La barbarie moderne

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal.

Texte de Eric LEMAITRE

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal. Ainsi il sera plausible avec l’aval du législateur d’introduire des cellules souches humaines dans un embryon animal. En implantant L’embryon dans l’utérus d’un animal, les chercheurs espèrent ainsi développer des organes humains chez des animaux en vue d’une transplantation dans un corps malade. Ces organes pourraient être, en effet, prélevés pour être à nouveau greffés sur des patients humains malades. Il y invariablement dans l’avancée des progrès scientifiques encouragés par la loi, une coloration très humaniste pour nous faire avaler la pilule puis reléguer les opposants à ces lois mortifères, dans le camp de radicaux malfaisants, empêchant la marche du progrès transhumaniste.  

Notre époque assiste à une forme d’accélération de la déconstruction de l’homme ; le pire est le rapprochement d’une dissolution totale de ces civilisations, civilisations qui fuient vers le consumérisme, le nihilisme, l’eugénisme, le technicisme, ou le fondamentalisme. Il est frappant que dans ces périodes de crise, de relever la propagation de la violence, de l’empilement des maux qui viennent submerger les nations. Ouvrons le journal et c’est l’étalement de l’horreur qui se répand sur la terre. Même l’Europe à ses portes est en proie à des exactions et à des déchirements qui lui font craindre le pire. Dans la nuit du 16 au 17 juillet 2020 à Reims, un quartier Rémois a été confronté à des violences urbaines, à des tirs de mortiers et à une série d’incendies, il n’y a pas eu de blessés, mais on relève comme une forme « d’ensauvagement[3] » généralisée de la société, une jeunesse qui transgresse tous les interdits et ne se prive pas de braver les lois, d’enfreindre la tranquillité des quartiers. Dans le même département et quelques jours plus tôt précédant les événements vécus à Reims, la ville de Saint-Dizier était également en proie à des tensions urbaines. L’année 2020 est ainsi traversée par des épisodes de brutalités, d’exactions parfois communautaires comme nous si nous vivions à une forme de dérèglement de la planète impactant toutes les dimensions sociales, comme climatiques ou sanitaires. Le monde en délogeant le Dieu du ciel et toutes ses lois a finalement engendré le lit de la « barbarie » en abandonnant les valeurs prétendues civilisationnelles et morales, les repères, les attaches, les piliers qui nous faisaient discerner le Bien et le Mal. L’occident au cours de son histoire s’est longuement, fait le chantre de la civilisation, en s’identifiant à ce processus des nations civilisatrices, considérant les autres nations comme primitives rassemblant des barbares, dans le sens d’êtres attachés à une vie archaïque, de personnes qui ne connaissent pas ou sont demeurées dans l’ignorance des références qui qualifient la civilisation. Le mot même de barbare était entaché par une notion d’inculture avant d’embrasser plus tard celui de cruauté, pendant longtemps le corollaire de la cruauté fut ainsi associé à celui de barbarie.   

Cette époque de relativisation qui caractérise les dernières décennies précédant le XXIe siècle, a accouché les idéologies les plus extrêmes, celles de déconstruire l’homme, en enfantant les lois les plus radicales, l’aliénant. Ce constat contemporain nous renvoie plusieurs millénaires en arrière à ce récit de la Genèse qui depuis la chute de l’homme, cette rupture avec Dieu est entrée dans un cycle de violence. Cycle qui commença avec Caïn : ce dernier assassine son frère. Pourtant, Dieu entend casser ce cycle pour ne pas engendrer des générations de meurtriers ; Il protège Caïn comme la manifestation d’un premier signe de sa grâce. La violence telle qu’elle est décrite dans le livre de la Genèse, est devenue l’un des maux qui couronne les autres calamités traversant l’humanité. Mais qui en est responsable ? La Bible déclare que toute chair porte cette responsabilité : c’est le commentaire extrait du livre de la Genèse au chapitre 6, verset 11. « Toute chair est corrompue, la terre s’est remplie de violence ». La violence ne résulte pas ainsi et en soi d’une catégorie d’hommes. Intrinsèquement et structurellement toute chair porte en elle cette dimension de corruption et de violence qui en représente l’aboutissement. La violence est quelque part destructrice et les traumatismes l’accompagnant, dévastateurs. La violence est autant du fait d’individus que d’organisations ou d’états. Avortements, crimes, terrorisme, génocide constituent les illustrations de la violence menée à son paroxysme, et ce à différentes échelles, de l’individu à l’état. La violence demeure une forme de corollaire de la barbarie. Les sociétés violentes sont imprégnées d’une forme de nihilisme de la pitié, une contre-humanité. La violence, est-elle lors la traduction de la barbarie ou le retour à la barbarie primitive ? La dimension même de la barbarie est devenue une expression qui a été au cours des dernières années, utilisée à de nombreuses reprises par les médias et sur réseaux sociaux, pour évoquer la cruauté de l’Etat Islamique (L’EI), la monstruosité, l’inhumanité d’hommes qui sous couvert d’une idéologie s’emploie à imposer une conception religieuse et ultra-légaliste de leur monde au mépris des cultures, des valeurs, des croyances d’autres peuples, d’autres humains.

L’expression de cette barbarie brutale, atroce secoue l’entendement et les consciences à l’aune d’un XXIe siècle en proie à de profondes mutations culturelles, sociétales, écologiques, politiques. Siècle soudainement secoué par des images féroces qui traduisent l’insensibilité et la bestialité d’hommes qui s’excluent du coup du genre humain, tant les actes commis nous font horreur, abîment et blessent l’image même de l’homme lui-même image de Dieu, d’un Dieu compassionnel. Le mot barbare ou d’autres mots similaires reviennent sur toutes les lèvres, mais les mots mêmes sont impuissants et révèlent parfois leurs limites. L’emploi du mot barbare couvre comme nous l’avions déjà rappelé deux notions que déclinent la cruauté et l’archaïsme. Cette cruauté est devenue une forme même d’inculture poussée à son paroxysme, mais associée le plus souvent à l’archaïsme. Pourtant, l’absence de culture n’a pas toujours caractérisé ceux que l’on qualifiait de barbares. Contrairement à l’idée reçue la Barbarie n’est pas systématiquement l’inculture L’histoire récente, nous renvoie ainsi et pour mémoire à l’idéologie nazie, où certaines figures cruelles de cette idéologie inhumaine ont été éprises de cultures. Ces mêmes nazis ont porté au pinacle des œuvres qui ont marqué l’humanité, voire jusqu’à les protéger. Le savoir civilisé, soi-disant policé de l’Europe n’engendra-t-il pas d’une certaine manière un monstre, le monstre lui-même célébré par le philosophe Heidegger qui ne se dissimula pas, de partager les thèses nazies. Montaigne, dans le chapitre de ses Essais intitulé « les cannibales » nous évoque avec stupeur un paradoxe sur la culture anthropologique : Le plus barbare n’est pas nécessairement celui que l’on se figure. Ainsi le plus sauvage n’est pas nécessairement celui que l’on a coutume de caractériser à l’aune de nos constructions culturelles et des représentations de notre civilisation qui impactent et influent ces mêmes représentations. Le cannibalisme n’est pas ainsi l’exclusivité ou l’apanage des hommes que l’on qualifie habituellement de primitifs, une forme de « cannibalisme » peut aussi caractériser les civilisations dites les plus avancées. Dans sa vision critique, Montaigne juge en évoquant sa propre civilisation que les cannibales du royaume s’avèrent bien plus barbares que ceux du royaume des cannibales. « Les cannibales du royaume sont spécialistes en trahison, tyrannie, cruauté et déloyauté, accusant les « barbares » d’attitudes qui se révèlent pourtant moins graves que les leurs, et ceci sans démarche d’introspection. » Pour poursuivre son analyse Montaigne juge les guerres de religion notamment l’inquisition et fait valoir qu’elles ne sont pas plus civilisées que les rituels d’anthropophagie des cannibales, « mangeurs de chairs humaines ». La barbarie participe d’une forme d’aliénation de l’être humain comme différence. Nous osons en effet aborder la notion de barbarie comme l’expression même de la violence, une violence qui est le mépris de l’autre, de l’humain, le mépris de la différence, une violence qui est tout simplement la négation de l’autre, l’aliénation de l’être humain comme l’expression de la diversité. La barbarie qui est une forme de puissance aliénante est une façon de gommer les disparités, d’imposer une forme de totalitarisme nivelant les autres au nom même d’une croyance, d’une idéologie. Il faut alors exécuter le bouc émissaire qui porte en lui ce que je hais comme symbole de l’altérité ou de la dissemblance. L’eugénisme est en soi une forme de barbarie, quand elle dicte qui doit vivre ou est digne d’être. La barbarie se traduit ainsi par une forme totalitaire de rejet absolu, une stigmatisation des populations voire même des êtres parmi les plus vulnérables, les plus fragiles, une exclusion violente de l’être humain dans ce qu’il peut incarner à travers son histoire, son identité, sa croyance, sa naissance, ses infirmités, son handicap. Comme l’exprime Fabrice Hadjad dans le livre la foi des démons, cette forme de barbarie atroce « gît dans le mal et a l’angoisse du bien ».

Le monde occidental a coutume de pointer la barbarie des autres civilisations, mais sa civilisation n’est pas en soi exempte d’en porter également les germes ou même de manifester les symptômes d’une société mortifère. Je reprends ici l’intégralité d’un texte écrit par Fabrice Hadjadj  : « Après Auschwitz et Hiroshima : le pire de notre époque est l’imminence de la destruction totale. Peut-on encore parler d’un Dieu bon et puissant ? S’il est bon, il est faible, vu qu’il n’a pas pu empêcher la catastrophe (position de philosophe juif Hans Jonas). Mais dans ce cas, si Dieu n’est plus celui qui intervient dans l’Histoire, Hitler n’a-t-il pas détruit le Dieu de la Bible ? Si la religion de David est invalidée, il ne reste plus que le culte de la Shoah. C’est ce que reproche Benny Lévy à ses frères lorsqu’il les accuse d’avoir fait une idole d’Auschwitz. Ce qui interroge avec la Shoah et le Goulag, c’est la forme prise par le mal, sa banalité comme dit Hannah Arendt.Ces destructions ne sont pas le fruit d’un accès de rage barbare, mais d’une froide planification pour obéir à de prétendues lois de l’Histoire ou de la nature. Ceci démontre que l’idéologie du progrès mène à la catastrophe et que le libéralisme a engendré d’une manière indéniable le totalitarisme, ils éprouvent la même volonté d’exploitation de l’homme. A cela s’ajoute la possibilité pour l’homme d’anéantir l’espèce humaine. La spécificité de la crise actuelle et notamment de la pandémie est la conscience de notre disparition probable, pas seulement en tant qu’individu, mais surtout en tant qu’espèce. « L’humanisme a fait long feu et les lendemains ne chanteront pas ».La barbarie occidentale de la prétendue civilisation, est de la sorte un anti prochain une forme de contre idéologie de l’amourLa Barbarie est en soi la manifestation possible d’une puissance démoniaque en ce sens qu’elle est une haine de l’autre, le contraire de « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il est parfaitement concevable de supposer une volonté démoniaque d’être le contre-pied de l’amour du prochain : L’amour du prochain dans toute sa dimension relationnelle est à combattre dans la pensée qui incarne « le monde de demain », il ne saurait faire sens. Combien de religions se sont finalement fourvoyées y compris celles d’inspiration chrétienne en occultant le message fondamental qui est l’amour de l’autre, un amour de l’autre qui est sans condition. L’amour de l’autre est en effet sans dogmatisme, sans hypocrisie, c’est un amour christique. « Tu aimes ton prochain » dans ce qu’il a de différent. Ce qui ne plait pas en lui y compris sa vulnérabilité insupportable, ne doit pas nous conduire l’avorter[4] ou à le supprimer, même sous prétexte même d’humanisme.Le livre d’Ézéchiel évoque la violence du Prince de Tyr rappelant qu’initialement il siégeait auprès de Dieu « Tu as été intègre dans tes voies, depuis le jour où tu fus créé jusqu’à celui où l’iniquité a été trouvée chez toi. Par la grandeur de ton commerce, tu as été rempli de violence, et tu as péché ; Je te précipite de la montagne de Dieu, Et, je te fais disparaître, chérubin protecteur, Du milieu des pierres étincelantes. » Ezéchiel 28 : 11-15 ». L’expression « tu as été rempli de violence », d’une certaine manière orchestre l’influence qu’exerce Satan dans le monde faisant de l’humanité empreinte divine, l’ennemi à abattre.Ce constat de cette violence envers la notion du prochain a été décrit par le philosophe espagnol Ortega qui dépeint un autre trait de la barbarie à travers la haine, « La haine sécrète un suc virulent et corrosif. […] La haine est annulation et assassinat virtuel – non pas un assassinat qui se fait d’un coup ; haïr, c’est assassiner sans relâche, effacer l’être haï de l’existence ».Un étudiant posa un jour cette question à Hannah Arendt « pourquoi appelez-vous « crime contre l’humanité un crime contre le peuple juif ? », elle répondit : « parce que les Juifs sont d’abord des hommes ». Je crois tout simplement que Hannah Arendt résumait parfaitement le propos que nous souhaitons défendre : la Barbarie ne s’inscrit pas comme un crime contre un groupe, une entité ou une catégorie d’hommes, c’est avant tout un crime contre l’homme. Les barbaries que nous dénonçons, en témoignant au cours de nos veillées, sur les places publiques où nous nous rassemblons, sont la manifestation de notre attachement à l’être humain, à tout l’être humain. C’est pourquoi nous sommes aussi solidaires à nos frères non seulement chrétiens, mais tous ceux qui doivent souffrir au nom de leur foi, de leurs croyances. Cette expression de l’amour est aussi pour les plus vulnérables, les plus fragiles, les enfants, ceux qui sont à naître également, les plus âgés également, les plus dépendants parmi eux.Dans cette revue de l’humanité haïe pour des raisons d’identité, Hannah Arendt inscrit le problème du mal radical advenu avec la Shoah dans la perspective de l’universalisme humain.

