Le personnel soignant face aux mutations de la médecine

Auteur Eric LEMAITRE

Éric LEMAITRE, est à la fois socioéconomiste et enseignant dans une école d’ingénieurs, il s’est spécialisé dans les domaines de l’éthique, s’est également investi depuis plusieurs années sur les questions touchant l’anthropologie, le transhumanisme, l’économie numérique. Il aborde dans plusieurs ses ouvrages notamment l’essai « La déconstruction de l’homme », la prétention de la technoscience à satisfaire tous les besoins de l’homme aspirant à être l’égal de Dieu. Avec lui nous découvrirons la résonance que prend la lecture de la dimension relationnelle et de la conscience à l’aune des prochaines mutations engagées au sein de notre humanité visant à déconstruire l’homme. Éric s’est également engagé dans la vie associative auprès des personnes en difficulté, des migrants. La vie interpersonnelle est pour lui une priorité comme la solidarité à témoigner auprès des autres…

Éric vient récemment de publier un livre que nous vous recommandons : Transhumanisme : La conscience mécanisée et qui est aujourd’hui référencée dans les principales Libraires Cultura, Fnac et Furet.

Couverture - Eric Lemaitre - 1

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En l’espace de cinquante ans, le monde médical a connu un véritable chamboulement, bouleversement. Un constat qui n’étonne en soi personne sauf ceux qui ont connu ce monde des médecins de famille.

Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfant, je me remémore les passages fréquents de notre médecin de famille, toujours attentionné à notre égard, un homme marqué par la bienveillance et qui avait fait de son métier un authentique sacerdoce que partageaient également d’innombrables médecins de sa génération. Cet homme avancé en âge, que nous appelions «Docteur » était pour nous, bien plus qu’un médecin, il était selon moi le témoin d’une époque marquée par le dévouement, l’altruisme, le service aux autres. Dans sa vielle Citroën, il sillonnait le jour et parfois la nuit, les routes pas toujours goudronnées de nos campagnes, pour les petits soins, nos angines jusqu’aux contagions plus sérieuses ou maux plus sévères.

Nous n’appréhendions pas sa visite, elle était plutôt rassurante, il donnait autant d’importance à la qualité de son diagnostic et son ordonnance qu’à toute sa dimension relationnelle, qui faisait de lui et auprès de mes parents, le médecin de famille.

Ce vieux médecin incarnait l’image que je me faisais des soignants incluant ici l’ensemble du corps médical, ces personnes qui ont fait de leur métier une vocation, un sacerdoce celle de prendre soin de l’homme et de tout l’homme. Il me semblait à l’époque que l’on rentrait en médecine comme en rentre en religion, il fallait ressentir un appel, une vive inclination, une forme de mission pour embrasser ce métier. Enfant je ne m’imaginais pas qu’il fallait également du courage, pour s’affronter à l’armée des microbes, braver la légion des bactéries, et mener cette lutte impitoyable contre ces micro-organismes qui venaient générer fièvres ou boutons, affaiblir notre corps au point parfois de menacer son existence. Ce médecin de famille me semblait être une forme de héros, toujours prêt à se rendre disponible. Jamais, il ne renonçait à ses rendez-vous ou prétextait ne pas avoir le temps ou dire à ma mère, « ne vous inquiétez pas, il guérira tout seul » ! Non, notre « Docteur » faisait volontiers un détour, il passait à la maison, notre domicile prenait son stéthoscope pour écouter les battements de notre cœur ou les sifflements de nos poumons ; puis il enchainait en déclamant son diagnostic, mais mieux, il avait le remède pour nous soigner et les mots pour mettre fin à nos maux, à nos tourments d’enfants déjà démunis face à la maladie et ce qu’elle avait comme capacité à laminer notre énergie, à amoindrir notre « hyperactivité».

