Quand l’auteur de Narnia écrivait contre le transhumanisme
Article extrait de : https://www.lefigaro.fr/vox/culture/quand-l-auteur-de-narnia-ecrivait-contre-le-transhumanisme-20200306
FIGAROVOX/LECTURE -Enfin traduit en français, l’ouvrage de Michael D. Aeschliman, La Restauration de l’homme, explore la critique adressée par C. S. Lewis à l’idéologie scientiste qu’il accuse de vouloir abolir l’humanité.
Une armée de robots, programmés par l’intelligence artificielle pour pacifier la galaxie? Le rêve de Dark Vador est aussi celui d’un professeur et informaticien finlandais, Timo Honkela, selon qui une «machine de paix» verra bientôt le jour. Un robot étranger aux émotions humaines, qui répandrait l’harmonie et la concorde entre les gens. Bienvenue dans le meilleur des mondes…
L’idée, pourtant, n’est pas si neuve: en réalité, elle est même au cœur du vieux mythe scientiste, qui rêve d’une science parvenue à un tel degré de puissance qu’elle serait un jour en mesure de répandre d’elle-même la morale jusqu’aux confins du monde. Érigée au rang de quasi-divinité, la technique a vu pourtant sa toute-puissance sérieusement mise à mal tout au long du siècle passé, sous le coup de critiques portées par certains des plus brillants esprits contemporains. Celles notamment de Jacques Ellul, de Hans Jonas ou de Georges Bernanos sont relativement bien connues du public français.
L’une, en revanche, nous est moins familière, c’est celle de Clive Staples Lewis, professeur de littérature à Oxford – qui fut surtout le génial auteur des Chroniques de Narnia. L’essai de Michael D. Aeschliman, La Restauration de l’homme*, publié en 1983 et traduit pour la première fois cette année en français, rend enfin accessible au grand public l’essentiel des réflexions de C. S. Lewis sur le scientisme et le transhumanisme.
La grande intuition de Lewis, qui rejoint en cela de nombreux auteurs classiques, est que la connaissance rationnelle des lois physiques (scientia) doit être ordonnée par une sagesse philosophique adéquate (sapientia). Faute de quoi, la pensée se condamne au matérialisme, qui est l’empire du relativisme moral absolu. Science sans conscience, disait déjà Rabelais, n’est que ruine de l’âme…
Une expérience toutefois sépare Rabelais (mais aussi Thomas d’Aquin, Érasme, Thomas More ou encore le cardinal Newman, qui sont ici tour à tour convoqués) de Lewis, celle du totalitarisme, qui illustra de la plus tragique des manières ce que peut produire une foi déraisonnée dans la capacité de la science à améliorer le genre humain.
Car, enfin, et c’est là le cœur de la préoccupation de C. S. Lewis, le grand risque du scientisme est tout bonnement de parvenir à «l’abolition de l’homme», relégué au rang des choses matérielles faute d’avoir considéré à sa juste place la spécificité de la pensée humaine qui n’est pas réductible à la connaissance scientifique. Lewis, donc, fait le pari de la sagesse, c’est-à-dire, en somme, de la culture: la littérature, l’art ou la philosophie, et plus largement tous les savoirs humains qui échappent aux lois de la physique, sont précisément ce qui nous constitue en tant qu’humains. Et nous fait accéder à la connaissance du Bien, objectif et universel.
À l’heure où certains tentent maladroitement de bricoler l’éthique pour en faire la chambre d’enregistrement des progrès les plus effrayants de la technique, cette lecture semble plus nécessaire que jamais.
*La Restauration de l’homme, de Michael D. Aeschliman, traduit de l’anglais par Hubert Darbon, éd. Pierre Téqui, 288 p., 19 €.