La nouvelle Barbarie occidentale est un habillage humaniste. Le barbare n’est pas seulement l’expression d’une violence d’un individu, ou d’un groupe d’individus, elle peut résulter d’une organisation qui peut habiller sa barbarie en la justifiant de concepts humanistes. Comme nous l’avons par ailleurs rappelé, la notion même de barbarie n’est pas nécessairement l’antithèse de la civilisation. La barbarie peut être le produit de la civilisation, Montaigne ne dit pas autre chose. Notre civilisation, n’est-elle pas entrée dans une crise profonde. Cette crise qui annonce une forme de délitement des valeurs morales peut générer comme le décrit Montaigne « le cannibalisme du Royaume » de nouvelles violences non nécessairement produit par les fanatismes religieux, mais par des dogmatismes idéologiques, comme ce fut d’ailleurs le cas avec le marxisme-léniniste, le nazisme. Il est étrange que l’Europe démocrate qui a combattu les idéologies barbares caresse aujourd’hui les idéologies mortifères, malthusiennes qu’elle voulait combattre jadis.  Comme me le partageait un ami « Nous, dénonçons, à juste titre, la barbarie de certains fondamentalistes musulmans, mais que leur répondre quand, à leur tour, ils dénoncent la barbarie de certaines pratiques occidentales comme celle consistant à aspirer l’enfant dans le ventre de sa mère, comme c’est le cas lors d’un avortement ? Cet acte est-il plus « digne » que l’excision que nous dénonçons chez eux… ». Mais nous le réécrivons : rien ne vient gommer ou légitimer tout acte de violence, et ce, quelle que soit la culture qui la promeut, occidentale ou non. Cette civilisation occidentale puisqu’il faut aussi parler d’elle, sombre en réalité et subrepticement dans la barbarie. Nous devons être prudents sur les leçons données par l’Occident laïque et démocrate qui s’arroge, s’accommode de donner des « leçons de civilisation à l’ensemble de la Planète ». Notre civilisation occidentale a développé des concepts normatifs pour évoquer la barbarie (Génocide, camps de concentration, Euthanasie, Eugénisme, les Lebensborn …), mais est sur le point de réintroduire, de reproduire, de répliquer les lois mortifères du Nazisme, ceux qu’elle considérait comme une atteinte à l’humain et n’ose qualifier par exemple de barbarie l’atteinte à l’enfant conçu dans le ventre d’une mère ou l’eugénisme en sélectionnant l’enfant à naître si ce dernier correspond aux dimensions normatives de la société occidentale. La GPA qui tôt ou tard sera adoptée après la PMA (commençons par habituer l’opinion) réintroduira une forme de darwinisme social. D’ailleurs l’actualité ne l’a-t-elle pas démontrée ? Cette même GPA est susceptible de détruire la notion de filiation, de créer des troubles identitaires comme ce fut le cas avec les Lebensborn qui ont été dévastateurs pour des enfants qui n’ont pas connu l’affection paternel et maternel. L’actualité n’a-t-elle pas mis à jour ces nouvelles formes de Lebensborn, ces cliniques et maternités ou des femmes pauvres accueillies, marchandent leurs corps au profit de couples en manque d’enfants ? La GPA, si ce dispositif est mis en œuvre, violera demain le droit des enfants à avoir un père et une mère biologique et exploitera les femmes sans ressource et dans le besoin pour donner satisfaction aux désirs de deux adultes, lesquels pourront rejeter cet enfant s’il n’est pas « conforme » aux normes en vigueur, comme on l’a déjà vu par le passé.

Faut-il également évoquer dans les arcanes des pouvoirs publics, ces réflexions menées sur l’euthanasie pour abréger les souffrances, l’incurabilité au lieu d’accompagner le mourant au travers des soins palliatifs. L’euthanasie dont les pratiques humanistes pourraient bien couvrir des raisons purement « économiques ». L’avortement (quoi de plus barbare qu’un tel acte, même si on peut excuser la femme qui le commet et qui, bien souvent, n’a pas le choix ?), la GPA, la théorie du genre dans sa version extrême le « queer » (qui conduira comme nous le développons plus loin à une sexualisation de l’enfance s’il est vrai que l’identité sexuelle est déconnectée de tout rapport au « corps sexué »), tout cela témoigne alors d’une plongée dans la barbarie. Ainsi la « Queer theory » de Judith Butler, fait du travesti la norme moderne venant se substituer à l’hétérosexualité, déconstruite comme pure convention sociale, et dont on peut craindre qu’elle ne conduise, à terme, à cautionner des pratiques comme celles de la pédophilie puisque si le « corps sexué » ne signifie plus rien, il ne faudra bientôt plus attendre la puberté pour admettre une forme de « sexualité » aux enfants et abuser d’eux sous couvert d’un consentement qu’il leur sera bien difficile de refuser aux adultes, comme l’a illustré une affaire récente en Italie ». C’est sûr que c’est assez crû, mais mieux vaut prévenir et alerter que guérir ! Comme nous l’avons écrit à propos et à l’instar de Montaigne, la barbarie n’est pas l’apanage des seuls extrémistes, la barbarie des civilisés, des cols blancs peut s’avérer aussi abject que la barbarie des fondamentalistes qu’elle condamne. Nous condamnons explicitement ces deux barbaries, ces deux tyrannies qui aliènent l’être humain. Sans oublier que les incivilités les plus insignifiantes sont les premiers pas vers la barbarie. Or, qui parmi nous pourrait affirmer qu’il est exempt de toute ignominie, qu’aucune flétrissure ne l’a jamais atteint ? Les Écritures (la Bible) évoquent que toute chair est corrompue et que nous portons tous des germes de barbarie.

Mais face à la barbarie occidentale, faut-il encourager la bienveillance ou dénoncer l’iniquité de ces lois mortifères ? Face à la barbarie, la prière évoquée dans le Psaume 63 respectivement aux versets 10-12 : « Qu’ils aillent à la ruine ceux qui en veulent à ma vie ! Qu’ils rentrent dans les profondeurs de la terre ! Qu’on les passe au fil de l’épée… » ne revêt-elle pas une forme de légitimité ? N’y-a-t-il pas une forme d’imprécation angélique que d’en appeler à aimer malgré tout, ses ennemis ? Mais ne serions-nous pas les reflets, les miroirs des barbares que nous accusons ? Mettons fin cependant au cycle de la violence ! Face à la barbarie, la vengeance (se faire justice) est d’emblée totalement inadaptée ; elle serait même amplificatrice de la cruauté. La réponse adaptée est celle de la justice (rendre justice), une réponse pour mettre fin au cycle de la violence. La justice est un principe moral qui relève même d’une dimension de transcendance ; elle fait appel à des valeurs universelles. Enclencher la guerre, déclarer la guerre pour mettre fin à la guerre, à la barbarie, nous comprenons que cela fut légitime au cours de notre histoire ; c’est la tentation de toujours, c’est cette logique de pensée qui a amené le déluge. Le déluge est décidé par Dieu, mais il ne résout en réalité rien. La pédagogie du déluge, s’est avérée inadaptée, inefficace, le mal est sans doute beaucoup plus grave et nécessite une transformation volontaire et non une destruction subie de l’homme. Lisons cette déclaration étonnante dans le livre de Genèse « Je ne recommencerai plus à maudire le sol à cause de l’homme, car le produit du cœur de l’homme est le mal, dès sa jeunesse. Plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait ! ». Dieu décide d’abolir à jamais le déluge et envoie le signe d’un arc-en-ciel qui annonce la fin de toute destruction. L’arc en ciel préfigure la croix qui annonce le pardon et par son pardon, la transformation de l’homme. Voilà la justice de Dieu, le choix de Dieu de sauver l’homme, malgré la barbarie, le cœur corrompu, la violence de son âme. Dieu choisit le salut de quiconque afin que celui qui croit ne périsse pas (Jean 3 : 16). Pour conclure, comment ne pourrais-je pas penser à cette conclusion de ce texte admirable écrit en 2014 par Natalia TROUILLER « Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué…. » « L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai revu quelques jours après être rentrée, sur une photo entourée de roses envoyée par ses parents : c’était sa dernière image vivant, souriant, beau, endimanché. Il avait été coupé en deux par un tir de mortier lors de la prise de Qaraqosh. L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai cherché, pleine d’angoisse, parmi les centaines de photos prises là-bas pour savoir s’il était de ceux qui ont ri avec moi – la réponse importe peu. L’enfant que j’ai vu en Irak, j’ai reçu la photo de lui, coupé en deux avec du sang partout, envoyée par un djihadiste sur mon compte Twitter. Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué. »

Cette prière qui semble insignifiante est finalement celle qui a le pouvoir de mettre fin au cycle de la barbarie. Et si nous osions finalement répondre à l’appel de Jésus, aimer nos ennemis.  Matthieu 5.43-45 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.… »


[1] En des termes édulcorés Les députés ont adopté un amendement pour clarifier le fait que la « détresse psychosociale » peut être une cause de « péril grave », justifiant une interruption médicale de grossesse.

[2] Expression reprise de l’archevêque de Paris, Michel Aupetit lors d’une interview accordée à France Info.

[3] Ensauvagement : Terme utilisé par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, « l’ensauvagement » est devenu le nouveau concept au cœur du débat sur l’insécurité.  

