui n’ont pas connu l’affection paternel et maternel. L’actualité n’a-t-elle pas mis à jour ces nouvelles formes de Lebensborn, ces cliniques et maternités ou des femmes pauvres accueillies, marchandent leurs corps au profit de couples en manque d’enfants ? La GPA, si ce dispositif est mis en œuvre, violera demain le droit des enfants à avoir un père et une mère biologique et exploitera les femmes sans ressource et dans le besoin pour donner satisfaction aux désirs de deux adultes, lesquels pourront rejeter cet enfant s’il n’est pas « conforme » aux normes en vigueur, comme on l’a déjà vu par le passé.

Faut-il également évoquer dans les arcanes des pouvoirs publics, ces réflexions menées sur l’euthanasie pour abréger les souffrances, l’incurabilité au lieu d’accompagner le mourant au travers des soins palliatifs. L’euthanasie dont les pratiques humanistes pourraient bien couvrir des raisons purement « économiques ». L’avortement (quoi de plus barbare qu’un tel acte, même si on peut excuser la femme qui le commet et qui, bien souvent, n’a pas le choix ?), la GPA, la théorie du genre dans sa version extrême le « queer » (qui conduira comme nous le développons plus loin à une sexualisation de l’enfance s’il est vrai que l’identité sexuelle est déconnectée de tout rapport au « corps sexué »), tout cela témoigne alors d’une plongée dans la barbarie. Ainsi la « Queer theory » de Judith Butler, fait du travesti la norme moderne venant se substituer à l’hétérosexualité, déconstruite comme pure convention sociale, et dont on peut craindre qu’elle ne conduise, à terme, à cautionner des pratiques comme celles de la pédophilie puisque si le « corps sexué » ne signifie plus rien, il ne faudra bientôt plus attendre la puberté pour admettre une forme de « sexualité » aux enfants et abuser d’eux sous couvert d’un consentement qu’il leur sera bien difficile de refuser aux adultes, comme l’a illustré une affaire récente en Italie ». C’est sûr que c’est assez crû, mais mieux vaut prévenir et alerter que guérir ! Comme nous l’avons écrit à propos et à l’instar de Montaigne, la barbarie n’est pas l’apanage des seuls extrémistes, la barbarie des civilisés, des cols blancs peut s’avérer aussi abject que la barbarie des fondamentalistes qu’elle condamne. Nous condamnons explicitement ces deux barbaries, ces deux tyrannies qui aliènent l’être humain. Sans oublier que les incivilités les plus insignifiantes sont les premiers pas vers la barbarie. Or, qui parmi nous pourrait affirmer qu’il est exempt de toute ignominie, qu’aucune flétrissure ne l’a jamais atteint ? Les Écritures (la Bible) évoquent que toute chair est corrompue et que nous portons tous des germes de barbarie.

Mais face à la barbarie occidentale, faut-il encourager la bienveillance ou dénoncer l’iniquité de ces lois mortifères ? Face à la barbarie, la prière évoquée dans le Psaume 63 respectivement aux versets 10-12 : « Qu’ils aillent à la ruine ceux qui en veulent à ma vie ! Qu’ils rentrent dans les profondeurs de la terre ! Qu’on les passe au fil de l’épée… » ne revêt-elle pas une forme de légitimité ? N’y-a-t-il pas une forme d’imprécation angélique que d’en appeler à aimer malgré tout, ses ennemis ? Mais ne serions-nous pas les reflets, les miroirs des barbares que nous accusons ? Mettons fin cependant au cycle de la violence ! Face à la barbarie, la vengeance (se faire justice) est d’emblée totalement inadaptée ; elle serait même amplificatrice de la cruauté. La réponse adaptée est celle de la justice (rendre justice), une réponse pour mettre fin au cycle de la violence. La justice est un principe moral qui relève même d’une dimension de transcendance ; elle fait appel à des valeurs universelles. Enclencher la guerre, déclarer la guerre pour mettre fin à la guerre, à la barbarie, nous comprenons que cela fut légitime au cours de notre histoire ; c’est la tentation de toujours, c’est cette logique de pensée qui a amené le déluge. Le déluge est décidé par Dieu, mais il ne résout en réalité rien. La pédagogie du déluge, s’est avérée inadaptée, inefficace, le mal est sans doute beaucoup plus grave et nécessite une transformation volontaire et non une destruction subie de l’homme. Lisons cette déclaration étonnante dans le livre de Genèse « Je ne recommencerai plus à maudire le sol à cause de l’homme, car le produit du cœur de l’homme est le mal, dès sa jeunesse. Plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait ! ». Dieu décide d’abolir à jamais le déluge et envoie le signe d’un arc-en-ciel qui annonce la fin de toute destruction. L’arc en ciel préfigure la croix qui annonce le pardon et par son pardon, la transformation de l’homme. Voilà la justice de Dieu, le choix de Dieu de sauver l’homme, malgré la barbarie, le cœur corrompu, la violence de son âme. Dieu choisit le salut de quiconque afin que celui qui croit ne périsse pas (Jean 3 : 16). Pour conclure, comment ne pourrais-je pas penser à cette conclusion de ce texte admirable écrit en 2014 par Natalia TROUILLER « Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué…. » « L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai revu quelques jours après être rentrée, sur une photo entourée de roses envoyée par ses parents : c’était sa dernière image vivant, souriant, beau, endimanché. Il avait été coupé en deux par un tir de mortier lors de la prise de Qaraqosh. L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai cherché, pleine d’angoisse, parmi les centaines de photos prises là-bas pour savoir s’il était de ceux qui ont ri avec moi – la réponse importe peu. L’enfant que j’ai vu en Irak, j’ai reçu la photo de lui, coupé en deux avec du sang partout, envoyée par un djihadiste sur mon compte Twitter. Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué. »

Cette prière qui semble insignifiante est finalement celle qui a le pouvoir de mettre fin au cycle de la barbarie. Et si nous osions finalement répondre à l’appel de Jésus, aimer nos ennemis.  Matthieu 5.43-45 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.… »


[1] En des termes édulcorés Les députés ont adopté un amendement pour clarifier le fait que la « détresse psychosociale » peut être une cause de « péril grave », justifiant une interruption médicale de grossesse.

[2] Expression reprise de l’archevêque de Paris, Michel Aupetit lors d’une interview accordée à France Info.

[3] Ensauvagement : Terme utilisé par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, « l’ensauvagement » est devenu le nouveau concept au cœur du débat sur l’insécurité.  

[4] Une grossesse sur cinq environ aboutit à une IVG. Source : L’avortement en chiffres [FRED DUFOUR / AFP]

« Les vieux: confinés, isolés, enfermés? »

Nous avons été, pendant deux mois, « confinés ». « Restez chez vous » pour vous protéger, pour
protéger les autres et parce que vous avez conscience de l’intérêt collectif. Les injonctions étaient
pertinentes… Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais elles n’ont pas été vécues par toutes et tous de la même manière. Ainsi parmi nos concitoyens, certains ont vécu des situations particulièrement difficiles. On évoque partout le remarquable travail des soignants. Rendons leur hommage, à eux, et aussi aux enseignants, aux employés de commerces et autres « invisibles » grâce à qui le pays a continué à fonctionner… Mais, au delà de cet hommage, imaginons un instant ce qu’ont vécu les personnes confinées en établissement

Le Philosophe Didier. Martz

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Bonjour à toutes et à tous. C’est la 11ème chronique du ou de la COVID intitulée « Les vieux: confinés, isolés, enfermés? » Elle nous est proposée cette fois-ci par Michel BILLÉ, sociologue, quelque peu philosophe et surtout ami, qui revient avec nous sur la pensée et la pratique du confinement. Celui-ci n’a-t-il pas été proche, en EHPAD en particulier, de l’isolement et de l’enfermement voire de l’immobilisation ?
Nous avons été, pendant deux mois, « confinés ». « Restez chez vous » pour vous protéger, pour
protéger les autres et parce que vous avez conscience de l’intérêt collectif. Les injonctions étaient
pertinentes… Qui pourrait prétendre le contraire ? Mais elles n’ont pas été vécues par toutes et tous de la même manière. Ainsi parmi nos concitoyens, certains ont vécu des situations particulièrement difficiles. On évoque partout le remarquable travail des soignants. Rendons leur hommage, à eux, et aussi aux enseignants, aux employés de commerces et autres « invisibles » grâce à qui le pays a continué à fonctionner… Mais, au delà de cet hommage, imaginons un instant ce qu’ont vécu les personnes confinées en établissement
d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, autrement dit EHPAD, ou les établissements pour les personnes en situation de handicaps très importants.
Elles avaient accepté, avec parfois beaucoup de difficultés, de quitter leur domicile ou le domicile
familial parce qu’on leur a dit « Tu ne peux pas rester seul, tu ne peux pas continuer à vivre sans voir personne, sans avoir d’échanges, de relations avec d’autres personnes, etc. Il faut bouger, sortir, voir du monde… » Et voilà qu’un virus, par surprise ou presque, conduit les responsables de notre pays à fermer, tout
ce que jusque-là nous voulions ouvrir… les frontières, les magasins, les écoles, les universités, les
commerces, les lieux culturels, les établissements spécialisés… rien n’était assez ouvert !
Que deviennent alors les raisons pour lesquelles on avait convaincu les personnes âgées d’entrer en EHPAD ? Elles partageraient une vie sociale, elles verraient du monde, elles auraient des visites, elles participeraient à des animations, ce serait un lieu de vie, elles y seraient « chez elles »… A leur arrivée on a même écrit pour elles et parfois avec elles leur « projet de vie » ! Mais désormais il leur est interdit de sortir !
Il se pourrait même que le confinement les retienne non seulement dans l’établissement mais aussi dans la chambre dont on dit qu’elle est la leur. Finis les repas partagés dans une salle à manger conviviale, finis les moments d’échange avec les autres résidents : un personnel masqué, méconnaissable vous enjoint de ne pas quitter votre chambre !
Que le confinement soit une exigence sanitaire, admettons ! Mais si les conditions de sa mise en
oeuvre entraînent une fragilisation ou une rupture des liens affectifs, familiaux et sociaux, voilà qu’il se fait redoutable isolement. Non pas solitude « où je trouve une douceur secrète » disait La Fontaine mais bien isolement, c’est-à-dire être dans l’impossibilité de poursuivre ou d’établir des relations. Et les fameux bienfaits de la « connexion » tous azimuts seront une bien maigre consolation.
Ainsi de confinement en isolement, on glisse vers l’enfermement. Pas par intention de faire mal,
mais de fait ! Notamment parce que vous n’en décidez pas et que, d’accord ou non, vous en êtes réduit à le subir. Le « grand renfermement » que Michel Foucault nous aidait à comprendre et à analyser est à l’oeuvre, discrètement sans doute, mais terriblement ! Bien sûr on nous dira que dans nos vies on ne décide finalement
pas de grand-chose et que la liberté ne consiste souvent qu’à décider d’accepter des contraintes que l’on ne peut pas refuser. Mais à ce point !
Confiné, isolé, enfermé. Les références carcérales que ces derniers impliquent a quelque chose
d’insupportable et on préfèrera utiliser le « doux » confiné. Mais la confluence de ces trois termes en appelle un quatrième : confinement, isolement, enfermement appelle immobilisation. Une invisible contention qui contient et maintient l’individu dans l’espace réduit de la chambre. Comme le chantait Jacques Brel : « Les vieux ne bougent plus… du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit. »
Demain nous aurons à inventer la suite, chacun dans notre propre rôle mais pour cela il nous faut dès maintenant penser la manière dont nous souhaitons faire société avec les plus vulnérables de nos concitoyens. Confiner, n’est-ce pas étymologiquement toucher aux confins, aux limites ? Y compris, sans doute, aux limites de notre humaine condition… Ainsi irait le monde ! Merci Michel Billé.
Ainsi va le monde

Chroniques philosophiques de la vie ordinaire
Chez D.Martz : cafedephilosophie@orange.fr

L’hommage

n l’espace de cinquante ans, le monde médical a connu un véritable chamboulement, bouleversement. Plus de bureaucratie, de technologie, moins de temps consacré aux patients car l’efficacité doit primer sur la dimension relationnelle. Puis en quelques jours au cours de ce mois de mars, le monde hospitalier français a fait face au choc de l’afflux des cas sévères de coronavirus. Sans doute que ce sont toutes les règles technologiques, administratives qui ont été bousculés, chamboulés. Bien-entendu l’hôpital a engagé de nouvelles procédures sanitaires pour protéger son personnel soignant, comme ses malades. Mais cette période de tsunami pour l’hôpital notamment au sein des régions les plus impactées a été vécu comme un véritable choc humain et l’expression de Patrick Pelloux médecin urgentiste était loin d’être démesurée « L’hôpital était à genoux, on nous demande d’être debout pour sauver la France. On le fait, mais c’est un combat incroyable ». Mais ce qui a prévalu dans ce combat titanesque engagé par l’hôpital fut sans aucun doute le dévouement des personnels soignants, le courage, la vaillance de ces milliers et milliers de soignants incluant également ceux que l’on qualifie de « petites mains[1] » mais qui furent les mains valeureuses, courageuses, intrépides de l’hôpital

Auteur

Eric LEMAITRE

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Note : 2.5 sur 5.

En l’espace de cinquante ans, le monde médical a connu un véritable chamboulement, bouleversement. Plus de bureaucratie, de technologie, moins de temps consacré aux patients car l’efficacité doit primer sur la dimension relationnelle. Puis en quelques jours au cours de ce mois de mars, le monde hospitalier français a fait face au choc de l’afflux des cas sévères de coronavirus. Sans doute que ce sont toutes les règles technologiques, administratives qui ont été bousculés, chamboulés. Bien-entendu l’hôpital a engagé de nouvelles procédures sanitaires pour protéger son personnel soignant, comme ses malades. Mais cette période de tsunami pour l’hôpital notamment au sein des régions les plus impactées a été vécu comme un véritable choc humain et l’expression de Patrick Pelloux médecin urgentiste était loin d’être démesurée « L’hôpital était à genoux, on nous demande d’être debout pour sauver la France. On le fait, mais c’est un combat incroyable ». Mais ce qui a prévalu dans ce combat titanesque engagé par l’hôpital fut sans aucun doute le dévouement des personnels soignants, le courage, la vaillance de ces milliers et milliers de soignants incluant également ceux que l’on qualifie de « petites mains[1] » mais qui furent les mains valeureuses, courageuses, intrépides de l’hôpital.  C’est ce témoigne qui nous a été rendu de vive voix par Anne qui au cours d’un reportage photo[2] au sein du service COVID, témoigne à la fois de la sérénité des personnels hospitaliers, de la cohésion des équipes médicales, et du dévouement incroyable pour chaque patient. Anne fut frappée par cette qualité qui touche à toute la dimension de l’attention portée auprès de chaque malade, d’un déploiement d’humanité et de solidarité entre les personnels. Ce n’est pas un portrait idéal qui est ici donné de l’hôpital mais un hommage à l’humanité d’un monde vivant qui prend soin de personnes atteintes par l’infection d’un virus redoutable qui épuise les personnes les plus fragiles. Peut-on encore imaginer qu’un tel déploiement d’énergie aurait été plus efficace si ces personnels avaient été secondés par une cohorte de robots et de machines, dans des temps où l’on parle de restructuration des hôpitaux, d’efficience apportée par la technicité d’engins artificiels dont on attend le relais auprès du corps médical. Cette chronique n’a d’autre but que de rendre hommage à ces hommes et ces femmes vêtus de blouses blanches ou de blouses bleues, nous qui étions en quelque sorte dans nos cabanes ou nos chaumières bien au chaud, alors que tous ces personnels et ces amies comme Lucia, Aline, Anguette, livraient un combat épuisant contre la maladie. Mais c’est non seulement à eux que je rends hommage mais à toute cette médecine qui a imprimé la mémoire de mon enfance, comme celle que j’ai pu observer lors de mes visites à l’hôpital au chevet de quelques amis.

Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant, je me remémore les passages fréquents de notre médecin de famille, toujours attentionné à notre égard, un homme marqué par la bienveillance et qui avait fait de son métier un authentique sacerdoce que partageaient également d’innombrables médecins de sa génération. Cet homme avancé en âge, que nous appelions « Docteur » était pour nous, bien plus qu’un médecin, il était selon moi le témoin d’une époque marquée par le dévouement, l’altruisme, le service aux autres. Dans son vieux tacot, il sillonnait le jour et parfois la nuit, les routes pas toujours goudronnées de nos campagnes, pour les petits soins, nos angines jusqu’aux contagions plus sérieuses ou maux plus sévères.