Voilà l’image de mon enfance, celle de ce vieux médecin de campagne, un brin paternaliste, soucieux de l’autre, homme de relation sachant embrasser le corps comme l’âme de ses patients. Évoquer pour moi ce vieux médecin de famille me renvoie à cette société qui est de nos jours, devenue comptable du temps, bureaucratique, matérialiste et technologique. Or le vrai sens de la vie se trouve peut-être dans l’intimité affective et la chaleur de la réassurance, des relations que l’on engage avec le patient, ce rapport avec l’entourage du malade pour prodiguer de l’attention et du conseil. L’image relationnelle que renvoie ce médecin avec ses patients allait bien au-delà d’un bilan méticuleux, il avait le souci de l’entourage familial, savait prendre le temps de l’écoute, mais ne pressait pas le pas pour dérouler sa journée. L’homme ne s’arrêtait pas au corps, il écoutait aussi l’âme de ses patients, il ne réduisait pas le corps à une mécanique qu’il fallait coûte que coûte réparer, il fallait traiter l’être dans sa complétude. Soigner n’était pas pour celui que l’on nommait « Docteur », seulement l’affaire d’une prescription d’un dopant, d’un sirop ou autre breuvage.   Ce médecin considérait son patient et non son client dans toute sa dimension ontologique, c’est-à-dire comme un être, un sujet, mais il n’occultait pas le corps, et cette préoccupation qui lui permettent de juger le patient comme un être unique, et en même temps, les symptômes comme signes pathognomoniques.

50 années plus tard, l’enfant que je fus, n’a pas au moment présent, de perceptions altérées concernant cette médecine proche du patient, de ces médecins, infirmières et aide-soignants, soucieux du confort, du bien-être de leurs patients. Effectuant aujourd’hui de nombreuses visites de patients hospitalisés, je songe notamment à cet ami de 47 ans qui est un habitué des hôpitaux, cet ami que j’appellerai ici Fred est confronté à une grave pathologie qui l’a conduit dans ces dernières années à passer davantage de temps dans une chambre d’hôpital qu’au sein d’une maisonnée. La maisonnée de Fred, si le terme maison convient, est « habitée » par la précarité, l’insalubrité, des conditions de vie qui sans aucun doute ont une relation de cause à effet sur sa santé. Longtemps je fus surpris tout comme un autre ami qui le suit, que l’hôpital ne traite sérieusement ses problèmes récurrents de récidive touchant à sa santé. Cette santé fragilisée notamment par son obésité et cette maladie respiratoire qui l’ont amené à connaitre, des pertes de connaissances, des syncopes répétées.

J’avais durablement le sentiment que nous étions confrontés à cette médecine qui devait obéir à des règles de gestion, subissant l’étau de la rationalité financière, des pressions croissantes pour fournir des soins minimums, réduire les temps d’attente avec des ressources limitées, mais une médecine qui n’avaient pas pris la mesure de couvrir l’ensemble des problèmes affectant la vie de mon ami Fred. Pourtant un professeur de médecine est sorti de cet étau comptable, du cadre médical, de son périmètre de spécialiste démêlant l’écheveau formé par toutes les données biologiques et cliniques, et leur application au cas de Fred. Ce professeur de médecine s’est employé à s’intéresser non seulement au corps de son patient, mais à l’être humain, à ses conditions de vie, à son entourage, à sa maison. Fred a été affecté à son service et une vraie mobilisation s’en est suivie, entrainant l’ensemble du service et tout le personnel à remédier aux problèmes qui perturbaient la santé de Fred. Ce professeur de médecine me fit songer finalement à notre médecin de famille, à cette dimension qui touche à l’intelligence relationnelle qui embrasse la vie du malade et cette vie qui ne se réduit aux symptômes que renvoie le corps qui n’est finalement que le réceptacle plus large d’un enchevêtrement complexe fait d’ambiances et de conditions de vie. Fred est aujourd’hui sur un chemin de renaissance, perdant du poids, respirant mieux, il est sur la voie de la guérison. Et sur ce chemin, Fred aura besoin de soutien, celui des infirmières et des aide-soignants, du pasteur Christian qui l’entoure de toute son affection fraternelle. Le professeur de Médecine s’est finalement gardé d’abandonner Fred à sa seule autonomie et sa vulnérabilité de malade, ce professeur s’est soucié avant tout d’un être humain, de sa dignité de patient.

