La barbarie moderne

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal.

Texte de Eric LEMAITRE

En 2014, je publiais sur le site d’Éthiques Chrétiennes, sous un pseudonyme un texte qui était une réflexion sur la barbarie, je décidais de l’exhumer et de l’intégrer à mon nouvel essai, car de façon intuitive il évoquait déjà la trame d’un monde en passe de se déchirer, broyé par les exactions, les outrances, les violences, mais aussi par des lois iniques qui deviennent de véritables abominations comme celles qui ont recueilli un premier assentiment favorable lors d’un premier vote de l’Assemblée nationale[1] et qui concernait selon mes termes l’autorisation de l’infanticide au terme de l’accouchement sous prétexte que la femme en souffrance psychologique ne pourrait assurer sa maternité. L’humanisme de la loi vient en l’état, légitimer le crime d’un enfant innocent qui lui n’a pas demandé qu’une telle peine lui soit infligée. On s’étonne qu’en pleine pandémie, le gouvernement et les élus de la nation veuillent s’attarder à voter de nouvelles mesures bioéthiques. Ces lois bioéthiques qui forment comme beaucoup l’ont auparavant écrit avant moi, une antiphrase, une loi qui n’est ni bio, ni éthique. Ni bio, car cette loi promeut le recours à des techniques artificielles et contre nature pour répondre aux désirs de femmes ne pouvant enfanter, de leur accorder cette possibilité, d’être elles-mêmes enceintes. Ni éthique, car aucune limite n’est en réalité donnée à des « expérimentations invraisemblables [2]» notamment en autorisant la recherche à des fins médicales sur les chimères mêlant le génome humain et le génome animal. Ainsi il sera plausible avec l’aval du législateur d’introduire des cellules souches humaines dans un embryon animal. En implantant L’embryon dans l’utérus d’un animal, les chercheurs espèrent ainsi développer des organes humains chez des animaux en vue d’une transplantation dans un corps malade. Ces organes pourraient être, en effet, prélevés pour être à nouveau greffés sur des patients humains malades. Il y invariablement dans l’avancée des progrès scientifiques encouragés par la loi, une coloration très humaniste pour nous faire avaler la pilule puis reléguer les opposants à ces lois mortifères, dans le camp de radicaux malfaisants, empêchant la marche du progrès transhumaniste.  

Notre époque assiste à une forme d’accélération de la déconstruction de l’homme ; le pire est le rapprochement d’une dissolution totale de ces civilisations, civilisations qui fuient vers le consumérisme, le nihilisme, l’eugénisme, le technicisme, ou le fondamentalisme. Il est frappant que dans ces périodes de crise, de relever la propagation de la violence, de l’empilement des maux qui viennent submerger les nations. Ouvrons le journal et c’est l’étalement de l’horreur qui se répand sur la terre. Même l’Europe à ses portes est en proie à des exactions et à des déchirements qui lui font craindre le pire. Dans la nuit du 16 au 17 juillet 2020 à Reims, un quartier Rémois a été confronté à des violences urbaines, à des tirs de mortiers et à une série d’incendies, il n’y a pas eu de blessés, mais on relève comme une forme « d’ensauvagement[3] » généralisée de la société, une jeunesse qui transgresse tous les interdits et ne se prive pas de braver les lois, d’enfreindre la tranquillité des quartiers. Dans le même département et quelques jours plus tôt précédant les événements vécus à Reims, la ville de Saint-Dizier était également en proie à des tensions urbaines. L’année 2020 est ainsi traversée par des épisodes de brutalités, d’exactions parfois communautaires comme nous si nous vivions à une forme de dérèglement de la planète impactant toutes les dimensions sociales, comme climatiques ou sanitaires. Le monde en délogeant le Dieu du ciel et toutes ses lois a finalement engendré le lit de la « barbarie » en abandonnant les valeurs prétendues civilisationnelles et morales, les repères, les attaches, les piliers qui nous faisaient discerner le Bien et le Mal. L’occident au cours de son histoire s’est longuement, fait le chantre de la civilisation, en s’identifiant à ce processus des nations civilisatrices, considérant les autres nations comme primitives rassemblant des barbares, dans le sens d’êtres attachés à une vie archaïque, de personnes qui ne connaissent pas ou sont demeurées dans l’ignorance des références qui qualifient la civilisation. Le mot même de barbare était entaché par une notion d’inculture avant d’embrasser plus tard celui de cruauté, pendant longtemps le corollaire de la cruauté fut ainsi associé à celui de barbarie.   

Cette époque de relativisation qui caractérise les dernières décennies précédant le XXIe siècle, a accouché les idéologies les plus extrêmes, celles de déconstruire l’homme, en enfantant les lois les plus radicales, l’aliénant. Ce constat contemporain nous renvoie plusieurs millénaires en arrière à ce récit de la Genèse qui depuis la chute de l’homme, cette rupture avec Dieu est entrée dans un cycle de violence. Cycle qui commença avec Caïn : ce dernier assassine son frère. Pourtant, Dieu entend casser ce cycle pour ne pas engendrer des générations de meurtriers ; Il protège Caïn comme la manifestation d’un premier signe de sa grâce. La violence telle qu’elle est décrite dans le livre de la Genèse, est devenue l’un des maux qui couronne les autres calamités traversant l’humanité. Mais qui en est responsable ? La Bible déclare que toute chair porte cette responsabilité : c’est le commentaire extrait du livre de la Genèse au chapitre 6, verset 11. « Toute chair est corrompue, la terre s’est remplie de violence ». La violence ne résulte pas ainsi et en soi d’une catégorie d’hommes. Intrinsèquement et structurellement toute chair porte en elle cette dimension de corruption et de violence qui en représente l’aboutissement. La violence est quelque part destructrice et les traumatismes l’accompagnant, dévastateurs. La violence est autant du fait d’individus que d’organisations ou d’états. Avortements, crimes, terrorisme, génocide constituent les illustrations de la violence menée à son paroxysme, et ce à différentes échelles, de l’individu à l’état. La violence demeure une forme de corollaire de la barbarie. Les sociétés violentes sont imprégnées d’une forme de nihilisme de la pitié, une contre-humanité. La violence, est-elle lors la traduction de la barbarie ou le retour à la barbarie primitive ? La dimension même de la barbarie est devenue une expression qui a été au cours des dernières années, utilisée à de nombreuses reprises par les médias et sur réseaux sociaux, pour évoquer la cruauté de l’Etat Islamique (L’EI), la monstruosité, l’inhumanité d’hommes qui sous couvert d’une idéologie s’emploie à imposer une conception religieuse et ultra-légaliste de leur monde au mépris des cultures, des valeurs, des croyances d’autres peuples, d’autres humains.

L’expression de cette barbarie brutale, atroce secoue l’entendement et les consciences à l’aune d’un XXIe siècle en proie à de profondes mutations culturelles, sociétales, écologiques, politiques. Siècle soudainement secoué par des images féroces qui traduisent l’insensibilité et la bestialité d’hommes qui s’excluent du coup du genre humain, tant les actes commis nous font horreur, abîment et blessent l’image même de l’homme lui-même image de Dieu, d’un Dieu compassionnel. Le mot barbare ou d’autres mots similaires reviennent sur toutes les lèvres, mais les mots mêmes sont impuissants et révèlent parfois leurs limites. L’emploi du mot barbare couvre comme nous l’avions déjà rappelé deux notions que déclinent la cruauté et l’archaïsme. Cette cruauté est devenue une forme même d’inculture poussée à son paroxysme, mais associée le plus souvent à l’archaïsme. Pourtant, l’absence de culture n’a pas toujours caractérisé ceux que l’on qualifiait de barbares. Contrairement à l’idée reçue la Barbarie n’est pas systématiquement l’inculture L’histoire récente, nous renvoie ainsi et pour mémoire à l’idéologie nazie, où certaines figures cruelles de cette idéologie inhumaine ont été éprises de cultures. Ces mêmes nazis ont porté au pinacle des œuvres qui ont marqué l’humanité, voire jusqu’à les protéger. Le savoir civilisé, soi-disant policé de l’Europe n’engendra-t-il pas d’une certaine manière un monstre, le monstre lui-même célébré par le philosophe Heidegger qui ne se dissimula pas, de partager les thèses nazies. Montaigne, dans le chapitre de ses Essais intitulé « les cannibales » nous évoque avec stupeur un paradoxe sur la culture anthropologique : Le plus barbare n’est pas nécessairement celui que l’on se figure. Ainsi le plus sauvage n’est pas nécessairement celui que l’on a coutume de caractériser à l’aune de nos constructions culturelles et des représentations de notre civilisation qui impactent et influent ces mêmes représentations. Le cannibalisme n’est pas ainsi l’exclusivité ou l’apanage des hommes que l’on qualifie habituellement de primitifs, une forme de « cannibalisme » peut aussi caractériser les civilisations dites les plus avancées. Dans sa vision critique, Montaigne juge en évoquant sa propre civilisation que les cannibales du royaume s’avèrent bien plus barbares que ceux du royaume des cannibales. « Les cannibales du royaume sont spécialistes en trahison, tyrannie, cruauté et déloyauté, accusant les « barbares » d’attitudes qui se révèlent pourtant moins graves que les leurs, et ceci sans démarche d’introspection. » Pour poursuivre son analyse Montaigne juge les guerres de religion notamment l’inquisition et fait valoir qu’elles ne sont pas plus civilisées que les rituels d’anthropophagie des cannibales, « mangeurs de chairs humaines ». La barbarie participe d’une forme d’aliénation de l’être humain comme différence. Nous osons en effet aborder la notion de barbarie comme l’expression même de la violence, une violence qui est le mépris de l’autre, de l’humain, le mépris de la différence, une violence qui est tout simplement la négation de l’autre, l’aliénation de l’être humain comme l’expression de la diversité. La barbarie qui est une forme de puissance aliénante est une façon de gommer les disparités, d’imposer une forme de totalitarisme nivelant les autres au nom même d’une croyance, d’une idéologie. Il faut alors exécuter le bouc émissaire qui porte en lui ce que je hais comme symbole de l’altérité ou de la dissemblance. L’eugénisme est en soi une forme de barbarie, quand elle dicte qui doit vivre ou est digne d’être. La barbarie se traduit ainsi par une forme totalitaire de rejet absolu, une stigmatisation des populations voire même des êtres parmi les plus vulnérables, les plus fragiles, une exclusion violente de l’être humain dans ce qu’il peut incarner à travers son histoire, son identité, sa croyance, sa naissance, ses infirmités, son handicap. Comme l’exprime Fabrice Hadjad dans le livre la foi des démons, cette forme de barbarie atroce « gît dans le mal et a l’angoisse du bien ».

Le monde occidental a coutume de pointer la barbarie des autres civilisations, mais sa civilisation n’est pas en soi exempte d’en porter également les germes ou même de manifester les symptômes d’une société mortifère. Je reprends ici l’intégralité d’un texte écrit par Fabrice Hadjadj  : « Après Auschwitz et Hiroshima : le pire de notre époque est l’imminence de la destruction totale. Peut-on encore parler d’un Dieu bon et puissant ? S’il est bon, il est faible, vu qu’il n’a pas pu empêcher la catastrophe (position de philosophe juif Hans Jonas). Mais dans ce cas, si Dieu n’est plus celui qui intervient dans l’Histoire, Hitler n’a-t-il pas détruit le Dieu de la Bible ? Si la religion de David est invalidée, il ne reste plus que le culte de la Shoah. C’est ce que reproche Benny Lévy à ses frères lorsqu’il les accuse d’avoir fait une idole d’Auschwitz. Ce qui interroge avec la Shoah et le Goulag, c’est la forme prise par le mal, sa banalité comme dit Hannah Arendt.Ces destructions ne sont pas le fruit d’un accès de rage barbare, mais d’une froide planification pour obéir à de prétendues lois de l’Histoire ou de la nature. Ceci démontre que l’idéologie du progrès mène à la catastrophe et que le libéralisme a engendré d’une manière indéniable le totalitarisme, ils éprouvent la même volonté d’exploitation de l’homme. A cela s’ajoute la possibilité pour l’homme d’anéantir l’espèce humaine. La spécificité de la crise actuelle et notamment de la pandémie est la conscience de notre disparition probable, pas seulement en tant qu’individu, mais surtout en tant qu’espèce. « L’humanisme a fait long feu et les lendemains ne chanteront pas ».La barbarie occidentale de la prétendue civilisation, est de la sorte un anti prochain une forme de contre idéologie de l’amourLa Barbarie est en soi la manifestation possible d’une puissance démoniaque en ce sens qu’elle est une haine de l’autre, le contraire de « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Il est parfaitement concevable de supposer une volonté démoniaque d’être le contre-pied de l’amour du prochain : L’amour du prochain dans toute sa dimension relationnelle est à combattre dans la pensée qui incarne « le monde de demain », il ne saurait faire sens. Combien de religions se sont finalement fourvoyées y compris celles d’inspiration chrétienne en occultant le message fondamental qui est l’amour de l’autre, un amour de l’autre qui est sans condition. L’amour de l’autre est en effet sans dogmatisme, sans hypocrisie, c’est un amour christique. « Tu aimes ton prochain » dans ce qu’il a de différent. Ce qui ne plait pas en lui y compris sa vulnérabilité insupportable, ne doit pas nous conduire l’avorter[4] ou à le supprimer, même sous prétexte même d’humanisme.Le livre d’Ézéchiel évoque la violence du Prince de Tyr rappelant qu’initialement il siégeait auprès de Dieu « Tu as été intègre dans tes voies, depuis le jour où tu fus créé jusqu’à celui où l’iniquité a été trouvée chez toi. Par la grandeur de ton commerce, tu as été rempli de violence, et tu as péché ; Je te précipite de la montagne de Dieu, Et, je te fais disparaître, chérubin protecteur, Du milieu des pierres étincelantes. » Ezéchiel 28 : 11-15 ». L’expression « tu as été rempli de violence », d’une certaine manière orchestre l’influence qu’exerce Satan dans le monde faisant de l’humanité empreinte divine, l’ennemi à abattre.Ce constat de cette violence envers la notion du prochain a été décrit par le philosophe espagnol Ortega qui dépeint un autre trait de la barbarie à travers la haine, « La haine sécrète un suc virulent et corrosif. […] La haine est annulation et assassinat virtuel – non pas un assassinat qui se fait d’un coup ; haïr, c’est assassiner sans relâche, effacer l’être haï de l’existence ».Un étudiant posa un jour cette question à Hannah Arendt « pourquoi appelez-vous « crime contre l’humanité un crime contre le peuple juif ? », elle répondit : « parce que les Juifs sont d’abord des hommes ». Je crois tout simplement que Hannah Arendt résumait parfaitement le propos que nous souhaitons défendre : la Barbarie ne s’inscrit pas comme un crime contre un groupe, une entité ou une catégorie d’hommes, c’est avant tout un crime contre l’homme. Les barbaries que nous dénonçons, en témoignant au cours de nos veillées, sur les places publiques où nous nous rassemblons, sont la manifestation de notre attachement à l’être humain, à tout l’être humain. C’est pourquoi nous sommes aussi solidaires à nos frères non seulement chrétiens, mais tous ceux qui doivent souffrir au nom de leur foi, de leurs croyances. Cette expression de l’amour est aussi pour les plus vulnérables, les plus fragiles, les enfants, ceux qui sont à naître également, les plus âgés également, les plus dépendants parmi eux.Dans cette revue de l’humanité haïe pour des raisons d’identité, Hannah Arendt inscrit le problème du mal radical advenu avec la Shoah dans la perspective de l’universalisme humain.

La nouvelle Barbarie occidentale est un habillage humaniste. Le barbare n’est pas seulement l’expression d’une violence d’un individu, ou d’un groupe d’individus, elle peut résulter d’une organisation qui peut habiller sa barbarie en la justifiant de concepts humanistes. Comme nous l’avons par ailleurs rappelé, la notion même de barbarie n’est pas nécessairement l’antithèse de la civilisation. La barbarie peut être le produit de la civilisation, Montaigne ne dit pas autre chose. Notre civilisation, n’est-elle pas entrée dans une crise profonde. Cette crise qui annonce une forme de délitement des valeurs morales peut générer comme le décrit Montaigne « le cannibalisme du Royaume » de nouvelles violences non nécessairement produit par les fanatismes religieux, mais par des dogmatismes idéologiques, comme ce fut d’ailleurs le cas avec le marxisme-léniniste, le nazisme. Il est étrange que l’Europe démocrate qui a combattu les idéologies barbares caresse aujourd’hui les idéologies mortifères, malthusiennes qu’elle voulait combattre jadis.  Comme me le partageait un ami « Nous, dénonçons, à juste titre, la barbarie de certains fondamentalistes musulmans, mais que leur répondre quand, à leur tour, ils dénoncent la barbarie de certaines pratiques occidentales comme celle consistant à aspirer l’enfant dans le ventre de sa mère, comme c’est le cas lors d’un avortement ? Cet acte est-il plus « digne » que l’excision que nous dénonçons chez eux… ». Mais nous le réécrivons : rien ne vient gommer ou légitimer tout acte de violence, et ce, quelle que soit la culture qui la promeut, occidentale ou non. Cette civilisation occidentale puisqu’il faut aussi parler d’elle, sombre en réalité et subrepticement dans la barbarie. Nous devons être prudents sur les leçons données par l’Occident laïque et démocrate qui s’arroge, s’accommode de donner des « leçons de civilisation à l’ensemble de la Planète ». Notre civilisation occidentale a développé des concepts normatifs pour évoquer la barbarie (Génocide, camps de concentration, Euthanasie, Eugénisme, les Lebensborn …), mais est sur le point de réintroduire, de reproduire, de répliquer les lois mortifères du Nazisme, ceux qu’elle considérait comme une atteinte à l’humain et n’ose qualifier par exemple de barbarie l’atteinte à l’enfant conçu dans le ventre d’une mère ou l’eugénisme en sélectionnant l’enfant à naître si ce dernier correspond aux dimensions normatives de la société occidentale. La GPA qui tôt ou tard sera adoptée après la PMA (commençons par habituer l’opinion) réintroduira une forme de darwinisme social. D’ailleurs l’actualité ne l’a-t-elle pas démontrée ? Cette même GPA est susceptible de détruire la notion de filiation, de créer des troubles identitaires comme ce fut le cas avec les Lebensborn qui ont été dévastateurs pour des enfants qui n’ont pas connu l’affection paternel et maternel. L’actualité n’a-t-elle pas mis à jour ces nouvelles formes de Lebensborn, ces cliniques et maternités ou des femmes pauvres accueillies, marchandent leurs corps au profit de couples en manque d’enfants ? La GPA, si ce dispositif est mis en œuvre, violera demain le droit des enfants à avoir un père et une mère biologique et exploitera les femmes sans ressource et dans le besoin pour donner satisfaction aux désirs de deux adultes, lesquels pourront rejeter cet enfant s’il n’est pas « conforme » aux normes en vigueur, comme on l’a déjà vu par le passé.