Nous n’appréhendions pas sa visite, elle était plutôt rassurante, il donnait autant d’importance à la qualité de son diagnostic et son ordonnance qu’à toute sa dimension relationnelle, qui faisait de lui et auprès de mes parents, le médecin de famille. Ce vieux médecin incarnait l’image que je me faisais des soignants incluant ici l’ensemble du corps médical, ces personnes qui ont fait de leur métier une vocation, un sacerdoce celle de prendre soin de l’homme et de tout l’homme. Il me semblait à l’époque que l’on rentrait en médecine comme en rentre en religion, il fallait ressentir un appel, une vive inclination, une forme de mission pour embrasser ce métier, cette mission aujourd’hui a été embrassée par l’ensemble du corps médical nous révélant une abnégation et un esprit d’une réelle diligence, une diligence vraiment, impressionnante envers les malades du covid19. Enfant je ne m’imaginais pas qu’il fallait également autant de courage, pour s’affronter à l’armée des microbes, braver la légion des bactéries, et mener cette lutte impitoyable contre ces micro-organismes qui venaient générer fièvres ou boutons, affaiblir notre corps au point parfois de menacer son existence. Ce médecin de famille, celui de mon enfance, me semblait être une forme de héros, toujours prêt à se rendre disponible. Jamais, il ne renonçait à ses rendez-vous ou prétextait ne pas avoir le temps ou dire à ma mère, « ne vous inquiétez pas, il guérira tout seul » ! Non, notre « Docteur » faisait volontiers un détour, il passait à la maison, notre domicile prenait son stéthoscope pour écouter les battements de notre cœur ou les sifflements de nos poumons ; puis il enchainait en déclamant son diagnostic, mais mieux, il avait le remède pour nous soigner et les mots pour mettre fin à nos maux, à nos tourments d’enfants déjà démunis face à la maladie et ce qu’elle avait comme capacité à laminer notre énergie, à amoindrir notre « hyperactivité ».

Voilà l’image de mon enfance, celle de ce vieux médecin de campagne, un brin paternaliste, soucieux de l’autre, homme de relation sachant embrasser le corps comme l’âme de ses patients. Évoquer pour moi ce vieux médecin de famille me renvoie à cette société avant cette pandémie, qui était devenue comptable du temps, bureaucratique, matérialiste et technologique. Or le vrai sens de la vie se trouve peut-être dans l’intimité affective et la chaleur de la réassurance, des relations que l’on engage avec le patient, ce rapport dévoué avec l’entourage du malade pour prodiguer de l’attention et du conseil. L’image relationnelle que renvoie ce médecin avec ses patients allait bien au-delà d’un bilan méticuleux, il avait le souci de l’entourage familial, savait prendre le temps de l’écoute, mais ne pressait pas le pas pour dérouler sa journée. L’homme ne s’arrêtait pas au corps, il écoutait aussi l’âme de ses patients, il ne réduisait pas le corps à une mécanique qu’il fallait coûte que coûte réparer, il fallait traiter l’être dans sa complétude. Soigner n’était pas pour celui que l’on nommait « Docteur », seulement l’affaire d’une prescription d’un dopant, d’un sirop ou autre breuvage.   Ce médecin considérait son patient et non son client dans toute sa dimension ontologique, c’est-à-dire comme un être, un sujet, mais il n’occultait pas le corps, et cette préoccupation qui lui permettent de juger le patient comme un être unique, et en même temps, les symptômes comme signes pathognomoniques.

50 années plus tard, l’enfant que je fus, n’a pas au moment présent, de perceptions altérées concernant cette médecine proche du patient, de ces médecins, infirmières et aide-soignants, soucieux du confort, du bien-être de leurs patients. Effectuant aujourd’hui de nombreuses visites de patients hospitalisés, je songe notamment à cet ami de 47 ans qui est un habitué des hôpitaux, cet ami que j’appellerai ici Fred est confronté à une grave pathologie qui l’a conduit dans ces dernières années à passer davantage de temps dans une chambre d’hôpital qu’au sein d’une maisonnée. La maisonnée de Fred, si le terme maison convient, est « habitée » par la précarité, l’insalubrité, des conditions de vie qui sans aucun doute ont une relation de cause à effet sur sa santé. Longtemps je fus surpris tout comme un autre ami qui le suit, que l’hôpital ne traite sérieusement ses problèmes récurrents de récidive touchant à sa santé. Cette santé fragilisée notamment par son obésité et cette maladie respiratoire qui l’ont amené à connaitre, des pertes de connaissances, des syncopes répétées.

J’avais durablement le sentiment que nous étions confrontés à cette médecine qui devait obéir à des règles de gestion, subissant l’étau de la rationalité financière, des pressions croissantes pour fournir des soins minimums, réduire les temps d’attente avec des ressources limitées, mais une médecine qui n’avaient pas pris la mesure de couvrir l’ensemble des problèmes affectant la vie de mon ami Fred. Pourtant un professeur de médecine est sorti de cet étau comptable, du cadre médical, de son périmètre de spécialiste démêlant l’écheveau formé par toutes les données biologiques et cliniques, et leur application au cas de Fred. Ce professeur de médecine s’est employé à s’intéresser non seulement au corps de son patient, mais à l’être humain, à ses conditions de vie, à son entourage, à sa maison. Fred a été affecté à son service et une vraie mobilisation s’en est suivie, entrainant l’ensemble du service et tout le personnel à remédier aux problèmes qui perturbaient la santé de Fred. Ce professeur de médecine a finalement sauvé la vie de Fred, qu’en serait-il aujourd’hui pour Fred si ce médecin n’était pas intervenu, ne s’était pas engagé auprès de son patient. Fred n’aurait certainement pas survécu à ce virus létal du fait de troubles aigus et chroniques concernant sa santé.

Ce professeur de médecine du CHU de Reims, me fit songer finalement à notre médecin de famille, à cette dimension qui touche à l’intelligence relationnelle qui embrasse la vie du malade et cette vie qui ne se réduit aux symptômes que renvoie le corps qui n’est finalement que le réceptacle plus large d’un enchevêtrement complexe fait d’ambiances et de conditions de vie. Fred est aujourd’hui sur un chemin de renaissance, perdant du poids, respirant mieux, il est aujourd’hui quasiment guéri. Et sur ce chemin, Fred aura toujours besoin de soutien, celui des infirmières et des aide-soignants, du pasteur Christian qui l’entoure de toute son affection fraternelle. Le professeur de Médecine s’est finalement gardé d’abandonner Fred à sa seule autonomie et sa vulnérabilité de malade, ce professeur s’est soucié avant tout d’un être humain, de sa dignité de patient. 

S’il existe des ilots d’une médecine garante de la qualité relationnelle à offrir aux malades, la médecine change pourtant, parce que le monde change, traversé par ses transitions plurielles que viennent afficher les nouvelles normes sociétales, les nouvelles sociologies, l’envahissement de la sphère administrative et la dimension technologique qui rendent les rapports médecins et patients infiniment plus complexes qu’ils ne l’avaient été dans les années 60, celles de mon enfance.   Les questions autour du monde des soignants se posent déjà et sont multiples à l’aune d’un déconfinement, celles du poids que revêt une bureaucratie de plus en plus lourde et qui viennent entacher les rapports avec le malade réduisant ainsi le temps donné à l’âme et la consacrer davantage au corps malade. Le malade n’est pas juste une mécanique qu’il conviendrait de réparer, un patient qui se voit attribuer une identité que lui donne une carte de sécurité sociale, non le malade reste un être dans toute sa singularité et sa fragilité. Mais les temps changent et les mutations sont innombrables, les relations avec le monde médical nous conduisent à de nouveaux paradigmes, celles de l’efficience médicale, celle de la culture technologique qui construit la médecine du futur ou oserais-je dire transhumaniste, celle de la rentabilité, des quotas de patients imposés aux médecins sous peine d’une baisse de leur rémunération. Mais au-delà de ces constats, c’est également le rapport au malade qui s’en est trouvé bouleversé, il fallait aussi reporter l’implication sur le malade, le conduire à s’auto déterminer, prendre ainsi toutes les précautions pour amener davantage d’autonomie, de prise de responsabilité chez la personne souffrante, ce qui n’est pas en soi une détérioration de la relation patient et médecin, mais en revanche peut conduire à rejeter toute la dimension de la décision médicale sur le patient. De tels contextes risquent alors d’entretenir chez le bureaucrate une forme d’indifférence à l’égard du devenir du patient. Une indifférence qui tendrait à s’accentuer avec l’avènement d’une technoscience qui s’en remettrait au pouvoir de la machine toute puissante pour assister le médecin dans le diagnostic focalisé sur le seul corps du patient. Une technoscience dont on pourrait souhaiter l’accélération pour engager des économies d’une médecine qui coûte cher, de plus en plus cher alors que la promesse a été d’insister que la santé même si elle a un coût, n’a pas de prix  

Deux ans plus tôt, en 2018, je fus convié à participer à une journée de réflexion sur les projets de la loi bioéthiques, plusieurs groupes de travail avaient été organisés autour de nombreuses thématiques, j’avais choisi pour ma part la thématique orientée sur la médecine augmentée qui aborde entre autres l’avènement de l’intelligence artificielle. D’emblée, j’ai ressenti à la fois une vraie convergence de questionnements entre les participants de cette table ronde, comme une méfiance partagée vis-à-vis d’une robotisation susceptible demain d’envahir toutes les sphères de la médecine et le monde des soins. L’enjeu est bien ici l’homme et le respect dû à sa finitude, sa fragilité. Confier à la machine le soin de diagnostiquer et demain pourquoi pas de l’opérer ou de manipuler son corps via des « automates » experts qui auraient la charge de superviser l’évolution du patient, en dit long sur le chemin que prend le développement d’une médecine à l’aune d’une science post-moderne qui n’est plus celle d’Hippocrate. L’avènement de l’Intelligence artificielle va transformer les pratiques médicales et va sans doute induire une mutation radicale et profonde des processus d’analyse et de prise de décision dans toutes les sphères de la santé réorientant les pratiques professionnelles, de toutes les professions de santé, mais surtout impactant la dimension relationnelle entre le patient et son médecin, mais aussi et également tout l’environnement médical. Ainsi se pointera dans votre chambre un gentil robot vous apportant le repas du soir, après la visite d’un autre androïde relevant les indicateurs santé de la veille et vous prenant bien entendu la température.

L’autre grand point d’inquiétude pour les personnels soignants est l’avenir de la relation patients-soignants : l’ensemble des personnels du corps médical est en effet de plus en plus nombreux à penser que la proximité et la confiance entre soignants et patients risquent de se détériorer dans les années à venir, pointant notamment le risque d’éloignement, de distance voire de « déshumanisation » de la médecine livrée entre les mains de ces nouveaux appareillages hyper technicisés. Plus prosaïquement il faudra à terme également s’effrayer du rôle que jouent déjà et que vont jouer les applicatifs numériques ou les sites virtuels référencés sur Internet permettant au patient de « consulter », d’avoir accès à une somme artificielle d’informations, puis de se soigner par lui-même, de s’auto médicamenter. Ce mouvement inéluctable de notre société post médical soumise parfois à la dictature des décrets influencé par les lobbies des laboratoires, nous conduira vers un malade « déconnecté » de tout rapport avec le réel, un malade qui sera sans aucun doute dans le déni de contextes qui sont de nature à expliquer ses symptômes. Ne nous leurrons pas, l’univers numérique découle de l’hyper-individualisme de notre postmodernité, cet univers digital envahit peu à peu notre monde relationnel, il affaiblira sans nul doute le rapport de confiance qui s’était jusqu’alors instauré avec les avis prodigués et émanant de tous les corps médicaux et de vrais spécialistes non virtuels. Les réalités de la numérisation de la santé amorcent un basculement dont on peine encore à anticiper toutes les conséquences, tous les effets délétères ; les rêves des partisans d’une techno médecine interrogent viscéralement nos repères éthiques comme philosophiques et sont sur le point d’effacer le souvenir de ce médecin attaché à la relation avec son malade, le médecin de mon enfance, un médecin qui traitait dans toute sa dimension : le corps comme l’âme et la conscience qui l’habite.


[1] Je précise que c’est une expression qui ne fait nullement sens pour moi et qui aurait même tendance à m’horripiler, à m’exaspérer.

[2] Vous pouvez consulter le reportage photos de Anne LEMAITRE sur son site : https://www.instagram.com/stories/highlights/18104473657177565/?hl=fr

L’étrange tyrannie

Pour reprendre les mots du philosophe et physicien Etienne Klein, citant Albert Camus, « l’épidémie est une étrange tyrannie ». Une tyrannie reflet des mesures qui ont été prises, celle d’un confinement obligé, nous contraignant à prendre nos distances, à nous éloigner de cette vie en société, enfermée à nous-mêmes en quelque sorte. Etienne Klein nous éclaire sur ce sentiment de tyrannie qui résulte de cette pandémie, en soulignant une forme d’aliénation et de reconfiguration de notre vie sociale réduite à n’être recentrée qu’à une forme de repli dans un espace réduit, tandis qu’en temps normal, notre espace ne contenait en soi ou virtuellement aucune limite. Pendant ce temps : avant le confinement ; nous rappelle Etienne Klein, nous vivions socialement plusieurs espaces, celui de notre foyer, de notre bureau, de notre atelier, de l’école, du square où vont jouer nos enfants ou petits-enfants, nous étions finalement habitués à vivre dans différentes sphères qui nous ont appris la socialisation, la rencontre avec l’autre : « D’ordinaire… » nous précise Etienne Klein, « notre vie se répartit sur différents pôles – professionnel, familial, amical, social – que chacun d’entre nous pondère comme il peut ou comme il veut. Mais en période de confinement, cette pondération se trouve reconfigurée, pour le meilleur ou pour le pire. Nous nous retrouvons mariés de force, en quelque sorte, avec nous-mêmes, obligés d’inventer une nouvelle façon de nous sentir exister, d’être au monde et d’être avec les autres. Et au fur et à mesure que les semaines passent, constatant la liste interminable des bouleversements radicaux qu’induit le petit coronavirus, nous éprouvons le sentiment de ce qu’Antonin Artaud appelait une « espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité ». Le normal se laisse contaminer (c’est le mot !) par l’anormal qui, du même coup, devient peu à peu la norme. ».

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Auteur Eric LEMAITRE

Pour reprendre les mots du philosophe et physicien Etienne Klein, citant Albert Camus, « l’épidémie est une étrange tyrannie ». Une tyrannie reflet des mesures qui ont été prises, celle d’un confinement obligé, nous contraignant à prendre nos distances, à nous éloigner de cette vie en société, enfermée à nous-mêmes en quelque sorte. Etienne Klein nous éclaire sur ce sentiment de tyrannie qui résulte de cette pandémie, en soulignant une forme d’aliénation et de reconfiguration de notre vie sociale réduite à n’être recentrée qu’à une forme de repli dans un espace réduit, tandis qu’en temps normal, notre espace ne contenait en soi ou virtuellement aucune limite. Pendant ce temps : avant le  confinement ; nous rappelle Etienne Klein, nous vivions socialement plusieurs espaces, celui de notre foyer, de notre bureau, de notre atelier, de l’école, du square où vont jouer nos enfants ou petits-enfants, nous étions finalement habitués à vivre dans différentes sphères qui nous ont appris la socialisation, la rencontre avec l’autre : « D’ordinaire… » nous précise Etienne Klein, « notre vie se répartit sur différents pôles – professionnel, familial, amical, social – que chacun d’entre nous pondère comme il peut ou comme il veut. Mais en période de confinement, cette pondération se trouve reconfigurée, pour le meilleur ou pour le pire. Nous nous retrouvons mariés de force, en quelque sorte, avec nous-mêmes, obligés d’inventer une nouvelle façon de nous sentir exister, d’être au monde et d’être avec les autres. Et au fur et à mesure que les semaines passent, constatant la liste interminable des bouleversements radicaux qu’induit le petit coronavirus, nous éprouvons le sentiment de ce qu’Antonin Artaud appelait une « espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité ». Le normal se laisse contaminer (c’est le mot !) par l’anormal qui, du même coup, devient peu à peu la norme. ».

A l’heure de ce déconfinement en ce joli mois de mai, nous sommes toujours tenus à la distanciation sociale et lors de nos rassemblements condamnés à respecter un nouvel espace le quatre m², en somme une redéfinition de nos droits, une reconfiguration de l’espace vital, un nouveau territoire social pour assurer notre survie, un nouveau « Lebensraum[1]» de cette nouvelle ère civilisationnelle. Une drôle de tyrannie vient comme nous envelopper et docilement, nous nous accoutumons à ce vêtement protecteur que nous offre l’étrange tyrannie.

L’épidémie est en effet une « étrange tyrannie » conduisant également notre humanité désespérée à rechercher tous les moyens, de contrôler sa propagation quitte à renoncer à sa liberté.  J’avais ce 27 mai 2020, le sentiment étrange que nos députés convoqués pour un débat à l’Assemblée nationale, consentaient pour une grande majorité d’entre eux à ouvrir une boite de pandore, en acceptant la possibilité de rogner sur le périmètre des libertés de leurs sujets.

Le 27 mai à l’Assemblée nationale, une large majorité des députés après débat, s’est effectivement prononcée favorablement à la diffusion de l’application Stop-Covid, une application de traçage des relations sociales des individus permettant de répertorier les personnes testées positives et avertir celles qui sont entrées en contact avec elles, enfreignant la loi de l’espace vital, « le Lebensraum » ou la fameuse distanciation sociale, érigée comme une nouvelle règle salutaire. Rappelons que les députés n’avaient pas été appelés au cours de cette soirée du 27 mai à se prononcer sur une loi à proprement parler, mais bien sur une déclaration du gouvernement[2].  Même si la démarche gouvernementale était en soi consultative, celle-ci révélait une bien étrange atmosphère. La tension dans l’hémicycle du Palais Bourbon, était quasi palpable. Au sein de la chambre parlementaire, nous assistions parfois à de belles joutes oratoires, notamment à cette diatribe du tribun et député Jean-Luc Mélenchon, exprimant la méfiance, fustigeant l’applicatif. D’autres députés en revanche ont approuvé l’applicatif en la louangeant, en valorisant la souveraineté numérique européenne enfin conquise, faisant toutefois oublier que GAFAM ou non, l’applicatif n’est que le premier étage d’un monde potentiellement liberticide.