[4] Une grossesse sur cinq environ aboutit à une IVG. Source : L’avortement en chiffres [FRED DUFOUR / AFP]

Le Messager

Nous sommes le 25 mai 2020 et ce texte que je produis, écrit comme une rétrospective, introduira un ensemble de chroniques qui ont jalonné cette période de confinement et de déconfinement depuis la présence de la pandémie dans ce doux pays comme le chantait naguère Charles Trenet, le « Pays de mon enfance ». Pour beaucoup d’entre nous en basculant dans l’année 2020, première année d’une nouvelle décennie, nous étions à deux mille lieux d’imaginer dans quel monde nous entrions, le séisme civilisationnel que nous allions vivre. Ce qui était arrivé fut soudain, brutal. L’événement inattendu ne fut pas le déclenchement d’une guerre ou d’un tremblement de terre d’une vaste amplitude planétaire, mais sans doute les deux à la fois, un séisme au sens social et un bouleversement à l’échelle planétaire qui allait fracturer le monde, le mettre littéralement en pièces. Les structures sociales ont connu là un véritable choc planétaire, puisque quasiment à l’échelle mondiale, c’est l’ensemble du globe qui entra en confinement, un mot nouveau que je n’avais probablement jamais prononcé de ma vie. Dès le mois de décembre 2019, les autorités sanitaires sont informées et mettent sous surveillance une redoutable infection pulmonaire, dont la cause est un virus à couronne, le coronavirus. Ce virus, je l’ai nommé « la Reine Corona », cette reine sera l’une des trames de ce nouvel essai, comme un recueil de pensées, un journal de bord, une veille sur le déroulement d’une pandémie et ses implications sociales

Auteur

Eric LEMAITRE

Nous sommes le 25 mai 2020 et ce texte que je produis, écrit comme une rétrospective, introduira un ensemble de chroniques qui ont jalonné cette période de confinement et de déconfinement depuis la présence de la pandémie dans ce doux pays comme le chantait naguère Charles Trenet, le « Pays de mon enfance ». Pour beaucoup d’entre nous en basculant dans l’année 2020, première année d’une nouvelle décennie, nous étions à deux mille lieux d’imaginer dans quel monde nous entrions, le séisme civilisationnel que nous allions vivre. Ce qui était arrivé fut soudain, brutal. L’événement inattendu ne fut pas le déclenchement d’une guerre ou d’un tremblement de terre d’une vaste amplitude planétaire, mais sans doute les deux à la fois, un séisme au sens social et un bouleversement à l’échelle planétaire qui allait fracturer le monde, le mettre littéralement en pièces. Les structures sociales ont connu là un véritable choc planétaire, puisque quasiment à l’échelle mondiale, c’est l’ensemble du globe qui entra en confinement, un mot nouveau que je n’avais probablement jamais prononcé de ma vie. Dès le mois de décembre 2019, les autorités sanitaires sont informées et mettent sous surveillance une redoutable infection pulmonaire, dont la cause est un virus à couronne, le coronavirus. Ce virus, je l’ai nommé « la Reine Corona », cette reine sera l’une des trames de ce nouvel essai, comme un recueil de pensées, un journal de bord, une veille sur le déroulement d’une pandémie et ses implications sociales. Nous savons depuis ce mois de Mars 2020, que les effets de la pandémie seront redoutables, les conséquences dépasseront les seules étendues sanitaires. Les prolongements de la crise sanitaire embrasseront sans aucun doute la dimension interpersonnelle et tout ce qui touche aux interactions quotidiennes et dans toutes les sphères de la vie et ce qu’elle peut embrasser. Cette nouvelle dimension sociale issue de la crise sanitaire nous affectera pour longtemps et annonce pour chacun d’entre nous, un changement de paradigme, impactant l’ordonnancement civilisationnel.

Le coronavirus semble avoir émergé à Wuhan en Chine en 2019, son origine est un mystère entouré d’une chape de plomb : origine naturelle par transmission animale ou résultat d’un accident suite à une malencontreuse manipulation ? Nous ne le serons sans doute jamais, dans un pays où la liberté d’enquêter ne sera jamais autorisée. En janvier, je n’ai plus l’exact souvenir de la date, mais il m’a semblé avoir entendu parler vaguement d’un coronavirus qui sévissait dans la ville de Wuhan. Un virus qui semblait alerter les premiers lanceurs d’alerte chinois, mais n’inquiétait pas semble-t-il les autorités sanitaires européennes, la chine c’est si loin de nous, le nuage viral n’allait sans doute pas franchir nos frontières tel un certain nuage nucléaire. Mais le postillon viral lui se fiche pas mal de la géographie et de nos prétendus barbelés sanitaires malgré la ferme assurance de l’autorité mondiale de la santé qui affirmait en janvier qu’ « il n’y avait pas d’urgence de santé publique de portée internationale[1] ». Alors moi le lambda, l’inculte en matière de santé publique, je regardais ça de bien loin et cette affaire de postillon létal était comme une lettre non affranchie sans destinataire. Et donc cette lettre-là resterait à Wuhan, pourquoi s’en inquiéter quand bien même cette lettre, eût-elle été recommandée, cette lettre virale ne nous était pas destinée après tout. Mais les jours s’égrenaient avec des nouvelles plus inquiétantes. La portée létale de ce virus pathogène était bientôt tapie à toutes les portes des nations, mais pour être très honnête, ce fut le 16 mars 2020 et lors de l’allocution du président de la République que je prenais franchement conscience de l’ampleur mondiale de l’épidémie. Le verbatim anxiogène du président et le discours de nous enjoindre à nous claquemurer, me fit alors comprendre, qu’un événement sans pareil était en train de se dessiner. Pourtant le 16 mars 2020, à 13 h, peu avant le discours attendu du président Emmanuel Macron, je publiais une première chronique suivie plus tard[2] par d’autres textes, leurs compilations allaient donner ce nouveau livre, fruit d’une longue méditation autour d’un événement qui n’a pas eu d’équivalent dans l’histoire du monde au moins sur un seul aspect, son impact social. Car l’impact social a été certainement plus redoutable que l’impact sanitaire et les conséquences économiques augurent des lendemains d’une extrême gravité. L’histoire de l’humanité a connu des épisodes de contagions depuis les récits de l’Iliade en passant par les lectures des livres formant le pentateuque[3] et ce que nous rapporte l’histoire des pandémies, avec la peste noire en 1347, la grippe espagnole à partir de 1918 et d’autres pandémies plus récentes. Comme je l’écrivais dans l’une de mes chroniques, des mots soufflés par une amie, cette pandémie est un messager. Nous savons bien que notre époque est entachée de rationalité et que le mot fléau a été rarement employé, trop connoté sans doute. Pourtant que nous le voulions ou non cette nouvelle pandémie n’est pas dénuée de signes et de sens, en soi, cette pandémie porte bel et bien un message. Toute pandémie est en soi un révélateur, une image miroir de l’éco système que nous incarnons. D’ailleurs le livre du lévitique, un des livres de la Torah est étonnant à plus d’un titre puisqu’il insiste sur la dimension de l’assainissement, l’insalubrité ne faisant qu’aggraver les contaminations. En faisant systématiquement référence à un Dieu Saint, le lévitique impose aux Hébreux de se conduire avec sagesse et de s’accommoder des précautions sanitaires pour éviter toute propagation de la lèpre. Aussi cette pandémie du Coronavirus, ne nous interroge-t-elle pas sur nos rapports avec la nature, sur nos modes de consommation, sur nos choix en matière de production industrielle, sur nos conceptions concernant la vie urbaine, la mondialisation. La vitesse de propagation de la contamination virale du coronavirus, à plus d’un titre la pandémie, nous renvoie à nos modes de vie. N’y-a-t-il pas à travers le prisme de cette crise, quelque chose à assainir, à penser autrement ? N’avons-nous pas avec cette crise sanitaire, à remettre en cause notre façon de concevoir cette consommation qui est finalement responsable d’étalement urbain, de déforestation, de la dévastation écologique.  

Je fais ainsi mienne cette citation d’Aristote qui formula en ces termes une réflexion que nous pourrions bien nous approprier en ces temps d’épidémie mondiale : « C’est, en effet, l’étonnement qui poussa comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. [4]» et c’est pourquoi comme Monsieur Jourdain [Sourire], je fais de la philosophie, j’emprunte les paroles du sage Aristote pour questionner à mon tour, le sens de cette épidémie, sur son message touchant aux orientations écologiques, économiques, idéologiques. Ne nous sommes-nous pas tous fourvoyés dans cette marche sans limites, engagée depuis l’aube de notre humanité, depuis que nous avons été chassés en quelque sort du jardin d’Eden, décidé d’aller aux confins de l’univers pour aller à la quête d’un salut sans Dieu, jusqu’à tendre vers notre propre auto-divinisation. Citant toujours Aristote « apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance », la quête du philosophe n’est-elle pas en effet la quête de la sagesse. Une quête qui est celle « d’abord d’apercevoir une difficulté [puis] de s’étonner », qui se traduit également par cette capacité de discerner les temps, de lire les signes qui nous tétanisent.  Ces signes qui font irruption et viennent perturber le cours d’une vie, nous interrogent.  Quels sont les motifs de cette irruption de la Reine Corona, les causes explicites comme celles qu’il nous appartiendra de fouiller encore ?

Je lisais récemment l’Iliade, cette lecture de l’épopée légendaire liée à la civilisation grecque. Le premier chapitre [chant1] a une certaine résonance avec cette quête qui est de comprendre ce qui nous arrive. Nous apprenons toujours des mythes qui ont jalonné l’histoire de l’humanité, qui constituent en quelque sorte cette mémoire enfouie. Cette mémoire enterrée, renferme un trésor de sagesse et d’infinie intelligence, cette mémoire doit nous nous permettre tel un Graal arthurien, de saisir le message, de posséder en fin de compte une lecture qui nous fera avancer dans une période de questionnements. Dans le l’Iliade : épopée de la Grèce antique attribuée à Homère, « le dieu Apollon » envoie une peste meurtrière sur toute l’armée achéenne. L’un des personnages de Homère « Atréide », dans la première partie du récit, s’en inquiète, s’interroge et se questionne sur le sens de cette contagion qu’il interprète comme l’expression d’une irritation, celle du Dieu Apollon : « nous reproche-t-il des vœux négligés ? [5]». Dans une époque de désacralisation, toute référence et évocation spirituelle, suscite agacements, colère, et irritation.  Mais reprendre cette citation du poète, personnage conceptuel ou réel, est en soi intéressant, car le but ici est bel et bien de nous emmener au-delà de la légende, à nous requestionner sur le sens même de l’existence, le sens même des malheurs que nous traversons « nous reproche-t-il des vœux négligés ? ». Avec l’avènement du Coronavirus, nous vivons beaucoup plus qu’une mutation dans laquelle le monde d’autrefois se modifie, nous vivons surtout comme une remise en cause de nos négligences passées. Accepterons-nous alors de prendre en compte cette dimension de négligences, d’insouciances et d’irresponsabilités qui ont jalonné l’homme technicien, l’homme prométhéen tout au long de son histoire. Et si nous regardions de près la déclinaison des messages adressés par la Reine Corona :

Son premier message ne serait-il pas d’ordre anthropologique, celui qui s’inscrit dans la dimension relationnelle. Ne venons-nous pas en effet de vivre, et ce à l’échelle mondiale, un événement qualifié de « rupture anthropologique majeure » ? Cette rupture qui remet en cause l’instinct relationnel et grégaire, tout un pan de notre vie sociale. Ne vivons-nous pas également un défi certes pluriel : écologique, économique, mais surtout de dimension sociale. Cette dimension qui forme l’empreinte de la civilisation, c’est dire vivre ensemble, nouer des rapports aux autres ? Nous venons en effet de vivre au cours de cette crise sanitaire, une remise en question des interactions interpersonnelles, des libertés les plus fondamentales, via des mesures liberticides dont il a fallu s’accommoder et nous accommoder dans ce temps de déconfinement. La logorrhée guerrière employée par le président de la République a amplifié l’acceptation de ces mesures nous privant de rencontres collectives, d’échanges et de vies communautaires. Nous avons ainsi été gouvernés par la peur. En inquiétant ces populations au travers d’un verbatim intentionnellement comminatoire, les autorités du monde démocratique ont laissé finalement des traces psychologiques dans les mentalités, des traces délétères dans l’esprit de leurs citoyens. Le confinement a ainsi exacerbé l’envie de ne pas rompre les liens et nous a poussés à l’usage des applicatifs de vie sociale, comme ces plateformes de messageries, de vidéo conférence. Nous avons alors utilisé ces mondes d’écrans, d’empilements d’images « visages » comme les morceaux d’un puzzle mis côte à côte, simulant une vie sociale, mais une vie qui reste virtuelle. Nous nous sommes vite lassés de ces usages, en tout cas, pour ma part j’en suis fatigué. Ne faudrait-il pas ainsi entendre que la dimension relationnelle est le bien le plus précieux bien plus que la consommation du monde googlelisé ou de toutes ces plateformes virtuelles. 