Faut-il également évoquer dans les arcanes des pouvoirs publics, ces réflexions menées sur l’euthanasie pour abréger les souffrances, l’incurabilité au lieu d’accompagner le mourant au travers des soins palliatifs. L’euthanasie dont les pratiques humanistes pourraient bien couvrir des raisons purement « économiques ». L’avortement (quoi de plus barbare qu’un tel acte, même si on peut excuser la femme qui le commet et qui, bien souvent, n’a pas le choix ?), la GPA, la théorie du genre dans sa version extrême le « queer » (qui conduira comme nous le développons plus loin à une sexualisation de l’enfance s’il est vrai que l’identité sexuelle est déconnectée de tout rapport au « corps sexué »), tout cela témoigne alors d’une plongée dans la barbarie. Ainsi la « Queer theory » de Judith Butler, fait du travesti la norme moderne venant se substituer à l’hétérosexualité, déconstruite comme pure convention sociale, et dont on peut craindre qu’elle ne conduise, à terme, à cautionner des pratiques comme celles de la pédophilie puisque si le « corps sexué » ne signifie plus rien, il ne faudra bientôt plus attendre la puberté pour admettre une forme de « sexualité » aux enfants et abuser d’eux sous couvert d’un consentement qu’il leur sera bien difficile de refuser aux adultes, comme l’a illustré une affaire récente en Italie ». C’est sûr que c’est assez crû, mais mieux vaut prévenir et alerter que guérir ! Comme nous l’avons écrit à propos et à l’instar de Montaigne, la barbarie n’est pas l’apanage des seuls extrémistes, la barbarie des civilisés, des cols blancs peut s’avérer aussi abject que la barbarie des fondamentalistes qu’elle condamne. Nous condamnons explicitement ces deux barbaries, ces deux tyrannies qui aliènent l’être humain. Sans oublier que les incivilités les plus insignifiantes sont les premiers pas vers la barbarie. Or, qui parmi nous pourrait affirmer qu’il est exempt de toute ignominie, qu’aucune flétrissure ne l’a jamais atteint ? Les Écritures (la Bible) évoquent que toute chair est corrompue et que nous portons tous des germes de barbarie.

Mais face à la barbarie occidentale, faut-il encourager la bienveillance ou dénoncer l’iniquité de ces lois mortifères ? Face à la barbarie, la prière évoquée dans le Psaume 63 respectivement aux versets 10-12 : « Qu’ils aillent à la ruine ceux qui en veulent à ma vie ! Qu’ils rentrent dans les profondeurs de la terre ! Qu’on les passe au fil de l’épée… » ne revêt-elle pas une forme de légitimité ? N’y-a-t-il pas une forme d’imprécation angélique que d’en appeler à aimer malgré tout, ses ennemis ? Mais ne serions-nous pas les reflets, les miroirs des barbares que nous accusons ? Mettons fin cependant au cycle de la violence ! Face à la barbarie, la vengeance (se faire justice) est d’emblée totalement inadaptée ; elle serait même amplificatrice de la cruauté. La réponse adaptée est celle de la justice (rendre justice), une réponse pour mettre fin au cycle de la violence. La justice est un principe moral qui relève même d’une dimension de transcendance ; elle fait appel à des valeurs universelles. Enclencher la guerre, déclarer la guerre pour mettre fin à la guerre, à la barbarie, nous comprenons que cela fut légitime au cours de notre histoire ; c’est la tentation de toujours, c’est cette logique de pensée qui a amené le déluge. Le déluge est décidé par Dieu, mais il ne résout en réalité rien. La pédagogie du déluge, s’est avérée inadaptée, inefficace, le mal est sans doute beaucoup plus grave et nécessite une transformation volontaire et non une destruction subie de l’homme. Lisons cette déclaration étonnante dans le livre de Genèse « Je ne recommencerai plus à maudire le sol à cause de l’homme, car le produit du cœur de l’homme est le mal, dès sa jeunesse. Plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait ! ». Dieu décide d’abolir à jamais le déluge et envoie le signe d’un arc-en-ciel qui annonce la fin de toute destruction. L’arc en ciel préfigure la croix qui annonce le pardon et par son pardon, la transformation de l’homme. Voilà la justice de Dieu, le choix de Dieu de sauver l’homme, malgré la barbarie, le cœur corrompu, la violence de son âme. Dieu choisit le salut de quiconque afin que celui qui croit ne périsse pas (Jean 3 : 16). Pour conclure, comment ne pourrais-je pas penser à cette conclusion de ce texte admirable écrit en 2014 par Natalia TROUILLER « Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué…. » « L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai revu quelques jours après être rentrée, sur une photo entourée de roses envoyée par ses parents : c’était sa dernière image vivant, souriant, beau, endimanché. Il avait été coupé en deux par un tir de mortier lors de la prise de Qaraqosh. L’enfant que j’ai vu en Irak, je l’ai cherché, pleine d’angoisse, parmi les centaines de photos prises là-bas pour savoir s’il était de ceux qui ont ri avec moi – la réponse importe peu. L’enfant que j’ai vu en Irak, j’ai reçu la photo de lui, coupé en deux avec du sang partout, envoyée par un djihadiste sur mon compte Twitter. Frère de France, sœur d’ici, allume une bougie et veille pour l’enfant que j’ai vu en Irak, et pour le salut de celui qui l’a tué. »

Cette prière qui semble insignifiante est finalement celle qui a le pouvoir de mettre fin au cycle de la barbarie. Et si nous osions finalement répondre à l’appel de Jésus, aimer nos ennemis.  Matthieu 5.43-45 « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.… »


[1] En des termes édulcorés Les députés ont adopté un amendement pour clarifier le fait que la « détresse psychosociale » peut être une cause de « péril grave », justifiant une interruption médicale de grossesse.

[2] Expression reprise de l’archevêque de Paris, Michel Aupetit lors d’une interview accordée à France Info.

[3] Ensauvagement : Terme utilisé par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, « l’ensauvagement » est devenu le nouveau concept au cœur du débat sur l’insécurité.  

[4] Une grossesse sur cinq environ aboutit à une IVG. Source : L’avortement en chiffres [FRED DUFOUR / AFP]

Le monde crépusculaire

Cette période pandémique devrait nous conduire à une réflexion intense sur le sens même que nous donnons à la vie, or cela ne semble pas être la priorité de nos gouvernements. Il nous faut à nouveau faire fonctionner le business du monde, le remettre en marche grâce à nos nouveaux superhéros masqués, nos Batman et consorts. Alors nous attarder sur le monde crépusculaire est une pure gageure, penser un instant que l’homme pourrait changer après cet épisode épidémique est un pari bien hasardeux auquel nous ne devrions pas nous attarder dans cette nouvelle chronique. Mais arrêtons-nous ici, il est impératif comme je l’ai écrit dans une précédente chronique, de ralentir notre marche pour comprendre que vouloir le monde qui va de l’avant est une utopie, une aporie, une incohérence.

Blaise Pascal : « On ne voit presque rien de juste ou d’injuste, qui ne change de qualité, en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du Pôle renversent toute la Jurisprudence. Un Méridien décide de la vérité, ou peu d’années de possession. Les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques. Plaisante justice qu’une rivière ou une Montaigne borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »

Cette période pandémique devrait nous conduire à une réflexion intense sur le sens même que nous donnons à la vie, or cela ne semble pas être la priorité de nos gouvernements. Il nous faut à nouveau faire fonctionner le business du monde, le remettre en marche grâce à nos nouveaux superhéros masqués, nos Batman et consorts. Alors nous attarder sur le monde crépusculaire est une pure gageure, penser un instant que l’homme pourrait changer après cet épisode épidémique est un pari bien hasardeux auquel nous ne devrions pas nous attarder dans cette nouvelle chronique. Mais arrêtons-nous ici, il est impératif comme je l’ai écrit dans une précédente chronique, de ralentir notre marche pour comprendre que vouloir le monde qui va de l’avant est une utopie, une aporie, une incohérence. La vision d’un monde conduit par le prétendu progrès continu relève d’un monde imaginaire, d’une fiction, d’une aventure sans lendemains. Comme je le partageais à un ami, je préfère les grimpeurs aux sprinteurs, l’escaladeur au skieur alpin, dans l’effort et la peine, même au bord de l’épuisement, le bénéfice du grimpeur ou de l’alpiniste est celui du dépassement de lui-même, il est dans la recherche du dosage de son effort et finalement de l’excellence dans la prise de risque. A contrario le sprinteur ou le skieur, grisé par l’élan, la vitesse, recherche coûte que coûte la performance, mais la chute n’est jamais loin, du fait de la perte de l’équilibre ou de la puissance mal dosée. Le monde atteint par la pandémie ne semble pas vouloir se donner la peine de réfléchir au dosage de son effort, prétextant que nous devons sauvegarder la raison et la performance, comme si en effet la raison, la performance, rattraper le temps perdu, devenaient les seules sources de salut de l’humanité. Pourtant face à la pandémie, même la pensée stoïcienne nous est refusée, celle de penser les événements et d’agir en conséquence. La pandémie nous a tous rappelés à l’heure de l’homme augmenté que nous étions tous des êtres vulnérables. Mais tout est entrepris pour nous dispenser de penser ou de songer à cette vulnérabilité, d’aspirer à cette faculté de discerner ce qui doit être remis en cause. J’ai noté dans les réflexions partagées que l’écologie connaissait un nouveau regain, qu’il fallait voir dans les événements, le réveil de la nature comme si la nature remplaçait la divinité judéo-chrétienne d’hier et se suffisait à elle-même pour enseigner l’autosuffisance de l’homme. Mais n’allez pas non plus évoquer Dieu pas même la transcendance, d’ailleurs qui a osé s’aventurer sur ce terrain. L’Église est en effet la grande absente des débats, comme si toute réflexion théologique à propos de la pandémie qui émanerait des croyants, annoncerait un retour menaçant de la théodicée, soit les marginaliserait ou les reléguerait à la condition de purs illuminés. Il me semble que dans cette période de pandémie, tout est en réalité fait pour intimider l’Église et la réduire au silence. D’ailleurs le silence de l’Église est assourdissant ; peu veulent relayer en réalité le message universel de l’Évangile, peu osent prendre la parole pour évoquer la vérité. Notre époque est celle qui a choisi de mettre sous le boisseau la lumière et dans sa salière le sel et tout ce qui dérange est prié de se taire, de faire silence.

En quelques décennies, notre monde a changé, et les structures des sociétés occidentales se démantèlent pour faire place à une déconstruction de tous les socles, à l’effondrement des valeurs qui ont forgé la vie commune. Avec la pandémie qui vient frapper ce nouveau siècle, nous entrons dans une période de relativisme moral, de relativisme anesthésiant qui finit par empêcher tout réel discernement et qui mène furtivement à la déshumanisation. Le relativisme était déjà bien engagé plusieurs siècles plus tôt, depuis l’antiquité, un relativisme qui promeut en définitive la subjectivité. Cette période qui marque « une société devenue liquide [1] » souligne une conception sans différencier ce qui relève du bien ou du mal, où il n’y a définitivement ni absolu ni universel. En quelques siècles et sans doute aggravé depuis les « Lumières » ; nous sommes entrés dans le monde du sophiste Protagoras qui affirmait à l’époque de Platon que « l’homme est la mesure de toutes choses »[2] faisant ainsi éloge à la seule raison humaine et délogerait tout recours à une quelconque divinité.

Le sophiste Protagoras serait à son aise dans cette vision du monde relativiste, que lui-même avait soutenue dans ce célèbre dialogue engagé avec Socrate, rapporté par Platon dans le Théétète. Protagoras se conformerait sans nul doute à l’esprit de notre siècle qui est amené en somme à considérer que toutes les normes se valent, qu’il n’existe en soi aucunes références qui seraient transcendantes, aucune forme de hiérarchie ni même de principe divin, ni différence entre le bien et le mal et « s’il n’y a pas de bien alors tout est permis ». Nous sommes dans un processus permanent, de révision de l’universalité morale et même d’une prétendue vérité scientifique qui a été mise à jour par ailleurs au cours de cette pandémie. Notre siècle a vu finalement le triomphe de la doxa du subjectivisme moral défendue plusieurs siècles plus tôt sur l’agora où se disputaient Socrate et le sophiste. Pourtant le triomphe de cette thèse relativiste ne signifie en rien qu’elle soit vraie. Une telle opinion démontrerait plutôt qu’un monde fondé sur des idéologies non ancrées dans la réalité tendrait plutôt à faire chanceler une société dans l’incertitude des valeurs. Le subjectivisme moral incarne irrémédiablement une dimension en soi toxique, puisqu’il s’agirait si on ne considère strictement que la chose en question que d’abattre l’héritage culturel. En ces temps crépusculaires, notre héritage culturel est en soi soupçonné de n’être que la manifestation déterministe d’une volonté de domination, d’une classe sur une autre ou d’une autre idéologie sur une autre, partant du principe finalement que toutes les idéologies se valent également. En écrivant ces lignes, je me mets à rêver d’un échange épistolaire entre C.S Lewis et le sophiste Protagoras, l’échange aurait quelque chose en soin d’intemporel, mais sans doute de passionnant, mettant en exergue la vision d’un monde réel entamé par l’idéologie nihiliste qui s’épuise à vouloir faire effondrer le principe d’un « TAO[1] », ce principe fondé sur les lois naturelles pourtant défendu par Aristote et Platon puis plus tard par Thomas d’Aquin. Le monde idéologique relativiste s’emploie finalement à priver l’humanité de la capacité vraie de répondre émotionnellement aux expériences de l’amour universel et véritable, de la beauté, du bien et du vrai.


Or nous le percevons bien, nous assistons à ce processus permanent de révision de la pensée. Ce processus de révision concerne toutes les sphères de la vie humaine. Aujourd’hui l’idéologie relativiste vient même à infecter la vie sociale, renverser de façon éruptive toutes les tables. La fétidité idéologique dont l’apogée prolonge la pensée progressiste résulte probablement de l’arbitraire nihiliste, d’une culture discrétionnaire et de toutes les formes d’injustices et de mépris qui ont régné dans ce monde ou l’ont en revanche imprégné. Nous sommes dans un changement radical de métaphysique bafouant l’universel, le bien et le mal et notamment tout ce qui touche au domaine de l’anthropologie. Hier avec quelques amis, nous réfléchissions à la manière d’alerter les députés qui en catimini s’apprêtent à voter une loi dont les conséquences biologiques et éthiques seront redoutables pour l’avenir même de notre humanité. Une loi jugée prioritaire alors que la dette publique augmente brusquement, les faillites des entreprises s’enchaînent, le chômage s’amplifie, mais pour le projet de révision des lois de bioéthique, il n’est pas question de retarder le vote, comme s’il y avait là une véritable urgence. Tout est devenu relatif dans ce monde qui ne discerne ni le bien, ni le mal, qui ne hiérarchise plus rien.   

Ces changements qui viennent en quelque sorte muter la conception anthropologique de l’homme résultent sans aucun doute de cette corruption des équilibres liée aux identités homme et femme. Cette même corruption est venue atteindre la dignité humaine en s’attaquant même au plus faible, au plus fragile, loin également de partager l’idée de défendre l’homme et tout l’homme, d’en prendre soin. Dans la même veine, là où l’altérité démontrait la complémentarité sans domination d’un sexe sur un autre sexe, nous assistons aujourd’hui et de façon consternante à une opposition brutale des hommes et des femmes, une revanche des femmes contre le genre masculin qui par ses outrances d’hier paie aujourd’hui une forme de tribut, de dénonciation radicale et permanente faisant du sexe masculin, un prédateur potentiel, un suspect par nature. Nous entrons manifestement là dans une forme de déséquilibre des rapports homme femme, là où l’enjeu devrait être l’identification des complémentarités des deux moitiés égales d’une même humanité. Mais les oppositions ne se réduisent pas seulement à la guerre des sexes, mais aujourd’hui à d’autres discriminations virulentes et qui opposent les couleurs qui caractérisent la pigmentation associée à la peau. Pour ma part différencier les hommes par la suite de la couleur de peau ou discriminer les hommes et les femmes en raison de leur sexe est évidemment insupportable. Mais aujourd’hui nous entrons dans une nouvelle expression, un mouvement de balancier avec ses excès, avec une forme de démesure des révoltes nihilistes, doublée d’une forme de relativisme du bien et du mal. Mais selon moi les révoltes sont nées de l’abandon des valeurs de l’Évangile qui ont imprégné les fondements universels des lois naturelles[4] de la société. Nous faisons face en fin de compte à une forme de dérèglement absolu des fondements moraux de la vie morale et sociale qui avaient déjà été pensés dans le décalogue et notamment dans les livres des Lévitique et Deutéronome pour vivre une société connaissant en fin de compte le bien-être si celle-ci consent à vivre selon des principes qui ont leur source dans une loi qui transcende l’humanité.