L’applicatif Stop-Covid est sans doute la première ouverture d’une boite de pandore, j’espère parvenir à vous en convaincre au fil de ces lignes. 

Dans l’après-midi de ce 27 mai, je décidais grâce à la chaine de télévision parlementaire d’assister à ces débats, de prendre note de ces échanges entre parlementaires. J’étais poussé par cette curiosité malicieuse de comprendre la façon dont l’application était argumentée pour emporter le vote des députés. Certainement, vous me classerez parmi les technophobes qui de toute façon, sont acquis à défendre une position de réfutation, d’objection contre toutes les formes de recours technologique visant à superviser, tracer et mettre en quelque sorte en filature les personnes infectées. Vous m’objecterez probablement ce paradoxe de défendre la fragilité et finalement d’accepter la circulation morbide du virus.  A cela je répondrais ceci, en reprenant approximativement la parole du philosophe André Comte-Sponville[3] cité par le député Jean-Luc Mélenchon « vaut mieux-t-il mourir en pays libre ou rester vivant dans un pays totalitaire qui m’aurait ôté, aliéné ma part d’humanité ? ».

Je notais ainsi parmi les députés prenant la parole pour partager la position de leur groupe parlementaire, des attitudes à nouveau circonspectes et pleines de pertinence indiquant cette dimension de cache-misère qui entoure l’applicatif, son inefficacité potentielle, un recours à un traçage qui en réalité s’avérera inopérant. En effet une grande majorité de la population n’adhérera sans doute pas à ce type de dispositif ou bien n’ont pas la possibilité de télécharger l’applicatif à partir d’un mobile dont ils ne sont pas équipés. Parmi cette population non-détenteurs de mobiles : les personnes potentiellement concernées par des cas d’infection liés au virus, figurent comme celles qui sont manifestement les plus âgées. Pour un nombre significatif de ces personnes selon une étude publiée par le Credoc, elles ne sont pas équipées de smartphone[1], en conséquence non concernée par l’applicatif.


[1] Source Etude Crédoc : Le taux d’équipement en téléphone mobile est corrélé principalement à l’âge quasiment tous les 18-39 ans possèdent un téléphone mobile (98%), et cette proportion décroit très fortement chez les 70 ans et plus (71%).

Toujours à l’écoute de ce débat vif et tendu, je souriais en entendant ces députés vantant l’applicatif. Parmi eux, des députés qui se prêtent à rêver l’humanisme du XXIe siècle. Ce rêve de nouvel humanisme, omet nonobstant que toute nouvelle solution technologique peut conduire subrepticement à des souhaits de totalisation pour maitriser la létalité d’un phénomène, quitte demain à priver le citoyen de sa liberté, en conséquence une partie de son humanisme[5] comme de son humanité. C’est en ce sens que j’appréciais la colère de Jean-Luc Mélenchon qui évoquait l’intrusion et l’indiscrétion d’une solution technologique de traçage qui l’aurait surpris d’embrasser une femme croisée sur son chemin.

Ainsi les outils numériques cachent des usages sûrement totalitaires même s’il faut en convenir que tous ces outils ne sont pas en soi mauvais, mais peuvent aussi s’avérer efficaces pour améliorer des chaines de solidarité. Mais croire qu’un applicatif suffit pour tirer l’humanité d’un péril n’est en réalité qu’une forme de dissimulation d’une tout autre réalité qui voile « l’étrange tyrannie » qui se dessine ingénieusement au sein même de notre société. Car gageons ceci, l’applicatif Stop-Covid sera sans efficacité, mais il s’intègre malgré tout, comme un cheval de Troie, nous faisant entrer dans une forme subtile d’habituation à ces technologies de plus en présentes. Des technologies qui tracent, mais ne trackent pas encore, qui se veulent consentantes, mais non rendues obligatoires pour tous.  Nous assistons cependant à une forme de développement des bras et de déploiement tentaculaire de la pieuvre numérique, qui s’installe dans le quotidien de nos usages, de nos vécus. Lorsque le ministre Olivier Veran martèle à l’Assemblée nationale qu’« Il nous faut contrôler par tous les moyens les résurgences de l’épidémie par une identification des personnes contaminées », indiquant que « L’épidémie n’est pas terminée »,  ajoutant que « le numérique peut nous aider encore davantage ». Le ministre de la Santé nous confesse ainsi sa confiance dans ce nouvel allié virtuel à des fins de déjouer la diffusion de la pandémie. Ce ministre croit-il cependant et sérieusement aux nouvelles vertus de cette technologie pour déjouer les plans de la Reine Corona. Le gouvernement semble pourtant mettre son espoir dans ce moyen de remonter finalement le chainage de la pandémie tout en nous rassurant, répétant inlassablement qu’il n’y a ni tracking, ni géolocalisation. Oui, mais tout cela, tous ces discours autour de ces applicatifs révèlent une forme d’expertise quasi totalitaire pour installer au sein de notre monde « l’étrange tyrannie ». Imagine-t-on ainsi le téléchargement de l’applicatif en milieu rural comme ce fut évoqué lors des débats à l’Assemblée nationale et des conséquences induites de cette application qui serait alors susceptible de concourir à la stigmatisation des personnes atteintes par l’infection liée au Covid. Assurément l’applicatif est voué à un quasi-échec. Cette consultation organisée par le gouvernement simultanément auprès des deux chambres, l’Assemblée nationale et le sénat ; est l’annonce d’un coup d’épée dans l’eau. L’application « Stop-Covid », est en effet pareille à l’épée, une forme de prétendue arme intelligente qui symbolise la toute-puissance de l’état régalien, sa force, pour combattre notre ennemi. Mais nous parions que cet applicatif sera comme un coup d’épée dans l’eau qui ne détruira pas la chaine de contamination et s’avérera comme déjà écrit plus haut, un cache misère de l’impuissance jacobine à combattre le fléau envoyé par le messager de la Reine Corona. 

Pour le député Charles de Courson, avec cet applicatif, « nous sommes face à un véritable pacte faustien ». Nous sommes sur le point de consentir et d’accepter d’être tracés pour échapper à la mort afin de vaquer à une vie quasi artificielle, embrigadés, une vie quasi régulée, orientée au gré de nos déplacements, de nos occupations.  

Sommes-nous cependant prêts à nous abandonner entre les mains d’une tyrannie douce pour notre seule sécurité sanitaire ou confort existentiel, « Sommes prêts à vouloir plus d’État protecteur et moins finalement de responsabilité individuelle ? [6]», sommes-nous prêts à renoncer à une partie de ces libertés cardinales au profit d’un traçage de nos déplacements ? L’étrange tyrannie s’installe, nous serions tentés d’évoquer l’émergence d’une tyrannie moderne fondée sur un triptyque : la science, la technologie, l’idéologie. Le philosophe de l’histoire Jacob Burckhardt, avait eu cette formule qui m’interpelle « Vivant au milieu des poètes ou des savants, le tyran se sent sur un terrain nouveau, il est presque en possession d’une nouvelle légitimité ». Le président Emmanuel Macron n’est pas à mes yeux un nouveau tyran, mais confier le destin politique de la France entre les mains de la seule science et de la technologie avec cette foi dans la dimension idéologique du progrès pourrait manifestement le conduire à cette tyrannie qu’il ne désirait pas en début de son mandat. Cependant jamais depuis une décennie, nous n’avons autant assisté subrepticement à une entame sérieuse de la liberté d’exprimer une opinion même si celle-ci est entachée d’erreur. Mais qui peut prétendre détenir le ministère de la vérité ? Le ministère de la vérité, ce fameux ministère de la propagande dans le roman 1984 de George Orwell. Mais à force d’interdire, d’encadrer la parole et de la soumettre à la seule autorité des experts, nous sommes en passe d’accepter la tyrannie de l’expertise technique, administrative et scientifique. La crise sanitaire sans oublier la crise sociale ou climatique nous contraignent aujourd’hui à accepter comme une nécessité, cette perversion de la vie sociale liée à l’émergence d’un haut conseil scientifique instrumentalisé. Le haut conseil qui dit ce qui est vrai et ce qu’il ne l’est pas. La science ne devrait pas accepter d’être l’instrument du pouvoir, elle devrait exprimer un droit de réserve, elle devrait être consulté, tout en restant d’une extrême humilité en promouvant autant que possible « le je ne sais pas ».

Revenons à l’applicatif du fameux Stop-Covid et nul besoin d’être prophète pour indiquer que cela ne fonctionnera pas. Cependant face à une deuxième vague pandémique qui n’est pas à ce jour exclue, il n’est pas inenvisageable de rechercher des moyens coercitifs d’imposer à la population non seulement un nouveau confinement qui s’imposera par la peur[7], mais éventuellement d’imposer à la population de se faire vacciner si un nouveau vaccin était identifié. Navré cher lecteur de vous faire sursauter, mais si vous connaissez la fenêtre d’Overton[8], une forme de parabole qui désigne toutes les idées inacceptables au départ et qui finirent par gagner l’opinion au point de devenir populaires, passant ainsi de l’impensable au radical.  Le pacte faustien évoqué par le député de la Marne Charles de Courson, c’est finalement, consentir à être privé de sa liberté, consentir l’inacceptable, l’impensable, le radical, du fait d’une menace qui pèse et met en joue la survie même de l’espèce humaine. La tyrannie moderne ne s’embarrassera pas de faire appel à la science, la technique et l’idéologie pour imposer son étrange absolutisme, une vision plus coercitive pour imposer à l’humanité la solution technologique qui pourrait non plus tracer les populations, mais bien de les tracker, de les géolocaliser et de les soumettre à son pouvoir pour imposer de nouveaux codes sociaux, empêchant via le « solutionnisme technologique [9]» sans doute l’effondrement de son système économique et sanitaire. La technologie toute puissance, la gestion des algorithmes, les avancées dans les domaines du tatouage quantique autorisent à ce jour des possibilités de contrôle des populations qui seraient éventuellement protégées par le vaccin et celles qui n’accepteraient pas la vaccination.  Ces moyens coercitifs existent et ils seront appliqués sans peine, ne l’avons-nous pas expérimenté au cours de ces derniers mois avec l’obligation de montrer patte blanche, d’indiquer l’origine de son domicile avec présence d’un QR Code sur son smartphone.

L’œuvre de Evgeny Morozv chercheur et écrivain américain nous permet d’appréhender dans ces contextes avec un esprit critique, le solutionnisme technologique une autre forme idéologique du transhumanisme comme étant une parfaite impasse en regard de nos aspirations à vivre intégralement notre liberté de conscience qui est celle de consentir ou non à un mode de vie, un choix de vie. Le solutionnisme pourrait bien être embrassé aujourd’hui par cette forme de tyrannie moderne, puisque ce courant de pensée technologique se déclare capable de résoudre l’ensemble des problèmes de l’humanité : sanitaires, climatiques, terroristes et également crises sociales. Le développement ainsi de l’intelligence artificielle, des nouveaux modèles statistiques, des nouveaux applicatifs quantiques seraient en mesure à elle seule, d’apporter des réponses efficientes aux défis suscités par les crises et notamment pandémiques autorisant ainsi l’avancée d’une société totalement sous contrôle, surveillée. Cette société convertie au solutionnisme technologique existe bel et bien. L’archétype, l’étalon le représentant du solutionnisme technologique est l’état chinois.  La chine tyrannique soumet ainsi son peuple à ces trois lois autocratiques : la science, la technique et l’idéologie. Ainsi le climat sanitaire particulièrement mortifère pourrait conduire l’Europe via le modèle chinois à infantiliser la population, ce qui pourrait inévitablement nous conduire à des lois liberticides imposant peut-être à celles et ceux qui ne les auraient pas acceptés, de ni vendre, ni d’acheter. Le solutionnisme technologique rend possible par tout moyen biométrique d’identifier ceux qui se sont conformés ou non aux mesures déclinées par cette nouvelle de tyrannie qui appréhendant ou redoutant les effets de cette contagion serait dès lors contrainte d’aller vers des dispositifs extrêmes.

Je conclus donc cette chronique avec la pensée de Jacques ELLUL[10] immense auteur : 


« … chaque progrès technique est destiné à résoudre un certain nombre de problèmes. Ou, plus exactement : en face d’un danger, d’une difficulté précise, limités, on trouve forcément la réponse technique adéquate. Ceci provient de ce que c’est le mouvement même de la technique, mais répond aussi à notre conviction profonde, générale dans les pays développés, que tout peut être ramené à des problèmes techniques. Le mouvement est alors le suivant : en présence d’un problème social, politique, humain, économique, il faut l’analyser de telle façon qu’il devienne un problème technique (ou un ensemble de problèmes techniques) et à partir de ce moment-là, la technique est l’instrument adéquat pour trouver la solution. »

[1] Lebensraum : L’autre nom donné à l’espace vital, un concept géopolitique inventé par des géographes allemands au XIXe siècle, puis adopté par le régime Nazi.

[2] Déclaration du gouvernement : « relative aux innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19 », conformément à l’article 50-1 de la Constitution

[3] André Comte-Sponville: « J’aime mieux attraper le Covid-19 dans un pays libre qu’y échapper dans un État totalitaire »

[4] Source Etude Crédoc : Le taux d’équipement en téléphone mobile est corrélé principalement à l’âge quasiment tous les 18-39 ans possèdent un téléphone mobile (98%), et cette proportion décroit très fortement chez les 70 ans et plus (71%).

[5] Au sens de civilisation, ce qui fait en partie la civilisation, c’est notre capacité à rejoindre l’autre, faisant société avec lui.

[6] Citation reprise lors de l’intervention du député Charles de Courson le 27 mai 2020 lors de son intervention à l’assemblée nationale au moment de la présentation par le gouvernement de l’application Stop-Covid.

[7] Le gouvernement le décrétera sans problèmes si cette deuxième vague venait à saturer les services médicaux.

[8] Lire le livre la déconstruction de l’homme parue aux éditions Lumière en 2018 où le principe touchant à la fenêtre d’Overton est très largement décrit.

[9] Référence à : L’aberration du solutionnisme technologique de Evgeny Morozo

[10] Jacques Ellul, Le Bluff Technologique page 112 aux Éditions Pluriel publié en 2012.

Le Messager

Nous sommes le 25 mai 2020 et ce texte que je produis, écrit comme une rétrospective, introduira un ensemble de chroniques qui ont jalonné cette période de confinement et de déconfinement depuis la présence de la pandémie dans ce doux pays comme le chantait naguère Charles Trenet, le « Pays de mon enfance ». Pour beaucoup d’entre nous en basculant dans l’année 2020, première année d’une nouvelle décennie, nous étions à deux mille lieux d’imaginer dans quel monde nous entrions, le séisme civilisationnel que nous allions vivre. Ce qui était arrivé fut soudain, brutal. L’événement inattendu ne fut pas le déclenchement d’une guerre ou d’un tremblement de terre d’une vaste amplitude planétaire, mais sans doute les deux à la fois, un séisme au sens social et un bouleversement à l’échelle planétaire qui allait fracturer le monde, le mettre littéralement en pièces. Les structures sociales ont connu là un véritable choc planétaire, puisque quasiment à l’échelle mondiale, c’est l’ensemble du globe qui entra en confinement, un mot nouveau que je n’avais probablement jamais prononcé de ma vie. Dès le mois de décembre 2019, les autorités sanitaires sont informées et mettent sous surveillance une redoutable infection pulmonaire, dont la cause est un virus à couronne, le coronavirus. Ce virus, je l’ai nommé « la Reine Corona », cette reine sera l’une des trames de ce nouvel essai, comme un recueil de pensées, un journal de bord, une veille sur le déroulement d’une pandémie et ses implications sociales

Auteur

Eric LEMAITRE

Nous sommes le 25 mai 2020 et ce texte que je produis, écrit comme une rétrospective, introduira un ensemble de chroniques qui ont jalonné cette période de confinement et de déconfinement depuis la présence de la pandémie dans ce doux pays comme le chantait naguère Charles Trenet, le « Pays de mon enfance ». Pour beaucoup d’entre nous en basculant dans l’année 2020, première année d’une nouvelle décennie, nous étions à deux mille lieux d’imaginer dans quel monde nous entrions, le séisme civilisationnel que nous allions vivre. Ce qui était arrivé fut soudain, brutal. L’événement inattendu ne fut pas le déclenchement d’une guerre ou d’un tremblement de terre d’une vaste amplitude planétaire, mais sans doute les deux à la fois, un séisme au sens social et un bouleversement à l’échelle planétaire qui allait fracturer le monde, le mettre littéralement en pièces. Les structures sociales ont connu là un véritable choc planétaire, puisque quasiment à l’échelle mondiale, c’est l’ensemble du globe qui entra en confinement, un mot nouveau que je n’avais probablement jamais prononcé de ma vie. Dès le mois de décembre 2019, les autorités sanitaires sont informées et mettent sous surveillance une redoutable infection pulmonaire, dont la cause est un virus à couronne, le coronavirus. Ce virus, je l’ai nommé « la Reine Corona », cette reine sera l’une des trames de ce nouvel essai, comme un recueil de pensées, un journal de bord, une veille sur le déroulement d’une pandémie et ses implications sociales. Nous savons depuis ce mois de Mars 2020, que les effets de la pandémie seront redoutables, les conséquences dépasseront les seules étendues sanitaires. Les prolongements de la crise sanitaire embrasseront sans aucun doute la dimension interpersonnelle et tout ce qui touche aux interactions quotidiennes et dans toutes les sphères de la vie et ce qu’elle peut embrasser. Cette nouvelle dimension sociale issue de la crise sanitaire nous affectera pour longtemps et annonce pour chacun d’entre nous, un changement de paradigme, impactant l’ordonnancement civilisationnel.