Le deuxième message, corolaire du premier est celui qui touche à notre organisation sociale. La vie sociale est régentée bien souvent par le haut, omettant une gestion de dimension locale. Jamais dans l’histoire du monde, une telle pandémie n’a autant mobilisé les pouvoirs étatiques qui ont agi comme les protecteurs de leurs habitants. En regard d’épidémies passées, ce qui a été sans commune mesure, c’est bien en France, l’échelle de la décision qui est l’exact miroir d’un état jacobin qui ne fait aucune différence entre les territoires. La lecture du château[6] n’a pas ainsi mobilisé les lectures subsidiaires, plus proches des réalités locales. Les mesures administratives n’ont été ni étagées, ni proportionnées, ni adaptées aux réalités locales. Cette approche de la crise sanitaire et de sa gestion bureaucratique notamment celles concernant nos libertés est sans commune mesure avec les pandémies du passé. De la sorte que la grippe espagnole qui pourtant a fait cinquante millions de morts, n’a pas entrainée de mesures identiques à l’échelle de tous les territoires. Le confinement ; les mises en quarantaine n’avaient concerné que quelques régions.   

Le troisième message est celui de nos déplacements qui interagissent avec le climat, la pollution : Les modes de déplacements ont considérablement évolué, les mesures prises se calent finalement à l’ère d’une époque infiniment plus mobile et citadine qu’elle ne l’avait été hier. Aussi la propagation du Coronavirus vient en quelque sorte questionner ce monde de déplacements : mondialisés, ouverts, sans frontières, avec des impacts climatiques et un étalement considérable de sols minéralisés. Le coronavirus par ses effets, vient requestionner cette technologie des biens toujours augmentés, ces biens qui prétendent de permettre à l’homme de s’affranchir des distances. Mais l’obstination de l’homme consiste à enjamber justement ces distances. La crise a vu l’accélération du modèle numérique, les processus de digitalisation, de télétravail, de communications virtuelles, de services à la carte rendus par les applicatifs de la future smart city ne se sont jamais autant développés. Le coronavirus en nous reléguant au fond de nos quatre murs, nous a littéralement jeté dans les bras de nos artefacts, en nous plongeant dans le monde digital, nous obligeant, nous contraignant paradoxalement à davantage de distance sociale.

Le quatrième message nous montre le défaut patent d’une économie qui n’est plus fondée sur la proximité. Au fil de son histoire, l’humanité a bâti des empires, mais peu d’empires ont résisté, les empires d’hier sont relayés aujourd’hui par les empires mercantiles et cupides des multinationales, qui se sont octroyées le droit d’imposer les lois de leurs marchés. La crise économique sous-jacente se promet d’être effrayante pour toutes ces entreprises emblèmes et figures d’un monde ouvert et sans limites aucunes. Les multinationales se moquent parfois de l’éthique et préfèrent l’exploitation sans vergogne des états nations les plus pauvres, exploitant leurs ressources humaines, les richesses de leurs sols. Les multinationales comme les états les plus riches de la planète se croyaient à l’abri, mais très vite les milieux de l’automobile, de l’informatique, des politiques sanitaires […] découvrent la fragilité des interdépendances mondiales, un accroc dans une usine chinoise confinée induit nécessairement des perturbations en chaîne pour une myriade d’entreprises dans le monde pour l’acheminement de médicaments, de protections médicales. Les frontières fermées dans tel pays impacté par le covid19 conduit également à des pertes d’emplois dans telle autre nation. Nous sommes face à des jeux de dominos, et des fragilisations en cascade.  La crise pandémique obligeant l’arrêt des productions mondiales, faute de consommateurs, et l’on prétend pourtant que les entreprises qui sauront résister à cette pandémie mondiale, ce krach test, sont celles qui ont été les mieux préparées aux mutations digitales de notre époque. Celles-là dit-on, ont pu poursuivre le déploiement de leurs activités et les pérenniseront. Sauf que cette résistance est artificielle et masque une autre réalité, celle d’états en quasi-faillite, confrontés à un endettement écrasant, et dont la seule alternative sera d’articuler leurs survies avec une remise à flot qui passera par l’impôt, l’impôt que pourrait bien ne pas supporter les populations. Or le Covid19 agit comme un messager mettant en évidence qu’une seconde vague aurait alors des effets terribles sur le plan social.  Les lendemains d’une seconde vague annonceraient un climat qui pourrait conduire à une crise définitive de civilisation.  

Alors ce covid19 « nous reprocherait-il alors des vœux négligés ? ».  Les chroniques de ce livre pointent ces négligences, les détaillent, décrivent les travers de nos sociétés, anticipent même le monde dystopique qui s’organise sous nos yeux, si nous acceptions finalement la mécanisation de nos consciences et l’ultra sécurité sanitaire pour vivre à toutes fins le monde augmenté promis, la vie artificielle et « siliconée ». Le pire pourrait atteindre à nouveau l’âme humaine, si nous ne changions pas de voie, si obstinément nous décidions de poursuivre un monde sans écologie humaine, sans la proximité, sans la dimension relationnelle. Pour rebâtir un monde en pièces, c’est possible, mais il faut définitivement accepter de vivre davantage en proximité et mettre l’amour du prochain au cœur de la vie sociale, et en rétablissant notre relation avec celui qui est le créateur des cieux et de la terre.


[1] Extrait de la déclaration de l’OMS : https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Coronavirus-lepidemie-10-dates-cles-2020-02-07-1201077010

[2] Le titre de cette chronique, la deuxième de l’ouvrage est l’ennemi, première chronique écrite le 16 mars 2016 à 13 h.

[3] Les cinq livres qui constituent la Torah. La tradition en attribue la paternité à Moïse

[4] Extrait de la citation : https://bjpphilo.wordpress.com/2016/09/03/aristote-origine-et-fin-de-la-philosophie-2/

[5] Œuvre de l’Iliade du domaine Public : Citation extraite du texte de l’Iliade Chant 1 https://www.atramenta.net/lire/oeuvre1507-chapitre-1.html

[6] Le château en référence à Kafka : Le Château aborde l’aliénation de l’individu face à une pesante bureaucratie qui n’entretient pas de relations avec la population

Le bien, le beau, le vrai

Le général de Villiers donne ici des pistes concernant le monde à rebâtir… Il faut peut être retrouver le sens de l’authenticité et des valeurs lorsque tout semble être définitivement perdu, l’héroïsme tient sans doute aux capacités sacrificielles à consentir pour sortir de notre zone de peur. Le vrai leadership est un don de soi qui revient à la dimension su sacré, du bien, du beau et du vrai. Il faut vraiment l’écouter …. ! 

 

 

Le général de Villiers donne ici des pistes concernant le monde à rebâtir… Il faut peut être retrouver le sens de l’authenticité et des valeurs lorsque tout semble être définitivement perdu, l’héroïsme tient sans doute aux capacités sacrificielles à consentir pour sortir de notre zone de peur. Le vrai leadership est un don de soi qui revient à la dimension su sacré, du bien, du beau et du vrai. Il faut vraiment l’écouter …. !

Le son du silence

Dans ces temps où la nature reprend ces droits, où gazouillent les oiseaux au dehors ; dans nos cités et villages et qu’étrangement nous écoutons, il nous faut aujourd’hui reprendre et reposséder le temps d’exprimer de ce qui semble échapper aux sons divertissants ou lancinants qui émanent de nos écrans, de nos postes de télévisions, il nous faut questionner le silence intérieur pour comprendre ce qu’il est, écouter le vide en forme de Dieu, à l’intérieur de chacun. Il nous faut imposer le silence pour retrouver aussi le sens de l’autre, le rapport aux autres comme le bruissement, doux et léger de la parole divine. Le silence n’est pas nécessairement une négation de la parole, je pense que le silence est comme une suspension, un temps d’arrêt, une pause pour retrouver un chemin de réflexion, nous évitant l’égarement ou bien de nous perdre. Je vous invite au travers de ce texte à une forme finalement de méditation, une suspension, une trêve parmi tous les bavardages qui nous sont déclinés à longueur de nos journées par nos médias abasourdis par la tempête et le chaos qui viennent de frapper notre monde.

Auteur : Eric LEMAITRE nik-shuliahin-JhDuakb_-uQ-unsplash

Dans ces temps où la nature reprend ces droits, où gazouillent les oiseaux au dehors ; dans nos cités et villages et qu’étrangement nous écoutons, il nous faut aujourd’hui reprendre et reposséder le temps d’exprimer de ce qui semble échapper aux sons divertissants ou lancinants qui émanent de nos écrans, de nos postes de télévisions, il nous faut questionner le silence intérieur pour comprendre ce qu’il est, écouter le vide en forme de Dieu, à l’intérieur de chacun. Il nous faut imposer le silence pour retrouver aussi le sens de l’autre, le rapport aux autres comme le bruissement, doux et léger de la parole divine. Le silence n’est pas nécessairement une négation de la parole, je pense que le silence est comme une suspension, un temps d’arrêt, une pause pour retrouver un chemin de réflexion, nous évitant l’égarement ou bien de nous perdre. Je vous invite au travers de ce texte à une forme finalement de méditation, une suspension, une trêve parmi tous les bavardages qui nous sont déclinés à longueur de nos journées par nos médias abasourdis par la tempête et le chaos qui viennent de frapper notre monde.

Le titre de cette nouvelle [1] peut vous paraître bien étrange, « Sound of silence », un titre énigmatique pour cette nouvelle chronique. Ceux de ma génération, se souviennent probablement de ce chant aux sonorités à la fois sombres, mornes et tristes entonnées par le duo du folk rock américain Simon et Garfunkel. Combien de fois j’ai écouté ce chant, ce somptueux chef d’œuvre musical, sans vraiment comprendre les paroles, le sens de ce qui était partagé. La mélodie en revanche percutait et agitait mon âme, touchait émotionnellement le for intérieur de mon cœur et je sais que pour beaucoup, les mêmes émotions ont été partagées. Sans doute éprouviez-vous, comme un sentiment étrange d’entendre comme un appel qui émanait de ce chant, l’appel de revenir comme à l’essence de l’âme humaine, à l’essentiel, le sens des autres.