La manifestation soudaine de la pandémie vient comme accentuer le relativisme comme les crises sociales que nous avons traversées en France. Nous sommes assurément à l’aube d’un point de bascule d’une époque qui s’affranchit de ses lois morales, de ses valeurs cardinales fondatrices d’une société reposant sur des socles partagés qui visaient hier à consolider l’identité même d’une nation. Une frange de notre humanité appartenant à ce monde occidental fait voler en éclats tout ce qui se rapportait à une dimension morale et universelle d’une société forgée que l’on veuille ou non par des lois qui la transcende. Nous ne sommes pas loin de fait d’une société fragilisée par l’avènement de désordres et d’une forme réelle d’anarchie où s’apposent frontalement des cultures aux antipodes d’une société fondée sur le bien commun, la res publica ou autrement dit la chose publique. Je vous fais ici la confession d’avoir été bouleversé par la remarque faite au président de la République par un manifestant qui l’a alpagué, apostrophé lors d’une promenade aux jardins des tuileries, lui faisant savoir que le Président « était son employé » et qu’il avait immédiatement à répondre à son injonction. Ce qui me désole en soi dans cette attitude de rébellion, c’est-à-dire vrai la désacralisation de la fonction présidentielle. Le concept de « Président normal » introduit par le précédent président français, François Hollande, vient en fait jeter comme une forme de trouble sur la dimension réservée à nos institutions. Lorsque le monde est en dehors de toute règle, de toute loi forgeant le respect dû à la fonction, ne serions-nous pas au bord d’une forme d’anomie sociale. Dans son livre, le suicide, le Philosophe Émile Durkheim mettait en évidence une forme de dérèglement, d’effacement des valeurs morales comme l’annihilation du sentiment moral, l’aliénation du discernement, une existence dépourvue de sens. Une société est concernée par l’anomie lorsque cette dernière promeut une forme de prédation en quelque sorte l’instinct plutôt que de coopération. Ainsi un manifestant agit comme un prédateur lorsqu’il se met en quelque sorte à poursuivre le président de la République, le sommant de lui répondre, sans aucune forme d’égard, de considération. Ce manifestant vient à bousculer cette règle admise par tous de respecter nos institutions. L’interpellation en soi est une chose, mais d’y répondre et de se mettre à un niveau de simple citoyen comme l’a fait le président Emmanuel Macron, répondant à un autre citoyen, abaisse finalement la sacralisation de la fonction. Dans ces contextes, l’anomie pour Émile Durkheim provient finalement d’un manque de régulation de la société sur l’individu. C’est un cas type d’anomie, un individu s’affranchit de toutes les bornes, de toutes les limites pour apostropher la fonction hors des champs d’une institution qui par ses principes devait régler la parole citoyenne via l’intermédiation. En fait cette forme d’injonction n’est en soi pas une première, la gouvernance des derniers présidents de la République, a au fil de l’eau accepté l’altercation directe. Or ces escarmouches répétées viennent entacher la fonction et conduisent à une forme de délitement du respect liée à l’incarnation de l’intérêt national. N’est-il pas écrit dans l’épître aux Romains[5] « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes ». Or notre époque ne se caractérise-t-elle pas une forme d’effondrement du respect, qui vient à chahuter de manière permanente l’ordre. Il s’ensuit des révoltes, une sorte de rébellion généralisée contre l’autorité.

L’année 2019 en France fut ainsi caractérisée par une forme d’émeute quasi anarchiste sans leader [Le refus de tout chef, d’un quelconque porte-voix], où les attitudes furent manifestement l’expression de vouloir en découdre avec les autorités, de déboulonner les symboles des tutelles qui gouvernent le pays. De tous les observateurs, l’idée est partagée que notre monde est aujourd’hui traversé par une forme de nihilisme généralisé. Le nihilisme se caractérisait hier par le fait de nier toute possibilité d’accéder à des vérités ultimes, après avoir dénoncé les fondements de la croyance en Dieu, il s’agit aujourd’hui dans ce monde crépusculaire de décaper les figures de notre humanité [Les statues], de fustiger l’histoire, de renverser toutes les valeurs, de mettre à sac la société, de dévoiler toutes les formes d’injustices mais sans pour autant la faire reposer sur d’autres fondements. Nous sommes en permanence sur des logiques de dénonciation, de mise en accusation sans rechercher la vérité, la bienveillance, renonçant au beau, au bien et au vrai. Le monde nihiliste comme relativiste ne semble obéir qu’à ses pulsions et étrangement en appelle à un messie capable de répondre à tous ses désirs. Il est étrange que les cycles de l’histoire se répètent finalement, nous sommes à l’aube d’accueillir le nouveau messie issu d’un monde anti contact, anti relationnel, un messie qui sera à l’envers de l’incarnation relationnel. En écrivant ces lignes, je pense forcément à  Friedrich Nietzsche auteur de ce livre finalement prophétique qui est l’auteur de cet essai « La volonté de puissance », le contenu du livre exprime une nouvelle métaphysique et une nouvelle vision anthropologique de l’homme, le devenir du nouvel homme émergera d’une  hiérarchie d’instincts, de pulsions et d’affects, qui formeront la nouvelle  perspective de l’humanité accueillant les promesses d’un nouveau monde qui aura détruit l’ancien et forcément détruira le christianisme. La cathédrale de Nantes qui brûla ce 18 juillet préfigure-t-elle l’énoncé d’une nouvelle révolte, et comme je le partageais à un ami au cours de cette matinée du 18 juillet, ils se sont attaqués à un bâtiment ce matin, demain ils viendront à brûler le corps. Comme l’écrit le professeur Laurent Jenny « Le crépusculaire se dérobe à une reconnaissance claire parce qu’il recouvre à la fois une dissolution de l’événement et un embrumement de sa perception ». Le même auteur à propos de Baudelaire ajoute : « ce n’est probablement pas la fin du monde mais le monde de la fin, pas l’Apocalypse mais l’avènement des temps crépusculaires. « Ces temps sont peut-être bien proches.» Il se peut même qu’ils soient déjà venus. Notre impuissance à le reconnaître est elle-même crépusculaire [6]».


[1] Le concept de société liquide a été pensé dans les années 1990 par le sociologue et philosophe Zygmunt Bauman professeur à la London School of Economics.   Pour Zygmunt Bauman, la vie liquide se caractérise à travers des êtres humains qui perdent tout repère, toute attache. Notre humanité selon l’essayiste est entrée dans un monde de confusion sans repères.

[2] « L’homme est la mesure de toute chose » est une citation du sophiste Protagoras reprise par le philosophe Platon dans son Théétète qui forme une trilogie de dialogues dits socratiques. Le premier dialogue concerna la science et sa définition suivi d’un second « Le sophiste » et troisième dialogue « Le Politique ». Cette pensée exprimée par le sophiste Protagoras est une critique sévère des vérités dites « universelles ». Socrate dans le même dialogue rapporté par Platon réfute la pensée du sophiste en s’interrogeant sur le relativisme de Protagoras et lui demandant alors qu’est-ce qui mesurerait alors l’homme ?

.[4] Cicéron homme d’État romain et écrivain définit la loi naturelle, cette idée a été reprise également par Thomas d’Aquin « Il est, en effet, une loi véritable, la droite raison conforme à la nature, immuable et éternelle, qui appelle l’homme au devoir par ses commandements et le détourne du mal par ses défenses et dont les commandements ni les défenses ne restent jamais sans effet sur les bons, ni sans action sur les méchants. On ne peut ni l’infirmer par d’autres lois, ni déroger à quelques-uns de ses préceptes, ni l’abroger tout entière. Ni le sénat, ni le peuple ne peuvent nous soustraire à son empire ; elle n’a pas besoin d’interprète qui l’explique. Il n’y en aura pas une à Rome, une autre à Athènes, une aujourd’hui, une autre demain, mais une seule et même loi éternelle, inaltérable qui dans tous les temps régit à la fois tous les peuples. Et l’univers entier est soumis à un seul maître, à un seul roi suprême, au Dieu tout-puissant qui a conçu et médité cette loi. La méconnaître, pour un homme, c’est se fuir soi-même, renier sa nature et par là même subir les plus cruels châtiments, alors même qu’on échapperait à tout ce qu’on regarde comme des supplices. »

[5] Épitre aux Romains 13 : 1-2. L’épitre est écrite par l’apôtre Paul.

[6] La citation est extraite : https://po-et-sie.fr/wp-content/uploads/2018/10/55_1991_p124_129.pdf

La Résilience

J’hésitais entre deux qualifications pour décrire à la fois notre siècle et l’irruption de la Reine Corona dans notre univers humain, un monde en miettes ou un monde en pièces. J’ai choisi le monde en pièces pour illustrer ce livre que je m’apprête d’achever, qui a été écrit sous forme de chroniques. Tout au long de ces pages et au fil de ces textes, j’ai souhaité partager une vision très personnelle de cet événement brusque et brutal, à la fois, interpellant et dérangeant. L’événement comme je l’avais écrit était totalement inattendu et certains voyants ou faux prophètes, ont été comme recalés, relégués à leurs prédictions fumeuses, faisant bien de consulter à nouveau leur opticien, de changer définitivement d’orientation quant à leur vocation. L’événement lui, en tant que tel nous conduit à une sérieuse remise en question. Cette remise en cause ne concerne pas la seule conduite d’une gouvernance idéologique, mais elle apostrophe chacun d’entre nous. L’événement vient en quelque sorte contester nos propres valeurs, nos choix idéologiques, la société de consommation dans sa totalité. Sans doute vivons-nous là un premier avertissement sans frais, une admonestation sous forme d’alarme corrodante afin d’attirer notre attention. Qu’allons-nous décider de faire au lendemain de cette crise ? Reprendrons-nous le chemin des écoliers qui n’auront pas retenu la leçon donnée la veille ? Il vaut mieux certainement oublier, et pour nous, l’enseignement donné par notre instituteur l’état qui a été totalement imprévoyant dans sa capacité à anticiper ; alors que les voyants des pays frontaliers comme l’Italie, indiquaient le péril que faisait courir « l’équipée sauvage[1] » de la reine Corona

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Auteur : Eric LEMAITRE 

J’hésitais entre deux qualifications pour décrire à la fois notre siècle et l’irruption de la Reine Corona dans notre univers humain, un monde en miettes ou un monde en pièces. J’ai choisi le monde en pièces pour illustrer ce livre que je m’apprête d’achever, qui a été écrit sous forme de chroniques. Tout au long de ces pages et au fil de ces textes, j’ai souhaité partager une vision très personnelle de cet événement brusque et brutal, à la fois, interpellant et dérangeant. L’événement comme je l’avais écrit était totalement inattendu et certains voyants ou faux prophètes, ont été comme recalés, relégués à leurs prédictions fumeuses, faisant bien de consulter à nouveau leur opticien, de changer définitivement d’orientation quant à leur vocation. L’événement lui, en tant que tel nous conduit à une sérieuse remise en question. Cette remise en cause ne concerne pas la seule conduite d’une gouvernance idéologique, mais elle apostrophe chacun d’entre nous. L’événement vient en quelque sorte contester nos propres valeurs, nos choix idéologiques, la société de consommation dans sa totalité. Sans doute vivons-nous là un premier avertissement sans frais, une admonestation sous forme d’alarme corrodante afin d’attirer notre attention. Qu’allons-nous décider de faire au lendemain de cette crise ? Reprendrons-nous le chemin des écoliers qui n’auront pas retenu la leçon donnée la veille ? Il vaut mieux certainement oublier, et pour nous, l’enseignement donné par notre instituteur l’état qui a été en partie imprévoyant dans sa capacité à anticiper ; alors que les voyants des pays frontaliers comme l’Italie, indiquaient le péril que faisait courir « l’équipée sauvage[1] » de la reine Corona.

Cette reine Corona comme ces têtes brûlées, rebelles casqués et revêtus de casques de morts est venue semer la pagaille, le désordre au sein de toutes nos cités. Ces cités qui vaquaient à leurs vies marchandes, des vies tranquilles ou placides, quand soudainement la Reine virale et sa légion sont venus « silencieusement », en semant partout la peur sans pourtant jamais pétarader. Jamais autant le son du silence n’a fait autant fureur, si bien que même les milices les plus extrêmes se sont réfugiées dans leurs quatre murs. En revanche de cette crise pandémique, il nous faudra retenir la grande leçon de l’écologie intégrale, celle qui touche à la dimension de l’habitat et de ses habitants, de l’humanité et de son environnement.  Cette crise laissera probablement des traces indélébiles et chahutera pour longtemps la vie occidentale, bousculera toutes les nations qui ont souhaité emboiter le pas d’un monde frappé par la déréliction et la désolation morale. Ce sont les repères d’un monde qui a effacé la transcendance, qui découvre toute la finitude du genre humain. La force de cette crise nous montre en définitive que la valeur humaine est la plus importante, celle notamment de la relation aux autres. Nous avons même été claquemurés militari, avec des mesures draconiennes, interdisant à ceux qui souhaitaient pratiquer leur culte de se retrouver. Au soulagement de plusieurs, le Conseil d’État, la plus haute instance administrative a retoqué ce décret liberticide qui était une atteinte aux libertés les plus fondamentales de renouer avec l’incarnation, de cette vie authentique et relationnelle entre croyants.

Alors que le monde dans sa chair a été comme fracturé, je veux garder finalement l’espoir d’une reconstruction possible tandis que l’habitat en miettes signait définitivement la fin de toute espérance. Si le monde avait été en miettes, il aurait été littéralement atomisé tandis qu’à ce jour, et avec prudence, le diagnostic serait plutôt aujourd’hui celui d’un environnement social, morcelé, disloqué, mais non en débris. Un monde fractionné, en tout cas en apparence aujourd’hui, car il nous faudra rester, circonspect. Si dans notre imprudence, nous décidions de reconstruire le monde d’avant, consumériste et mondialiste, ce monde-là, nous imposera une fois de plus les seules lois technicistes de son marché. Nous propagerions alors une nouvelle fois, une forme de déshumanisation avec ses artefacts, ses productions d’objets toujours augmentés. Ainsi nous faudra-t-il relire le passé, écouter ce « messager virus », relire attentivement les enseignements qu’en ont tirés les victimes des pandémies qui sont venues ravager le monde au commencement de notre humanité et au fil de l’histoire de nos civilisations.

La pandémie de coronavirus n’est pas un évènement viral sans précédent dans l’histoire. Depuis le commencement de l’humanité, nous avons connu des épisodes de pandémie, la lèpre qui longtemps a été une maladie infectieuse chronique a été décrite très largement dans le livre du lévitique comme je l’avais déjà rappelé dans un autre texte.  Nous ne connaissons cependant pas l’importance morbide de cette maladie infectieuse, mais en revanche la stigmatisation sociale de la lèpre a été elle brutale et fulgurante. Un autre fléau d’une autre nature, décrit dans le livre d’Exode frappa tous les premiers nés d’Égypte[1] et marqua alors toute l’Égypte au point que le pharaon se résigna enfin à libérer les esclaves hébreux. Ce fut pour l’Égypte pharaonique une leçon à apprendre, une leçon à tirer de cette épidémie[2], il fallait définitivement lâcher prise, lâcher l’emprise sur les hommes et les femmes réduits à n’être que des machines corvéables. Toute l’histoire de l’humanité semble en conséquence, avoir été traversée par de graves épidémies, peste bubonique, choléras, fièvre typhoïde, grippe espagnole et plus récemment le sida et le virus Ebola. Toutes ces épidémies peuvent nous dire quelque chose de notre société et sans doute, en sont elles-mêmes les reflets, les messagers. Toutes ces épidémies ont été dévastatrices, en créant le plus souvent des situations irréparables là où la pandémie a frappé. Les sociétés alors ont été profondément chamboulées, mais ont retenu la nécessité d’une hygiène corporelle nécessaire pour endiguer la propagation et la diffusion de la peste.  L’odeur pestilentielle, puante, cloaque conduisirent les souverains comme Philippe Auguste et Louis IX à prendre des mesures drastiques, pour transférer notamment certaines activités à la périphérie des agglomérations, et « des systèmes de curage ont été par exemple mis en place pour les rivières et les canaux »[3]. Quelles leçons, allons-nous tirer de cette pandémie pour le monde de demain à la lumière des pandémies passées ? Ne conviendra-t-il pas d’avoir une lecture plus systémique ? Ne faudra-t-il pas remettre en cause cette géographie mondialiste induisant des modes de propagation via les routes terrestres et les navigations qui s’opèrent dans le ciel ? Ne faudra-t-il pas remettre en cause les idéologies du progrès technologique et leurs effets délétères sur le plan social ? Ces technologies qui nous ont fait rêver et permis les apéros virtuels, mais freinent les véritables socialités.

À ce jour, le nombre de victimes de covid19 ne se compare ni à la peste noire, ni même à la grippe espagnole. Il n’en demeure pas moins que les autorités sanitaires restent prudentes, demeurent sur le qui-vive redoutant les effets possibles d’une seconde vague si l’insouciance, venait à gagner certains, trop heureux de reprendre leurs habitudes sociales guidées par le seul instinct grégaire. Souvenons-nous ainsi de cette seconde vague grippale résultant de ce germe pathogène que l’on nomma la grippe espagnole vécue comme une véritable pandémie totalisant 50 millions de victimes en à peine une année. Cette grippe espagnole fut un véritable cataclysme humain s’ajoutant aux victimes d’une autre secousse planétaire résultant elle de l’effroyable guerre qui traumatisa alors toute l’Europe. Sans aucun doute qu’au cours de ce XXe siècle, l’évocation d’un cataclysme apocalyptique ne fut nullement ni exagérée, ni excessive. Cette nouvelle pandémie qui affecte notre siècle n’a cependant ni les caractéristiques ni les particularismes d’une morbidité comparable à la peste noire de 1347 ou à la grippe espagnole de 1918 ni même à d’autres épidémies plus récentes dont les ravages ont mis également en péril des millions de personnes de par le monde. Nous savons aujourd’hui que d’autres épidémies exhumées récemment par nos historiens ont été comme effacées de notre mémoire collective, comme la grippe de Hong Kong qui surgit à la fin de l’hiver en 1968. Cette grippe provoqua la mort d’un million de personnes de par le monde et avait également déclenché aux États-Unis une vague importante de décès. Les autorités sanitaires américaines avaient dénombré à l’époque près de 50 000 morts. Se souvient-on de cette grippe ? En tout cas, elle a été peu évoquée et s’intéresse-ton d’ailleurs à l’histoire, je n’ai pas vu beaucoup de philosophes interviewés, ni d’historiens, pourquoi ?