Le coronavirus semble avoir émergé à Wuhan en Chine en 2019, son origine est un mystère entouré d’une chape de plomb : origine naturelle par transmission animale ou résultat d’un accident suite à une malencontreuse manipulation ? Nous ne le serons sans doute jamais, dans un pays où la liberté d’enquêter ne sera jamais autorisée. En janvier, je n’ai plus l’exact souvenir de la date, mais il m’a semblé avoir entendu parler vaguement d’un coronavirus qui sévissait dans la ville de Wuhan. Un virus qui semblait alerter les premiers lanceurs d’alerte chinois, mais n’inquiétait pas semble-t-il les autorités sanitaires européennes, la chine c’est si loin de nous, le nuage viral n’allait sans doute pas franchir nos frontières tel un certain nuage nucléaire. Mais le postillon viral lui se fiche pas mal de la géographie et de nos prétendus barbelés sanitaires malgré la ferme assurance de l’autorité mondiale de la santé qui affirmait en janvier qu’ « il n’y avait pas d’urgence de santé publique de portée internationale[1] ». Alors moi le lambda, l’inculte en matière de santé publique, je regardais ça de bien loin et cette affaire de postillon létal était comme une lettre non affranchie sans destinataire. Et donc cette lettre-là resterait à Wuhan, pourquoi s’en inquiéter quand bien même cette lettre, eût-elle été recommandée, cette lettre virale ne nous était pas destinée après tout. Mais les jours s’égrenaient avec des nouvelles plus inquiétantes. La portée létale de ce virus pathogène était bientôt tapie à toutes les portes des nations, mais pour être très honnête, ce fut le 16 mars 2020 et lors de l’allocution du président de la République que je prenais franchement conscience de l’ampleur mondiale de l’épidémie. Le verbatim anxiogène du président et le discours de nous enjoindre à nous claquemurer, me fit alors comprendre, qu’un événement sans pareil était en train de se dessiner. Pourtant le 16 mars 2020, à 13 h, peu avant le discours attendu du président Emmanuel Macron, je publiais une première chronique suivie plus tard[2] par d’autres textes, leurs compilations allaient donner ce nouveau livre, fruit d’une longue méditation autour d’un événement qui n’a pas eu d’équivalent dans l’histoire du monde au moins sur un seul aspect, son impact social. Car l’impact social a été certainement plus redoutable que l’impact sanitaire et les conséquences économiques augurent des lendemains d’une extrême gravité. L’histoire de l’humanité a connu des épisodes de contagions depuis les récits de l’Iliade en passant par les lectures des livres formant le pentateuque[3] et ce que nous rapporte l’histoire des pandémies, avec la peste noire en 1347, la grippe espagnole à partir de 1918 et d’autres pandémies plus récentes. Comme je l’écrivais dans l’une de mes chroniques, des mots soufflés par une amie, cette pandémie est un messager. Nous savons bien que notre époque est entachée de rationalité et que le mot fléau a été rarement employé, trop connoté sans doute. Pourtant que nous le voulions ou non cette nouvelle pandémie n’est pas dénuée de signes et de sens, en soi, cette pandémie porte bel et bien un message. Toute pandémie est en soi un révélateur, une image miroir de l’éco système que nous incarnons. D’ailleurs le livre du lévitique, un des livres de la Torah est étonnant à plus d’un titre puisqu’il insiste sur la dimension de l’assainissement, l’insalubrité ne faisant qu’aggraver les contaminations. En faisant systématiquement référence à un Dieu Saint, le lévitique impose aux Hébreux de se conduire avec sagesse et de s’accommoder des précautions sanitaires pour éviter toute propagation de la lèpre. Aussi cette pandémie du Coronavirus, ne nous interroge-t-elle pas sur nos rapports avec la nature, sur nos modes de consommation, sur nos choix en matière de production industrielle, sur nos conceptions concernant la vie urbaine, la mondialisation. La vitesse de propagation de la contamination virale du coronavirus, à plus d’un titre la pandémie, nous renvoie à nos modes de vie. N’y-a-t-il pas à travers le prisme de cette crise, quelque chose à assainir, à penser autrement ? N’avons-nous pas avec cette crise sanitaire, à remettre en cause notre façon de concevoir cette consommation qui est finalement responsable d’étalement urbain, de déforestation, de la dévastation écologique.  

Je fais ainsi mienne cette citation d’Aristote qui formula en ces termes une réflexion que nous pourrions bien nous approprier en ces temps d’épidémie mondiale : « C’est, en effet, l’étonnement qui poussa comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. [4]» et c’est pourquoi comme Monsieur Jourdain [Sourire], je fais de la philosophie, j’emprunte les paroles du sage Aristote pour questionner à mon tour, le sens de cette épidémie, sur son message touchant aux orientations écologiques, économiques, idéologiques. Ne nous sommes-nous pas tous fourvoyés dans cette marche sans limites, engagée depuis l’aube de notre humanité, depuis que nous avons été chassés en quelque sort du jardin d’Eden, décidé d’aller aux confins de l’univers pour aller à la quête d’un salut sans Dieu, jusqu’à tendre vers notre propre auto-divinisation. Citant toujours Aristote « apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance », la quête du philosophe n’est-elle pas en effet la quête de la sagesse. Une quête qui est celle « d’abord d’apercevoir une difficulté [puis] de s’étonner », qui se traduit également par cette capacité de discerner les temps, de lire les signes qui nous tétanisent.  Ces signes qui font irruption et viennent perturber le cours d’une vie, nous interrogent.  Quels sont les motifs de cette irruption de la Reine Corona, les causes explicites comme celles qu’il nous appartiendra de fouiller encore ?

Je lisais récemment l’Iliade, cette lecture de l’épopée légendaire liée à la civilisation grecque. Le premier chapitre [chant1] a une certaine résonance avec cette quête qui est de comprendre ce qui nous arrive. Nous apprenons toujours des mythes qui ont jalonné l’histoire de l’humanité, qui constituent en quelque sorte cette mémoire enfouie. Cette mémoire enterrée, renferme un trésor de sagesse et d’infinie intelligence, cette mémoire doit nous nous permettre tel un Graal arthurien, de saisir le message, de posséder en fin de compte une lecture qui nous fera avancer dans une période de questionnements. Dans le l’Iliade : épopée de la Grèce antique attribuée à Homère, « le dieu Apollon » envoie une peste meurtrière sur toute l’armée achéenne. L’un des personnages de Homère « Atréide », dans la première partie du récit, s’en inquiète, s’interroge et se questionne sur le sens de cette contagion qu’il interprète comme l’expression d’une irritation, celle du Dieu Apollon : « nous reproche-t-il des vœux négligés ? [5]». Dans une époque de désacralisation, toute référence et évocation spirituelle, suscite agacements, colère, et irritation.  Mais reprendre cette citation du poète, personnage conceptuel ou réel, est en soi intéressant, car le but ici est bel et bien de nous emmener au-delà de la légende, à nous requestionner sur le sens même de l’existence, le sens même des malheurs que nous traversons « nous reproche-t-il des vœux négligés ? ». Avec l’avènement du Coronavirus, nous vivons beaucoup plus qu’une mutation dans laquelle le monde d’autrefois se modifie, nous vivons surtout comme une remise en cause de nos négligences passées. Accepterons-nous alors de prendre en compte cette dimension de négligences, d’insouciances et d’irresponsabilités qui ont jalonné l’homme technicien, l’homme prométhéen tout au long de son histoire. Et si nous regardions de près la déclinaison des messages adressés par la Reine Corona :

Son premier message ne serait-il pas d’ordre anthropologique, celui qui s’inscrit dans la dimension relationnelle. Ne venons-nous pas en effet de vivre, et ce à l’échelle mondiale, un événement qualifié de « rupture anthropologique majeure » ? Cette rupture qui remet en cause l’instinct relationnel et grégaire, tout un pan de notre vie sociale. Ne vivons-nous pas également un défi certes pluriel : écologique, économique, mais surtout de dimension sociale. Cette dimension qui forme l’empreinte de la civilisation, c’est dire vivre ensemble, nouer des rapports aux autres ? Nous venons en effet de vivre au cours de cette crise sanitaire, une remise en question des interactions interpersonnelles, des libertés les plus fondamentales, via des mesures liberticides dont il a fallu s’accommoder et nous accommoder dans ce temps de déconfinement. La logorrhée guerrière employée par le président de la République a amplifié l’acceptation de ces mesures nous privant de rencontres collectives, d’échanges et de vies communautaires. Nous avons ainsi été gouvernés par la peur. En inquiétant ces populations au travers d’un verbatim intentionnellement comminatoire, les autorités du monde démocratique ont laissé finalement des traces psychologiques dans les mentalités, des traces délétères dans l’esprit de leurs citoyens. Le confinement a ainsi exacerbé l’envie de ne pas rompre les liens et nous a poussés à l’usage des applicatifs de vie sociale, comme ces plateformes de messageries, de vidéo conférence. Nous avons alors utilisé ces mondes d’écrans, d’empilements d’images « visages » comme les morceaux d’un puzzle mis côte à côte, simulant une vie sociale, mais une vie qui reste virtuelle. Nous nous sommes vite lassés de ces usages, en tout cas, pour ma part j’en suis fatigué. Ne faudrait-il pas ainsi entendre que la dimension relationnelle est le bien le plus précieux bien plus que la consommation du monde googlelisé ou de toutes ces plateformes virtuelles. 

Le deuxième message, corolaire du premier est celui qui touche à notre organisation sociale. La vie sociale est régentée bien souvent par le haut, omettant une gestion de dimension locale. Jamais dans l’histoire du monde, une telle pandémie n’a autant mobilisé les pouvoirs étatiques qui ont agi comme les protecteurs de leurs habitants. En regard d’épidémies passées, ce qui a été sans commune mesure, c’est bien en France, l’échelle de la décision qui est l’exact miroir d’un état jacobin qui ne fait aucune différence entre les territoires. La lecture du château[6] n’a pas ainsi mobilisé les lectures subsidiaires, plus proches des réalités locales. Les mesures administratives n’ont été ni étagées, ni proportionnées, ni adaptées aux réalités locales. Cette approche de la crise sanitaire et de sa gestion bureaucratique notamment celles concernant nos libertés est sans commune mesure avec les pandémies du passé. De la sorte que la grippe espagnole qui pourtant a fait cinquante millions de morts, n’a pas entrainée de mesures identiques à l’échelle de tous les territoires. Le confinement ; les mises en quarantaine n’avaient concerné que quelques régions.   

Le troisième message est celui de nos déplacements qui interagissent avec le climat, la pollution : Les modes de déplacements ont considérablement évolué, les mesures prises se calent finalement à l’ère d’une époque infiniment plus mobile et citadine qu’elle ne l’avait été hier. Aussi la propagation du Coronavirus vient en quelque sorte questionner ce monde de déplacements : mondialisés, ouverts, sans frontières, avec des impacts climatiques et un étalement considérable de sols minéralisés. Le coronavirus par ses effets, vient requestionner cette technologie des biens toujours augmentés, ces biens qui prétendent de permettre à l’homme de s’affranchir des distances. Mais l’obstination de l’homme consiste à enjamber justement ces distances. La crise a vu l’accélération du modèle numérique, les processus de digitalisation, de télétravail, de communications virtuelles, de services à la carte rendus par les applicatifs de la future smart city ne se sont jamais autant développés. Le coronavirus en nous reléguant au fond de nos quatre murs, nous a littéralement jeté dans les bras de nos artefacts, en nous plongeant dans le monde digital, nous obligeant, nous contraignant paradoxalement à davantage de distance sociale.

Le quatrième message nous montre le défaut patent d’une économie qui n’est plus fondée sur la proximité. Au fil de son histoire, l’humanité a bâti des empires, mais peu d’empires ont résisté, les empires d’hier sont relayés aujourd’hui par les empires mercantiles et cupides des multinationales, qui se sont octroyées le droit d’imposer les lois de leurs marchés. La crise économique sous-jacente se promet d’être effrayante pour toutes ces entreprises emblèmes et figures d’un monde ouvert et sans limites aucunes. Les multinationales se moquent parfois de l’éthique et préfèrent l’exploitation sans vergogne des états nations les plus pauvres, exploitant leurs ressources humaines, les richesses de leurs sols. Les multinationales comme les états les plus riches de la planète se croyaient à l’abri, mais très vite les milieux de l’automobile, de l’informatique, des politiques sanitaires […] découvrent la fragilité des interdépendances mondiales, un accroc dans une usine chinoise confinée induit nécessairement des perturbations en chaîne pour une myriade d’entreprises dans le monde pour l’acheminement de médicaments, de protections médicales. Les frontières fermées dans tel pays impacté par le covid19 conduit également à des pertes d’emplois dans telle autre nation. Nous sommes face à des jeux de dominos, et des fragilisations en cascade.  La crise pandémique obligeant l’arrêt des productions mondiales, faute de consommateurs, et l’on prétend pourtant que les entreprises qui sauront résister à cette pandémie mondiale, ce krach test, sont celles qui ont été les mieux préparées aux mutations digitales de notre époque. Celles-là dit-on, ont pu poursuivre le déploiement de leurs activités et les pérenniseront. Sauf que cette résistance est artificielle et masque une autre réalité, celle d’états en quasi-faillite, confrontés à un endettement écrasant, et dont la seule alternative sera d’articuler leurs survies avec une remise à flot qui passera par l’impôt, l’impôt que pourrait bien ne pas supporter les populations. Or le Covid19 agit comme un messager mettant en évidence qu’une seconde vague aurait alors des effets terribles sur le plan social.  Les lendemains d’une seconde vague annonceraient un climat qui pourrait conduire à une crise définitive de civilisation.  

Alors ce covid19 « nous reprocherait-il alors des vœux négligés ? ».  Les chroniques de ce livre pointent ces négligences, les détaillent, décrivent les travers de nos sociétés, anticipent même le monde dystopique qui s’organise sous nos yeux, si nous acceptions finalement la mécanisation de nos consciences et l’ultra sécurité sanitaire pour vivre à toutes fins le monde augmenté promis, la vie artificielle et « siliconée ». Le pire pourrait atteindre à nouveau l’âme humaine, si nous ne changions pas de voie, si obstinément nous décidions de poursuivre un monde sans écologie humaine, sans la proximité, sans la dimension relationnelle. Pour rebâtir un monde en pièces, c’est possible, mais il faut définitivement accepter de vivre davantage en proximité et mettre l’amour du prochain au cœur de la vie sociale, et en rétablissant notre relation avec celui qui est le créateur des cieux et de la terre.


[1] Extrait de la déclaration de l’OMS : https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Coronavirus-lepidemie-10-dates-cles-2020-02-07-1201077010

[2] Le titre de cette chronique, la deuxième de l’ouvrage est l’ennemi, première chronique écrite le 16 mars 2016 à 13 h.

[3] Les cinq livres qui constituent la Torah. La tradition en attribue la paternité à Moïse

[4] Extrait de la citation : https://bjpphilo.wordpress.com/2016/09/03/aristote-origine-et-fin-de-la-philosophie-2/

[5] Œuvre de l’Iliade du domaine Public : Citation extraite du texte de l’Iliade Chant 1 https://www.atramenta.net/lire/oeuvre1507-chapitre-1.html

[6] Le château en référence à Kafka : Le Château aborde l’aliénation de l’individu face à une pesante bureaucratie qui n’entretient pas de relations avec la population

la marque ou le tatouage quantique

Notre site ne s’intéresse aux faits, rien qu’aux faits, ni aux rumeurs, ni à de prétendus complots… Nonobstant en pleine pandémie du coronavirus, nous sommes frappés par l’émergence et l’accélération de moyens techniques, d’applicatifs de supervision et de contrôle. C’est ce point là et seulement ce point là qui ne concerne que la seule dimension du contrôle, que nous souhaitions mettre en avant. A partir des seuls éléments factuels, chacun devra réfléchir aux conséquences induites par de tels progrès et ce que ces progrès signifient … Émettons ainsi l’hypothèse non farfelue que la pandémie devait se prolonger puis la découverte à moyen terme d’un vaccin enfin obtenue, vaccin qui serait rendu finalement obligatoire pour mettre fin à une contagion létale. Il est tout à fait concevable alors d’imaginer des moyens coercitifs pour inciter et conduire les populations à accepter leur mise en conformité avec cette solution de tatouage … Une telle réflexion est loin d’être saugrenue, c’est une pure hypothèse dystopique mais non émanant d’un cerveau dérangé.