Je ne sais combien de fois j’ai émorfilé mon âme en souhaitant me débarrasser de toutes ces noirceurs, à l’époque où je passais une période difficile, éprouvante, une séparation douloureuse !  Ce chant que je passais en boucle, m’émouvait, provoquait une peine intense. Ce chant que je repassais sans cesse lors de mes différents déplacements professionnels, perçait et pénétrait mon cœur comme si ce dernier comprenait indiciblement, ineffablement le sens de ce qui était partagé dans ces paroles qui jusqu’alors étaient inaccessibles à mon entendement. Nous traversons parfois des périodes de notre existence ou soudainement ce que nous ne comprenions pas hier ou que nous préférions enfouir, prend un nouveau sens aujourd’hui, comme une révélation, un nouvel éclairage non celui d’une lumière tamisée du « néon », ou le « halo d’un   lampadaire », mais l’éclairage d’une vision que nous décrit Paul Simon dans son chant, « le son du silence ».

Je veux ici vous reproduire quelques extraits de ce texte, les paroles de ce chant pour en mesurer à la fois toute la profondeur, toute la densité de cette narration mélodieuse écrite en 1964. Le thème décliné dans cette célèbre composition est celui de l’absence de partages entre les hommes, ce thème prend une densité et une nouvelle dimension à l’heure du confinement et de toutes les contingences matérielles qui nous détournent de cette relation aux autres. Nos oreilles et nos yeux sont aujourd’hui submergés, absorbés, avalés, à la fois par les bruits artificiels et les flots d’image de ce monde, le confinement imposé nous réapprend le silence si nous acceptons de couper le son artificiel de nos smartphones et les torrents de pixels de nos écrans cathodiques. Il nous faut donc saisir la subtilité de cette mélodie, de cette complainte, peut-être que le terme de complainte me semble tellement plus approprié pour ce chant dans les contextes d’un monde claquemuré, acculé parfois à une forme de peur et d’habituation au repli chez soi.  Le chant « Sound of silence » débute par une salutation aux ténèbres, étrange en effet l’emploi du mot ténèbres, comme si le temps s’assombrissait et conduisait notre monde dans des frayeurs qu’il voulait ou pensait éviter.

Puis l’auteur du chant évoque une vision qui a semé une graine durant le sommeil, dans son rêve agité, un personnage [Le narrateur] arpente les rues étroites de sa ville, lorsque ses yeux furent comme assaillis comme « poignardés » par le flash d’un néon, un flash qui a fendu la nuit et a imposé une forme de mutisme conduisant le personnage à être plongé comme touché par un mur de silence. Le personnage ou l’auteur de « Sound of silence » évoque une lumière pure, où il vit des milliers de personnes, « qui discutaient sans parler », des « personnes qui entendaient sans écouter ». Nous sommes comme frappés par la lecture de ces paroles[2], qui préfigurent comme une ombre des choses à venir, les temps modernes caractérisés par l’univers des réseaux sociaux, monde des silences, de l’hyper individualisme, où chacun interpelle sans voix, sans émotions vécues, incarnées, où chacun est dominé par son égotisme. Nous sommes tous comme environnés d’univers de bruits, d’ambiances, d’informations mais ici point de recueillements, de méditations, de plénitudes

Le personnage interpella ses congénères, en tentant de les sortir de leurs torpeurs, et prononça tel un prophète biblique ces paroles prémonitoires « Idiots, dis-je ignorez-vous, que le Silence évolue comme un cancer » puis dans une forme de cri, une métaphore de désespoir, il tenta de les bousculer à nouveau « Prenez mes bras que je puisse vous apprendre, prenez mes bras que je puisse vous atteindre, mais mes paroles tombèrent comme des gouttes de pluie silencieuses, dans les puits du silence ». Le chant poursuit sa description, nous enfonçant dans le monde artificiel du « Dieu Néon » qu’ils avaient créé », ce qui me fit songer aux vieux tubes cathodiques de nos écrans de télévision, ces artefacts de pacotilles, créés par la main des hommes. Je ne suis pas sûr que j’aurais écrit ces lignes, il y a quelques décennies de cela avec ce même éclairage qui ne vient pas de la lumière factice d’un néon mais encore une fois de la vision de ce chant qui vient toucher notre âme, à l’heure, où le pathogène comme une peste, se propage.

La chanson de Sound of Silence finit par une forme de désespérance, les cœurs sont irrésolus, ils ne semblent pas vouloir écouter la parole du narrateur, ils s’enferment finalement dans leur monde préférant adorer « le Dieu Néon », le Dieu artificiel, l’artefact idolâtré, l’objet apocryphe qu’ils avaient inventé de leurs propres mains.  Comme l’écrit Jonathan Halley lui-même compositeur, « Simon et Garfunkel ont la perspicacité de voir que la grand-messe de la société ne va pas livrer les bienfaits attendus. Les enseignes immenses, les publicités clinquantes et le brouhaha de la parole publique ne sont que les accoutrements d’une divinité de pacotille : un dieu de néon [3]»

Nous comprenons maintenant la profondeur, toute la résonnance émotionnelle de ce chant d’une très étrange modernité. Peu avant d’écouter ce chant et plusieurs jours avant, mon ami Christian me parlait de jeûne mais non d’un jeûne de nourritures mais bien d’un moment de rupture avec le monde des écrans qui habitent notre chez moi comme nous emmurant dans l’artifice d’un univers qui n’existe pas et par procuration nous produit des images plus angoissantes que jamais de notre monde. Je ressentais alors le besoin de partager mes amis de dédier une journée consacrée aux autres, hélas nos contacts étaient rendus impossibles, mais au lieu de rester passifs, comme immobilisés devant nos écrans, cela devait être un jour où nous le consacrions soit à notre famille, nos enfants, ou bien d’appeler nos amis isolés, en souffrance en raison de leurs solitudes. Un ami ; Pascal me partagea une vidéo, de jeunes gens tout à fait talentueux qui firent une reprise de la chanson « Sound of Silence ».

Cette chanson réveilla alors, en moi, toute cette réflexion, sans doute en raison de la mise en scène d’une jeune femme en proie aux démons de la société moderne, l’envahissement de ces messages mails, SMS, les épistolaires factices qui envahissent le monde des réseaux sociaux. Cette reprise du « Monde du silence », comme pour nous dire, que rien n’a changé, que ce message de Paul Simon n’a pas pris une seule ride. Il nous faut ainsi faire silence. Comme l’écrit Jean-Luc Solère dans la revue philosophique de Louvain[4] « Il n’y a rien à. faire pour établir le silence ; il faut au contraire s’abstenir de tout faire, suspendre toute activité. Le silence s’établira de lui-même, lors de l’ultime cessation de l’agitation. Loin d’être un effet, il est la manifestation en creux de l’absence de toute cause ».

Ce chant nous invite finalement comme l’illustre parfaitement ces jeunes juifs à une forme de shabbat, trop souvent les chrétiens ont une vision très légaliste du shabbat, s’imagine qu’il s’agit d’une somme d’interdits, « de ne pas faire et de ne pas toucher », mais il nous faut aujourd’hui entrevoir l’autre sens du mot shabbat, qui est finalement le temps de pause, de rupture, un temps de repos, loin des corvéabilités et contingences matérielles, de l’esclavagisme des temps modernes. Le shabbat avait été instauré dès la sortie d’Égypte, Dieu nourrissait les hébreux par la manne, invitant le peuple élu, à ne pas vaquer à leurs sempiternelles occupations.  Dans le livre d’Exode[5], le Shabbat illustrait le jour du repos, lorsque Dieu acheva sa création, l’ouvrage de ses mains.  « Le septième jour est un shabbat pour l’Éternel, ton Dieu ; tu n’y effectueras aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail et ni l’étranger qui est dans tes murs. Car [en] six jours Dieu a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment, et Il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi Dieu a béni le jour du shabbat et l’a sanctifié. ». Or le temps de Shabbat est non seulement consacré à Dieu, nous imposant finalement une forme de silence avec toutes les sollicitations de ce monde, une forme de cessation avec les contingences matérielles, une mise en pause avec tous les objets de ce siècle. C’est le temps d’un repos, une forme de décompression finalement. En décompressant, finalement je suis invité à la quiétude et non à l’inquiétude proposé par le monde, je suis invité à remplir mon âme de la présence de Dieu, en ne cherchant pas à être présent au monde. En demeurant chez soi auprès de moi-même, j’évacue une part de cet étranger envahissant qui phagocyte mon âme, ma paix. Cet étranger est évidemment une métaphore, et cet étranger ne vaut que pour l’artifice, l’objet soi-disant interactif. Le chant Sound of silence oppose finalement deux mondes le silence d’un néant qui s’exprime dans le tumulte bruyant émanant du « Dieu Néon », et ce silence spirituel qui m’invite à me retrouver dans la relation à l’autre et entendre la voix de l’Eternel. Dans le monde musical, il y a des temps de silence, ce temps de silence n’est pas un défaut d’être, un défaut d’existence, c’est une respiration, qui procure à l’âme un moment de contemplation, de repos, d’apaisement. Alors dans ce temps de confinement qui est aussi un temps de silence, prenons soin de soi et des autres, prenons soin d’écouter Dieu. Je conclurai ce texte par le livre de Job[6] : « Sois attentif, Job, écoute-moi ! Tais-toi, et je parlerai ! Si tu as quelque chose à dire, réponds-moi ! Parle, car je voudrais te donner raison. Si tu n’as rien à dire, écoute-moi ! Tais-toi, et je t’enseignerai la sagesse ».

[1] Chronique écrite le 25 Avril alors que nous entamons bientôt quelques semaines de confinement en France.

[2] Les paroles de Sound of silence ont été écrites en 1964

[3] Extrait d’un article paru sur le site de Christianisme aujourd’hui publié le 24 juillet 2017 http://www.christianismeaujourdhui.info/articles.php/the-sound-of-silence-paul-simon-16439.html

[4] Extrait du texte en PDF page 614 : https://www.persee.fr/docAsPDF/phlou_0035-3841_2005_num_103_4_7634.pdf

[5] Bible le livre d’Exode 19 : 17 – 20 ; 20 : 8-11

[6] Bible livre de Job : Job 33 : 31-33

L’ennemi ?

Étonnant de ne pas découvrir de vraies méditations et réflexions philosophiques sur ce Covid 19, ce nouveau fléau mondial qui finalement n’a rien de nouveau sous le soleil. La peste en son temps fut perçue comme un véritable cataclysme, la peur gagna alors l’Europe face à cette destruction massive liée à l’épidémie dévastatrice. L’époque, cette période appelée moyen-âge fut marquée comme vous le savez « par le sauve qui peut », un sentiment de frayeur, d’insécurité face à la brutalité de l’épidémie due au bacille de Yersin. Quand la peste se répandait en véritable pandémie, ce sont des foules qui tentèrent de prendre la fuite n’empêchant pas le virus de migrer également, Des processions avaient aussi été organisées partout en Europe, pour invoquer le secours de Dieu.

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Auteur Éric LEMAITRE

Socio économiste

auteur de l’Essai la conscience mécanisée

Le Covid 19, ce nouveau fléau mondial n’a finalement rien de nouveau sous le soleil. La peste en son temps fut perçue comme un véritable cataclysme, la peur gagna alors l’Europe face à cette destruction massive liée à l’épidémie dévastatrice. L’époque, cette période appelée moyen-âge fut marquée comme vous le savez « par le sauve-qui-peut », un sentiment de frayeur, d’insécurité face à la brutalité de l’épidémie due au bacille de Yersin. Quand la peste se répandait en véritable pandémie, ce sont des foules qui tentèrent de prendre la fuite n’empêchant pas le virus de migrer également, Des processions avaient aussi été organisées partout en Europe, pour invoquer le secours de Dieu. Mais notre monde a refoulé Dieu et s’emploie à imaginer que les distanciations et les barrières humaines suffiront à endiguer le mal.