Pourtant cette pandémie du covid19 par ses effets, a quelque chose qui n’a pas de précédent dans notre histoire. Plus de la moitié de notre humanité s’est en effet retrouvée, confinée en l’espace de quelques semaines, les frontières fermées, les déplacements contrôlés, les voyageurs en provenance de pays suspectés d’être contaminés, mis en quarantaine. Au-delà de cette maladie extrêmement grave, suscitée par un germe pathogène, naturel ou manipulé accidentellement, c’est toute une dimension systémique qui a impacté la totalité du genre humain. Les conséquences culturelles, sociales, économiques, sont ou pourraient être d’une extrême gravité. Cette crise majeure a également créé de graves dommages, de véritables traumatismes psychologiques de par l’isolement des familles, la séparation des liens d’affection avec notamment les personnes les plus avancées dans l’âge. Le confinement a conduit également à une forme de désocialisation et parfois de repli sur soi, avec le stress pour plusieurs, de retrouver une vie sociale normalisée ou de penser un tant soit peu que l’avenir est seulement écrit en pointillé et sans filets.

Les pouvoirs publics, les médias ont joué un rôle déterminant dans cette crise des mentalités, en ne jouant pas sur la responsabilisation, mais sur la dimension de l’infantilisation des publics, en assénant des messages essentiellement morbides, fondés sur la dimension d’un choc émotionnel, accompagné d’une mise en garde paternaliste, une dimension insuffisamment fondée sur la responsabilisation sociale et ne préparant pas les publics à un retour progressif, se faisant pas après pas. Il est évident que les nations jusqu’à aujourd’hui n’ont pas su préparer leurs populations à l’éventualité, d’un tel choc civilisationnel. Nous avons été comme habitués aux actes de terrorisme, mais nous n’avons pas voulu prendre conscience de la possibilité d’une pandémie qui viendrait en quelque sorte fracasser la marche de notre monde.

Mais ce que Corona a brisé ce n’est pas tant la dimension économique que nous avons déjà évoquée et que nous évoquerons à nouveau, mais bien la dimension du lien, ce qui relève de nos maillages affectifs, tissés avec des parents, des amis, des membres d’une communauté, d’un territoire, d’un quartier, de nos vies au quotidien avec nos engagements auprès des autres.

Au cours d’une émission radiophonique[4], le neuropsychiatre Boris Cyrulnik qui a échappé à Bordeaux, à une rafle contre les juifs en 1944[5],  a exprimé son inquiétude, « l’inquiétude d’une exacerbation des inégalités de résistance psychologique aggravées par les inégalités sociales et culturelles ». Certains amis, et des membres de mon entourage ont ainsi partagé leurs peurs, des parents angoissés n’ont pas souhaité remettre leurs enfants à l’école. Ces proches qui n’ont pas souhaité remettre leurs enfants à l’école sont pourtant des gens infiniment éprouvés et courageux, qui ont été les victimes d’atrocités commises en Centre-Afrique, ils ont été tous traqués, pourchassés, et l’un d’entre eux, a même été mitraillé et laissé comme mort près du fleuve Bangui. Mais plus que l’épreuve de la guerre, des djihadistes qui les ont menacés physiquement, c’est le virus qui leur semble encore plus dangereux. Aussi nous pouvons parfaitement saisir leur souci de ne pas être soumis à une nouvelle épreuve, à une nouvelle souffrance. Je crois que chacun d’entre nous, nous serons conduits à manifester plus que de l’empathie, pour comprendre que ce déconfinement ne sera pas simple pour tous, quant au dehors, le coronavirus n’a pas littéralement déguerpi. A l’heure de la distanciation sociale, et lorsque nous ne sommes pas obligés d’emprunter les transports en commun, comment alors ne pas songer à ceux et celles qui seront conduits à dépasser leur espace calfeutré, et protégé pour se confronter à nouveau à autrui sans la distanciation sociale et après avoir martelé que nous sommes nous-mêmes de potentiels agents agressifs.

Le déconfinement reste selon moi une mesure qui n’a pas été suffisamment réfléchie. Une réflexion insuffisamment conduite en amont, associant étroitement le collectif des corps intermédiaires, les associations familiales, les syndicats, les communes. La prétention d’un « État instituteur de la société » est devenue cette réalité dont se sont plaints les maires des villes, les premiers échelons de la vie sociale. Cet état « instituteur » a également sacrifié en quelques décennies, d’autres piliers comme la famille, tout ce qui constitue au fond la subsidiarité d’une société. Or aujourd’hui cette religion jacobine fait face à une crise majeure au plan social, qui nécessite une refondation, une reformulation du modèle social, qui ne sera pas seulement une résilience ; mais une remise en cause d’une certaine idéologie, d’une conception métaphysique de l’homme et de la société.

Le déconfinement ne s’ordonne pas d’un coup de baguette, d’un trait de plume et en une date décrétée, il nécessitait d’être préparé, de rassurer et d’accompagner. Nous connaissons de nombreuses personnes qui ont été dévastées par l’épreuve infligée par la pandémie, des deuils qui n’ont pas été faits, des familles brisées par la mort d’un proche, l’avenir pour eux est comme inhabitable, comme impossible, car la peine à surmonter, leur fait comprendre le poids immense de leur fragilité, de leur vulnérabilité. Songer à l’avenir pour ces personnes est inimaginable quand elles perçoivent ce qui a été littéralement détruit autour d’elles. Outre les effets psychologiques destructeurs, morbides, pour ceux qui n’ont plus les ressources pour relever le défi de la résilience, il faut aussi ajouter toutes ces personnes qui demain seront privées d’emplois, et seront confrontées à l’inquiétude d’un État-nation en déliquescence et qui pour partie est en train de perdre la boussole, en ne prenant pas la mesure des priorités essentielles. Il ne s’agira plus de sauver la finance selon moi, ni les grands groupes industriels, mais de préparer la restauration d’un pays non en injectant des milliards dans une économie consumériste et qui porte elle aussi en responsabilité le catastrophisme économique sous-jacent. Cette perfusion à coups d’interventions surendettera de façon irraisonnable les capacités d’une nation considérablement affaiblie par l’arrêt brutal du fonctionnement de toutes les activités. Au fond, gouverner demain, ce sera avant tout puiser dans l’intelligence collective, industrieuse et solidaire. Il me semble que le messager viral porte avec lui un message de véritable résilience face à l’agression germicide qui a renversé toutes les tables d’une insouciance qui n’avait pas envisagé l’ampleur du mal qui a assombri notre avenir social.  Mais effectuons à nouveau un voyage dans le temps, quelques temps après la peste noire, des mesures draconiennes ont été prises. Ainsi en 1374, Marguerite de Bourgogne la petite-fille de Saint-Louis et épouse du fils aîné de Philippe le Bel, Louis X le Hutin, demande que soit nettoyée sa ville[6]. Qu’allons-nous nettoyer, qu’allons-nous assainir en 2020 ? Quelles mesures draconiennes allons nous prendre pour anticiper les épidémies qui comme des messagers sociaux, nous disent ce qui au fond dysfonctionne au sein de nos sociétés ? Qu’allons-nous remettre en cause ? Allons-nous construire le prétendu Nouveau Monde, ou changer réellement de cap pour réorienter l’humain vers une dimension de sens ? Le sens ancré dans la sacralité, le bien commun, la proximité, le restaurant dans la dimension d’un monde réel dont on aura et je le souhaite, expurgé le fantasme et l’idolâtrie de l’objet.

Or comment dans ces contextes, faire résilience ?  Mais de quelle résilience, parlons-nous ? S’agit-il de résilience écologique, ou de résilience psychologique ? L’une en effet offre la capacité à un écosystème de reprendre forme après une grave perturbation, tandis que l’autre, est celle où l’aptitude à se relever après le vécu d’un véritable traumatisme, prend à nouveau rendez-vous avec la vie ! Vais-je faire également l’impasse de la résilience de l’économie, dont les structures mercantiles ont été soumises à un véritable choc ?

Dans les trois domaines de l’écologie, de l’économie et de la personne, toutes les lectures que l’on peut faire ici et là, convergent, tous les commentateurs avisés, s’attendent à l’intervention « omnipotente » de l’appareil de l’état pour intervenir sur ces trois champs ! Or ce serait une terrible erreur sociale de considérer que la toute-puissance de l’état est suffisante pour reconstruire, rebâtir, restaurer. Pour ma part et je l’ai déjà écrit, l’état ne pourra rien faire, s’il ne s’adosse pas à toutes les micro structures qui sont au plus près des réalités, au plus près des vécus. Une société est réellement résiliente lorsqu’elle est réellement capable d’activer réseaux de solidarité, de les développer. Au plus fort de la crise économique en 2008, nous avons relevé des initiatives fortes, où des hommes et des femmes se sont organisés pour réinventer l’économie solidaire. L’économie solidaire est une multiplication d’initiatives pour créer et échanger, faire de la richesse autrement. L’économie solidaire est une économie de proximité, soucieuse d’équité et de développement durable, soucieux de ne discriminer personne et encourageant l’initiative de tous. Partout nous avons vu se développer sur le territoire des maillages et des réseaux d’hommes et de femmes qui se sont levés pour témoigner envers les soignants des gestes de solidarité, ainsi des restaurants fermés, ont fait fonctionner leurs cuisines pour offrir des repas qui ont été comme une somme de réconforts, pour les personnels médicaux qui était au front et sous pression sanitaire, des associations de bénévoles se sont serrés les coudes pour apporter les repas auprès de personnes malades ou en souffrance. Une vie humaine s’est organisée également pour porter secours aux personnes confrontées à la solitude et ne la supportant pas. Toutes les combinaisons de ces gestes participent de la résilience. Et la résilience écologique tiendra en grande partie à cette culture de l’économie locale, l’économie de proximité. Dans cette dimension de résilience écologique, il faut se souvenir des travaux effectués par le chercheur David Thilman, qui fit cette observation riche d’enseignement touchant à la dimension de la biodiversité. Il fit ainsi le constat « que seules les parcelles abritant le plus de biodiversité avaient résisté à la grande sécheresse de 1988 qui avait causé la perte de toutes les récoltes dans les prairies du Minnesota. Dès lors, il semblait que seuls les écosystèmes présentant la plus grande variété d’espèces pouvaient encaisser une perturbation grave et se régénérer [7]». Le phénomène de résilience écologique dans son expression symbolique touchant à la biodiversité montre ceci, plus on croisera les énergies, les compétences, à la plus petite échelle, c’est-à-dire le niveau d’une parcelle, plus on sera en mesure de régénérer la vie sociale avec toutes ses formes d’interdépendance, d’entraide, de vie sociale et de solidarité économique. Cette biodiversité et qui touche également à l’écologie humaine me renvoie au texte de Saint Paul dans l’épitre aux corinthiens [8]: « Maintenant donc il y a plusieurs membres, et un seul corps.  L’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de toi ; ni la tête dire aux pieds : Je n’ai pas besoin de vous. Mais bien plutôt, les membres du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires … ». Le chardon, l’ortie, le lierre sont parfois les mal aimés des jardins mais remplissent bien souvent une fonction utile. On apprend ainsi que certaines plantes soignent d’autres plantes comme l’ortie, que certaines nourrissent les oiseaux comme le lierre, que le chardon possède un vrai potentiel thérapeutique. Le chardon, l’ortie et le lierre ne sont pas une nouvelle fable, mais constitue bel et bien une nouvelle parabole, L’ortie et le chardon ne sont pas sans rappeler le personnel soignant, le symbole de la défense périphérique, nous protégeant contre les assauts pernicieux du dehors : « Qui s’y frotte s’y pique » nous rappelle l’adage. Le lierre d’intérieur, est un agent dépolluant et nos éboueurs ont été comme ces invisibles indispensables, dépolluant nos chaussées. Non seulement dépolluant le lierre possède aussi cette fonction nourricière et c’est autant un hommage à toutes ces personnes qui dans les champs ou les magasins ont continué à approvisionner nos placards. Ils ne sont pas l’élite de la nation, mais sans eux, nous nous serions effondrés.

Le bien commun et sa sauvegarde tiendra ainsi à cette capacité de favoriser la biodiversité, de se serrer les coudes et d’entrevoir ainsi un horizon où l’on pourra rapprocher les pièces d’un monde disloqué et en considérant que nul ne pourra dire « Je n’ai pas besoin de toi ». Mais alors qu’en sera-t-il de nos élites, de nos ingénieurs, plusieurs milliers déjà en poste seront demain sans emplois. Je ne désespère pas qu’ils formeront une nouvelle cohorte industrieuse mettant leurs talents au service d’une collectivité soucieuse non plus d’efficience mais de qualité de vie et c’est à ce prix que l’on recollera les morceaux pour espérer une vie sociale plus humaine et plus proche des gens. Mais s’agit-il d’un rêve utopique ? C’est hélas fort probable, car l’homme augmenté ne choisira pas si facilement de courber l’échine considérant que ce serait trop humiliant de ne pas être porté en triomphe. Mais si l’humanité choisit de s’en remettre à ses instruments, elle passera alors, de leurs côtés ; la mécanisation de la conscience[1] sera alors en marche.

 

[1] La mécanisation de la conscience publiée le 31 décembre 2019 aux éditions Librinova

[1] L’Équipée sauvage est un film américain réalisé par László Benedek, sorti en 1953. Une description de jeunes rebelles qui vont semer le trouble dans une cité américaine.

[2] Bible : Exode 12 : 29-36

[3] Des types d’infections sont rapportés dans un vieux papyrus égyptien, qui remonte à 1.300 av. J.-C., le manuscrit mentionne une maladie de peau épidémique qui aurait touché les sujets du Pharaon. Le papyrus Ebers serait également l’un des plus anciens traités médicaux qui nous soient parvenus : il est daté du XVIe siècle av. J.-C Le papyrus Ebers mentionne et décrit entre autres quatre grands facteurs pathogènes circulants.

[4] https://www.histoire-pour-tous.fr/dossiers/2463-hygiene-et-pollution-au-moyen-age.html

[5] https://www.franceculture.fr/emissions/confinement-votre/boris-cyrulnik-on-est-dans-la-resistance-pas-encore-dans-la-resilience

[6] Les parents, du neuropsychiatre, meurent en déportation. Son père est déporté par le Convoi No. 64, en date du 7 décembre 1943, du Camp de Drancy vers Auschwitz. Sa mère est déportée par le Convoi No. 7, en date du 19 juillet 1942, du Camp de Drancy vers Auschwitz.

[7] https://www.histoire-pour-tous.fr/dossiers/2463-hygiene-et-pollution-au-moyen-age.html

[8] https://www.latribune.fr/green-business/l-actualite/20120612trib000703435/de-la-necessite-d-une-economie-de-la-resilience.html

[9] Texte de Paul ; 1 Corinthiens 12 :20-22

LA VERTU

En des temps de confinement, où brutalement les relations ont cessé, où nous apprîmes un nouveau langage corporel, celui de la distanciation sociale ; nous sommes entrés dans le temps du déconfinement, où nous avons été initiés à une autre obligation celle du masque. Masques et distanciations sont aujourd’hui les gestes et postures imposées, les gestes d’une vie finalement antisociale en des temps où nous avions appris à saluer de la main ou à nous embrasser. Le geste courtois est aujourd’hui répréhensible et gare à celui qui s’aventure dans une poignée de main. Alors le coude ou le pied deviennent les nouvelles modalités de nos salutations. Les relations humaines ont été comme impactées, bouleversées, obligées d’apprendre de nouveaux codes de la civilité, de la courtoisie. Derrière nos masques nous avons à peine à esquisser un sourire, à dévoiler le visage, voilà que le visage ne dit plus, ne dit plus tout haut, ce que nous pensions tout bas. Le visage est en partie voilé, condamné à ne faire exprimer que les yeux, mais voici que l’on apprend que les postillons de Corona peuvent atteindre les yeux, alors certains s’équipent de lunettes et se transforment en chauve-souris. Ah la chauve-souris, ceux-là passeraient-ils dans le camp de l’ennemi ? Corona se jouant de nos nouveaux styles, ne manque vraiment pas d’humour ! Il nous faut alors apprendre à vivre masqués. La distanciation, le sourire absent condamnent-ils alors la dimension de l’amour, la rencontre avec le prochain, où nous faut-il apprendre à aimer différemment. La religion chrétienne parle des trois vertus théologales que sont l’amour, l’espérance et la foi, l’amour qui est la première vertu semble comme bousculé ! Résistera-t-elle ?