Notre site ne s’intéresse aux faits, rien qu’aux faits, ni aux rumeurs, ni à de prétendus complots… Nonobstant en pleine pandémie du coronavirus, nous sommes frappés par l’émergence et l’accélération de moyens techniques, d’applicatifs de supervision et de contrôle. C’est ce point là et seulement ce point là qui ne concerne que la seule dimension du contrôle, que nous souhaitions mettre en avant. A partir des seuls éléments factuels, chacun devra réfléchir aux conséquences induites par de tels progrès et ce que ces progrès signifient … Émettons ainsi l’hypothèse non farfelue que la pandémie devait se prolonger puis la découverte à moyen terme d’un vaccin enfin obtenue, vaccin qui serait rendu finalement obligatoire pour mettre fin à une contagion létale. Il est tout à fait concevable alors d’imaginer des moyens coercitifs pour inciter et conduire les populations à accepter leur mise en conformité avec cette solution de tatouage accompagnant le vaccin vérifiant ainsi qu’aucun ne fasse courir de danger à autrui … Une telle réflexion est loin d’être saugrenue, c’est une pure hypothèse dystopique mais non émanant d’un cerveau dérangé.

Le premier document émane du site d’une chaîne française : LCI : https://www.lci.fr/sciences/il-devient-fluorescent-lorsqu-on-pointe-un-smartphone-demain-un-carnet-de-vaccination-sous-la-peau-2140786.html

Le document

Des chercheurs ont développé une technologie qui permet, grâce à un tatouage invisible incrusté sous la peau, de faire apparaître le carnet de santé d’une personne via la caméra d’un smartphone. De quoi fournir aux médecins, notamment dans les pays en voie de développement, la preuve que la personne a été vaccinée.

19 déc. 2019 14:05 – La rédaction de LCI

Les implants technologiques sous-cutanés, utilisés dans le monde entier pour le bétail et les animaux domestiques, commencent à se répandre chez l’homme, comme en Suède où plusieurs milliers de personnes les utilisent déjà comme clé, ticket de train ou carte bancaire. Dans le domaine de la santé, cette fois, une équipe de scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT) a annoncé avoir mis au point un procédé révolutionnaire : au lieu d’implanter une puce électronique entre l’index et le pouce, des nanoparticules sont injectées sous la peau via une seringue spéciale.

Ces nanoparticules ont la particularité d’émettre une lumière fluorescente imperceptible à l’œil nu, mais visible depuis l’écran d’un smartphone. Concrètement, l’idée est d’établir sur le corps lui-même la preuve du vaccin, notamment dans les pays en voie de développement où les cartes de vaccination en papier sont souvent erronées ou incomplètes et où les dossiers médicaux électroniques inexistants. Pour l’instant, la technologie a été testée uniquement sur des rats, mais les chercheurs espèrent les tester sur des humains en Afrique dans les deux prochaines années.

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Des nanocristaux à base de cuivre

Les scientifiques ont passé beaucoup de temps à trouver des composants à la fois sûrs pour l’organisme, stables et capables de durer plusieurs années. La recette finale est composée de nanocristaux à base de cuivre, appelées « boîtes quantiques » (en anglais, « quantum dots »), mesurant 3,7 nanomètres de diamètre. Ces nanocristaux sont ensuite encapsulés dans des microparticules de 16 micromètres (1 micromètre égale un millionième de mètre, ndlr), détaillent les chercheurs dans un article paru mercredi 18 décembre dans la revue Science Translational Medicine.

L’implantation, qui se fait grâce à une seringue spéciale dotée d’un patch de microaiguilles de 1,5 millimètre de longueur, est presque indolore. Une fois appliquées sur la peau pendant deux minutes, les microaiguilles se dissolvent et laissent sous la peau les petits points, répartis par exemple en forme de cercle ou bien d’une croix. Ils apparaissent sous l’effet d’une partie du spectre lumineux invisible pour nous, proche de l’infrarouge. Par le biais de la caméra d’un smartphone modifié, pointé sur la peau, apparaissent, fluorescent sur l’écran, le cercle ou la croix. 

Les chercheurs voudraient que l’on puisse injecter le vaccin contre la rougeole en même temps que ces petits points. De ce fait, un médecin pourrait des années plus tard vérifier si la personne a été vaccinée. La technique est censée être plus durable que le marquage par feutre indélébile. Dans le compte-rendu de leurs travaux, les scientifiques indiquent qu’ils ont simulé cinq années d’exposition au Soleil au cours de tests en laboratoire. Autre avantage de ce dispositif, il requiert moins de technologie qu’un scan de l’iris ou que la maintenance de bases de données médicales.

ARCHIVES – Des diagnostics médicaux bientôt réalisés à l’aide d’une simple puce sous la peau ?

L’obstacle de l’adoption par la population

TOUTE L’INFO SURQUEL FUTUR POUR DEMAIN ?

La limite du concept est que la technique ne sera utile pour identifier les enfants non-vaccinés que si elle devient l’outil exclusif. En outre, les gens accepteront-ils de multiples marquages sous la peau, pour chaque vaccin ? Et qu’adviendra-t-il des points quand le corps des enfants grandira ? 

La Fondation Bill et Melinda Gates, qui finance ce projet, mène actuellement des enquêtes d’opinion au Kenya, au Malawi et au Bangladesh pour déterminer si les populations seront prêtes à adopter ces microscopiques boîtes quantiques ou préféreront en rester aux vieilles cartes de vaccination.

Le second document émane d’un article de recherche scientifique https://stm.sciencemag.org/content/11/523/eaay7162

La tenue de dossiers médicaux précis est un défi majeur dans de nombreux milieux à faibles ressources où il n’existe pas de bases de données centralisées bien entretenues, contribuant à 1,5 million de décès évitables par la vaccination chaque année. Ici, nous présentons une approche pour coder les antécédents médicaux sur un patient en utilisant la distribution spatiale des points quantiques biocompatibles dans le proche infrarouge (NIR QD) dans le derme. Les QD sont invisibles à l’œil nu mais détectables lorsqu’ils sont exposés à la lumière NIR. Les QD avec un noyau en séléniure de cuivre et d’indium et une coque en sulfure de zinc dopé à l’aluminium ont été réglés pour émettre dans le spectre NIR en contrôlant la stœchiométrie et le temps de décorticage. La formulation présentant la plus grande résistance au photoblanchiment après exposition au soleil simulée (équivalence sur 5 ans) à travers la peau humaine pigmentée a été encapsulée dans des microparticules pour une utilisation in vivo. En parallèle, la géométrie des microaiguilles a été optimisée in silico et validée ex vivo à l’aide de peau humaine porcine et synthétique. Des microparticules contenant de la QD ont ensuite été incorporées dans des microaiguilles solubles et administrées à des rats avec ou sans vaccin. L’imagerie longitudinale in vivo à l’aide d’un smartphone adapté pour détecter la lumière NIR a démontré que les motifs QD délivrés par microaiguille restaient brillants et pouvaient être identifiés avec précision à l’aide d’un algorithme d’apprentissage automatique 9 mois après l’application. En outre, la délivrance de codes avec le vaccin antipoliomyélitique inactivé a produit des titres d’anticorps neutralisants supérieurs au seuil considéré comme protecteur. Ces résultats suggèrent que les QD intradermiques peuvent être utilisés pour coder de manière fiable les informations et peuvent être délivrés avec un vaccin,

LA PEUR

Il y a un mécanisme qui est inquiétant, bien plus redoutable que la dangerosité du virus, bien au-delà de la pandémie, ce mécanisme terrifiant qui constitue en soi une menace est celle de la peur. Mais une peur qui conditionne les mentalités, qui persuade notre affect, instrumentalise la crainte. Une peur exploitée par les autorités, et utilisée dans certains états, à des fins machiavéliques pour conduire notre monde à une forme d’obéissance servile, autoritaire et en effet une distanciation, une désincarnation de notre relation aux autres. Cette peur enveloppe la société et forme une nouvelle contagion de méfiance se répandant à tous les échelons de la vie sociale. La société toute entière semble gangrénée par la peur de la rencontre, hier nos civilisations étaient terrorisées par les risques naturels, plus récemment par le terrorisme. La peur semble avoir fait son terreau dans la civilisation comme le titrait le journal « Libération[2] », « la peur est même le moyen de faire obéir les hommes ». La peur instrumentalisée est celle que l’on montre en image, pour renforcer les discours de la prudence, la peur est mise en scène, celle largement diffusée sur les réseaux sociaux, les écrans cathodiques, pour que les règles sociales soient appliquées par tous. La philosophe Catherine Malabou dans le même journal « Libération » publié le 31 octobre 2009 nous rappelle l’essence et l’étymologie du mot peur :

Vient de paraître 

Chroniques d’un monde en pièces

Essai philosophique et théologique sur la pandémie

Auteur Eric LEMAITRE

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Auteur : Eric LEMAITRE 

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Le 11 mai, est-il réellement vécu comme un jour de délivrance, des millions d’entre nous reprenons le chemin du travail, enfin presque, je ferais exception, je prends quant à moi le chemin de la retraite, mais pas de bérézina en vue ni de fuite, la vie sociale m’attend dorénavant sur d’autres engagements.  Pourtant pour bon nombre d’entre nous, le déconfinement est entaché d’inquiétudes, de nouveaux clusters sont annoncés ici et là en France comme en Allemagne. Cité en exemple, l’Allemagne enregistre de nouvelles vagues, relançant ainsi l’épidémie, là où l’on croyait l’avoir vaincu. Décidément la Reine Corona n’a nullement décidé, quant à elle de battre en retraite, de prendre la poudre d’escampette effrayée par je ne sais quel traitement ou thérapie miraculeuse. Cette pandémie, une nouvelle fois m’interroge, et illustre bien une forme d’impuissance de l’homme face à ce minuscule virus, équipé d’une arme biologique capable d’atomiser le monde humain. Face au péril viral, en quelques semaines, et quelques soient les convictions qui nous animent, la philosophie qui nous habite, nous avons tous accepté sans exception ou presque, l’idée de renoncer à notre liberté. L’incertitude résultant de la contamination a gagné les esprits, il fallait rester confiné, consentant à mettre notre existence entre parenthèses pour sauver d’autres vies et sans aucun doute la nôtre. Les cas de covid qui nous sont rapportés y compris dans notre proche entourage sont plus nombreux, en tout cas dans la région Est et en région parisienne. Une forme de peur paralysante, elle-même contagieuse s’est étendue auprès de tous, le doigt sur la couture, nous avons obtempéré, accepté sans broncher, les règles de distanciation sociale, sinon gare à nos poumons. La Reine Corona impose ses lois, ses nouvelles règles et dont nous apprenons finalement que ces dernières étaient aussi appliquées dans les temps les plus lointains de notre humanité comme l’enseigne le livre du lévitique un des livres qui forme le Pentateuque.

La Reine Corona participe-t-elle à un changement civilisationnel, accélère-t-elle une mutation radicale de notre vie sociale. Cela ne fait pas de doute, le covid19 érigé en ennemi intérieur, n’est pas seulement une crise sanitaire, il n’est que la préfiguration de crises plus profondes, sous-jacentes, le covid19 est l’un des symptômes prédictifs d’une transformation radicale de notre monde, d’une nouvelle mutation sociale. Nous refusons sans doute d’en prendre conscience, mais le Covid19 est une revanche de la nature contre la tyrannie humaine qui en industrialisant le vivant, en réifiant la vie biologique et en chosifiant la vie humaine est finalement en passe de terrasser la civilisation humaine en lui susurrant que rien ne saurait lui résister, pas même nos idéologies, ce fléau comme l’écrivait une amie[1], c’est un messager.

Pourtant il y a un mécanisme qui est inquiétant, bien plus redoutable que la dangerosité du virus, bien au-delà de la pandémie, ce mécanisme terrifiant qui constitue en soi une menace est celle de la peur. Mais une peur qui conditionne les mentalités, qui persuade notre affect, instrumentalise la crainte. Une peur exploitée par les autorités, et utilisée dans certains états, à des fins machiavéliques pour conduire notre monde à une forme d’obéissance servile, autoritaire et en effet une distanciation, une désincarnation de notre relation aux autres. Cette peur enveloppe la société et forme une nouvelle contagion de méfiance se répandant à tous les échelons de la vie sociale. La société toute entière semble gangrénée par la peur de la rencontre, hier nos civilisations étaient terrorisées par les risques naturels, plus récemment par le terrorisme. La peur semble avoir fait son terreau dans la civilisation comme le titrait le journal « Libération[2] », « la peur est même le moyen de faire obéir les hommes ». La peur instrumentalisée est celle que l’on montre en image, pour renforcer les discours de la prudence, la peur est mise en scène, celle largement diffusée sur les réseaux sociaux, les écrans cathodiques, pour que les règles sociales soient appliquées par tous. La philosophe Catherine Malabou dans le même journal « Libération » publié le 31 octobre 2009 nous rappelle l’essence et l’étymologie du mot peur :

« La peur a des synonymes troublants dans leur proximité. Par exemple, tremor (qui a donné trembler), est une forme de peur pour les Latins. Tremor signifie au départ le frisson, le vacillement, (tremor ignis : le vacillement de la flamme), puis le déséquilibre, qu’on retrouve dans « tremblement de terre ». C’est à la fois ce qui tremble et fait trembler. Terror, mot masculin employé comme synonyme de panique, désignait un mouvement collectif : on parle de terror in exercitu, la panique qui s’est emparée de l’armée (panique, de pan, le tout, ou peut-être dieu Pan, qui effrayait par son aspect et sa musique). Mais la peur, c’est pavor. Or pavere veut effectivement dire « être frappé d’épouvante ». Avoir peur, cette fois, n’est plus trembler, mais « être frappé ». Il apparaît que pavor provient de la même racine que pavire, qui signifie « battre la terre pour l’aplanir », et du verbe paver, « niveler la terre ». L’émotion pénible que l’on ressent à la vue d’un danger nous frappe, nous aplatit, nous nivelle, nous rend sans différence, sans singularité ».

L’extrait de cette citation reprise du journal Libération nous montre finalement la force du propos, « L’émotion pénible que l’on ressent à la vue d’un danger nous frappe, nous aplatit, nous nivelle, nous rend sans différence, sans singularité ». Cette peur nous a finalement conduits à ce monde en pièces, à ce monde dérelié comme je l’ai déjà écrit dans une autre chronique. Nous nous sommes détachés des autres, cette peur non seulement, nous a aplatis, mais a également su endommager et sans doute effacer les singularités d’une vie vécue en communauté, en société. La vie en société souligne en fin de compte la singularité, la dimension relationnelle qui incarne ce qui définit en soi la vie. Avec cette crise sanitaire, nous avons formé en fin de compte, une société d’hommes et de femmes désolés, une société plus éparse, plus éclatée même si nous avons cru nous inventer en sortant de nos balcons. En interpelant et en hélant les voisins, nous avons eu le sentiment de tisser de nouveaux maillages, être les auteurs d’une nouvelle conception de la vie sociale, de nouvelles interactions, mais hélas construite trop souvent virtuellement. J’espère cependant me tromper et que les lendemains du déconfinement entraineront des regards qui se croiseront et éteindront les indifférences sociales. Mais hélas, l’être humain est souvent le sujet d’une mémoire qui se délite, oublie les enseignements du passé, perd le souvenir des communions collectives et le « Je suis Charlie » en est une illustration manifeste, flagrante d’une perte de sens où nous admirions hier les policiers, et où nous les invectivons aujourd’hui.

Pour revenir à ce monde anxiogène, la peur a pris subrepticement le visage de l’État paternaliste qui catalyse les angoisses de la nation. L’État tout puissant, ce « léviathan », entend rassurer, prodiguer ses règles en nous infantilisant parfois, qui au lieu de nous responsabiliser, a choisi le plus souvent de nous gendarmer, prétextant l’incorrigible nature du latin qui embrasse si facilement la fête.  Avec la peur du virus, notre relation à l’autre est en passe de s’effondrer, de s’étioler, l’existence est reléguée dans un monde où elle n’est plus chez elle, renvoyé à l’écosystème d’un appartement parfois étriqué où il faut supporter la solitude ou la mésentente, les disputes avec le congénère lui aussi calfeutré. Mais pour revenir à l’inquiétude exposée précédemment, c’est bien la culture de la peur entretenue par l’État qui revêt sournoisement le changement de civilisation qui se prépare. Nous n’ignorons pas depuis Hobbes que gouverner c’est gouverner par la peur, le fondement naturel du Droit et de l’État réside dans la capacité à cultiver la peur et à instaurer les conditions d’une gouvernance salutaire pour tous. Or tous les « Léviathan », naissent de la peur conditionnée par l’état. L’État Léviathan sait ainsi jouer de cette métaphysique éternelle que constitue la peur de l’autre (la peur d’être menacée, qu’autrui nous ôte la vie, que l’étranger vienne nous envahir et que sais-je …). Le philosophe Hobbes nous projette cette figure mythique monstrueusement humaine, cette figure paternaliste enveloppante « le Léviathan », dans laquelle les hommes se représentent, afin de conjurer le sort, la menace qui pèse sur les existences. Il faut ainsi compter sur l’état protecteur, l’état directeur pour endiguer le mal et assurer la protection, l’assistance et la défense de tous.

Or dans ces contextes de peur, la reine CORONA est devenue obsessionnellement le problème qu’il faut absolument fustiger, occultant bizarrement toutes les autres formes d’urgence [Le climat, la mondialisation, l’écart de richesses entre les nations africaines et le monde occidental, la technicisation outrancière du monde et ses dévastations sur le plan de la vie sociale …]. Comme dans un effet panoramique, le COVID19 est devenu la cause, l’origine des problèmes et non l’un de ses effets. Pour traiter un problème, il faut donc communiquer sur le problème, il nous faut donc communiquer sur le COVID19, CQFD. De facto nous prenons alors tous conscience de l’argument péremptoire et artificiel de ce postulat, de sa dimension irrationnelle.