Le monde est de ce fait secoué par une crise qui ressemble à l’expression d’une forme de terreur quasi mondiale propagée par une entité biologique qui ne choisit ni ses proies, ni ses victimes, qui n’a pas de visa et s’invite ou voyage incognito [nous sommes si nous sommes affectés le véhicule corporel, transportant le virus], invisible, pour frapper l’innocent comme le coupable, le riche et le pauvre, ne discrimine ni la couleur, ni l’orientation, pas même la religion de ses victimes, c’est l’humanité dans sa totalité qui est visée. L’appétit de ce virus semble insatiable et il met en péril tous les écosystèmes relationnels, sociaux, économiques. Ce virus est devenu le fléau de ce siècle. Il vient frapper la conscience humaine et nous interroge sur le modèle de société universaliste et consumériste, que nous avons bâti.

L’émotion (surtout pour soi) est en train de gagner aujourd’hui le globe dans son ensemble, notre monde. Avec l’endémie suscitée par ce germe dévastateur, ce que j’observe, est bien l’émergence d’une forme de repli sur soi associé aux mesures de confinement prises par les états : la fin des rassemblements, de toute forme de convivialité, l’évitement de tous les lieux de rendez-vous, l’isolement claquemuré de préférence. Pourtant toutes les mesures de prévention n’ont pas anéanti la fulgurance de la diffusion de ce virus, ce virus ne semble pas craindre les mesures d’endiguement et nous fait prendre conscience de notre finitude, de notre vulnérabilité que nous redécouvrons. Notre société a tellement refoulé la mort, la maladie que leurs spectres se sont finalement tapis, incrustés sur les paliers de nos maisons.

Dans ces contextes d’appréhension et même de terreur planétaire, une matinée, je suis allé chez le boulanger. Habituellement cette boulangerie fait le plein de clients et je remarquais que j’étais étrangement seul dans le magasin, absence de mondes, absence de contacts. J’ai fait rire l’aimable vendeuse, en lui proposant de payer le pain « sans contact ». Ce « sans contact », ce mode de paiement qui est finalement à l’image d’une société qui se dessine, évitons de nous toucher, de nous embrasser, de tendre la main, d’échanger un sourire des fois que ce sourire ne transpire le visage de cette calamité et qu’à mon tour je ne croise le virus assassin. Je me suis également rendu dans une école d’ingénieurs pour surveiller un examen le 13 mars 2020, trois jours avant le confinement décidé par les autorités du pays, et je fus frappé par le regard inquiet chez quelques élèves s’interrogeant sur leur avenir après que leur fussent annoncées les mesures de fermeture des frontières alors que certains devaient se rendre à l’étranger pour effectuer un stage devant valider leur futur diplôme d’ingénieur.

Pourtant il faut en convenir, prenons soin des uns et des autres et ne nous prêtons pas inutilement à cette folie de croire que l’on est protégé et insubmersible ; que l’on ne transmettra pas le virus autour de nous. Une proche travaillant dans un établissement a été la première à s’appliquer les consignes, saluer aimablement ses collègues, mais sans embrassades et serrages de mains. Quand elle fit ce choix, gentiment ses collègues ne se sont pas souciés de cette prévention et continuèrent leurs aimables pratiques. Un soir, un message d’alerte fut partagé par la direction de l’entreprise, un cas de coronavirus [suspecté puis démenti] a été signalé, une collègue en était atteinte, ce fut le vent de panique, le chacun pour soi, le repli, la stratégie de calfeutrage. Lorsque le virus était loin de chez soi, nous avons tendance parfois à en rire, à jouer aux braves, à nous moquer gentiment des autres, mais voilà, c’est arrivé à la porte de l’entreprise [démenti par la suite] de cette proche, qui fut l’une des rares employé(e)s, à retourner pourtant dans son entreprise, mais une entreprise quasi désertée. Le coronavirus est un agent antisocial, et sans doute cette épidémie à l’heure où ces lignes ont été écrites (le 16 mars 2020) va s’aggraver, n’épargnera aucune ville, aucune commune, aucun village, îlot, aucun quartier, aucune rue, aucun voisinage. Ce virus antisocial est aussi mondialiste [métaphore], il ne connait pas de frontières et même si le président Trump ferme les frontières US, barricade l’Amérique, il n’empêchera pas la propagation de cette peste nouvelle, car il faut bien que les Américains séjournant en Europe reviennent dans leurs pays. D’ailleurs la Californie, état américain a déclaré récemment l’État d’urgence, dans la région de Seattle, siège des géants de la technologie digitale qui dominent le marché mondial du numérique, plusieurs cas de coronavirus ont été signalés, multipliant les mesures de protection, encourageant les salariés à se terrer chez eux, à une forme de burrowing. J’entends ici là que le monde numérique va finalement sauver le monde en réinventant les conditions d’une vie sociale sécurisée, grâce à l’intelligence artificielle, au télétravail, aux mails, aux robots qui viendront nous apporter les colis, à Skype ou autres supports pour continuer le lien social avec nos aînés privés de relations vivantes susceptibles de les mettre en danger. Mais hélas, nous créons chez ces derniers de l’insécurité affective et un sentiment de repli, d’abandon qui pourrait les gagner du fait du délitement des interactions sociales. Ces aînés seront aussi les victimes directes ou collatérales de la pandémie.

Nous allons, avec la propagation du virus, entrer dans un monde d’hyperconnectivité accélérée, l’esclavagisme virtuel des temps modernes et sans doute les mesures de confinement vont amplifier et précipiter un mouvement d’inventions numériques [géolocalisation du virus : lieux à ne plus fréquenter, rues à éviter et qui sait voisins à éviter] et d’applicatifs à télécharger pour mieux nous divertir, nous tenir en laisse, tracer les mouvements des populations,  mais c’est un leurre, le numérique ne sauvera pas le monde, le numérique ne nous sauvera pas de cette pandémie. Je crains que d’autres mesures ne soient aussi prises afin de mieux gouverner et tracer les populations, de les traquer, de contrôler leurs ventes et leurs achats.

Pourtant dans ces contextes, nous devrions absolument lire les recommandations de ceux qui nous ont précédés au cours de notre histoire, Je m’en tiendrais ainsi  à la lettre de Luther qui lui-même a été confronté à la peste, il écrivait ces mots[1] pleins de sagesses qui peuvent nous éclairer sur la façon dont nous abordons les événements qui se passent dans les contextes d’une époque angoissée.

« Je demanderai à Dieu par miséricorde de nous protéger. Ensuite, je vais enfumer, pour aider à purifier l’air, donner des médicaments et les prendre. J’éviterai les lieux, et les personnes, où ma présence n’est pas nécessaire pour ne pas être contaminée et aussi infliger et affecter les autres, pour ne pas causer leur mort par suite de ma négligence. Si Dieu veut me prendre, il me trouvera sûrement et j’aurai fait ce qu’il attendait de moi, sans être responsable ni de ma propre mort ni de la mort des autres. Si mon voisin a besoin de moi, je n’éviterai ni lieu ni personne, mais j’irai librement comme indiqué ci-dessus. Voyez, c’est une telle foi qui craint Dieu parce qu’elle n’est ni impétueuse ni téméraire et ne tente pas Dieu. »

 Alors mes chers amis, c’est le moment de redoubler de compassion, d’amour pour vos nos prochains, ne craignons pas le virus, mais ce mal anti relationnel, ne craignons pas la rencontre avec l’autre [Sans le mettre en danger], mais notre isolement, le repli chez soi… Dieu nous appelle à sortir de nos murs, et d’ouvrir nos maisons pour accueillir le prochain, à prier pour les malades à tendre justement la main [le geste de la main est une métaphore, nous n’incitons pas les gens à braver les recommandations]. Ne nous laissons pas intimider par celui que l’on a coutume d’appeler le malin.  Aussi je lance cet appel à la prière pour notre pays, pour ses autorités, pour ses médecins, ses personnels soignants et pour la conscience de tous, de revenir à l’essentiel de la vie, l’amour du prochain. Malheur à nous si nous n’écoutons pas l’exhortation véritable qui nous invite à un changement de modèle de vie, à un changement complet de nos habitudes et notre souhait de rester dans notre salière. Soyons le sel et la lumière du monde, soyons l’espérance dans une ambiance profondément mortifère…

[1] Source: Œuvres de Luther Volume 43 p. 132 la lettre « Que l’on puisse fuir une peste mortelle » écrite au révérend Dr. John Hess.

Réveiller la conscience

Auteur Eric LEMAITRE

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Réveiller la conscience est bien l’enjeu de ce siècle, mais pour la réveiller, il convient de donner à notre conscience une nourriture culturelle et spirituelle. Bien entendu je crois que la dimension spirituelle au sens où nous le comprenons comme chrétien, c’est-à-dire naître d’en haut est l’essence même de notre vie, l’essence primordiale faut-il le souligner. L’essence de cette dimension spirituelle qui nous permet ce passage d’un cœur vide, à un cœur rempli par l’amour de Dieu. Mais tous ne se sentent pas concernés par cette dimension, nous devons l’entendre, car par-dessus tout, nous comprenons que le libre arbitre est une nécessité, une exigence. Cependant le futur essai qui sera publié d’ici Octobre 2019 s’est appuyé sur une démonstration qu’un processus d’aliénation de l’âme humaine est bel et bien engagé. Partageant à des amis ce processus et lors d’une rencontre un dimanche après-midi, des amis m’interrogeaient sur mon activité de réflexions. Je les tenais ainsi informer du dernier livre que j’avais corédigé avec Gérald Pech et je leur rappelais le titre du livre : « La déconstruction de l’homme ». Tous m’ont fait répéter le titre du livre car tous avaient compris « La destruction de l’âme ». Au fond leur ai-je dit, vous avez sans doute entendu ce qu’il fallait entendre « Destruction de l’âme », de fait vous avez pleinement raison, car il s’agit bel et bien d’une entreprise d’anéantissement de la part intérieure de notre existence. Le livre ami lecteur que vous avez maintenant entre vos mains, s’est employé à démontrer ce lent processus engagé depuis l’aube de notre histoire humaine jusqu’à cette post modernité. Ce processus est notamment fondé sur l’envie du « mieux », le désir du « encore et encore », d’une soif insatiable de « plus et davantage » et surtout ce processus est focalisé à répondre à toutes les formes de fantasmes nous libérant du corps, de la finitude.

Aussi notre époque est bel et bien bouleversée par une modification radicale de l’espèce humaine, ce nouveau siècle est bel et bien entré dans une nouvelle ère, celle du post humain, un changement de paradigme traversé par une transformation radicale amenée par une démarche technique et de mathématisation de la vie dont le sommet est le transhumanisme. Ce changement est également illustré par cette nouvelle métaphysique qui redéfinit l’homme autour de conceptions anthropologiques qui sont l’expression d’une forme d’émeute contre l’ancienne anthropologie, cette émeute aura des incidences redoutables qui peuvent peser demain sur notre libre arbitre comme homme, comme personne habitée par des convictions spirituelles ou simplement philosophiques.

Or nous savons que la conscience ne se réduit pas à la matière ou à une matière mécanisée [nous le répétons encore et encore ], à une seule sensation d’existence mais elle est constituée d’une profondeur relationnelle, d’une dimension sensible, cognitive qui est essentiellement adossée à la culture, aux émotions intimes, aux aléas d’une vie traversée par les joies et les épreuves, mais notre conscience n’existe en soi que parce que nous avons le sentiment de l’amour, de nous savoir aimé, or inversement une personne non aimée est une personne isolée et désolée.