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Auteur : Eric LEMAITRE

En des temps de confinement, où brutalement les relations ont cessé, où nous apprîmes un nouveau langage corporel, celui de la distanciation sociale ; nous sommes entrés dans le temps du déconfinement, où nous avons été initiés à une autre obligation celle du masque. Masques et distanciations sont aujourd’hui les gestes et postures imposés, les gestes d’une vie finalement anti sociale en des temps où nous avions appris à saluer de la main ou à nous embrasser. Le geste courtois en ces « temps crépusculaires » est aujourd’hui répréhensible et gare à celui qui s’aventure dans une poignée de main ou la bise furtive. Alors le coude ou le pied deviennent les nouvelles modalités de nos salutations. Les relations humaines ont été comme impactées, bouleversées, obligées d’apprendre de nouveaux codes de la civilité, de la courtoisie. Derrière nos masques nous avons à peine à esquisser un sourire, à dévoiler le visage, voilà que le visage ne dit plus, ne dit plus tout haut, ce que nous pensions tout bas. Le visage est en partie voilé, condamné à ne faire exprimer que les yeux, mais voici que l’on apprend que les postillons de Corona peuvent atteindre les yeux, alors certains s’équipent de lunettes et se transforment en chauve-souris. Ah la chauve-souris, ceux-là passeraient-ils dans le camp de l’ennemi ? Corona se jouant de nos nouveaux styles, ne manque vraiment pas d’humour ! Il nous faut alors apprendre à vivre masqués et à nous prendre en nouveaux Zorro venant sauver notre cité. La distanciation, le sourire absent condamnent-ils alors la dimension de l’amour, la rencontre avec le prochain, où nous faut-il apprendre à aimer différemment ? La religion chrétienne parle des trois vertus théologales que sont l’amour, l’espérance et la foi. L’amour qui est la première vertu semble aujourd’hui comme bousculé ! Résistera-t-elle ? Hier soir, nous avions une assemblée virtuelle, une rencontre fraternelle et une amie au téléphone, nous déclare avec sa joie, vous êtes ma famille. Se pourrait-il cependant que nous vivions une fraternité sans rencontres incarnées, sans relations vivantes, sans gestes de fraternités ? Je reconnais que tout ceci nous bouscule, nous remet en cause, et je perçois là une forme de vie antisociale qui se dessine. Pourtant l’amour n’est qu’apparemment vaincu, car partout des gestes qui l’incarnent sont témoignés dans le quotidien, l’entraide a su résister, dépasser les distances et les masques. La résistance de l’amour est bien plus forte que toutes les barrières érigées, lui seul est capable de surmonter sans peine les précautions prises pour casser la chaîne virale. La chaîne de l’amour, elle comme un lien invisible n’a pas été vue par la Reine Corona et ne sera jamais vaincue.  Mais qu’en est-il alors des autres vertus, elles aussi ont été comme molestées, maltraitées, mais non, elles ne se sont pas avouées vaincues ! Sans doute ces vertus oubliées, donneront-elles partout des leçons aux pouvoirs jacobins qui devront bien compter sur les engagements, les dévouements de nos médecins, de nos infirmières, aides-soignantes, de nos éboueurs, de nos maires, de tous ces ouvriers silencieux et agissants mais aussi des familles. Les vertus du courage, du sacrifice, de l’humilité, de la vérité, de l’amour voilà les valeurs cardinales, essentielles que nous serons appelés à vivre comme une nouvelle contagion pour abattre une société de distanciation qui est devenue la norme imposée. J’ajouterai à ces vertus, celle de la subsidiarité, cette capacité à la plus petite échelle, de prendre les décisions qui s’imposent, celle que le médecin emploie quand il s’agit de tenter un traitement ultime pour permettre à son patient de vivre malgré tout ; nous voyons, bien que là aussi cette vertu est encadrée, brimée, malmenée, car il faut attendre que les protocoles technicistes de la bureaucratie valident le secours qu’entend apporter le médecin à son malade. Mais loin de moi d’instruire un procès, puis de monter une forme de bûcher pour juger l’état en plein désarroi. L’état est en réalité incarné par des hommes et des femmes parfois inhabités par ces vertus essentielles. Car sans doute qu’au-delà des procédures techniques, des mesures administratives, les vertus ont été les grandes absentes. Les vertus ont été tellement malmenées par les pouvoirs successifs, elles ont été de tout temps, combattues : la famille moquée, les églises chahutées et parfois conspuées, les maires de nos villes regardés avec une certaine condescendance alors qu’ils incarnent aujourd’hui une autorité de proximité et souvent bienveillante.

Dans une époque tordue comme celle que nous vivons, où les autorités ont dû mal à se confronter à la vérité, manipulent parfois l’information, il semble que nous entrons également dans une quête d’authenticité qui s’exprimera demain au-delà de tout conformisme social, une authenticité qui est l’expression elle aussi  de la vérité, qui ne supporte ni la manipulation, ni le mensonge, nous engagera dans une dimension de courage, d’intégrité avec soi, d’intégrité avec les autres. Et j’aimerais que vous preniez connaissance de ce vieux conte africain qui nous parle de vérité, une vérité, une autre vertu cardinale qui puise sa source dans l’humilité : « Le Royaume de Sabou avait un puissant chef du nom de Moro. […]. Un jour, Moro sentit la fin de sa vie arriver. Il fit venir ses enfants afin de leur parler : – Mes fils, écoutez-moi ! Je suis devenu faible, il faut que le plus courageux d’entre vous me remplace. Pour que je choisisse mon successeur, il faut que chacun me conte son œuvre la plus fantastique.  Le premier de ses fils pris alors la parole : – Père, tu te souviens lorsque les envahisseurs ont attaqué notre Royaume. Moi seul les ai combattus et les ai mis en déroute avec pour seule arme mes mains alors qu’ils étaient fortement armés et nombreux.  Le deuxième fils parla à son tour : – Père, tu te souviens lorsque les lions de la grande forêt ont attaqué notre peuple. Moi seul ai osé les combattre et les ai mis à mort avec comme seule arme mes poings.  Ce fut alors au tour du troisième enfant de Moro : – Il est vrai que nous avons été attaqués par des envahisseurs et par des lions. Moi, je ne les ai pas combattus seul et ni avec mes mains. J’ai pris mes meilleures armes et appelé l’armée ce qui a permis de vaincre les lions et de repousser nos agresseurs.  Le vieux chef, après l’audition de ses trois enfants réfléchit pendant longtemps et déduit que l’enfant le plus courageux était celui qui avait dit la vérité c’était à dire son troisième fils. Moro l’appela et lui dit : – Puisque tu as dit la vérité, tu es le plus courageux. Je te remets le sceptre de Viziok qui te permettra de diriger le royaume de Sabou une fois ma fin venue. Ses deux autres enfants apprirent alors à leurs dépens que dire la vérité est souvent l’acte le plus courageux qui existe en ce monde. » Le vieux sage salue finalement dans le cœur de l’un de ses trois fils, plusieurs vertus, la vérité, le courage, l’humilité, et sa capacité à mobiliser toute une armée sur qui il a pu compter pour vaincre l’ennemi. Ce conte infiniment simple, enfantin, en dit pourtant très long sur la vanité de nos pouvoirs. Ces pouvoirs ont encore beaucoup à apprendre de cette sagesse populaire, sagesse qui n’est pas enseignée dans les plus hautes sphères des universités, des grandes écoles. L’autorité s’exerce toujours avec humilité, en convoquant le plus grand nombre de conseillers, et surtout cette autorité s’adosse à la vérité en n’oubliant pas le courage qui s’allie au dévouement sans désinvolture, ni mépris pour quiconque voudra s’associer à la victoire d’un ennemi extérieur qui est aussi un ennemi intérieur, si la dimension intérieure n’est pas habitée par la vérité.

À partir de ce conte, ne nous faudrait-il pas tirer dès ce jour, un enseignement concernant l’époque, ce nouveau siècle qui est en crise, qui n’est pas seulement et finalement une crise sanitaire, climatique, mais qui met à jour une autre crise, bien plus grave, celle de l’abandon de toute forme de référence à la dimension de la vérité comme de la vertu. À la vertu, il faut ajouter l’humilité qui oublie les certitudes et s’oblige à écouter les points de vue divergents. Il nous faut aussi adjoindre les vertus liées à l’authenticité, la morale non normative, mais celle qui s’inscrit, qui est gravé dans les cœurs, comme celle, touchant, la dimension sacrificielle dont le pilier est le courage. Le courage d’oser l’affrontement pour sauver celui ou celle qui est en péril au détriment de sa propre vie.

La crise pandémique doit être vécue comme une remise en question de toutes les idéologies néo-libérales et de l’homme prétendument augmenté qui ont façonné jusqu’à aujourd’hui le monde au cours de ces dernières décennies. Cette idéologie néo-libérale s’est hélas imposée au monde avec l’ensemble de ses représentations fondées sur l’appétence du progrès matérialiste comme seul horizon, sur la seule appétence consumériste comme seul code moral. Notre environnement occidental gouverné par son idéologie capitaliste a tenté de construire le monde de l’éden artificiel avec toutes ses valeurs factices et artificielles, nous promettant paix et sécurité. Aujourd’hui le monde est confronté à la pire des crises et ne semble plus en capacité de se donner un cap, un avenir, tant le changement que nous subissons est d’une rare violence même si en apparence les beaux jours sont arrivés, le déconfinement est à l’œuvre et l’insouciance se donne à nouveau, rendez-vous avec les rayons, la chaleur de l’été dans les agoras, les plages et les lieux publics à l’exception des allées des jardins qui nous sont encore interdits en ce beau mois de mai 2020.

Nous espérons finalement beaucoup de ces rayons estivaux qu’ils portent avec eux l’espoir qu’ils terrasseront la violente chevauchée virale lancée par la Reine Corona contre notre monde humain. Mais si Corona veut nous accorder une mise en parenthèse, une forme de trêve, nous pourrions alors vaquer de nouveau à ce « monde d’avant ». Nous avons probablement en tête, le secret espoir, la conviction intime que tout ceci ne relèvera en fin de compte que d’un mauvais moment, un mauvais rêve qui ne s’inscrira pas dans la durée. Nous restons tellement persuadés que l’histoire nous enseigne que dans toutes ces épreuves, les crises ne seront bientôt que de mauvais souvenirs. Mais voilà l’oiseau de mauvais augure, vous savez celui qui hante la ville hitchcockienne, l’Organisme Mondial de la Santé, ce cassandre a rafraichi notre folle assurance, plombant l’ambiance, en nous annonçant finalement que nous devrons vivre pour longtemps sous le joug de la souveraine Corona.

Cette souveraine a mis le monde économique littéralement à genoux. Certains économistes avaient au départ comparé la crise de 2020 à celle de 2008 puis les jours s’égrenant, la crise de 1929 devenait finalement la référence. Mais le point de départ de la crise de 2008 comme celle de 1929 n’ont pas grand-chose à voir avec celle de 2020. Les crises économiques respectives de 1929 et 2008 dont les relances avaient été imaginées et pensées par Keynes ou résorbées grâce aux mécanismes d’autorégulation des marchés, ou de l’interventionnisme de l’état protecteur, ne pourront endiguer celle de 2020. Le marasme qui se prépare en 2020 est bien plus profond, bien plus grave. Les théories keynésiennes ou les planches magiques de ce nouveau siècle, fabriquant des billets virtuels ne suffiront pas à dénouer la profondeur d’un mal économique qui s’installera de façon endémique et durablement au sein de toutes les nations. La crise sociale qui se dessine à l’horizon déclenchera un véritable tsunami affectant les nations les plus faibles et en leur sein les populations les plus précaires.

La Reine Corona bien plus terrifiante que les cuirassiers des premières armées au monde, a emporté et dissout la mondialisation, non pas sur plusieurs décennies, mais quelques semaines lui ont suffi pour casser l’édifice de l’universalisation terrestre, de l’économie planétaire où nous avons cru bon de confier nos corvées. Ces corvées que nous ne voulions plus, qui ont été transmises en quelques sorte à ces nouvelles colonies sociales, composées par les pays déclarés comme en voie de développement.

C’est le monde multiculturel, ouvert, inclusif, porteur de nouvelles valeurs d’autosuffisance et rêvant sa propre transcendance qui disparait ainsi sous nos yeux, mais l’appétit dévorant de Corona s’en est pris aussi à toutes les institutions politiques, comme ces nouvelles institutions pseudo familiales et pseudo religieuses, le monde de nos représentations s’effondre tel un jeu de cartes, un jeu de dominos montrant de la sorte les immenses fragilités de ce qui nous relie à tout ce qui faisait le dogme des croyances humaines.  Le monde est ainsi sur le point de perdre définitivement sa boussole.  Ce monde qui perd la boussole me fait songer à ce texte du prophète Esaïe[1] : « La terre chancelle comme un homme ivre, Elle vacille comme une cabane ; Son péché pèse sur elle, Elle tombe, et ne se relève plus »

Il y quelques décennies de cela, dans les années 80, lors d’une course d’orientation, de jeux de piste en pleine forêt des landes, notre boussole dysfonctionna. Avec mes coreligionnaires infortunés égarés dans ce massif forestier, nous cherchions vainement notre chemin, posant la carte en fonction de l’orientation donnée par la boussole dont on espérait que cette fois-ci, tout rentrerait dans l’ordre. Mais le secours de la boussole fut en vain, nous étions sur le point de perdre tous nos repères et fébrilement nous appréhendions la nuit tombante, quand le collectif a repris le dessus et la somme des intelligences s’organisa en écoutant posément, les talents des uns et des autres pour poursuivre notre chemin. Dans les situations extrêmes, il faudra dorénavant compter sur l’intelligence collective et ne plus espérer dans celle d’un prétendu chef messianique ou charismatique. Comme dans ce conte africain que nous avons précédemment narré, l’un des trois fils a pu espérer l’appui d’une armée d’intelligences, de cette dimension collective pour nous conduire à identifier un nouveau cap mais supposant alors une remise en cause de cette culture de l’hyper individualisme qui a rejeté le bien commun.

Concernant le cap, j’évoquais précédemment celui de l’authenticité, mais je ne songeais nullement aux valeurs des années hippies incarnées par l’immense festival de de Woodstock rassemblant une jeunesse éprise d’un nouvel idéal et pour qui l’affichage de l’authenticité correspondait à une forme d’harmonie de soi et de la nature. Pour ma part je crois que la recherche de l’authenticité ne relève pas de cette dimension, même si au fond de moi-même, je reste persuadé que nous avons été carrément oublieux de ces écosystèmes qui touchent à notre relation avec notre environnement naturel. Le mal est hélas bien plus profond que cet oubli et celui concernant la recherche d’une harmonie perdue. La quête de l’authenticité est en réalité celle d’un retour à nos sources, le retour à un principe universel qui est l’amour du prochain et qui suppose en soi une dimension sacrificielle.

La société contemporaine rejette la dimension sacrificielle et pourtant elle y est aujourd’hui exposée, comme confrontée avec cette capacité que les soignants démontrent par leur dévouement, leur engagement pour les malades en souffrance et atteints du covid19.

Ces soignants bizarrement sont qualifiés comme ces militaires face à l’affrontement de l’ennemi, au plus près du danger, au cœur du combat. Les termes de première ligne pour qualifier ces personnels soignants ont été abondamment utilisés par nos médias qui avaient emboité le pas du président de la république qui dans son intervention en mars 2020, utilisait le terme de guerre.  Mais aujourd’hui nous savons bien que l’expression « premières lignes » embrasse aussi nos éboueurs, comme les caissières des hypermarchés ou bien les personnels exerçant une activité funéraire. Au-delà de leurs obligations, nous leur devons une fière chandelle, ne pas se porter aux abonnés absents. Nous les confinés, nous étions bien heureux d’être les protégés d’un système qui avantage certaines catégories de nos populations, tandis que les autres ont été exposés, plus gravement avec la pandémie virale. À la dimension de l’authenticité, il faut sans doute revaloriser celle du courage, une vertu qui n’était plus en vogue quand le monde évoluait dans la vacuité de l’hyper consommation indolente et négligente, attendant de la bonne mère hyper protectrice de l’institution jacobine qui pensait jusqu’alors la société à notre place.

Le courage est l’équivalent de cette capacité sacrificielle qui ne pense pas le monde en fonction de la peur et pour reprendre les propos du philosophe Platon, dans deux de ses dialogues de jeunesse, le Lâchés et le Protagoras : Le courage « […] ne se laisse pas ébranler par la crainte «  Le courage c’est la « … hardiesse au combat ; [la] science des choses relatives à la guerre ; [la] fermeté de l’âme face à ce qui est effrayant et terrible ; [l’]audace au service de la tempérance ; [l’] intrépidité dans l’attente de la mort ; [l’] état d’une âme qui garde sa capacité de juger correctement dans les périls ; [la] force qui fait contrepoids au péril ; [la] force de persévérer dans la vertu ; [le] calme de l’âme en présence de ce qui, suivant la droite raison, paraît devoir déclencher terreur ou confiance ; [la] capacité de ne pas se laisser aller à la lâcheté sous l’effet de la terreur que fait naître l’épreuve de la guerre ; [l’] état de fidélité constante à la foi[2] ». Il en a fallu du courage pour tous ces soignants, ces éboueurs, ces caissières, ces personnels de première ligne, mais nous ne devons pas pour autant les transformer en héros, car je ne crois nullement qu’ils désirent en endosser l’habit. Je pense que les actes produits par ces premières lignes sont une invitation pour nous tous, à oser l’affrontement demain à d’autres niveaux face aux périls économiques qui abattront les équilibres et les édifices sociaux.

Nous allons faire face à une crise sans précédent qui n’épargnera aucun d’entre nous et exigera de chacun les mêmes vaillances que ceux témoignés par ces innombrables blouses blanches et la multitude des ouvriers de l’ombre. Il nous faudra alors du courage et nous aussi être en premières lignes au travers d’une multiplication de gestes de solidarités, des gestes allant des plus insignifiants aux plus significatifs.  Nous n’attendrons plus rien de l’état, car l’état ne pourra plus rien pour nous.

Si nous avons fait preuve d’inventivité et de créativité dans les temps de confinement, nous devrons certainement faire preuve d’inventivités et de créativités pour poursuivre la vie en société en la sécurisant et en l’organisation de telle sorte que personne ne soit oublié. La vertu sera sans aucun doute l’unique bien, sur laquelle tout restera à bâtir, la vertu guidée par le sens du bien. La vertu supposera l’action comme le définissait la sagesse grecque, l’action adossée à une attitude exemplaire, c’est-à-dire une attitude qui manifeste le degré le plus élevé du sacrifice pour le bien commun et sans doute que chacun redécouvrira la dimension de l’amour, l’amour authentique, l’amou

[1] Texte biblique : Esaïe 24.21

[2] Platon d’après Luc Brisson (dir.) (trad. du grec ancien), Définitions, Paris, Éditions Gallimard, 2008 (1re éd. 2006), 2204 p. (ISBN 978-2-08-121810-9), p. 287, 289. A propos du courage lire également les réflexions sur le courage chez Thucydide et chez Platon [article] sem-linkJacqueline de Romilly. https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1980_num_93_442_4285

Le bien, le beau, le vrai

Le général de Villiers donne ici des pistes concernant le monde à rebâtir… Il faut peut être retrouver le sens de l’authenticité et des valeurs lorsque tout semble être définitivement perdu, l’héroïsme tient sans doute aux capacités sacrificielles à consentir pour sortir de notre zone de peur. Le vrai leadership est un don de soi qui revient à la dimension su sacré, du bien, du beau et du vrai. Il faut vraiment l’écouter …. ! 