Avec la répétitivité des messages médiatisés à longueur de journée, nous entrons littéralement dans une société paranoïaque qui entre de plain-pied sur le marché de la peur, la civilisation toute entière sera conduite par la peur. Avec cette civilisation moribonde, guidée par l’anxiété, nous avons au moins l’assurance qu’elle ne manquera jamais d’inventivité et de créativité. Grâce aux ressources inventives qui caractérisent l’espèce humaine, nous aurons bientôt toutes les solutions marchandes garantissant notre sauvegarde, tous les applicatifs tangibles et virtuels pour veiller sur notre existence fragile. Mais rechercher nonobstant, le vain secours dans les moyens sanitaires, rendre les recherches thérapeutiques du traitement contre le COVID ; comme les seules réponses possibles aux maux actuels de notre société, est en soi une forme de manipulation. En retardant l’examen des causes et en nous intéressant qu’au seul traitement des effets, nous ne faisons que retarder un problème plus grave encore. Si l’on ne prend pas en compte toutes les variables et les éléments contextuels de la maladie pour les traiter, nous serons acculés à considérer que nous avons affaire à une bombe à retardement et dont la puissance pourrait non pas nous mettre à nouveau en pièces, mais bien de nous mettre en miettes.

Admettons que nous trouvions le traitement miracle, sommes-nous assurés que nous aurons mis fin à de nouveaux risques pandémiques ? Sommes-nous assurés que tout cela relèvera d’un mauvais souvenir faisant écho à un souci éphémère ? Les remèdes si puissants soient-ils n’atténuent pas d’autres risques, d’autres pandémies, d’autres maux. La peur ne deviendrait-elle pas le remède finalement, le remède pour réprimer le désordre social, le remède pour étouffer les autres crises, le prétexte pour faire avancer au sein de la société de nouvelles idéologies qui auraient été hier jugées proprement scandaleuses. Nous avons également noté dans les nouveaux champs lexicaux, l’usage et l’emploi du mot guerre, j’avais déjà appréhendé ce terme dans une précédente chronique, si certes nous n’avons pas et heureusement de ministère de la guerre, celui de la santé, s’est transformé en revanche en ministère de guerre sanitaire, l’affrontement de toute une communauté contre une bactérie virulente. Depuis l’avènement de Corona et de ses légions de virus, nous sommes finalement entrés dans un état d’exception : l’état d’urgence. Notre pays est entré en état de sécurisation, il faut sécuriser le pays. Il nous faut neutraliser, éliminer Corona et ne pas lui permettre de s’immiscer dans nos rassemblements, il nous faut donc interdire les rencontres, proscrire les rencontres, maintenir les distanciations sociales. Peu à peu l’état se convertit en étau social, il faut enserrer la vie sociale et ne pas lâcher prise au risque d’une perpétuation de la pandémie. Le monde est chaos, comme le patient hébété par l’annonce d’une grave maladie, il leur faut survivre, et ils sont prêts à accepter les traitements les plus pénibles et même si besoin renoncer à la liberté, pourvu que nous respirions enfin… Nous assistons à l’émergence de cette culture de la vie anxiogène, à cette promotion de la peur qui nous fait perdre la raison, nous tentons d’expurger cette peur via ces médiateurs qui montent au front, en première ligne.  À travers eux, nous nous inventons de nouveaux héros, nous qui sommes entrés en repli, dans le désengagement de la vie sociale, encouragé par les médias, les politiques et sans doute, ce n’est pas sans raisons, mais faut-il continuer à avoir peur et à nous laisser manipuler par la peur ? Cette peur qui conduit le monde à céder à un Léviathan qui prétendra nous rassurer, mais pour mieux nous contrôler et réguler toute notre vie sociale.

[1] Françoise Blériot, déjà citée dans une précédente chronique

[2] https://www.liberation.fr/societe/2009/10/31/la-peur-un-moyen-de-faire-obeir-les-hommes_591003

L’étau

En écrivant cette nouvelle chronique, je ne songeais pas a priori à ce film d’Alfred Hitchcock quoique ce dernier nous conduise dans sa filmographie à des scènes bien souvent pétrifiantes, à un univers glaçant, angoissant comme pour envelopper la passivité de nos esprits. Se pourrait-il d’ailleurs que notre monde soit comme médusé et que la scène qui se joue ne soit pas loin d’une forme de suspense. La scénographie de ce grand cinéaste n’est pas également sans nous rappeler d’autres synopsis d’épouvante qu’il a su nous brosser. Sans doute, le maitre du suspense comme beaucoup l’ont qualifié, se serait-il lui-même inspiré du vécu actuel des habitants de ce monde. D’ailleurs la scène de ces oiseaux effrayants pourrait bien servir de métaphore, de parabole pour notre monde notamment lorsque des nuées d’oiseaux emplissent les cieux et fondent sur « Bodega Bay », une calamité à laquelle les habitants ne s’attendaient nullement.

Auteur : Eric LEMAITRE

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En écrivant cette nouvelle chronique, je ne songeais pas a priori à ce film d’Alfred Hitchcock quoique ce dernier nous conduise dans sa filmographie à des scènes bien souvent pétrifiantes, à un univers glaçant, angoissant comme pour envelopper la passivité de nos esprits. Se pourrait-il d’ailleurs que notre monde soit comme médusé et que la scène qui se joue ne soit pas loin d’une forme de suspense. La scénographie de ce grand cinéaste n’est pas également sans nous rappeler d’autres synopsis d’épouvante qu’il a su nous brosser. Sans doute, le maitre du suspense comme beaucoup l’ont qualifié, se serait-il lui-même inspiré du vécu actuel des habitants de ce monde. D’ailleurs la scène de ces oiseaux effrayants pourrait bien servir de métaphore, de parabole pour notre monde notamment lorsque des nuées d’oiseaux emplissent les cieux et fondent sur « Bodega Bay », une calamité à laquelle les habitants ne s’attendaient nullement.

La scène des « oiseaux », ce thriller marquera sans doute et à jamais ma jeunesse, nous invitant nous-mêmes, à trouver un hypothétique refuge ; coûte que coûte contre ces infâmes envahisseurs que sont ces angoissants volatiles qui terrorisent les humains abasourdis, effrayés et suffoqués par la peur soudaine d’un ennemi tellement imprévisible.

Dans cette scène des oiseaux, les volatiles firent soudainement irruption par le toit, mais aussi la cheminée, envahissant la maisonnée, franchissant tous les barrages, pareils à des postillons, tels des messagers s’invitant dans le quotidien de tous les humains. Oui Corona à l’image de ces oiseaux hitchcockiens, chevauche bel et bien le postillon. La Reine virale semblable au cocher, invite le messager postillon à conduire son attelage et vient de façon intrusive se mêler à notre quotidien sans nous prévenir, comme cette volée de moineaux qui surgit de l’âtre dans cette fameuse scène produite par Hitchcock. Alors que tout en apparence, semble avoir été fait, pour se barricader, se protéger, les volatiles obstinés trouvent finalement la faille. Ces oiseaux terrifiants sèment l’effroi, se jouent de nos frontières, de nos murs calfeutrés et franchissent le seuil de notre logis, s’y introduisent comme pour vampiriser l’intime de l’intime. Mais au-delà de cette scène d’épouvante rapportée par Alfred Hitchcock, mon propos n’est pas ici de m’attarder seulement sur le célèbre cinéaste, mais de revenir également à un élément plus prosaïque et qui nous ramène à un quotidien celui de l’établi, du bricoleur. Alors nous allons nous éloigner un instant des oiseaux hitchcockiens et entrer dans le monde de la mécanique, celui de l’étau. Mais vous l’avez sans doute compris, j’aime les métaphores et la liberté de l’écrivain est d’en jouer pour interpeler les consciences, d’y revenir et de les mêler pour mieux frapper l’esprit et nous conduire à comprendre les enjeux d’une pièce qui se joue sous nos yeux, celui d’un monde en mutation, monde frappé par cette fameuse bestiole et qui vient comme le grain de sable fracasser la vanité et la marche progressiste de ce monde, celle qui est en faveur d’un progrès technologique sans limites. Mais revenons si vous voulez bien à l’étau !

Mon propos est ici d’évoquer cette forme allégorique de mise en position que revêt cet outil mécanique : l’étau, un étau social se dessine en effet peu à peu dans notre monde, subrepticement. Efforçons-nous d’en comprendre à la fois les enjeux et la portée. Au fil de mes précédentes chroniques, cette dimension de l’étau a été abordée, je l’avais déjà exposé dans mon précédent essai, la mécanisation de la conscience[1], l’étau agit comme une forme de resserrement social, nous privant de toute liberté de mouvement. Le confinement social, totalement compréhensible a cependant agi comme une sorte d’emprisonnement, vécue par beaucoup comme confortable, mais très vite l’instinct de vie collective, l’instinct grégaire a repris le dessus. Nous avons probablement vu en effet ces dizaines de jeunes gens vivant à Paris, envahir les bords du canal Saint-Martin. Pas de quoi finalement fouetter un chat, nous dira le cocher de la Reine Corona. Pourtant les forces de l’ordre sont intervenues pour mettre un terme aux attroupements de « cette volée de moineaux ». Il fallait serrer les vis, serrer l’étau afin de rappeler le danger que représentent les cas asymptomatiques dans la propagation du virus. Ce maintien de l’ordre est ce rôle finalement joué par l’étau, il faut ainsi selon une vision paternaliste, maintenir une forme de cohésion, de contrôle quasi mécanique d’un mouvement qui n’a pas toute sa stabilité et qui pourrait de facto mettre en péril le fragile équilibre qui contient le virus.

Pour ceux qui chez eux, possèdent un établi et sont en effet des bricoleurs patentés, le mot étau fait sens, il fait en effet écho à un mécanisme d’enserrement, de maintien des pièces que l’on entend travailler. L’étau est formé d’une mâchoire mobile et qui par un mécanisme de pression, finit par ceinturer la pièce, en y exerçant le contrôle nécessaire pour y effectuer les tâches destinées à transformer l’élément en quelque sorte séquestré. Comment alors ne pas songer étrangement à cette forme d’étau social qui s’organise au fil de l’eau, alors que nos esprits tétanisés ne sont pas en aptitude à réagir ou alors inversement comme ces jeunes gens flânant ou stationnant le long du canal Saint-Martin, décidèrent de transgresser toutes les précautions d’usage, défiant le risque, s’en moquant éperdument, « seuls les vieux sont terrassés, les jeunes eux survivront ».

Pourtant et nous en conviendrons, n’exagérons cependant pas ce mouvement coercitif d’enserrement social associé à ce confinement totalement légitime ! Si certes nos libertés ont été comme suspendues, il ne s’agissait pas pour autant de les remettre en question, nous l’espérons tout du moins et il ne s’agit pas d’interdire à ces jeunes de se rassembler, mais bien de prévenir tout mouvement, de contagion soudaine, embarquée par la folle chevauchée de Corona.

Dans des contextes de crise pandémique, je comprends la nécessité d’un contrôle social a minima, qui consiste à responsabiliser chacun et à conformer les uns et les autres à l’évitement de toute contagion mettant sa famille, son entourage, son voisin en péril ou toute personne croisée en chemin. Consubstantiellement le contrôle social a vocation à contenir les velléités d’indépendances, à maintenir la cohésion, à favoriser une certaine harmonie sociale en permettant par l’acceptation des règles imposées de vivre ensemble de façon sécurisée. Alors, pourquoi dans ce cas, parler d’étau social, alors qu’il n’y a pas de péril concernant nos libertés ?  En parler c’est nécessairement revenir quelques pages en arrière où j’abordais cette notion d’habituation à l’acceptation d’une diminution graduelle de nos libertés. Le contrôle social qui résultait des seules mesures sanitaires prises, que nous le voulions ou non, fut bel et bien coercitif, contraignant, mais aussi paradoxalement compréhensible. Une forme d’étau social s’est donc bien exercée à l’échelle de toute une vie sociale, non seulement à l’échelle de notre pays, mais également à celle de toute notre planète. Et pourtant, « Ce qui devrait faire peur ne fait pas peur [2]» nous avons peur des oiseaux hitchcockiens, nous avons peur de Corona nous en sommes effrayés mais hélas, nous ne semblons pas être effrayés par l’étau social, pourtant, elle est bien la sœur cadette de Corona. Nous ne semblons pas éprouver la moindre crainte face à une autre forme d’ennemi plus insidieux, plus sournois, qui certes ne veut pas attenter à notre vie biologique, ou tout du moins en apparence, car cet ennemi lui constitue l’ennemi de notre vie intérieure, l’ennemi de notre liberté.

L’étau social qui est le pendant du confinement rendu obligatoire s’en est en effet pris irrémédiablement à la dimension relationnelle, à évacuer la rencontre avec les autres. La collectivité en un instant s’est dissoute, l’impersonnel a surgi gommant les relations et les interactions entre les personnes, le confinement renvoyant à nos statuettes[3] faussement interactives et nous mutant en formes de domestiques obéissants. Ces statuettes numériques qui agissent comme des étaux nous enserrant dans le monde de la vie numérique, le monde de l’écran total. Je ne jetterai pas pour ma part, la pierre à ces jeunes gens qui ont refait société comprenant la nécessité de se voir, de se rencontrer même s’il est encore aujourd’hui aventureux de sortir à l’extérieur quand la Reine Corona s’y trouve. Mais le geste jugé désinvolte est au fond un vrai bol d’air d’une société qui sort enfin du réseautage virtuel, du télétravail, de nos univers cathodiques, qui est finalement le nid de ces oiseaux hitchcockiens, ces univers numériques qui finissent par mécaniser l’esprit, par régimenter la vie intérieure, la quête de l’autre, la rencontre avec son semblable. L’étau social ne se réduit pas aux seules mesures d’un état d’urgence, mais l’étau qui se renferme sur nous, comprend ce monde numérique qui referme la porte sur nous même, au point que nous pourrions craindre de prendre l’air, ces jeunes gens certes imprudents, nous renvoient cependant un signe sain, celui d’incarner l’existence vivante auprès des autres, nos semblables.

Au-delà de cette anecdote relatant un épisode finalement de vie sociale saine même si elle reste imprudente pour d’autres, depuis les nombreux attentats terroristes qui ont semé la mort, des graves troubles sociaux, la demande de sécurité dans le monde occidental, s’est intensifiée exigeant davantage de contrôle, ce qui s’est traduit sans coup férir par des réajustements de notre liberté en défaveur du droit absolu à la protection de sa vie privée. La volonté de sécuriser s’est en effet largement accrue dans tous les milieux de la démocratie, au sein des nations démocratiques qui prônent malgré cela la liberté comme une vertu cardinale non négociable. Au fil de l’eau, législation après législation, c’est cependant le dogme de la liberté inscrit sur les frontons de nos institutions qui se délite gravement, que l’on rogne sans vergogne. Les exigences, les demandes sociales comme politiques, incitent les gouvernements à épaissir finalement l’efficience de l’étau social. Lorsque le monde est confronté à de graves crises climatiques, économiques, sanitaires et aujourd’hui épidémiologiques, se déploient alors des mesures draconiennes qui entament les libertés. Et avec ces mesures législatives, subrepticement naissent les technologies qui les accompagnent, ces technologies se mettent au service de la loi, deviennent les serviteurs des législateurs.

La chine dans ces contextes d’étau social, figure parmi toutes les nations du monde, celle qui offre la forme la plus aboutie en matière de sécurité coercitive. C’est la nation bureaucrate, qui a mis en place les dispositifs les plus avancés en matière d’organisation sociale, de prévention, de sécurisation, de filtrage et de surveillance. L’étau chinois constitue le degré d’enserrement le plus élevé qu’aucun état démocratique ne saurait à ce jour supporter. Les dispositifs de fichage, de contrôle du WEB, de vidéosurveillance se déploient et se renforcent, notamment sur les dispositifs s’apparentant au fichage, au pistage et traçage des citoyens. En dehors des aspects purement viraux, les traçages et les maillages électroniques d’individus ou de minorités sociales chrétiennes ou musulmanes sont constamment épiés en chine, les pratiques de biométrie, géolocalisation, de drones, d’usages d’internet sont à leur paroxysme avec affichage des citoyens déviants, publication des visages des citoyens sortant des clous. La métaphore hitchcockienne prend alors tout son sens, celle de cette nuée d’oiseaux effrayants qui s’abat sur la cité jusqu’à pénétrer dans le foyer. Un reportage publié par la chaine franco-allemande Arte, mettait en évidence les usages des QR Code[4] parmi l’arsenal des moyens intrusifs déployés par la chine pour mettre au pas sa population. Bien que l’état français ait indiqué, qu’aucune information ne saurait être collectée via l’usage du QR Code, il est manifeste, que l’usage du QR code par le plus grand nombre conduit à une forme d’habituation des usages du monde numérique qui tôt ou tard fera pleinement partie de notre quotidien et d’une mise en contrôle des populations. A ces contextes numériques, il convient d’ajouter qu’une équipe de chercheurs britanniques de l’université d’Oxford[5], chercheurs multidisciplinaires dans les domaines aussi divers que l’épidémiologie, la virologie, les modélisations statistiques ont imaginé et commencé le développement d’une application qui, installée sur un smartphone, géolocalise en permanence son propriétaire, l’avertit au cas où ce dernier aurait croisé une personne infectée par le covid19. La réflexion d’un applicatif tel que celui imaginé par ces universitaires, a été mis en débat en France et en fonction de la dimension que prendra la pandémie, il n’est pas contestable d’imaginer qu’un tel dispositif fera l’objet de pressions pour qu’il soit en route pour faciliter le contrôle et de façon plus contraignante.