En conséquence cette dimension cognitive de la conscience, de la vie intérieure le libre arbitre de l’homme, nourrie par les savoirs est sans aucun doute en péril. Nous avançons dans ce texte l’hypothèse d’une convergence d’éléments interagissant entre eux, altérant la vie intérieure, atomisant la dimension de la conscience, cette capacité à penser la société, cette capacité à s’échapper à la spirale des addictions qui consomment l’âme. Ces menaces s’articulent autour du nivellement de la culture, du divertissement, de la crise, de l’idéologie, facteurs qui participent en s’intriquant à la déconstruction de l’être. Les avancées sociétales ont largement nourri cette thématique de la libre conscience, conscience qui dans sa dimension ontologique est depuis violemment malmenée dans les dimensions anthropologiques fondatrices de notre humanité, c’est ainsi que l’altérité sexuée est assez largement bousculée, remise en cause avec des conséquences qui seront bioéthiques comme changer la programmation de l’ADN humain, inventer l’utérus artificiel, hybrider l’homme et la machine. Or un tel processus engagé sera d’autant plus facile que la conscience sera malléable, qu’une nouvelle culture s’installera pour remplacer l’ancienne, que le divertissement sera l’occupation des âmes asservies, que l’on limogera l’économie du réel au profit d’une économie dématérialisée et servicielle, que l’on diffusera à l’école la pensée post humaniste familiarisant les enfants avec l’appétence des objets transhumanistes

Le transhumanisme :  critique de l’essentialisme et de la sacralisation de la vie

Auteur Eric LEMAITRE

Le transhumanisme :  critique de l’essentialisme et de la sacralisation de la vie

La sacralisation de la vie mérite en soi d’être appréhendée, que faut-il ici entendre ici ou comprendre. Le sacré est sans doute ce qui dépasse la vie même, la transcende et confère cette dimension à la fois de mystère et de sacré. Lorsque nous évoquons la sacralisation de la vie, cela sous-entend qu’il ne faut pas l’atteindre en éteignant par exemple la vie, en la blessant, en modifiant ce qui fait son essence.  La dimension du sacré témoigne d’un aspect qui est au-dessus de moi et que je dois infiniment respecter, la dignité de l’homme, de la vie humaine doit être le principe même qui régit l’existence et ce de manière inaliénable. La dignité de l’homme est par exemple un principe sur lequel il n’y a pas à céder, car au-dessus de nous-même. La sacralisation n’est pas le fétichisme, la vie n’est pas ainsi un objet, l’objet de la vie transcende la matière et nécessite qu’on lui voue non l’adoration mais le respect dû à cette dimension qui nous dépasse.

Or dans ces contextes, réduire la vie humaine à une dimension qui n’aurait pas de sens au-delà de la matière confine l’existence humaine à une forme de désacralisation, à une perte totale de sens. Or nous comprenons le transhumanisme comme l’expression en réalité d’une désespérance et d’un rejet de la vie imparfaite, où devrions-nous plutôt dire le rejet de l’homme déchu. Le transhumanisme est la révolte de l’homme ne supportant plus d’avoir été déchu de sa condition originelle, il faut donc comme nous l’avions déjà exploré : orienter la recherche scientifique dans l’exploration de solutions qui auront pour objet de changer la nature de l’homme y compris de gommer toute empreinte d’un récit ancien qui le relierait à l’idée même de Dieu. Le transhumanisme veut pourvoir redéfinir la nature et franchir les Rubicon des lois naturelles, ainsi la conception génétique et eugéniste que se donne les tenants d’un post humanisme, légitime selon eux la désacralisation, la désacralisation est légitime du fait que la figure de la personne handicapée leur est insupportable. Dans ces contextes de corriger la nature de l’homme, il faut à tout prix fustiger dans le génome humain, le gêne délétère ou défectueux. Puisque la liberté du corps est proclamée, il faut au nom de ce principe de désacralisation, désacraliser la naissance et comme nous l’avions déjà écrit précédemment, puisque la procréation sexuée est associée à la mort, il convient alors de modifier le modèle de la naissance humaine en proposant une autre voie qui pourrait être celle de la réplication de l’être humain par voie de clonage ou bien si l’IA l’autorise répliquer l’identité du cerveau.

Menant une réflexion bioéthique dense à la suite de sa lecture de CS LEWIS l’homme aboli, Léon Kass Médecin et promoteur de l’éducation libérale, partagea sa grande perplexité concernant le devenir de l’homme dans ces contextes de désacralisation de la vie, s’interrogeant sur les perspectives qui se dessinent à moyen ou long terme pour l’être, ou j’oserai écrire à court terme, « L’homme restera-t-il une créature créée à l’image de Dieu, aspirant à se rapprocher du divin, ou deviendra-t-il un artefact créé par l’homme à l’image de Dieu-, suivant les seules aspirations de la volonté humaine ? ».

La réflexion de Léon Kass nous conduit à la réflexion qui sous-tend la « théologie » transhumaniste à savoir une vision exclusivement matérialiste de l’homme. En effet la thèse matérialiste qui a pleinement prévalu au XIXème siècle prétend que tout ce qui existe, est une manifestation « mécanique » et physique, que tout phénomène est le résultat d’interactions matérielles. Cette conception purement matérialiste de l’être humain défait ainsi la dimension ontologique, déconstruit cette part de sacré consacré à l’existence humaine. Il s’agit ainsi pour le transhumaniste d’abolir la notion de finitude qui caractérise l’homme, il convient dès lors de prendre en main sa destinée afin de ne pas l’enfermer dans les limites défectueuses et imparfaites du corps biologique pour en fin de compte arracher l’homme à l’ordre des lois naturelles.

Cette nouvelle métaphysique, cette conception anthropologique entend remettre en cause la vision essentialiste celle de la primauté de l’essence sur l’existence, en redéfinissant en conséquence les frontières du corps entre réparation et amélioration, entre thérapie et augmentation.

Cette désacralisation de l’être humain donne ainsi naissance à une nouvelle médecine, celle non de la réparation mais de l’amélioration dont l’objectif n’est plus de remédier à des formes de handicap ou de guérir des maladies, mais de bien modifier l’homme ou de l’augmenter en termes de performances physiques, cognitives…

Hippocrate partageait une vision de l’homme qui n’est pas celle des idéologies enfermant l’homme ou le réduisant à une vision matérialiste ; mécanique, la dignité de l’homme est au cœur du serment d’Hippocrate, la nécessité d’en prendre soin. La sacralité de la vie est soulignée dans le serment dont le texte devrait interpeller toutes les consciences alors que cette vie dans sa dimension intégrale est le sujet aujourd’hui de remises en question. Réduire l’homme ainsi à la matière conduirait inévitablement à violer l’esprit du serment d’Hippocrate. N’oublions pas que les Pères de l’église ont été largement imprégnés de cette vision associée au respect du malade, notamment le Didaché, ce premier document du christianisme primitif qui souligne amplement le respect de la vie soulignant qu’il y a une « grande différence entre le chemin de la vie et celui de la mort ».

Le combat engagé dans la doctrine matérialiste, promue par le transhumanisme n’est pas le combat de la vie, c’est même exactement l’inverse, puisque ce qui est réduit à la matière n’est pas l’émotion, la vibration de l’âme, ce pont vibrant qui le relie au vivant mais à une dimension qui transcende notre être tout entier. Comme l’écrit[1] Mario-Beauregard chercheure en neuroscience « En dépit de déclarations fracassantes dans les médias grand public, les nouvelles découvertes n’ont pas permis d’expliquer les concepts basiques tels que conscience, l’esprit, le soi et le libre arbitre. Les hypothèses qui réduisent l’esprit aux fonctions du cerveau ou contestent son existence même en sont restés à ce stade- d’hypothèses. Elle ne repose pas sur des démonstrations convaincantes mais sur le matérialisme de promesse contre ce que le philosophe Karl Popper nous a mis en garde ».

En effet pour Karl Popper philosophe des sciences faisait valoir que « L’Univers, nous paraît intuitivement relever de la causalité, d’un enchaînement de causes et de conséquences, comme s’il s’agissait d’une horloge. En réalité, il n’en est rien. Depuis la mécanique quantique de Broglie, nous avons appris que nous vivons dans un univers de probabilités, un univers créatif, non mécaniste, et qui est en expansion. Cet univers est donc fondé sur des événements qui ont été guidés par certaines probabilités. Mais ces probabilités sont en général inégales : les probabilités deviennent des propensions, les phénomènes ayant tendance à s’orienter spontanément dans une seule direction. Donc, Dieu joue bien aux dés, mais les dés sont lestés : physique et métaphysique sont par conséquent indissociables. » (Misère de l’historicisme)

Autrement dit Karl Popper souligne que nous sommes en réalité aux antipodes du déterminisme, que nous avons notre propre liberté, que l’univers a lui-même sa propre liberté, nous ne sommes ni mus, ni contraints, libres de choisir, libres de nous déterminer. La responsabilité individuelle est au cœur même de la vie, cette liberté de l’homme était au cœur de l’Eden, la liberté est une dimension de la sacralité, l’essence devrais-je écrire de la dimension sacrée de notre existence.

Or je prends conscience que nous entrons dans un monde qui entend nous soumettre à l’injonction de ses directives, du poids de ses normes. Comme je l’indiquais dans une conférence ayant pour sujet le transhumanisme ce sera l’éthique du bien faire et non l’éthique de faire du bien, l’éthique du bien faire, c’est celle de la norme qui s’impose pour réguler, l’injonction de la norme qui réduit finalement la dimension de l’intelligence relationnelle, fait de tâtonnements, d’avancées, d’échanges argumentés, de postures, de freins ou d’envies. Le transhumanisme a une vision sociale nécessairement aux antipodes de la liberté, c’est le contraire de la liberté, la liberté qui est l’essence de la sacralisation de la vie. La liberté n’est pas l’autonomie, la liberté n’est pas le relativisme, la liberté est du côté de la vie, la liberté est du côté du sacré, contre la dimension mortifère ou liberticide.

Lors d’une réunion dans les locaux de la vie associative  de Reims, une réunion sur le climat, je m’entretenais des solutions applicables localement et je croisais le regard d’une élève de science po Paris particulièrement brillante mais qui plaçait son discours sur un mode virulent et injonctif prétendant qu’il y avait aujourd’hui urgence de modifier les comportements, or le mode injonctif de son discours s’apparente à un exposé en réalité autoritaire, si certes, je peux comprendre l’urgence, la décision en réalité appartient à tout-à-chacun, de choisir de changer ou non de modèle, de comportement. Or il me semble que la liberté bonne ou mauvaise est bien une caractéristique de la liberté de l’être humain et fait partie de la sacralité de la vie.  La vie ne se gouverne pas avec le monde des normes, la vie est fondée sur l’échange et le relationnel, la sacralité de la vie est dans la dimension de l’échange, du partage, de l’éveil de la conscience.

La sacralité de la vie humaine, se résume selon moi par ce commandement[2] que Jésus considérait comme étant le plus grand. « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est le premier commandement et le plus grand. Et voici le deuxième, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. ».

La sacralité de la vie doit être motivée par notre amour pour Dieu et pour les autres. Nous aimerons notre prochain et nous en prendrons soin (Galates 6.10, Colossiens 3.12-15), nous porterons secours à la veuve et l’orphelin, aux malades et aux laissés pour compte et nous ferons preuve de disponibilité pour protéger les autres contre toute forme de mal, qu’il s’agisse de l’avortement, de l’euthanasie, du trafic de personnes ou toutes les formes d’abus qui violeraient la dimension de la dignité. « La sacralité de la vie humaine peut être le fondement de nos actes, mais l’amour doit en être la motivation ».