 

 

Le général de Villiers donne ici des pistes concernant le monde à rebâtir… Il faut peut être retrouver le sens de l’authenticité et des valeurs lorsque tout semble être définitivement perdu, l’héroïsme tient sans doute aux capacités sacrificielles à consentir pour sortir de notre zone de peur. Le vrai leadership est un don de soi qui revient à la dimension su sacré, du bien, du beau et du vrai. Il faut vraiment l’écouter …. !

L’égalité

Comme l’écrivait brillamment une amie[1] à propos du covid19, « Le virus est une conséquence de notre état dégradé et, surtout pas une cause comme certains le disent. Un virus c’est un messager, un veilleur, un éboueur. Il faudrait le remercier de nous faire des signaux au lieu de le fustiger ! »

Ce pathogène surgit ainsi dans ce monde tel un messager et sa mission résonne comme un avertissement quasi prophétique, nous oblige à veiller et nous convie à méditer. Le covid19 agit comme un éboueur se chargeant de nous rappeler la salubrité et l’hygiène. Ce virus s’organise comme le révélateur de nos toxicités de nos addictions de nos dépendances, il nous rappelle les fondements mêmes de l’écologie en nous montrant notre ingratitude face à la biodiversité. Enfin cette contagion pandémique démontre l’impuissance de notre gouvernance, nos appareils technocratiques et notre bureaucratie, en peine à agir avec efficacité pour endiguer le mal.

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Auteur 

Eric LEMAITRE 

Comme l’écrivait brillamment une amie[1] à propos du covid19, « Le virus est une conséquence de notre état dégradé et, surtout pas une cause comme certains le disent. Un virus c’est un messager, un veilleur, un éboueur. Il faudrait le remercier de nous faire des signaux au lieu de le fustiger ! »

Ce germe pathogène surgit ainsi dans le monde tel un messager et sa mission résonne comme un avertissement quasi prophétique, nous oblige à veiller et nous convie à méditer. Le covid19 agit comme un éboueur se chargeant de nous rappeler la salubrité et l’hygiène. Ce virus s’organise comme le révélateur de nos toxicités de nos addictions de nos dépendances, il nous rappelle les fondements mêmes de l’écologie en nous montrant notre ingratitude face à la biodiversité. Enfin cette contagion pandémique démontre l’impuissance de notre gouvernance, nos appareils technocratiques et notre bureaucratie, en peine à agir avec efficacité pour endiguer le mal.

C’est ce contexte de bureaucratie qui me poussa à méditer la réflexion de l’anthropologue Philippe d’Iribarne[2] publié par le site Presslib[3]. Ce texte sobre est d’une très grande acuité, rétablit notamment une dimension oubliée par la bureaucratie jacobine, comme celle de la diversité humaine qui est un élément crucial de ce que nous vivons. De l’examen attentif de ce texte j’ai également relevé ce point très sage, concernant les lectures de l’égalité sociale qui peuvent hélas, conduire à des mesures inadaptées selon les territoires. Comme le rappelle fort bien l’auteur, aucun territoire ne semble avoir été traité en soi de la même manière par l’épidémie du coronavirus. Pour Philippe d’Iribarne « La conception de l’égalité qui fait référence dans le monde anglo-saxon est avant tout l’égalité des citoyens devant la loi », l’auteur rappelle également que « Dans le monde germanique, c’est une égalité de voix au chapitre dans les orientations prises par une communauté. En France, c’est d’abord une égalité sociale »[4]. L’analyse de Philippe d’Iribarne est pertinente et tend à montrer également que les options politiques peuvent être [parfois ou finalement] inadaptées aux réalités sanitaires qui résultant d’une inégalité liée à la diffusion même de la pandémie. La pandémie ne nous a-t-elle pas prouvé toutes les failles de l’état jacobin, bureaucrate et centralisateur, une administration en peine à agir et à réaliser que le virus n’a pas nécessairement de conséquences homogènes à l’échelle d’un pays.  La vision jacobine révèle ainsi son incompétence, son inaptitude, à tous les échelons géographiques et à tous les domaines de la vie sociale et le Premier ministre dans une récente allocution devant l’assemblée nationale a dû en convenir, confesser l’impuissance de l’état. L’impuissance jacobine est ainsi largement mise en relief avec la fameuse gestion des masques, dont on découvre aujourd’hui que la grande distribution a su s’organiser et faire face avec une efficacité certaine. Le modèle étatique, bureaucratique qui caractérise l’administration française, est un malade lui-même en souffrance et victime du covid19.

Mais pour revenir aux contextes locaux[5] de la pandémie qui touche à ce jour le quart Nord Est, cette « inégalité » de l’intensité et de l’étendue de l’épidémie tient notamment et pour l’essentiel à des notions de géographies sociales, sociologiques et aux spécificités urbaines qui caractérisent nos territoires. Les brassages en Lozère, région profondément rurale ne sont pas celles des régions métropolitaines et urbaines comme en Île-de-France, Strasbourg, Lyon, ou Lille.  Chaque territoire est différent avec ses particularismes, dues essentiellement aux identités propres et la construction des rapports sociaux, de la densité des populations, des relations sociales au sein des sociétés régionales, de nos sociétés humaines propres à nos territoires [Plus de deux siècles de jacobinismes n’effacent pas les identités des territoires].

Ce jacobinisme qui aimerait tant mettre les mentalités, les esprits et les religions au pas aimerait sans doute avoir à terme un droit de regard sur les rassemblements.  Nonobstant, n’entrons pas demain dans une forme de stigmatisation systématique des fêtes, des rassemblements à caractère séculier ou religieux, cela fait finalement partie du comportement grégaire et relationnel qui caractérise l’être humain.  Il serait redoutable demain de mettre sous cloche les proximités sociales pour favoriser et encourager à l’inverse les distanciations interpersonnelles et nous réfugier sous la cloche d’un monde numérique qui nous rendrait dépendants de ses objets artificiels.

Or le courage en effet, est bien de protéger et de faire les choix circonspects, en adaptant la décision, mais surtout en la déléguant auprès de ceux qui sont en proximité avec les réalités locales, les réalités des territoires administrés. En fonction de la dangerosité de l’épidémie et notamment de la circulation du virus, il conviendra ou non de revenir à une vie sociale normalisée. Je renvoie chaque lecteur à la découverte du livre « Le lévitique », un des livres bibliques qui forme le Pentateuque, la thora pour découvrir l’immense sagesse pour organiser la prudence, la discrétion, touchant à la vie sanitaire, et sociale, l’immunisation collective et l’hygiène. Ce livre très étonnant mêle à la fois les mesures de confinement et les grandes fêtes et notamment la fête des tentes et bien d’autres grandes fêtes comme le Jubilé. À la fois Dieu dans sa sagesse entend protéger les israélites pour éviter la diffusion de l’infection, mais en aucun cas ne décourage les grands rassemblements collectifs si en amont toutes les précautions et les bonnes mesures préventives ont été prises.

Depuis plusieurs jours, je me suis ainsi plongé dans la lecture de ce livre le lévitique ; j’ai noté les consignes de sagesses répétées, déclinées dans les premiers chapitres, notamment toutes ces mesures de mise en quarantaine des israélites infectées par la lèpre, ces mesures sont avant tout des dispositifs de protection, d’immunisation et non des mécanismes sociaux visant à condamner ou à exclure, à rejeter les personnes infectées. Dans ces lois mosaïques, Il s’agit avant tout de protéger et de sauvegarder la vie sociale, les relations interpersonnelles. En conséquence en effet il ne semble pas sage de conduire une systématisation de l’égalité de tous et pour tous les territoires. Uniformiser à l’échelle d’un pays une décision peut inversement avoir pour effet suspect de mettre en camisole l’ensemble de la population. Or la bureaucratie jacobine peut avoir des effets profondément pervers du fait de son éloignement des réalités régionales. Les effets de cette bureaucratie peuvent être sulfureux, quand cette dernière appréhende le monde comme devant être parfaitement homogène, uniforme, identique. Le jacobinisme est une doctrine opposée aux singularités, aux altérités, aux réalités locales, aux libertés naturellement, et ces libertés sont forcément inégalitaires.

L’histoire moderne ne nous a-t-elle pas apprise, que le régime jacobin non seulement fut un régime répressif imposé par les « circonstances de la terreur », mais par essence, un régime politique qui conduit à une nécessaire restriction des libertés, un contrôle social de tous ses sujets, en raison de son essence idéologique fondée sur le traitement égalitariste de tous ses sujets, visant « la restauration morale à l’aune d’une seule religion citoyenne », et l’uniformité, de la société. En deux siècles et avec l’arrivée de la Reine Corona, « Jacobin » le républicain s’incline et invite tous ses sujets à en faire de même, à plier le genou, mais il faut dire que la Reine Corona a de tels arguments et sait utiliser l’affolement pour arriver à ses fins, d’ailleurs je me demande si parfois, elle n’a pas cette « reine corona » utiliser les codes de la « terreur » pour paralyser toute velléité de manifestation, franchement je vous le confesse, je m’interroge.

Nous les juilletistes de 1789, nous étions si fiers, le jacobinisme avait pris valeur de modèle pour toutes les nations, nous avions la meilleure administration du monde, la plus qualifiée et nous étions de facto, en capacité à gérer la crise, à passer le test en quelque sort, à surmonter n’importe quel krach. Or l’état jacobin est en passe d’abdiquer et de renoncer, comprenant que son système ne repose ni sur la sagesse ni sur un ancrage dans les réalités sociologiques.  L’intelligence n’est pas en effet de gérer dans une tour d’ivoire, ni de gérer le monde du côté d’un château, d’une bureaucratie, mais d’apprendre avec humilité, d’organiser avec discernement en faisant appel à l’intelligence collective comme à celle également des collectivités qui ne pratiquent pas la « distanciation[6] » et demeure au plus proche de leurs administrés.

Je pense qu’il importe pour un état très jacobin comme le nôtre de revenir à une dimension de subsidiarité [ce qui semble se faire par ailleurs ; il faut s’en féliciter]. La subsidiarité est en soi, une dimension parfaitement adaptée aux circonstances, aux caractéristiques locales. Il s’agit donc de déconcentrer la gouvernance, de délocaliser la décision. Il s’agit en fin de compte de décentraliser, le pouvoir discrétionnaire d’un état excessivement rationnel, afin que l’on prenne en considération les lectures et les échelles des régions plus ou moins infectées par le virus, en renforçant les mesures ou en les allégeant.

Dans ce contexte, le modèle allemand est souvent cité en exemple, mais la gestion réussie de la politique sanitaire allemande pour endiguer la pandémie, ne tient pas au fédéralisme ou à la régionalisation comme le rappelle Philippe d’Iribarne, en tant que tel, mais à l’ensemble des mécanismes qu’ils comportent dont à nouveau le principe de subsidiarité, incluant une « échelle de décision, d’administration et d’autonomie locale ».  À l’heure où la vie sociale est en crise du fait de la crise épidémique, il serait sans doute temps de remettre à plat la vision de nos institutions, fondées sur cette volonté jacobine de renouveler totalement la société, en aspirant à une unité abstraite d’un peuple, alors que la biodiversité de nos terroirs est profondément diverse et ne subit pas de façon égale les désordres infligés par la pandémie. La vision jacobine en revanche, nous entraine à tort et en toute aberration dans le cours d’événements qui ne s’accordent pas entre cette réalité d’une contagion dangereuse et d’une gestion émotionnelle et anxiogène de l’État.

Cette gestion de la pandémie peut s’avérer tout aussi dangereuse, nous conduire à une forme de mollesse morale, d’atonie des populations et une incapacité à nous responsabiliser par nous-mêmes.  Les idéologies mènent souvent le monde, mais elles ne naissent pas ex nihilo, les idéologies sont nées de crises et puisent leur dynamisme dans les tragédies de l’histoire, la grande peste noire a eu un effet de bascule incontestablement dans les mentalités et l’émergence de la renaissance. L’histoire est sans aucun doute bien plus qu’un enchaînement d’idéologies, quand bien même les idéologies ont contribué à façonner les orientations souvent tragiques, puis ont eu une incidence significative sur la gestion proprement dite de la vie humaine. Qu’en sera-t-il demain, de la gestion de la crise après le coronavirus, quels effets durables cette crise pandémique va avoir sur les mentalités, les esprits, les intelligences ? Que va-t-on construire comme société et quels seront les nouveaux modèles qui vont être déclinés ? Le modèle chinois, le paradigme de l’uniforme va-t-il enfin s’imposer à tous, modèle social fondé sur la surveillance des populations, craignant que certains sortent du rang et n’entrainent les autres … ? Je mesure que la gouvernance actuelle se questionne elle-même pour éviter de tomber dans de tels travers, le pourra-t-elle et jusque quand ?  J’en conviens que de questions, ce sont celles d’un messager, d’un veilleur, d’un éboueur, d’un lambda insignifiant, d’un petit caillou dans la chaussure de l’état Jacobin.

[1] Françoise Blériot : « Le virus est une conséquence de notre état dégradé et, surtout pas une cause comme certains le disent. Un virus c’est un messager, un veilleur, un éboueur. Il faudrait le remercier de nous faire des signaux au lieu de le fustiger ! »

[2] Ingénieur diplômé de l’École polytechnique (promotion 1955), de l’École des mines de Paris (1960) et de l’Institut d’études politiques de Paris (1960), Philippe d’Iribarne est directeur de recherches au CNRS.

[3] https://presselib.com/

[4] Extrait de l’article ; https://presselib.com/philippe-diribarne-originaire-dici-est-un-specialiste-repute-de-la-diversite-des-cultures-et-de-leur-effet-sur-la-vie-politique-et-sociale-il-nous-livre-un-regard-tres-pointu-sur/

[5]  La France

[6] Le terme « distanciation » est utilisé à des fins ironiques

Le monde en pièces

Entre Eugène Ionesco et Albert Camus le traitement philosophique de la peste diffère singulièrement, l’un nous renvoie à une allégorie politique contre toute forme de totalitarisme Il nous faut selon Albert, Camus prendre conscience de la noirceur possible de notre cœur, tandis que pour Eugène Ionesco, le sentiment religieux l’emporte, il confie d’ailleurs en commentant sa pièce de théâtre « Jeux de massacre[6] », avoir toujours eu depuis son enfance un sentiment apocalyptique de l’histoire. Pour Eugène Ionesco, « nous vivons une époque apocalyptique.  Nous vivons tout le temps une époque apocalyptique, à chaque moment de l’histoire c’est l’apocalypse, mais c’est plus ou moins évident, […] tout le monde joue avec le danger apocalyptique. Les hommes sont hantés par cette fin, qui doit venir et qu’ils ont l’air de vouloir précipiter[7] ». La métaphysique de Camus, elle est aux antipodes, elle est celle de l’athée, il refuse l’enfermement et décide de combattre l’idée que tout est fini même si « l’ordre du monde est réglé par la mort », puis d’ajouter dans la bouche du docteur Rieux « peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croît pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers ce ciel où il se tait ».

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Auteur Eric LEMAITRE 

Nous sommes le 14 avril 2020, comme de nombreux concitoyens, le jour de Pâques, nous n’avons pas eu ce privilège de célébrer cette fête en famille, de nous rassembler avec nos parents qui avancent dans l’âge. Nous avons été comme privés de ces liens traditionnels qui rassemblent les familles autour d’un repas qui commémore une tradition ancienne celui de vivre des moments de convivialité. Nous avons été comme « confisqués » de vivre cette dimension des retrouvailles, empoignés à demeurer « exilé » dans nos logements, loin des nôtres. Pourtant notre époque moderne atténue l’éloignement, la distance, nous possédons des moyens numériques pour nous relier au reste du monde, et prendre des nouvelles des uns et des autres. Si nous ne sommes pas reliés à nos proches, nous restons finalement comme connectés ! Cependant au fil des jours, des semaines, nous prenons conscience que ce confinement nous fait en fin de compte, découvrir l’artifice, des objets qui marquent la digitalisation de ce monde, que rien ne saurait en soi remplacer ou se substituer à la dimension de l’autre. L’être humain aujourd’hui assigné à résidence reste pour toujours, un être grégaire qui a besoin de vie tactile, d’embrasser la vie, qui exprime au plus profond de lui-même l’attente d’une présence aux autres, de vivre par-dessus tout, dans la collectivité, celle qui brasse nos congénères, nos semblables. Si hélas nous ne regardons plus au ciel et sommes déreliés du cercle amical, nous avons en revanche la compagnie de nos écrans qui nous sauvent de « l’isolement ».

Pourtant chaque journée qui passe devant nos écrans, est une journée finalement anxiogène. Le monde cathodique vient charrier son lot d’informations mortifères, nous sommes rivés aux mauvaises nouvelles du soir qui viennent ajouter à l’inquiétude quotidienne. Même ceux qui semblent être les plus protégés parmi nous ne se sentent plus nécessairement à l’abri. Au cours de la journée du 13 avril, je prenais soin d’appeler mon père que ses petits-enfants appellent affectueusement Papé.

Je doute que notre Papé se croie lui âgé, mais son âge déjà « avancé » l’expose sans doute encore davantage à la violence de ce virus qui ne semble pas épargner nos aînés. Ces jours derniers, mon Père me confiait qu’il se sentait privilégié de bénéficier d’une maison aux larges pièces, d’un vaste jardin, de pouvoir vivre au grand air dans une campagne éloignée de l’urbanité et de ses dangers. Mais au fil des jours qui passent, lui qui dans les premiers jours comme beaucoup d’entre nous, ne ressentaient pas les effets immédiats de la pandémie au plan psychologique, me semble aujourd’hui plus éprouvé, plus inquiet. Hier mon Père que nous appelons affectueusement Sosthène[1], « celui dont la force est préservée », m’annonçait que plusieurs familles de mon village natal avaient été, elles-mêmes directement ou indirectement atteintes par le mal du siècle. Mon propre frère après avoir joint le Papé, m’annonçait que dans une maison de retraite, dans une commune proche de notre village, plusieurs personnes âgées ont été quasiment décimées. Nous avons ce sentiment étrange que personne en soi n’est en réalité à l’abri même exilé, même s’il a le sentiment d’avoir mis suffisamment de barrières autour de lui pour endiguer la férocité du virus. Ce mal se diffuse dans le monde à une allure effrayante, n’épargnant ni les riches, ni les pauvres, ni New York, ni ce village de huit cents âmes où mon Papa réside.