Certains de mes lecteurs riposteront en targuant que cela n’est pas près d’advenir en Europe. Et bien c’est là où nous devrions être les plus méfiants, car l’étau numérique se resserre au sein de toutes les nations et la crise pandémique peut être un formidable coup de boutoir à l’accélération d’un déploiement d’un système de fichage généralisé à l’échelle de toute une nation. La pandémie est un vecteur déterminant de demande de sécurisation. Il ne fait aucun doute que des pressions sociales naitront de ce besoin de sécurité, et ce besoin de sécurité fera émerger une panoplie d’outils et d’étaux numériques, de type vidéo surveillance, applicatifs de biométrie, d’applicatifs covid19 pour numériser, ficher identifier et tracer les parcours. Nous relevons en France, mais sans doute en Europe les balbutiements d’une économie de contrôle des citoyens. La ville de Nice est ainsi la municipalité la plus surveillée de France avec bientôt plus de mille caméras de vidéosurveillance installées dans l’ensemble des quartiers de la ville, et plusieurs agents municipaux sont affectés à ce vaste système de surveillance numérisée de la ville. Mais d’autres villes en France ont emboité le pas. Avec un réseau de centaines de caméras, la station de métro Châtelet est l’une des mieux surveillées d’Île-de-France, la station de métro est équipée de caméras dites intelligentes qui permettent de détecter des situations anormales. Mais pires que l’installation de ces caméras, nous verrons sans aucun doute des demandes pressantes pour l’installation de vidéos surveillances permettant, si la pandémie devait se prolonger, de détecter la température corporelle des personnes en temps réel.  Il s’agira alors via les nouvelles brigades sanitaires, d’identifier les individus fiévreux puis de décider de leur mise en quarantaine.

Avec la crise pandémique que nous traversons, les thématiques de détections, de fichage, de traçages, numériques resteront extrêmement présentes, et ces thématiques ne sont finalement pas prêtes de disparaitre, laissant de plus en plus place à de nouvelles problématiques qui toucheront à la surveillance planétairevia les nouvelles techniques et applicatifs issus des développements de « l’Intelligence Artificielle ». Après toutes les démarches conduites pour prévenir les attaques terroristes, de nouvelles traques s’organisent pour analyser en continu la circulation du virus dans le monde et les déplacements de personnes infectées dans les espaces publics semblent à terme devenir incontournables pour de nombreux états. Il est manifeste alors que l’étau se resserre anticipant les crises sociales à venir afin de prévenir les « jacqueries[6] », les autres peurs qui adviendront et qui conduiront à des logiques de durcissement des politiques sécuritaires.

[1] Essai philosophique et théologique publié le 31 décembre 2019 édité par Librinova.

[2] 1 Bernard Sève, « Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité » in Esprit, octobre 1990, p. 109.

[3] Statuette est ici une métaphore pour évoque le monde de l’écran total, l’univers cathodique qui nous enserre.

[4] Reportage sur ARTE diffusé en Avril 2020 : https://www.arte.tv/fr/videos/083310-000-A/tous-surveilles-7-milliards-de-suspects/

[5] L’applicatif imaginée permettra de détecter les personnes éventuellement infectées et si elles avaient été préalablement diagnostiquées positif au SARS-CoV-2, l’application avertirait immédiatement tous les propriétaires de l’application qui ont été en contact rapproché avec lui. Selon leur degré de proximité, l’application leur ordonnera de se mettre en confinement total ou simplement de maintenir une distance de sécurité avec les gens qu’ils rencontrent. Elle peut aussi donner des indications aux autorités pour qu’elles puissent désinfecter les lieux où la personne contaminée s’est rendue. Voir l’article du monde :https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/03/20/contre-la-pandemie-de-nombreux-pays-misent-sur-la-surveillance-permise-par-le-big-data_6033851_4408996.html

[6] Les jacqueries étaient un mouvement social perpétré par les paysans les plus aisés après la grande peste noire pour protester contre les seigneurs en quête de main d’œuvre peu après que les chevaliers français étaient écrasés par les anglais. Ces seigneurs cherchaient à extorquer ces paysans révoltés de nouvelles taxes.

L’enfermement

Nous sommes aujourd’hui le 8 mai 2020, nous célébrons sans tambours ni trompettes, les 75 années de la fin de la guerre contre l’Allemagne Nazie, mais nous n’avons pas fini notre guerre contre la Reine Corona, une bataille engagée depuis bientôt plus de trois mois. Le 16 mars 2020, le président de la République Emmanuel Macron, embrasse toute une dimension « gaullienne », une rhétorique avec laquelle, il martèlera à plusieurs reprises, « nous sommes en guerre ». Il enjoint l’enrôlement général de tous, afin de se mobiliser contre une bestiole redoutable, capable de dupliquer son venin mortel, de cloner des milliards et des milliards de fois l’ogive létale. Le mot « guerre », apostrophé comme une anaphore, utilisé par le président de la République a fait verser beaucoup d’encre, a fait sourire plus d’une personne, puisque ce mot avec une résonance décalée, très amplifié diffère avec la réalité. La guerre connue par nos aînés a été bien plus sanglante, plus effroyable. Les morts de ce terrible affrontement mondial se comptaient par millions et millions.  

 

Auteur Eric LEMAITRE 

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 Nous sommes aujourd’hui le 8 mai 2020, nous célébrons sans tambours ni trompettes, les 75 années de la fin de la guerre contre l’Allemagne Nazie, mais nous n’avons pas fini notre guerre contre la Reine Corona, une bataille engagée depuis bientôt plus de trois mois. Le 16 mars 2020, le président de la République Emmanuel Macron, embrasse toute une dimension « gaullienne », une rhétorique avec laquelle, il martèlera à plusieurs reprises, « nous sommes en guerre ». Il enjoint l’enrôlement général de tous, afin de se mobiliser contre une bestiole redoutable, capable de dupliquer son venin mortel, de cloner des milliards et des milliards de fois l’ogive létale. Le mot « guerre », apostrophé comme une anaphore, utilisé par le président de la République a fait verser beaucoup d’encre, a fait sourire plus d’une personne, puisque ce mot avec une résonance décalée, très amplifié diffère avec la réalité. La guerre connue par nos aînés a été bien plus sanglante, plus effroyable. Les morts de ce terrible affrontement mondial se comptaient par millions et millions.

Il y a 75 ans de cela les ainés de la Grande Guerre, furent en effet confrontés à un ennemi réel, alors que Corona que nous fustigeons, nous inflige sa punition pour nous conduire à une remise en cause quant à notre vaine manière de vivre. Certes cette maladie qui a fait une entrée fulgurante dans le XXIe siècle, est oh combien cruelle, car elle atteint les plus fragiles ; les plus désarmés en termes de protection immunitaire. Cette maladie nous oblige à bien des égards de nous épargner de toute ironie et surtout de comparaisons. Mais mon propos est ici d’analyser le discours anxiogène de l’État qui peut nous conduire à ouvrir une nouvelle boite de pandore et d’autres maux. En faisant usage à plusieurs reprises du mot Guerre, je ne peux m’empêcher et oui c’est bien plus fort que moi de souligner que le président de la République n’imagina nullement, que le plus beau fleuron de la défense nationale allait être mis en échec. Notre marine qui appartient à la cinquième puissance mondiale a été « terrassé » vaincu par cette petite bestiole qui allait contaminer des centaines de marins et de militaires à bord, allait se répandre en contagion auprès de toute une armée et désarçonnait ainsi l’amirauté. Le président ne croyait donc pas si bien dire, en indiquant que nous étions en guerre, mais ne se doutait pas alors que le port avion « Charles de Gaulle » allait illico presto rappliquer à son port.

Dans une logorrhée habituelle, notre président qui entend « chevaucher le tigre »[1], aime caresser les hyperboles pour dramatiser la situation, mais l’excès langagier n’est hélas pas entaché d’effets morbides sur l’ensemble de la société. Plutôt que l’usage très excessif du mot guerre et du langage ultra sécuritaire, Il fallait sans doute utiliser un propos ancré dans la réalité de la pandémie, un propos d’alerte, se limitant aux dimensions factuelles, à l’évaluation des risques. Cet usage abusif du mot guerre laissera des traces dans les esprits. Aujourd’hui je crains qu’une forme de conditionnement, d’apprentissage à la peur se soit distillée, répandu dans nos cerveaux malléables. Cet apprentissage nous l’avions appris avec et après les actes terroristes notamment ces attaques meurtrières de janvier 2015, puis du 13 novembre 2015 en France, qui ont touché notre pays, même si notre pays semblait avoir fait acte de résilience depuis.

Malgré ces réserves exprimées, je crois pourtant et sincèrement que les mesures de confinement ont été bonnes et nécessaires, même si ces mesures révélaient par ailleurs le désastre d’un manque de vigilance, de prévention, d’anticipation et la pesanteur d’une administration jacobine inopérante, mal à l’aise avec cette pandémie à gérer et avec ses conséquences les plus dramatiques pour les plus âgés.

Pour revenir au discours, martial, solennel, la dramaturgie présidentielle a opéré dans tous les esprits les contours d’une sidération collective, une forme de stupeur émotive au sein de l’ensemble de la population générant à la fois une situation stressante et d’hébétude, généré par une réponse émotionnelle liée au discours qui nous a été tenu. Encore une fois, je ne remets pas en cause les mesures prises, car il fallait selon moi les prendre et si elles n’avaient pas été prises, le nombre de décès aurait été certainement bien plus important. Beaucoup d’états auraient certainement et ainsi évité l’enchainement de personnes hospitalisées, s’ils avaient su anticiper les fermetures des frontières, les mises en quarantaine et les dispositifs de confinement immédiatement n’écoutant pas ou n’anticipant pas, pour beaucoup les messages des ambassades basées en Chine, celles des premiers avertissements, messages d’alerte lancés dès le mois de janvier. Pourtant le discours du 16 mars 2020, du Président de la République fondé finalement sur la peur et non la responsabilisation de tout à chacun ; avait une autre caisse de résonance, celle des flux continuels d’informations qui en s’enchainant conditionnait en quelque sorte l’esprit de notre nation, et rendait notre conscience léthargique. L’apathie de notre conscience tétanisée se laissait enserrer par ces notions répétées de communications de risques, de menaces, de dangers impérieux. C’est à renfort de discours relayés par les experts, discours enfilés comme des « perles », effilochés en brume, éteignant nos raisonnements apeurés et sinon éplorés. Nous absorbions leurs mots, sans aucune précaution, aucune distanciation, nous devions les croire, nous n’avions aucune expertise pour contredire, pour contester, nous n’avions ni la formation, ni la connaissance et nous buvions les prescriptions sanitaires sans nécessairement les discuter, les comprendre. Nous fûmes unanimes pour comprendre que la « Reine Corona » est un pathogène dangereux et que nous avions affaire à une crise sanitaire sans pareil. Sur le constat, concernant la seule propriété agressive du virus, il n’y a aucune discussion possible, mais en revanche le traitement et l’administration parfois péremptoire d’une gouvernance toute puissante, allait ensuite laisser un goût de suspicion et chez beaucoup la volonté de discerner le monde que l’on nous prépare.

Le caractère dangereux de « Corona » ne fait ainsi aucun doute. Si nous avons dans notre entourage des amis qui en ont été atteints, nous savons bien après les avoir écoutés, que ce virus n’a rien d’une « gripette ». Je relève ainsi auprès de mon entourage et de tous les discours entendus, une convergence associée aux symptômes vécus et notamment aux effets ressentis qui ne ressemblent en rien à une grippe même virulente. Nous avons affaire à un virus inédit qui peut rapidement conduire à l’épuisement comme à l’essoufflement physique et bien pire qu’une grippe qui nous met parfois chaos. Je l’avais moi-même expérimenté au retour d’un voyage en Italie, il y a quelques années cela, j’étais atteint d’une grande fatigue et une fièvre importante, mais je m’en suis remis après une dizaine de jours sans aucun autre symptôme. Mais les descriptions que m’ont faites ses amis à propos de l’infection du Covid19, me semblaient bien plus douloureuses que le souvenir de cette grippe passagère, beaucoup parmi eux exprimaient comme une forme d’étreinte, de lames qui perçaient le corps.

Mais au-delà du caractère dangereux et incontestable du virus, il y a manifestement quelque chose de bien plus nocif que ce virus, c’est la forme de conditionnement qui s’opère dans nos esprits. Ma propre pensée a encore du mal à s’extraire de cette forme de Chappe, d’enveloppe médiatique, de discours entendu à longueur de journée, puis d’accepter aujourd’hui sans vergogne que nous allons sortir du confinement ; confinement ordonné depuis plusieurs semaines. Après des jours et des jours de champs lexicaux égrenés autour des mots morbidité, co-morbidité, dangerosité, menaces, nous avons désormais un tout autre discours qui nous est tenu autour de ces cartes tricolores « Le rouge, l’orange et le vert ». La population jusqu’à présent tenue en laisse, paralysée dans ses appartements et figée par les causeries médiatiques, est invitée à nouveau à rester dans ses murs, à pratiquer le télétravail et pour les autres a minima à sortir de ses murs.  Les clignotants tricolores des cartes déclinées quotidiennement, visent à nous balancer d’autres sons de cloches plus rassurants. En vert tout va bien, mais en fait, gardez toujours vos distances, restez très prudents.

Il nous faudra apprendre maintenant à vivre avec cette menace pandémique, la redouter, mais ne plus en avoir peur grâce à nos fragiles masques et oui nous apprenons qu’à défaut, c’est quand même mieux que de ne pas en porter, alors le doigt sur la couture du masque, nous obtempérons. Ce que je perçois dans tous ces discours qui sont tenus, où sont convoqués chroniqueurs politiques et spécialistes de tout poil, c’est une forme de paternalisme qui se dessine subrepticement, d’apprivoisement de toute la société. Ramolli par l’effet d’annonce, nous buvons l’autre breuvage, où devrais-je écrire tranquillisant, que l’on veuille bien nous administrer pour nous remettre en selle guidée par la parole médiatique, parole manquant d’humilité surtout chez les chroniqueurs politiques qui s’inventent en nouveaux sachants et discutent d’épidémiologie en sortant leur nouveau chapelet des concepts médicaux appris comme de bons élèves, la veille. Ils causent bien et c’est pour ça qu’ils sont à l’antenne, mais ces nouveaux sages sont aussi devenus les nouveaux fous de notre société encartés par la parole publique et gare à eux s’ils s’écartent de la doxa de la parole publique, la fake news veille sur eux. Il faut tirer les boulets rouges sur le Professeur Raoult et compagnie puisque la parole des experts n’aime guère que l’on discute la pensée admise. Le débat intelligent, contradictoire, bienveillant n’est pas de mise, mais moquer, remettre en cause est permis. Il est ainsi curieux que nos médias n’aient jamais invité, l’anthropologue et expert en santé publique suisse Jean-Dominique Michel sur l’épidémie de Coronavirus, dont le discours nuance le catastrophisme qui plonge la société dans un état de quasi-sidération apocalyptique. Moi-même, je n’ai pas été épargné par cette pensée, mais de cette pandémie, je tiens également un autre message qui est celui de la remise en cause des orientations prises par une société mondialiste et hyper techniciste. Mais pour revenir à Jean-Dominique Michel[2], son propos doit être entendu et notamment celui-ci :

« J’y vois une déliquescence éthique, mais aussi intellectuelle et philosophique de nos civilisations. De ce point de vue, je dirais que le Covid est un révélateur de nos incohérences ; incohérences fatales […] Une fois qu’on a généré un état de panique […], c’est très difficile pour nous de changer une cognition erronée […] On a vu un embrayage s’actionner, allant vers la stérilisation de la pensée et un déni de réalité […] L’exposition massive de la population aux vrais facteurs de risque que sont la malbouffe, la pollution, le stress et la sédentarité […] s’est retrouvée dans le Covid {…] On a laissé la responsabilité de gouverner à une cohorte de mathématiciens-modélisateurs – des geeks – qui passent leur vie devant des ordinateurs à construire des mondes qui n’existent pas […] Les interventions sur le lien social sont plus efficaces que les réponses sanitaires. Et là on a isolé des centaines de milliers de personnes de manière durable »

C’est ce propos tenu par l’anthropologue qui m’interpelle « Les interventions sur le lien social sont plus efficaces que les réponses sanitaires. Et là on a isolé des centaines de milliers de personnes de manière durable ». En effet avec l’avènement du Covid-19 qui a fait son entrée dans le monde nous sommes face à un tsunami terrifiant de désocialisation de la société prolongée par ces vagues répétées liées aux mesures de confinement.  Mais pour sortir, du confinement se met en place un ensemble de réflexions devant conduire au maintien des distanciations et à la régulation de la vie sociale légitimée par la crise sanitaire. Là aussi n’allons-nous pas nous habituer à une forme de conditionnement autoritaire des esprits, une domestication et l’apprentissage de tous, puis en fin de compte à accepter demain la victoire de la Reine Corona, le couronnement de la cité cybernétique, celle d’une gouvernance hyper technicisée au moyen d’algorithmes gérant toutes les activités humaines, les pistant, autorisant ou non nos bons de sorties[3], limitant nos rassemblements et prescrivant de manière autoritaire qui il sera permis de rencontrer.  Vais-je donc pouvoir manger une grillade avec Didier ? Me rendre librement à notre culte sans être suspecté ? Visiter ma famille librement et quand je veux ? En décrétant un état d’urgence Covid19, ne sommes-nous pas là en train d’ouvrir tout simplement la boite de Pandore ?