[1] Citation extraite du livre « Du cerveau à Dieu » Editeur Guy Trédaniel éditeur. Page 151

[2] Bible évangile de Matthieu chapitre 22. Versets : 37- 39

L’éternité de la Nymphe Calypso est un jour comme un autre jour

Comme le monde de la Calypso, le monde transhumaniste qui promet la volupté factice d’une vie prolongée, évoque peu la dimension intérieure, la véritable intériorité recherchée par Ulysse celle de l’amour des êtres éphémères.  Le monde transhumaniste semble se focaliser sur la matière, la possession de la matière. Or réduire la vie à la dimension de la matérialité, c’est aliéner en quelque sorte le sensible, cette composante de l’âme, de la vie intérieure. Il vaut mieux vivre intensément cette vie intérieure sans être possédé par le monde des objets.

Attribuée à l’aède Homère (fin du du VIIIème siècle av. J.-C), composée après l’Illiade, l’Odyssée relate le voyage entrepris par Ulysse à son retour de la guerre de Troyes et qui mit près de dix années avant de revenir à son île d’Ithaque sa patrie pour y retrouver sa famille. Dans l’épopée d’Ulysse et son retour à Ithaque, son voyage est mouvementé, éprouvé, perturbé, troublé et même dérouté par le Dieu Poséidon. Dans ce voyage tumultueux, un des récits, relaté par Homère s’arrête sur la mystérieuse nymphe Calypso, [celle qui dissimule]. La nymphe tente de le charmer, elle retient Ulysse pendant 7 années, éperdument amoureuse, la Nymphe lui promet l’éternité, mais cette éternité est un jour comme un autre, Ulysse se morfond et veut rentrer à Ithaque, retrouver sa femme Pénélope et son fils Télémaque.

Lors d’une étude biblique, un ami nous partagea cette parole de l’ecclésiaste « A quoi bon vivre deux fois mille ans, sans jouir du bonheur ». Ulysse ne sembla pas jouir de ce bonheur, Ulysse fut comme enveloppée par la Nymphe, mais cette éternité-là promise par la Nymphe était loin finalement de cette vie intérieure qu’il connaissait au sein de son Ile Ithaque, auprès de son épouse Pénélope, loin finalement de ce bonheur éphémère.

 Le bonheur en hébreu est Towb, ce qui signifie bien avec, être heureux, le bonheur nous renvoie en soi au bonheur intérieur, à un bonheur également partagé avec, à une joie également indicible.

Comme le monde de la Calypso, le monde transhumaniste qui promet la volupté factice d’une vie prolongée, évoque peu la dimension intérieure, la véritable intériorité recherchée par Ulysse celle de l’amour des êtres éphémères.  Le monde transhumaniste semble se focaliser sur la matière, la possession de la matière. Or réduire la vie à la dimension de la matérialité, c’est aliéner en quelque sorte le sensible, cette composante de l’âme, de la vie intime. Il vaut mieux vivre intensément cette vie intérieure sans être possédé par le monde des objets. Le transhumanisme est de fait une perte de sens, l’existentialisme transhumaniste ne rêve pas l’émotion, un jour est un jour comme un autre jour régulé par la matière interactive qui nous enveloppe (la calypso) et régit notre vie, qui entend aussi effacer le souvenir d’Ithaque, le ressenti au plus profond de soi, l’amour.

Le monde de l’homme augmenté est celui de la performance, de l’amélioration de soi [cognitif ou physique] mais non cette dimension de profondeur. Le monde transhumaniste entend abolir finalement la faiblesse, la fragilité, la finitude, l’éphémère, un jour dans cet univers de la vie prolongée sera un jour comme un autre jour. Est-ce là le vrai bonheur s’interroge le Qohèleth, celui qui s’adresse en hébreu à la foule, ainsi Salomon l’auteur de l’ecclésiaste aurait-il pu proclamer l’inanité, la vanité, la folie de cette vision partagée par les idéologues du transhumanisme d’une vie indéfiniment prolongée sans la quête relationnelle, sans la quête du bonheur, sans vie intérieure, sans réel lendemain.

A lire : La philosophie est devenue folle

A travers le livre de la Genèse,  le premier livre de la bible, nous sommes étonnés de la façon dont Dieu structure, organise l’univers, et lui a donné un ordre, en procédant à une série de distinctions, de terme à terme : Dieu/l’homme ; l’ordre/ le tohu bohu, le jour/la nuit, l’homme mâle/femelle, l’homme/les animaux ; les animaux/les végétaux ; la terre/l’eau/le ciel.

Dans le livre de la Genèse, la création du monde procède par éléments séparés. Pour respecter l’ordre introduit par Dieu, il convient de fait de maintenir cette séparation, au risque de retourner au chaos, au tohu bohu, à une forme de confusion. Or, implicitement selon les Écritures, l’un des enseignements majeurs que l’on peut ici extraire, en partant de la lecture du livre de la Genèse, montrant définitivement la vision écologique de la création, ce qui a été différencié ne saurait être mélangé. La création ne saurait faire l’objet de transgressions, en mêlant, à nouveau, ou en confondant, ce qui a été à l’origine de la création « séparé », ce qui entraînerait la confusion, celle de « ne pas distinguer la main droite et la main gauche, » tel que le rapporte le livre du prophète Jonas, qui décrit une ville plongée dans la confusion.

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Or dans les débats actuels qui obsèdent notre monde actuel, nous observons deux folies majeures qui touchent les concepts de genre et l’‎Antispécisme comme le rapporte le philosophe Jean-François Braunstein dont nous rapportons la citation provocante, mais une provocation en fin de compte très pertinente

Si le genre n’est pas lié au sexe, pourquoi ne pas en changer tous les matins ? Si le corps est à la disposition de notre conscience, pourquoi ne pas le modifier à l’infini ? S’il n’y a pas de différence entre animaux et humains, pourquoi ne pas faire des expériences scientifiques sur les comateux plutôt que sur les animaux ? Pourquoi ne pas avoir de relations sexuelles avec son chien ?

Dans ce contexte décrit par le Philosophe Jean-François Braunstein et d’une lecture extrême de l’égalité concernant l’humanité y compris avec le règne animal, nous sommes bel et bien confrontée à une conception philosophique faussée, une lecture qui résulte en  somme d’une incompréhension de l’homme sur la nature même de la diversité, du métissage, de la variété de la complémentarité, de la richesse des différences, de la biodiversité et de l’étendue infinie des écosystèmes peuplant harmonieusement le monde terrestre.

L’observation même de la nature ne conduit-elle pas à admirer ses reliefs, ses paysages, les espèces peuplant l’environnement de l’habitat humain. Tous les reliefs multiformes de l’univers furent ainsi préférés à un simple trait horizontal, à la brique de Babel. Le cosmos n’est pas ainsi plat mais pluridimensionnel. Il nous semble dès lors essentiel de comprendre la matrice et l’essence même de la différence, de comprendre le choc qui s’en est suivi pour les civilisations dont certaines d’entre elles, submergées par le poids des idéologies totalitaires et égalitaires, ont parfois cherché à anéantir la différence religieuse, ethnique, culturelle et même animale au point de considérer par l’absurde que son chien est n’importe quel homme.

Aussi appréhender l’anthropologie biblique, la conception de l’homme telle que la Bible la conçoit nous parait essentiel pour analyser les dérives d’une déconstruction de l’homme. L’altérité et la différence doivent être perçues comme des éléments de richesse nécessaires au bien commun et non perçues comme une injustice à réparer coûte que coûte.

Depuis le commencement, tout l’univers se caractérise par une prodigieuse, une incroyable diversité des éléments et des espèces, une anti uniformité. Le cosmos infini ne se propose pas comme un univers plat, parfaitement égalisé ; il semble à l’évidence que le relief fut préféré au trait horizontal. La création se présente dès lors comme un ensemble de matériaux riches de plusieurs dimensions, un univers composite, de formes multiples étonnantes et singulières. Le cosmos se définit à travers de multiples dimensions, un univers qui se manifeste à travers l’extraordinaire profusion, la variété des éléments et du vivant.

Concernant les éléments, il est ainsi frappant d’observer la phénoménale diversité des cristaux de flocons de neige, cette architecture tellement diverse et symétriquement parfaite.

Dans le vivant, comment ne pas s’émerveiller de l’aboutissement d’un homme en mesure lui aussi de penser l’univers puis de créer à son tour.

Le livre de la Genèse offre d’abord une vision différenciée de la création. Du premier au sixième jour, Dieu crée d’abord les éléments (la lumière, la matière, la flore, la faune) puis les êtres vivants.

La création se fait en plusieurs séquences dans une perspective inégalitaire. A ce propos, il existe une idéologie l’antispécisme qui s’oppose clairement à l’anthropologie Biblique et fait valoir une égalité en dignité et en valeur entre les animaux et l’humanité ; rien en
l’espèce ne les différencie. Selon cette idéologie, l’homme créé rationnel ne se distingue pas de l’animal gouverné par l’instinct. Or la réalité telle que le récit du livre de la Genèse le rapporte est autre : les animaux ne sont pas de rang égal avec l’homme ; seule l’humanité a été créée à l’image de Dieu.

Il y a une différence entre le minéral et le monde vivant, et une différence entre les êtres créés. Le monde vivant n’est pas seulement diversifié, il est conçu comme inégal.

La caractéristique de l’Univers n’est donc pas l’uniformité : Les créatures ne sont pas mises à la même échelle, ne sont pas tous conçus de manière uniforme. Dieu ordonne, Dieu structure l’univers en partant du Tohu-Bohu de l’informe jusqu’à la forme parfaite portant l’identité même du Créateur : l’homme fait à son image. Oui, la forme parfaite conçue dans le monde vivant est  ainsi l’homme : ce terreux, ce glaiseux, ce glébeux, infiniment petit à l’échelle de l’univers. Dieu l’a créé ainsi, à cette échelle, car sa conscience d’être ne doit pas être limitée à sa finitude.

A propos de la différence, si l’apôtre Paul souligne « Il n’y a plus l’homme et la femme » en Christ, il ne signifie pas que la foi effacerait la différence des sexes : Il souligne que le principe de la foi n’empêche pas la diversité et d’être tous faits à l’image de Dieu. Et il en va ainsi de toutes les autres diversités culturelles, religieuses ou sociales. La différence, l’altérité la complémentarité, n’empêchent pas que nous soyons tous faits à l’image de Dieu.

Pourtant la pensée contemporaine dénie la différence entre les hommes et les femmes, dénie l’altérité, comme elle s’insupporte de la souffrance et du handicap. Elle est au point de créer de nouvelles catégories : demain il ne sera sans doute plus question de parler d’hommes et de femmes mais de genres et d’orientations sexuelles délibérément choisies.

Méconnaissant l’amour et la justice de Dieu, l’humanité dans sa nouvelle religion anthropologique lit et explique le Cosmos selon un nouvel horizon géométrique : la seule horizontalité et de niveau égale. Dans cette nouvelle anthropologie, l’immense diversité des êtres est disposée sur un même plan. Tout s’entasse dans un champ matérialiste aux horizons incertains, aux contingences indéfinies. Du coup, le combat pour l’égalité se transforme en dogme de l’égalitarisme. La différence n’est plus alors valorisée. Quand on arase tous les épis d’un champ sur un même plan, la disparité comme la diversité apparaît comme une inégalité (l’épi le plus haut devient en soi
insupportable).

C’est donc un même mouvement consumériste et idéologique qui conduit, d’une part, à nier la différence substantielle entre les personnes et les biens et, d’autre part, à nier les diversités et la richesse des différences entre les hommes.