C’est la soudaineté de ce mal qui fait irruption au sein de toutes les nations du monde et dans l’histoire de notre humanité, qui semble surprendre bon nombre d’entre nous. Pourtant personne dans nos médias n’ose qualifier cette pandémie, de fléau, le terme est trop connoté, trop religieux, et encore moins de peste qui nous renvoie à la mémoire du moyen-âge dont à tort beaucoup relèguent son histoire à l’obscurantisme. Pour revenir à ce fléau l’un des plus marquants de l’histoire de notre humanité, la peste envahit l’Europe dès 1347 !  La bactérie Yersinia pestis[2] est arrivée par les routes de la soie, dans des navires de commerce en provenance de la péninsule de Crimée sur les rives de la mer Noire, accosta, puis assiégea finalement la ville de Gênes pour se répandre en véritable fléau, « conquérant » comme une faucheuse, une grande partie de l’Europe, y compris l’Angleterre insulaire.  La peste bubonique extermina beaucoup plus que la moitié de l’Europe, en moins de cinq ans. Le « fléau de Dieu » effraya les peuples de toutes les nations européennes, qui virent dans cette pandémie la main du diable, des juifs ou des lépreux. Les juifs par milliers avaient été les victimes de massacres, de pogrom. Ces populations dans l’ignorance la plus absolue, dans leur folie comme de nos jours[3], ignorèrent sans doute cette culture de l’hygiène qui caractérise le peuple Juif et cette connaissance des consignes données dans les différents chapitres du livre du lévitique.

À propos du Covid.19[4], les sachants s’empressent de nous rassurer, ce n’est pas la peste ! Bien que tout s’y apparente en réalité [même si son origine et son génome différent] à la fois par son ampleur et les symptômes pulmonaires manifestés par les personnes atteintes par la pandémie virale.

Dans cette nouvelle chronique, mon journal de bord en quelque sorte, j’ai voulu fouiller l’histoire des pandémies, ce que la littérature nous apprend, ce qu’elle peut nous enseigner sur la façon dont nous pourrions vivre ces instants d’exil ! « Exil » un mot que j’emprunte à Albert Camus. J’imagine volontiers en ces temps de confinement que beaucoup de mes lecteurs se sont empressés dans leurs logements claquemurés à redécouvrir son œuvre, et notamment cette fiction « la peste », la chronique d’un fléau qui contamina toute la ville d’Oran.

Albert Camus n’est d’ailleurs pas le seul à avoir traité ce sujet, à avoir abordé l’épidémie. La littérature est abondante et en effet plusieurs écrivains ont vu dans la peste des motifs d’inspiration pour décrire les effets dévastateurs de la pandémie parmi ceux qui ont traversé l’épreuve, victimes ou survivants.

Dans le Décaméron, Boccace le Florentin décrit un épisode des ravages de la maladie infectieuse, il dépeint les dommages effrayants de la peste noire qui a atteint Florence au milieu de quatorzième siècle et l’impact de l’épidémie sur toute la vie sociale de la cité. Il brosse le portrait d’une ville frappée par la pandémie et s’attarde sur les contrastes d’une population insouciante, vivant en huis clos en quelque sorte, hors du monde continuant à vaquer à sa frivolité, son insouciance, à vivre comme si de rien n’était, comme si la mort n’avait pas d’emprise sur eux, si la vie irrémédiablement n’était pas éphémère, alors que toute la cité est décimée par une peste violente qui emporte avec elle une grande partie de la population de Florence. Comme l’écrit un journaliste de Marianne, à propos de cette œuvre de Boccace le Florentin, « Le huis clos est un confinement volontaire où l’air de la campagne et l’art de la conversation les protègent des assauts pestilentiels occultes, morbides et mortels »[5].

Plusieurs fresques du moyen-âge évoquent également la terreur éprouvée par la population européenne, et cette terreur illustrée bien souvent par une forme d’hydre s’emparant d’une faux comme pour frapper l’imaginaire et interpeller les populations déjà angoissées par les méfaits du mal. Dans l’œuvre de l’écrivain florentin, Boccace décrit des personnages qui entendent échapper à la réalité, s’en extirpent, ils se racontent des histoires divertissantes, comme pour évacuer le mal, surtout pour refouler la mort. Ce qui est drôle ou cocasse finalement, c’est que rien ne semble avoir changé, nos écrans cathodiques se chargeant aujourd’hui de nous divertir après avoir paradoxalement su créer toutes les conditions de l’anxiété. En réalité, tout est en effet conduit pour nous distraire de soi, comme l’envie de nous détourner du ciel. La mort n’est pas le cadet de nos soucis, à l’inverse pour Eugène Ionesco qu’un de mes amis également blogueur s’est empressé de me faire découvrir, la mort dans l’œuvre du dramaturge est en revanche omniprésente, envahissante, c’est une mort de masse à laquelle les populations sont confrontées, l’épidémie se diffuse partout. A New York avec l’image de cette vaste nécropole érigée à la hâte où l’on entasse les cercueils des sans-abris, des laissés pour compte, l’homme découvre brutalement, brusquement son insignifiance et sans doute si l’on veut bien y réfléchir l’arrogance d’avoir ignoré sa vulnérabilité, l’arrogance de mépriser la dimension de la finitude et de ceux qui croient au ciel. Ionesco décrit toute une cité qui passe ainsi de la vie à la mort, de l’existence au trépas. La mort dans ce récit est inévitable, inéluctable, l’impasse est impossible et aucun enclavement ne résiste à la faucheuse. Eugène Ionesco s’est intéressé aux implications métaphysiques de la pandémie, à l’aspect apocalyptique de l’événement. À l’inverse Albert Camus ne croit pas au ciel et l’écrivain a fait de cet événement la peste, une dimension qui touche à la résistance morale contre l’ennemi qui fait irruption dans la vie d’une cité. Pour Albert Camus, il nous faut finalement combattre la peste brune, le Nazisme, ou tout autre totalitarisme. La peste est en effet une métaphore contre la tyrannie, « la peste brune » susceptible de conditionner les esprits. Il faut donc selon l’auteur la combattre en lui résistant.

La peste est le mal politique, le mal absolu, « la peste c’est nous » ! Entre Eugène Ionesco et Albert Camus le traitement philosophique de la peste diffère singulièrement, l’un nous renvoie à une allégorie politique contre toute forme de totalitarisme Il nous faut selon Albert, Camus prendre conscience de la noirceur possible de notre cœur, tandis que pour Eugène Ionesco, le sentiment religieux l’emporte, il confie d’ailleurs en commentant sa pièce de théâtre « Jeux de massacre[6] », avoir toujours eu depuis son enfance un sentiment apocalyptique de l’histoire. Pour Eugène Ionesco, « nous vivons une époque apocalyptique.  Nous vivons tout le temps une époque apocalyptique, à chaque moment de l’histoire c’est l’apocalypse, mais c’est plus ou moins évident, […] tout le monde joue avec le danger apocalyptique. Les hommes sont hantés par cette fin, qui doit venir et qu’ils ont l’air de vouloir précipiter[7] ». La métaphysique de Camus est aux antipodes de celle traitée par Eugène Ionesco dans sa pièce de théâtre, sa métaphysique est celle de l’athée, il refuse l’enfermement et décide de combattre l’idée que tout est fini même si « l’ordre du monde est réglé par la mort », puis d’ajouter dans la bouche du docteur Rieux « peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu’on ne croît pas en lui et qu’on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers ce ciel où il se tait ».

Sur le même thème, « la peste » nous avons là deux approches singulièrement différentes entre deux auteurs l’un refusant l’abandon, il entre en lutte, refuse la résignation morale et aspire même à la résilience. Pour Albert Camus, son personnage le fameux docteur Rieux, pied à pied, s’oppose avec courage à la maladie, tandis que chez Eugène Ionesco, les personnages sont foudroyés, s’effondrent, cueillis par la mort, ont à peine le temps de méditer sur leur sort sauf pour certains d’exprimer vraiment l’essentiel, l’amour. Dans l’œuvre de Camus, un dialogue de l’action est entamé, invitant à la réflexion. Il n’y a d’ailleurs pas de héros chez Ionesco, aucun personnage ne survit, tandis que Rieux le résistant, lui tient bon et la ville finit par renaître comme l’Europe médiévale, finit par connaître un épilogue plus heureux faisant émerger la renaissance d’une nouvelle civilisation. Pourtant chez Ionesco, certains personnages qui tombent comme des mouches sont habités par la dimension relationnelle, l’amour, l’amitié. La peur même de la mort n’a pas entamé, le désir d’aimer.

En lisant les œuvres des deux auteurs, je suis frappé par quelques similitudes qui me font penser à la ville de Laodicée et à cette lettre qui lui est adressée dans le livre de l’Apocalypse, une ville indolente, tiède, ni froide, ni bouillante et qui fut comme interpelée avant que le grand jour ne surgisse, ne fasse irruption. Eugène Ionesco nous parle d’une ville, d’une place dans le prologue de la pièce de théâtre, les gens « vont faire les commissions, on aperçoit le marché avec du monde achetant et vendant ». Peu avant Eugène Ionesco précise que les gens n’ont ni l’air geai, ni triste.  Camus lui nous décrit la scène d’une ville surnommée la radieuse en langue arabe, une grande cité magrébine, une ville portuaire proche de la méditerranée où chacun s’affaire, commerce, s’enrichit. Puis dans la pièce de Eugène Ionesco, un personnage énigmatique, mystérieux entre en scène, un moine noir, très haut de taille avec cagoule qui traversera toutes les scènes du livre silencieusement. Dans son roman « La peste », Camus fera entrer en scène un rat, le rat pestiférenciel qui portera en lui la contamination de toute une ville, tandis que le moine noir s’apparente à la grande faucheuse.

Ce qui m’a profondément passionné à la lecture de ces textes, c’est leur résonnance, leur modernité par rapport à notre époque et les scènes de vie qui se jouent dans la trame de ces récits qui relatent la tragédie qui fait une irruption soudaine dans la vie d’une cité. Albert Camus exprime dans son œuvre l’étouffement, la pesanteur de l’atmosphère qui se répand au fil de ces dix mois où est imposé la mise en quarantaine de la ville.  L’impression d’abstraction est vécue au début de l’épidémie, ce terme souvent employé dans le récit, une « abstraction » qui nous détourne de l’humain qui résulté d’une épidémie quasi invisible tant qu’elle ne nous concerne pas immédiatement. Nous avons dans le prologue de la pièce de Eugène Ionesco, une scène avec des ménagères déjà soucieuses et au début de l’épidémie dans le déni « Seulement les singes attrapent cette maladie » […] « mais heureusement nous avons des chiens et des chats » et après les ménagères des hommes interviennent et expriment un discours plus politique et s’emploie à discourir sur les solutions sanitaires !

Ce qui m’a fait sourire entre autres, c’est le propos de ce premier homme qui apparait dans la pièce « Nous sommes tous des idiots, hélas nous sommes gouvernés par des imbéciles […] un deuxième intervient [..] il faudra trouver un remède à cela, ce remède est introuvable […] il y avait pourtant une solution, pas très agréable. Mais c’était la seule ! » Un dialogue qui nous montre que la nature humaine ne change pas en réalité, que la nature de ces propos nous les avons entendus, nous renvoie à ces débats interminables et qui tournent en rond, des débats futiles et qui illustrent encore une fois la comédie humaine.

Le roman de Camus, la pièce de théâtre de Eugène Ionesco ont quelque chose finalement d’intemporel, d’universel, l’humain est au cœur de leurs réflexions, montrant finalement la profondeur ou la superficialité des discours, la lâcheté et l’héroïsme, la vulnérabilité et l’insouciance, l’éveil comme la noirceur des cœurs. Le travail d’écriture des deux auteurs nous décrit finalement la rapidité de l’effondrement, comme si nos mondes ont été fondés non sur le roc, mais sur le sable. La crise pandémique nous révèle en soi que nous sommes amarrés à rien de solide.  Prosaïquement nous nageons dans un monde liquide sans attaches, déraciné. Avec le confinement nous allons vers un monde en pièces, morcelé, dissocié, certes virtuellement nous restons connectés, mais nous sommes comme apeurés « chacun doit accepter de vivre le jour et seul en face du ciel [8]». Avec le prolongement du confinement, le déferlement du virus dans l’ensemble de notre monde, et sa propagation quasi exponentielle, interviennent des sentiments mitigés, Albert Camus fait dire à l’un de ses personnages « On sait trop bien, qu’on ne peut avoir confiance en son voisin qu’il est capable de nous donner la peste à votre insu, de profiter de votre abandon pour vous infecter », l’actualité du covid nous rapporte des attitudes similaires, la suspicion des personnes mal intentionnés, transformant leur entourage en pestiférés dangereux. Le voisin devient alors le suspect, le coupable éventuel. Dans la pièce de Ionesco « Jeux de massacre », tandis que l’épidémie infectieuse est seule responsable des ravages meurtriers, l’un des personnages à propos de la mort d’un enfant victime lui aussi de la peste, interpelle « Qui a pu faire ça ? »  Un autre personnage entre en scène, le quatrième homme interjette et d’un ton affirmatif, assure « Je sais qui c’est. Je les ai confiés ce matin à ma belle-mère. Elle en voulait toujours à ces enfants. Parce qu’elle me déteste. Il y a longtemps depuis toujours. »[9]. Le monde dans son affolement irrationnel recherchera des coupables, forcément hier les juifs, les lépreux, aujourd’hui les chrétiens de Mulhouse.

Après la solidarité des assiégés, le monde est en miettes, chacun pensant d’abord à sa survie « La maladie avait forcé les habitants, à une solidarité d’assiégés, mais brisait en même temps, les associations traditionnelles et renvoyait les individus à la solitude ». Nous applaudissons aujourd’hui l’infirmière courageuse qui avec la peur au ventre se rend au chevet de ses malades, mais combien de temps dureront nos applaudissements, à nos balcons, fenêtres et portes. Bientôt nous risquerons bien à nouveau de fermer les écoutilles et de considérer ces blouses blanches comme de potentielles pesteuses. Combien de temps durera la solidarité des assiégés ? Ce qui me renvoie à l’épisode des « Je suis Charlie » où nous faisions l’éloge des policiers, les gens les embrassaient dans la rue, leur offraient des bouquets de fleurs, quelques années plus tard, les mêmes leur jetèrent des pavés à la figure. Ainsi va le monde, comme l’écrit si bien un ami philosophe !

Pourtant dans les scènes de confinement relatées au fil des pages dans la pièce de Eugène Ionesco, nous avons là des personnages qui enfin possèdent une identité ou plutôt un prénom comme l’exposé de l’intime au milieu de l’intime, ils se nomment Jean et Pierre, ils ont bravé les interdits, rejoignent celles qu’ils aiment Jeanne et Lucienne. Le fait d’être ensemble atténue leur peur, tempère leurs frayeurs. Les couples s’interrogent, questionnent les motifs de cette pandémie qui est venue faucher leurs voisins de palier. Ils tentent de sonder les origines, les causes, les raisons qui conduisent à cette épidémie mortelle « C’est peut-être une punition ? » disent tour à tour Jeanne et Lucienne, elles témoignent et avouent respectivement leurs craintes, leurs peurs, éprouvent des gestes de tendresse et vont à l’essentiel, l’amour de l’autre. Puis le mal finit par les ronger, Jeanne et Pierre éprouvent le mal qui les gagne. Pierre est rongé de l’intérieur, Jeanne est tenaillée par la douleur, les mots de leurs aimants les consolent, mais la peur les gagne également. Jeanne et Pierre finissent par trépasser, emportés par le mal.

Dans ce monde occidental, nous avons refoulé la mort, nous lui avons interdit l’accès à notre vie, tandis qu’au moyen-âge la mort a été apprivoisée, elle était familière et peut-être cette dernière nous pressait de donner du sens à la vie. La mort en occident éveille a contrario des sentiments de rejet, de répulsion et pourtant malgré ce processus de refoulement, elle s’invite dans le quotidien. Le directeur général de la santé s’invite chaque dans la lucarne cathodique et égrène jour après jour le nombre de victimes causé par le Covid19.  Après une longue censure sociale de la mort, la mort est devenue le sujet dont on parle, dont on ne peut pas faire l’impasse, même le confinement ne nous met pas à l’abri, en sécurité. Nous sommes invités sans doute à regarder au ciel au-delà de notre condition de claquemuré. Le 5 Avril, le grand rabbin monsieur Haïm Korsia citait le texte de Esaïe chapitre 26.20 « Va, mon peuple, entre dans ta chambre, et ferme la porte-derrière toi ; cache-toi pour quelques instants, jusqu’à ce que la colère soit passée. Car voici, l’Éternel sort de sa demeure, pour punir les crimes des habitants de la terre ; Et la terre mettra le sang à nu, elle ne couvrira plus les meurtres. ». Les textes des évangiles nous invitent parfois à entrer dans notre chambre, non pour nous lamenter, mais pour vivre un moment à part. Ce moment à part n’est pas la résignation, ni le sentiment d’abandon, mais pour nous, nous tous, le devoir de réorienter notre vie, la prise de conscience que nos congénères ne sont pas les seuls fautifs, que nous avons à prendre notre part, celle de notre propre responsabilité. Le monde en pièces ne saura être reconstruit sans la repentance de chacun, sans le mea culpa de tous, sans la prise de conscience qu’une part d’ombre en nous est à dénoncer. Le monde occidental s’est longtemps appuyé sur la raison, s’est construit sur le principe de séquençage, de séparation rationnelle des tâches, de découpage et de segmentation des populations pour les catégoriser : « diviser les difficultés que j’examinerais [10]» (Descartes), « la division du travail est le produit d’un penchant naturel à tous les hommes qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges d’une chose pour une autre » (Adam Smith), « divise et règne » (Machiavel). Le résultat en fut finalement une déconstruction de notre monde, nous avons souhaité la performance et nous voici acculé à prendre en compte notre fragilité, nous avons aspiré à dominer et voici que les pouvoirs sont sur le point de vaciller et de s’effondrer, nous avons pensé que seule la raison peut sauver le monde et nous balbutions aujourd’hui dans nos incertitudes et nos doutes.