Cette réflexion peut vous paraitre exagérée, mais je note qu’elle me semble être partagée par de nombreux penseurs, sociologues, théologiens, rarement invités par ailleurs par nos caisses de résonnance cathodique. J’en veux pour preuve, cette longue lettre publiée sur le site de la revue « Terrestres », publié le 20 avril 2020 et signé par un collectif qui dénonce cette vie par procuration totalement désincarnée. Cette lettre fait écho aux derniers livres que j’ai publié « La déconstruction de l’homme » puis « la mécanisation de la conscience », je retrouve là ma propre plaidoirie « la vie connectée ne peut durablement se substituer à la vie vécue, et les succédanés de débats par Internet ne remplaceront jamais la présence en chair et en os ».

L’inquiétude de ce collectif est à nouveau et largement soulignée et pressent l’avènement d’une société digitalisée, technocratique pratiquant la distanciation sociale et la vie soumise à ces artefacts, ces nouveaux applicatifs qui réguleront les activités:

« […], ce que nous sentons très clairement, c’est que la crise sanitaire a des chances importantes de précipiter l’avènement d’un nouveau régime social : un régime basé sur une peur et une séparation, accrues, encore plus inégalitaire et étouffant pour la liberté. Si nous prenons la peine de lancer cet appel, c’est que nous pensons que cela n’est pas joué d’avance et que des possibilités vont se présenter, pour les populations, de l’empêcher. Mais alors que nous, simples citoyens, ressentons violemment la fragilité de nos existences face à la menace du virus et d’un confinement long, l’ordre politique et économique en vigueur semble, lui, à la fois ébranlé et renforcé par la secousse en cours. Il parait en même temps fragile, et très solide sur ses bases les plus « modernes », c’est-à-dire les plus destructrices socialement. ».

Puis la lettre rédigée par le collectif exprime l’état de tétanisation et se moque de ces mondes factices qui se construisent via Zoom, YouTube et ce monde des réseaux sociaux qui prétendent à l’existence de liens qui n’en sont pas, une forme de médiation par défaut, de fenêtre qui donne à voir, mais qui nous masque la réalité et la présence à l’autre. Ainsi les auteurs poursuivent et invectivent ce futur monde que l’on veut nous construire, mais que nos commentateurs se gardent bien de décrire en donnant audience à ceux qui divergent, apportent une parole contradictoire.

« Bien sûr, il n’a pas échappé à grand-monde que la situation présente a permis aux gouvernements de nombreux pays de tétaniser, pour un temps indéterminé, les contestations parfois extrêmement vives dont ils faisaient l’objet depuis plusieurs mois. Mais ce qui est tout aussi frappant, c’est que les mesures de distanciation interpersonnelle et la peur du contact avec l’autre générées par l’épidémie entrent puissamment en résonance avec des tendances lourdes de la société contemporaine. La possibilité que nous soyons en train de basculer vers un nouveau régime social, sans contact humain, ou avec le moins de contacts possible et régulés par la bureaucratie, est notamment décelable dans deux évolutions précipitées par la crise sanitaire : l’aggravation effrayante de l’emprise des Technologies de l’information et de la communication (TIC) sur nos vies ; et son corollaire, les projets de traçage électronique des populations au nom de la nécessité de limiter la contagion du Covid-19. [4]»

[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/07/le-president-evoque-l-apres-confinement-et-appelle-a-enfourcher-le-tigre_6038951_823448.html

[2] Anthropologue et expert en santé publique de nationalité suisse, a travaillé pendant quinze ans en santé mentale et santé publique, enseignant dans divers programmes universitaires et de hautes écoles spécialisées.

[3] Cette réflexion est étayée dans une autre chronique concernant l’applicatif Stop-Covid19

[4] Publié sur le site de la revue Terrestres le 27 avril 2020 https://www.terrestres.org/2020/04/27/ne-laissons-pas-sinstaller-le-monde-sans-contact/

L’égalité

Comme l’écrivait brillamment une amie[1] à propos du covid19, « Le virus est une conséquence de notre état dégradé et, surtout pas une cause comme certains le disent. Un virus c’est un messager, un veilleur, un éboueur. Il faudrait le remercier de nous faire des signaux au lieu de le fustiger ! »

Ce pathogène surgit ainsi dans ce monde tel un messager et sa mission résonne comme un avertissement quasi prophétique, nous oblige à veiller et nous convie à méditer. Le covid19 agit comme un éboueur se chargeant de nous rappeler la salubrité et l’hygiène. Ce virus s’organise comme le révélateur de nos toxicités de nos addictions de nos dépendances, il nous rappelle les fondements mêmes de l’écologie en nous montrant notre ingratitude face à la biodiversité. Enfin cette contagion pandémique démontre l’impuissance de notre gouvernance, nos appareils technocratiques et notre bureaucratie, en peine à agir avec efficacité pour endiguer le mal.

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Auteur 

Eric LEMAITRE 

Comme l’écrivait brillamment une amie[1] à propos du covid19, « Le virus est une conséquence de notre état dégradé et, surtout pas une cause comme certains le disent. Un virus c’est un messager, un veilleur, un éboueur. Il faudrait le remercier de nous faire des signaux au lieu de le fustiger ! »

Ce germe pathogène surgit ainsi dans le monde tel un messager et sa mission résonne comme un avertissement quasi prophétique, nous oblige à veiller et nous convie à méditer. Le covid19 agit comme un éboueur se chargeant de nous rappeler la salubrité et l’hygiène. Ce virus s’organise comme le révélateur de nos toxicités de nos addictions de nos dépendances, il nous rappelle les fondements mêmes de l’écologie en nous montrant notre ingratitude face à la biodiversité. Enfin cette contagion pandémique démontre l’impuissance de notre gouvernance, nos appareils technocratiques et notre bureaucratie, en peine à agir avec efficacité pour endiguer le mal.

C’est ce contexte de bureaucratie qui me poussa à méditer la réflexion de l’anthropologue Philippe d’Iribarne[2] publié par le site Presslib[3]. Ce texte sobre est d’une très grande acuité, rétablit notamment une dimension oubliée par la bureaucratie jacobine, comme celle de la diversité humaine qui est un élément crucial de ce que nous vivons. De l’examen attentif de ce texte j’ai également relevé ce point très sage, concernant les lectures de l’égalité sociale qui peuvent hélas, conduire à des mesures inadaptées selon les territoires. Comme le rappelle fort bien l’auteur, aucun territoire ne semble avoir été traité en soi de la même manière par l’épidémie du coronavirus. Pour Philippe d’Iribarne « La conception de l’égalité qui fait référence dans le monde anglo-saxon est avant tout l’égalité des citoyens devant la loi », l’auteur rappelle également que « Dans le monde germanique, c’est une égalité de voix au chapitre dans les orientations prises par une communauté. En France, c’est d’abord une égalité sociale »[4]. L’analyse de Philippe d’Iribarne est pertinente et tend à montrer également que les options politiques peuvent être [parfois ou finalement] inadaptées aux réalités sanitaires qui résultant d’une inégalité liée à la diffusion même de la pandémie. La pandémie ne nous a-t-elle pas prouvé toutes les failles de l’état jacobin, bureaucrate et centralisateur, une administration en peine à agir et à réaliser que le virus n’a pas nécessairement de conséquences homogènes à l’échelle d’un pays.  La vision jacobine révèle ainsi son incompétence, son inaptitude, à tous les échelons géographiques et à tous les domaines de la vie sociale et le Premier ministre dans une récente allocution devant l’assemblée nationale a dû en convenir, confesser l’impuissance de l’état. L’impuissance jacobine est ainsi largement mise en relief avec la fameuse gestion des masques, dont on découvre aujourd’hui que la grande distribution a su s’organiser et faire face avec une efficacité certaine. Le modèle étatique, bureaucratique qui caractérise l’administration française, est un malade lui-même en souffrance et victime du covid19.

Mais pour revenir aux contextes locaux[5] de la pandémie qui touche à ce jour le quart Nord Est, cette « inégalité » de l’intensité et de l’étendue de l’épidémie tient notamment et pour l’essentiel à des notions de géographies sociales, sociologiques et aux spécificités urbaines qui caractérisent nos territoires. Les brassages en Lozère, région profondément rurale ne sont pas celles des régions métropolitaines et urbaines comme en Île-de-France, Strasbourg, Lyon, ou Lille.  Chaque territoire est différent avec ses particularismes, dues essentiellement aux identités propres et la construction des rapports sociaux, de la densité des populations, des relations sociales au sein des sociétés régionales, de nos sociétés humaines propres à nos territoires [Plus de deux siècles de jacobinismes n’effacent pas les identités des territoires].

Ce jacobinisme qui aimerait tant mettre les mentalités, les esprits et les religions au pas aimerait sans doute avoir à terme un droit de regard sur les rassemblements.  Nonobstant, n’entrons pas demain dans une forme de stigmatisation systématique des fêtes, des rassemblements à caractère séculier ou religieux, cela fait finalement partie du comportement grégaire et relationnel qui caractérise l’être humain.  Il serait redoutable demain de mettre sous cloche les proximités sociales pour favoriser et encourager à l’inverse les distanciations interpersonnelles et nous réfugier sous la cloche d’un monde numérique qui nous rendrait dépendants de ses objets artificiels.

Or le courage en effet, est bien de protéger et de faire les choix circonspects, en adaptant la décision, mais surtout en la déléguant auprès de ceux qui sont en proximité avec les réalités locales, les réalités des territoires administrés. En fonction de la dangerosité de l’épidémie et notamment de la circulation du virus, il conviendra ou non de revenir à une vie sociale normalisée. Je renvoie chaque lecteur à la découverte du livre « Le lévitique », un des livres bibliques qui forme le Pentateuque, la thora pour découvrir l’immense sagesse pour organiser la prudence, la discrétion, touchant à la vie sanitaire, et sociale, l’immunisation collective et l’hygiène. Ce livre très étonnant mêle à la fois les mesures de confinement et les grandes fêtes et notamment la fête des tentes et bien d’autres grandes fêtes comme le Jubilé. À la fois Dieu dans sa sagesse entend protéger les israélites pour éviter la diffusion de l’infection, mais en aucun cas ne décourage les grands rassemblements collectifs si en amont toutes les précautions et les bonnes mesures préventives ont été prises.

Depuis plusieurs jours, je me suis ainsi plongé dans la lecture de ce livre le lévitique ; j’ai noté les consignes de sagesses répétées, déclinées dans les premiers chapitres, notamment toutes ces mesures de mise en quarantaine des israélites infectées par la lèpre, ces mesures sont avant tout des dispositifs de protection, d’immunisation et non des mécanismes sociaux visant à condamner ou à exclure, à rejeter les personnes infectées. Dans ces lois mosaïques, Il s’agit avant tout de protéger et de sauvegarder la vie sociale, les relations interpersonnelles. En conséquence en effet il ne semble pas sage de conduire une systématisation de l’égalité de tous et pour tous les territoires. Uniformiser à l’échelle d’un pays une décision peut inversement avoir pour effet suspect de mettre en camisole l’ensemble de la population. Or la bureaucratie jacobine peut avoir des effets profondément pervers du fait de son éloignement des réalités régionales. Les effets de cette bureaucratie peuvent être sulfureux, quand cette dernière appréhende le monde comme devant être parfaitement homogène, uniforme, identique. Le jacobinisme est une doctrine opposée aux singularités, aux altérités, aux réalités locales, aux libertés naturellement, et ces libertés sont forcément inégalitaires.

L’histoire moderne ne nous a-t-elle pas apprise, que le régime jacobin non seulement fut un régime répressif imposé par les « circonstances de la terreur », mais par essence, un régime politique qui conduit à une nécessaire restriction des libertés, un contrôle social de tous ses sujets, en raison de son essence idéologique fondée sur le traitement égalitariste de tous ses sujets, visant « la restauration morale à l’aune d’une seule religion citoyenne », et l’uniformité, de la société. En deux siècles et avec l’arrivée de la Reine Corona, « Jacobin » le républicain s’incline et invite tous ses sujets à en faire de même, à plier le genou, mais il faut dire que la Reine Corona a de tels arguments et sait utiliser l’affolement pour arriver à ses fins, d’ailleurs je me demande si parfois, elle n’a pas cette « reine corona » utiliser les codes de la « terreur » pour paralyser toute velléité de manifestation, franchement je vous le confesse, je m’interroge.

Nous les juilletistes de 1789, nous étions si fiers, le jacobinisme avait pris valeur de modèle pour toutes les nations, nous avions la meilleure administration du monde, la plus qualifiée et nous étions de facto, en capacité à gérer la crise, à passer le test en quelque sort, à surmonter n’importe quel krach. Or l’état jacobin est en passe d’abdiquer et de renoncer, comprenant que son système ne repose ni sur la sagesse ni sur un ancrage dans les réalités sociologiques.  L’intelligence n’est pas en effet de gérer dans une tour d’ivoire, ni de gérer le monde du côté d’un château, d’une bureaucratie, mais d’apprendre avec humilité, d’organiser avec discernement en faisant appel à l’intelligence collective comme à celle également des collectivités qui ne pratiquent pas la « distanciation[6] » et demeure au plus proche de leurs administrés.

Je pense qu’il importe pour un état très jacobin comme le nôtre de revenir à une dimension de subsidiarité [ce qui semble se faire par ailleurs ; il faut s’en féliciter]. La subsidiarité est en soi, une dimension parfaitement adaptée aux circonstances, aux caractéristiques locales. Il s’agit donc de déconcentrer la gouvernance, de délocaliser la décision. Il s’agit en fin de compte de décentraliser, le pouvoir discrétionnaire d’un état excessivement rationnel, afin que l’on prenne en considération les lectures et les échelles des régions plus ou moins infectées par le virus, en renforçant les mesures ou en les allégeant.

Dans ce contexte, le modèle allemand est souvent cité en exemple, mais la gestion réussie de la politique sanitaire allemande pour endiguer la pandémie, ne tient pas au fédéralisme ou à la régionalisation comme le rappelle Philippe d’Iribarne, en tant que tel, mais à l’ensemble des mécanismes qu’ils comportent dont à nouveau le principe de subsidiarité, incluant une « échelle de décision, d’administration et d’autonomie locale ».  À l’heure où la vie sociale est en crise du fait de la crise épidémique, il serait sans doute temps de remettre à plat la vision de nos institutions, fondées sur cette volonté jacobine de renouveler totalement la société, en aspirant à une unité abstraite d’un peuple, alors que la biodiversité de nos terroirs est profondément diverse et ne subit pas de façon égale les désordres infligés par la pandémie. La vision jacobine en revanche, nous entraine à tort et en toute aberration dans le cours d’événements qui ne s’accordent pas entre cette réalité d’une contagion dangereuse et d’une gestion émotionnelle et anxiogène de l’État.

Cette gestion de la pandémie peut s’avérer tout aussi dangereuse, nous conduire à une forme de mollesse morale, d’atonie des populations et une incapacité à nous responsabiliser par nous-mêmes.  Les idéologies mènent souvent le monde, mais elles ne naissent pas ex nihilo, les idéologies sont nées de crises et puisent leur dynamisme dans les tragédies de l’histoire, la grande peste noire a eu un effet de bascule incontestablement dans les mentalités et l’émergence de la renaissance. L’histoire est sans aucun doute bien plus qu’un enchaînement d’idéologies, quand bien même les idéologies ont contribué à façonner les orientations souvent tragiques, puis ont eu une incidence significative sur la gestion proprement dite de la vie humaine. Qu’en sera-t-il demain, de la gestion de la crise après le coronavirus, quels effets durables cette crise pandémique va avoir sur les mentalités, les esprits, les intelligences ? Que va-t-on construire comme société et quels seront les nouveaux modèles qui vont être déclinés ? Le modèle chinois, le paradigme de l’uniforme va-t-il enfin s’imposer à tous, modèle social fondé sur la surveillance des populations, craignant que certains sortent du rang et n’entrainent les autres … ? Je mesure que la gouvernance actuelle se questionne elle-même pour éviter de tomber dans de tels travers, le pourra-t-elle et jusque quand ?  J’en conviens que de questions, ce sont celles d’un messager, d’un veilleur, d’un éboueur, d’un lambda insignifiant, d’un petit caillou dans la chaussure de l’état Jacobin.

[1] Françoise Blériot : « Le virus est une conséquence de notre état dégradé et, surtout pas une cause comme certains le disent. Un virus c’est un messager, un veilleur, un éboueur. Il faudrait le remercier de nous faire des signaux au lieu de le fustiger ! »

[2] Ingénieur diplômé de l’École polytechnique (promotion 1955), de l’École des mines de Paris (1960) et de l’Institut d’études politiques de Paris (1960), Philippe d’Iribarne est directeur de recherches au CNRS.

[3] https://presselib.com/

[4] Extrait de l’article ; https://presselib.com/philippe-diribarne-originaire-dici-est-un-specialiste-repute-de-la-diversite-des-cultures-et-de-leur-effet-sur-la-vie-politique-et-sociale-il-nous-livre-un-regard-tres-pointu-sur/

[5]  La France

[6] Le terme « distanciation » est utilisé à des fins ironiques