Auteur Eric LEMAITRE

La ville de Reims dans le cadre des ateliers santé ville, il y a 15 ans de cela me confiait plusieurs études orientées principalement sur les quartiers en difficulté.
Plusieurs thématiques de santé étaient abordées et au fil de nos enquêtes, une problématique émergeait et concernait la figure du père. L’un de mes interlocuteurs m’avait invité à approfondir le sujet qui selon lui, allait constituer un enjeu majeur de société. Quand cette personne aborda avec moi, la figure du Père, elle précisa sa pensée et me partagea que cette figure semblait disparaître et que ses répercussions pourraient formellement être dramatiques pour les prochaines décennies. Quand je vous évoque ici la disparition du père, ce n’est pas le père en soi, c’est la disparition d’un ensemble qui permet de le définir. Le père cet homme, n’existe pas sans la mère cette femme, et la mère cette femme n’existe pas sans le Père cet homme. Les deux figures interagissent ensemble, elles sont essentielles, nécessaires à la vie de l’enfant.
La spoliation voire l’aliénation de la figure paternelle engendre des situations difficiles, compliquées, éprouvantes non seulement pour l’enfant, mais aussi pour la femme. Les répercussions associées à la disparition de la figure paternelle touchent également et collatéralement la vie en société, portant atteinte à une dimension qui touche à la transmission, au lien et à la solidarité. Mais ce point qui concerne la transmission, le lien et la solidarité, je l’aborderais dans un instant.
Je reviens à nouveau à cette mission d’étude des Ateliers Santé Ville, dans le cadre de ces enquêtes, nous avions alors pris conscience que des enfants laissés à leur compte en l’absence de père assumant leurs responsabilités éducatives menaient leurs enfants à rechercher inexorablement la figure d’un Papa qui incarnerait l’autorité, la dimension d’un cadre éducatif. Les enquêtes santé m’ont alors conduit vers les jeunes pré-ados et ados qui vivent dans des quartiers où l’on dénombre une quantité de femmes seules, de foyers monoparentaux et des enfants en proie à des addictions alcool, cannabis et voire drogues. Ce que nous observions dans le cadre de ces enquêtes auprès de ces pré-ados, et ados, ce fut chez eux la recherche de pères de substitutions, des pères par procuration, le clan formerait alors le Père de remplacement, faute d’un vrai Père.
Il est criant dans notre société et de façon beaucoup plus générale qu’un enfant passe beaucoup plus de temps avec ses écrans cathodiques ou numériques qu’avec son Père comme avec sa mère. Que deviendra alors une société où le Père est absent où la figure paternelle disparaît, voire « éliminée » et si la mère ne se révèle pas à travers la figure du Père !
Quel signal nous renvoie, alors ces lois bioéthiques qui signent l’effacement du Père, la dissipation, voire l’élimination de la figure paternelle. Chaque enfant a besoin d’un père et d’une mère. Chaque Père et chaque mère présentent une relation d’affection différente à son enfant. L’amour d’un père est une présence qui n’est pas celle d’une mère.
Les fils ou les filles, ont besoin du regard de leur Père, de la fierté de leur Père pour se construire, grandir. C’est la relation tacite passée entre un père et un fils ou sa fille, une mère et un fils ou sa fille. Or, cette source de motivation qui est l’essence même de notre humanité, est en train de se débiliter, de s’effacer subrepticement, de s’affaiblir inexorablement.
Il est évident que le vide émotionnel ne concerne pas uniquement la figure paternelle, ce vide émotionnel concerne aussi la figure maternelle, quand l’enfant en a été privé.
Ces lois bioéthiques sont pour moi le miroir et le reflet d’une tragédie qui se déroule sous nos yeux, qui couve sûrement, sur le point d’enfanter demain, les prochaines barbaries et révoltes des enfants devenus adultes qui ne supporteront plus l’égoïsme d’une génération qui les a privés d’une réelle affection, préférant le désir plutôt que l’accueil, choisissant l’envie, plutôt que le don d’une vie qui s’offre à eux naturellement et sans recours à une solution démiurgique.
Les lois bioéthiques approuvent ceci : en accédant à des désirs pour soi et des désirs auxquels ne peut répondre la loi naturelle, on ne répond pas aux attentes immenses de tout le genre humain qui a ce droit absolu de connaître les deux figures nécessaires et complémentaires d’un homme et d’une femme offrant une relation singulière et absolument nécessaire à la vie d’un enfant.
En m’interrogeant sur les répercussions des lois bioéthiques qui participent à la disparition des figures paternelles et ses effets sur la nation, je songeais à ce texte fameux de l’historien Ernest Renan lu à la Sorbonne le 11 mars 1882. À propos de la nation qui n’est ni l’état, ni en soi un peuple, mais plutôt une communauté de transmissions, héritière d’un passé, d’un legs et dont la dimension même de nation est incarnée par la solidarité. Je vous décline les éléments essentiels de ce texte partagé par l’historien Renan et je vous le commente ensuite :
« La nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre-ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. [] Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. »
Implicitement nous comprenons que la famille représente une des cellules et une des composantes indissociables de cette idée de nation qu’elle en représente nécessairement l’essence.
Nous pourrions à l’instar de cette citation de Renan, affirmer que la famille loge aussi une âme, un principe spirituel, un principe même sacré. Ce qui caractérise en effet la famille et l’enfant qu’elle accueille, c’est l’héritage naturel qu’elle lui transmet, la filiation de l’enfant, son origine, ses origines puisque la naissance de l’enfant découle d’un principe naturel, un legs spirituel : une parturition qui découle de la rencontre d’un homme et d’une femme et qu’il accède à la richesse de ses deux parents.
De la différence entre son père et sa mère, l’enfant apprend alors la solidarité, et même s’il n’y a pas de famille en soi idéale, l’enfant s’instruit de par la richesse des différences de ces deux visages qui forment un même cœur, sa famille.
Lorsque la famille éclate, car il n’y a pas de famille qui ne connaît pas de mésentente, l’enfant en est troublé, perturbé et cela touchera aux dimensions du lien et de la solidarité. Lorsque les lois bioéthiques lui assignent qu’il n’a pas de Père et je songe à la PMA et ce que cette réification biologique autorise, elle efface du coup le legs, le patrimoine d’un Père, d’une figure complémentaire.
La loi bioéthique exprime des revendications de désirs d’adultes qui ne prennent pas en compte les liens complémentaires et essentiels à la croissance de l’enfant pour devenir eux-mêmes adultes : d’une part le lien entre conjugalité et filiation, le lien entre enfantement et transmission, d’autre part.
La loi bioéthique omet sciemment, mais gravement l’intelligibilité de la filiation, exclue la relation père et mère, et consacre institutionnellement le déni d’un des deux parents, supprime le père, sans se préoccuper des besoins de l’enfant pour grandir. C’est une atteinte grave, un crime contre l’humanité, une blessure causée à la vie de l’enfant que ces hommes et femmes, élus de la nation, mais sans conscience, auront définitivement ruiné. Nous sommes ici ce 11 octobre 2020 pour être ce petit caillou dans la chaussure de nos élus, pour protester vigoureusement contre ces lois iniques qui déconstruisent l’homme et la femme.
Éric LEMAITRE