Ce monde divisé, taillé en pièces, ce monde aujourd’hui dissocié nous invite aujourd’hui à tout sauf la division, il nous presse à faire « reliance », à nous relier aux autres, au-delà de nos différences, à bâtir un monde commun fondé sur des actes d’amour sans refouler l’idée de notre finitude. Ce temps étrange que nous vivons ; nous invite à prendre en compte notre fragilité et à résister à la tentation de renoncer à notre liberté, à combattre l’idée d’abdiquer notre liberté, à la raison d’une machine qui réfléchirait nos actes et nos gestes à notre place. La tentation que je pressens au plus profond de moi, est que finalement nous lui cédions, que nous cédions aux promesses et aux charmes d’une technologie dont la seule prétention serait de nous sauver de l’ancien monde. Au fond le roman de Albert Camus, nous renvoie à une relecture toujours dystopique, il nous convie à la résistance d’une autre forme de totalitarisme à laquelle nous avons été obligés ! Ce totalitarisme salutaire, nous l’avons accepté, mais nous ne devons pas nous résigner à l’abandon de notre liberté. N’abandonnons pas notre liberté à la seule raison autosuffisante, cette raison qui ne devrait en aucun cas nous susurrer que c’est seulement en elle qu’il nous faudrait investir.  Il nous appartient désormais de résister à la tentation de l’isolement, il importe après ce confinement forcé de créer ou de recréer des liens, de faire communauté avec les autres, sans les abandonner, sans les exclure, sans les rejeter. Notre hyper individualisme est né de nos divisions respectives, c’est aujourd’hui le temps de nous ressourcer dans la dimension de la rencontre avec notre prochain et de retourner à la dimension d’un ciel d’où nous viendra en réalité le secours.

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[1] Prénom donné par mon frère Hervé quelques années auparavant en s’inspirant de la lecture de Jean d’Ormesson, écrivain apprécié par la famille. Sosthène duc de Vaudreuil dans cette fameuse œuvre de Jean d’Ormesson est le vieux patriarche de la Famille du Plessis.

[2] L’autre nom donné à la Peste, la bactérie fut découverte en 1894 par Alexandre Yersin, un bactériologiste franco-suisse travaillant pour l’Institut Pasteur, durant l’épidémie de peste à Hong Kong,

[3] La folie de la victimisation demeure une caractéristique de notre époque, rien n’a réellement changé. L’église évangélique de Mulhouse a vécu les pires accusations, accompagnées d’ignobles menaces de mort. Les temps ne changent pas ! Les hommes du XXIe siècle sont pareils à ceux qui peuplaient le moyen-âge. La méchanceté gagne les peuples qui cherchent des boucs émissaires à leurs souffrances.

[4] La pandémie de la peste noire, a été propagée par la bactérie Yersinia pestis qui avait sévi en Asie, au Moyen-Orient, au Maghreb et en Europe. Elle se déclare pour la première fois en 1334 dans la province de Hubei en Chine. De 1347 à 1352, la peste noire fait 25 millions de victimes en Europe, ce qui correspond environ à la moitié de la population européenne à l’époque et 25 millions de morts dans le reste du monde, notamment en Chine, en Inde, en Égypte, en Perse et en Syrie. La peste noire est principalement transmise par les poux, les piqûres de puces et les rats. Le génome du SARS-CoV-2 a été lui rapidement séquencé par les chercheurs chinois. Il s’agit d’une molécule d’ARN d’environ 30 000 bases contenant 15 gènes, dont le gène S qui code pour une protéine située à la surface de l’enveloppe virale (à titre de comparaison, notre génome est sous forme d’une double hélice d’ADN d’une taille d’environ 3 milliards de bases et il contient près de 30 000 gènes).

[5] La citation est extraite de : https://www.marianne.net/debattons/les-mediologues/de-la-grande-peste-de-1348-au-covid-19-de-2020-chaque-epoque-son-huis-clos

[6] Jeux de massacre est une pièce de théâtre d’Eugène Ionesco inspirée du Journal de l’Année de la Peste de Daniel Defoe, la pièce s’est d’abord appelée L’Épidémie. La pièce de théâtre est éditée par les éditions Folio Théâtre.

[7] Extrait de la préface p30 Jeux de massacre Éditions Folio Théâtre.

[8] Extrait de la Peste page 73. Document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

[9] Extrait p56 Jeux de massacre Éditions Folio Théâtre.

[10] Descartes, discours de la méthode. Deuxième partie

CS Lewis : sa critique contre le scientisme

La grande intuition de Lewis, qui rejoint en cela de nombreux auteurs classiques, est que la connaissance rationnelle des lois physiques (scientia) doit être ordonnée par une sagesse philosophique adéquate (sapientia). Faute de quoi, la pensée se condamne au matérialisme, qui est l’empire du relativisme moral absolu. Science sans conscience, disait déjà Rabelais, n’est que ruine de l’âme…

Quand l’auteur de Narnia écrivait contre le transhumanisme

Article extrait de : https://www.lefigaro.fr/vox/culture/quand-l-auteur-de-narnia-ecrivait-contre-le-transhumanisme-20200306

FIGAROVOX/LECTURE -Enfin traduit en français, l’ouvrage de Michael D. Aeschliman, La Restauration de l’homme, explore la critique adressée par C. S. Lewis à l’idéologie scientiste qu’il accuse de vouloir abolir l’humanité.

Le Monde de Narnia: chapitre 1 - le lion, la sorciere blanche et l’armoire magique.
Le Monde de Narnia: chapitre 1 – le lion, la sorciere blanche et l’armoire magique. Rue des Archives

Une armée de robots, programmés par l’intelligence artificielle pour pacifier la galaxie? Le rêve de Dark Vador est aussi celui d’un professeur et informaticien finlandais, Timo Honkela, selon qui une «machine de paix» verra bientôt le jour. Un robot étranger aux émotions humaines, qui répandrait l’harmonie et la concorde entre les gens. Bienvenue dans le meilleur des mondes…

L’idée, pourtant, n’est pas si neuve: en réalité, elle est même au cœur du vieux mythe scientiste, qui rêve d’une science parvenue à un tel degré de puissance qu’elle serait un jour en mesure de répandre d’elle-même la morale jusqu’aux confins du monde. Érigée au rang de quasi-divinité, la technique a vu pourtant sa toute-puissance sérieusement mise à mal tout au long du siècle passé, sous le coup de critiques portées par certains des plus brillants esprits contemporains. Celles notamment de Jacques Ellul, de Hans Jonas ou de Georges Bernanos sont relativement bien connues du public français.

L’une, en revanche, nous est moins familière, c’est celle de Clive Staples Lewis, professeur de littérature à Oxford – qui fut surtout le génial auteur des Chroniques de Narnia. L’essai de Michael D. Aeschliman, La Restauration de l’homme*, publié en 1983 et traduit pour la première fois cette année en français, rend enfin accessible au grand public l’essentiel des réflexions de C. S. Lewis sur le scientisme et le transhumanisme.

La grande intuition de Lewis, qui rejoint en cela de nombreux auteurs classiques, est que la connaissance rationnelle des lois physiques (scientia) doit être ordonnée par une sagesse philosophique adéquate (sapientia). Faute de quoi, la pensée se condamne au matérialisme, qui est l’empire du relativisme moral absolu. Science sans conscience, disait déjà Rabelais, n’est que ruine de l’âme…

Une expérience toutefois sépare Rabelais (mais aussi Thomas d’Aquin, Érasme, Thomas More ou encore le cardinal Newman, qui sont ici tour à tour convoqués) de Lewis, celle du totalitarisme, qui illustra de la plus tragique des manières ce que peut produire une foi déraisonnée dans la capacité de la science à améliorer le genre humain.

Car, enfin, et c’est là le cœur de la préoccupation de C. S. Lewis, le grand risque du scientisme est tout bonnement de parvenir à «l’abolition de l’homme», relégué au rang des choses matérielles faute d’avoir considéré à sa juste place la spécificité de la pensée humaine qui n’est pas réductible à la connaissance scientifique. Lewis, donc, fait le pari de la sagesse, c’est-à-dire, en somme, de la culture: la littérature, l’art ou la philosophie, et plus largement tous les savoirs humains qui échappent aux lois de la physique, sont précisément ce qui nous constitue en tant qu’humains. Et nous fait accéder à la connaissance du Bien, objectif et universel.

À l’heure où certains tentent maladroitement de bricoler l’éthique pour en faire la chambre d’enregistrement des progrès les plus effrayants de la technique, cette lecture semble plus nécessaire que jamais.

*La Restauration de l’homme, de Michael D. Aeschliman, traduit de l’anglais par Hubert Darbon, éd. Pierre Téqui, 288 p., 19 €.

Jürgen Habermas ; La technique et la science comme « idéologie » ..

« La technique et la science comme idéologie » est un livre passionnant que nous vous recommandons … Le livre est écrit par l’un des plus grands sociologue de notre temps Jürgen Habermas… l’auteur voit dans la technique une forme de projet métaphysique échappant à l’homme, une créature autonome qui le dépossédera. A la suite de Jacques ELLUL, l’auteur pressent à moyen terme la fusion entre la technique et le cadre institutionnel de la société. Pour J.Habermas nous assistons à une forme d’industrialisation de la vie sociale « avec cette conséquence que les critères de l’activité instrumentale pénètrent aussi dans d’autres domaines de l’existence (urbanisation du mode de vie, technicisation des échanges et des communications »…De fait nous assistons à la lente planification d’une « rationalisation croissante de la société« .

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« La technique et la science comme idéologie » est un livre passionnant que nous vous recommandons … Le livre est écrit par l’un des plus grands sociologue de notre temps Jürgen Habermas… l’auteur voit dans la technique une forme de projet et de cheminement « métaphysique » (Terme utilisé par Heidegger) échappant peu à peu à l’homme, une créature autonome qui le dépossédera.  Un projet métaphysique appliqué non seulement au domaine industriel, mais aussi dans les services, la distribution et même dans les usages du divertissement, des loisirs et de toutes  les formes de consommation .

A la suite de Jacques ELLUL, qui analysait le système technicien comme un ensemble de mécanismes qui répondent à la recherche de l’efficacité dans toutes les sphères de la vie sociale et économique, l’auteur J.Habermas pressent à moyen terme la fusion entre la technique et le cadre institutionnel de la société. Pour J.Habermas nous assistons finalement  à une forme, d’industrialisation de la vie sociale du fait de la recherche même de la performance « avec cette conséquence que les critères de l’activité instrumentale pénètrent aussi dans d’autres domaines de l’existence (urbanisation du mode de vie, technicisation des échanges et des communications »…De fait nous assistons à la lente planification d’une « rationalisation croissante de la société« . L’industrialisation de la vie sociale s’accompagnera nécessairement d’une dépolitisation des populations afin comme l’écrit le philosophe, de prévenir toute contestation sociale, de « s’immuniser contre la remise en question de son idéologie ». Jürgen Habermas ajoute qu’ « a fortiori des interventions au niveau de la transmission génétique des informations pourraient permettre demain un contrôle encore plus profond des comportements, alors les anciennes  zones de conscience ne pourraient se trouver  qu’entièrement asséchées » .  Il s’en suivrait une auto régulation de l’être humain ou plutôt de l’homme machinisé soumis aux normes d’une société rationalisant nos systèmes de pensées et contrôlant les actes qui en découlent.

La vision de J.Habermas n’est-elle pas confirmée par la recherche de l’efficience puis par la dimension normative qui s’est imposée, n’est-elle pas entérinée par le poids de la réglementation. La société déjà dominée voire engluée par la complexité et la rationalisation scientifique est sur le point ainsi de basculer vers la singularité  (le point hypothétique de l’évolution technologique) et finalement, le despotisme éclairé de l’intelligence technique régulé par les algorithmes. Toutes les sphères touchant le comportement s’en remettront demain à la mathématisation de la vie sociale…Nous glissons ainsi vers un nouveau modèle politique qui prend la forme d’une technocratie, où la machine numérique colonisera l’ensemble des activités humaines, puis supplantera bel et bien l’homme.

Ainsi la technique exclura l’interférence de l’humain dans les processus de décision, ce qui est déjà la cas dans les salles de marchés où les algorithmes ont fait main basse dans les processus de transactions à haute fréquence qui caractérise le monde boursier. Le monde de la distribution via la multiplication des transactions numériques n’est pas en reste, organisant ses réseaux pour tracer, influencer, orienter les choix des consommateurs. Il semble dès lors important en consultant l’oeuvre réflexive de J.Habermas de prendre la mesure de ce changement de paradigme concernant l’accélération des changements technologiques qui envahissent l’environnement humain.

Petite précision au passage le livre La technique et la science comme « idéologie » a été écrit en 1990. Là encore une anticipation quasi prémonitoire qui devrait nous conduite à réfléchir.. :

Aussi un conseil, cet été lisez puis pensez et enfin transmettez ….

http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/La-Technique-et-la-science-comme-ideologie

Mère Térésa et Jean Vanier, les figures universelles de l’humanité non corrompues par le rêve transhumaniste

Note de l’auteur : Quand cet article fut publié, nous ignorions le séisme médiatique qu’allait provoqué l’affaire Jean VANIER. Si l’homme est remis en cause en raison de ses méfaits, l’oeuvre reste une mission magnifique et loin de nous de la remettre en cause. Les personnels de l’arche que nous connaissons doivent être ainsi très largement soutenus, car incontestablement , ils offrent à toute une population, un havre d’accueil et d’humanité. 

Auteur Eric LEMAITRE 

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Quelles figures demain s’imposeront au monde ? Serait-ce les philosophes, les grands noms de la science, non je ne le crois absolument pas ! Mais ce sont des figures banales, profondément banales qui imposeront leur mémoire,  des mémoires traversées par l’humanité de leurs gestes, celles entres autres de Mère Térésa, de Jean Vanier,  la liste de ces hommes et de ces femmes est évidement loin d’être exhaustive , mais ce qui me frappe en rappelant les figures de Mère Térésa et jean Vanier, c’est celle de leurs propres fragilité, un homme une femme qui ont osé être les voix de ce monde. Ces deux voix parmi d’autres sont selon moi, l’expression de voix discordantes,  révélant symboliquement un antagonisme, un contraste violent, avec ce nouveau monde qui nous fait entrer dans le post humain. Ainsi je songe à nouveau à Mère Térésa et son combat contre la mort, aux côtés des mourants de Calcutta. Ce combat auprès des mourants, ces laissés pour compte, ces miséreux abandonnés, est aux antipodes des transhumanistes, il me semble même que ce contraste est tellement pitoyable, si dérisoire, que cette vanité des transhumanistes est finalement minable aux côtés de celle qui a donné une humanité à un homme gisant sur un trottoir et à qui lui fut refusée la dignité d’un lit pour mourir. Le transhumanisme est un égotisme excentrique qui finalement n’engendrera ni la vie ni la dignité, tandis que la figure de Mère Térésa est le rayonnement planétaire de l’humanité transcendé par l’amour du prochain, transcendé par la dimension du cœur. Mère Térésa fut ainsi baignée par la dimension de la prière et fut rassasiée de cette dimension relationnelle portée par sa foi, cette foi qui incarnait et reflétait celle qu’elle aimait Jésus-Christ.  La conscience de Mère Térésa fut fondée sur cette dimension de la compréhension des autres en partant de cette conscience de nous-mêmes « [1]Pour mieux comprendre ceux avec lesquels nous vivons, il faut d’abord nous comprendre nous-mêmes », or l’enfermement sur soi, notre isolement égoïste nous conduit à cette désolation de l’âme, à cette pauvreté spirituelle, qui nous conduit à espérer une promesse qui ne peut vivifier ni la conscience, ni l’âme ni le cœur. Comment ne pas non plus, rapprocher la figure de Mère Térésa et celle de Jean Vanier, le fondateur de l’arche, Jean Vanier fut résolument tourné lui aussi vers les laissés pour compte, ceux que l’on appelle les déficients intellectuels. Le parcours de cet homme, simple a été orienté par une pleine conscience que l’identité de l’homme ne saurait être construite sans cette capacité d’ouvrir son cœur, sans cette capacité d’accueillir la bonté et la compassion qui éveillent en nous le désir d’humanité : « [2]Si chacun ouvre son cœur à des personnes faibles, une source de bonté et de compassion s’éveille en lui et forge son identité profonde ». Au fond à l’heure de l’homme augmenté, ces deux figures nous disent quelque chose de la conscience de la banalité du quotidien, eux qui secouent finalement la conscience universelle d’une humanité tentée par la vanité d’un saut dans le monde de la matière sans conscience, par la prétention d’augmenter l’homme tout en détruisant son âme, en déconstruisant sa conscience. Ainsi le plus grand ressourcement personnel, c’est lorsque nous n’avons plus peur d’aimer l’autre que moi-même et même si sa figure me semble si éloignée de moi-même, ainsi ce texte se conclue avec ces paroles admirables de Jean Vanier qui expriment en soi la beauté de la finitude, l’émerveillement de la fragilité, le mystère d’une vie présente auprès de ceux qui dans leur chair souffrent : « [3]Quand des personnes se rassemblent au-delà de leur appartenance culturelle ou religieuse, ce sont des cœurs qui se rencontrent, les préjugés commencent à disparaître et l’on découvre combien l’appartenance à un groupe fermé peut encourager l’illusion de la supériorité. » … « Par la relation avec le pauvre, le faible ou l’enfant, le cœur, la compassion et la bonté sont éveillés, et une unité intérieure nouvelle s’établit entre le corps et l’âme. Comme si la tension entre l’intelligence et le corps trouvait une résolution mystérieuse dans cette présence au pauvre. ».

[1] Mère Teresa ; Les pensées spirituelles (2000)

[2] Jean Vanier Lettre à des Amis

[3] Jean Vanier Accueillir notre humanité et Le Goût du bonheur