S’il existe des ilots d’une médecine garante de la qualité relationnelle à offrir aux malades, la médecine change pourtant, parce que le monde change, traversé par ses transitions plurielles que viennent afficher les nouvelles normes sociétales, les nouvelles sociologies, l’envahissement de la sphère administrative et la dimension technologique qui rendent les rapports médecins et patients infiniment plus complexes qu’ils ne l’avaient été dans les années 60, celles de mon enfance.   Les questions autour du monde des soignants se posent déjà et sont multiples, celles du poids que revêt une bureaucratie de plus en plus lourde et qui viennent entacher les rapports avec le malade réduisant ainsi le temps donné à l’âme et la consacrer davantage au corps malade. Le malade n’est pas juste une mécanique qu’il conviendrait de réparer, un patient qui se voit attribuer une identité que lui donne une carte de sécurité sociale, non le malade reste un être dans toute sa singularité et sa fragilité. Mais les temps changent et les mutations sont innombrables, les relations avec le monde médical nous conduisent à de nouveaux paradigmes, celles de l’efficience médicale, celle de la culture technologique qui construit la médecine du futur ou oserais-je dire transhumaniste, celle de la rentabilité, des quotas de patients imposés aux médecins sous peine d’une baisse de leur rémunération. Mais au-delà de ces constats, c’est également le rapport au malade qui s’en est trouvé bouleversé, il fallait aussi reporter l’implication sur le malade, le conduire à s’auto déterminer, prendre ainsi toutes les précautions pour amener davantage d’autonomie, de prise de responsabilité chez le malade, ce qui n’est pas en soi une détérioration de la relation patient et médecin, mais en revanche peut conduire à rejeter toute la dimension de la décision médicale sur le patient. De tels contextes risquent alors d’entretenir chez le médecin une forme d’indifférence à l’égard du devenir du patient. Une indifférence qui tendrait à s’accentuer avec l’avènement d’une technoscience qui s’en remet au pouvoir de la machine toute puissante pour assister le médecin dans le diagnostic focalisé sur le seul corps du patient.

En 2018, je fus convié à participer à une journée de réflexion sur les projets de la loi bioéthiques, plusieurs groupes de travail avaient été organisés autour de nombreuses thématiques, j’avais choisi pour ma part la thématique orientée sur la médecine augmentée qui aborde entre autres l’avènement de l’intelligence artificielle. D’emblée, j’ai ressenti à la fois une vraie convergence de questionnements entre les participants de cette table ronde, comme une méfiance partagée vis-à-vis d’une robotisation susceptible demain d’envahir toutes les sphères de la médecine et le monde des soins. L’enjeu est bien ici l’homme et le respect dû à sa finitude, sa fragilité. Confier à la machine le soin de diagnostiquer et demain pourquoi pas de l’opérer via des « automates » experts, en dit long sur le chemin que prend le développement d’une médecine à l’aune d’une science post-moderne qui n’est plus celle d’Hippocrate. L’avènement de l’Intelligence artificielle va transformer les pratiques médicales et va sans doute induire une mutation radicale et profonde des processus d’analyse et de prise de décision dans toutes les sphères de la santé réorientant les pratiques professionnelles, de toutes les professions de santé, mais surtout impactant la dimension relationnelle entre le patient et son médecin, mais aussi et également tout l’environnement médical. Ainsi se pointera dans votre chambre un gentil robot vous apportant le repas du soir, après la visite d’un autre androïde relevant les indicateurs santé de la veille et vous prenant bien entendu la température.

L’autre grand point d’inquiétude pour les personnels soignants est l’avenir de la relation patients-soignants : l’ensemble des personnels du corps médical est en effet de plus en plus nombreux à penser que la proximité et la confiance entre soignants et patients risquent de se détériorer dans les années à venir, pointant notamment le risque d’éloignement, de distance voire de « déshumanisation » de la médecine livrée entre les mains de ces nouveaux appareillages hyper technicisés. Plus prosaïquement il faudra à terme également s’effrayer du rôle que jouent déjà et que vont jouer les applicatifs numériques ou les sites virtuels référencés sur Internet permettant au patient de « consulter », d’avoir accès à une somme artificielle d’informations, puis de se soigner par lui-même, de s’auto médicamenter. Ce mouvement inéluctable de notre société post médical nous conduira vers un malade « déconnecté » de tout rapport avec le réel, un malade qui sera sans aucun doute dans le déni de contextes qui sont de nature à expliquer ses symptômes. Ne nous leurrons pas, l’univers numérique découle de l’hyper-individualisme de notre post modernité, cet univers digital envahit peu à peu notre monde relationnel, il affaiblira sans nul doute le rapport de confiance qui s’était jusqu’alors instauré avec les avis prodigués et émanant de tous les corps médicaux et de vrais spécialistes non virtuels. Les réalités de la numérisation de la santé amorcent un basculement dont on peine encore à anticiper toutes les conséquences, tous les effets délétères ; les rêves des partisans d’une techno médecine interrogent viscéralement nos repères éthiques comme philosophiques et sont sur le point d’effacer le souvenir de ce médecin attaché à la relation avec son malade, le médecin de mon enfance, un médecin qui traitait dans toute sa dimension : le corps comme l’âme et la conscience qui l’habite.

Éric LEMAITRE

Le messie technologique

Il est évident que le monde numérique tentera de se draper de ses plus beaux atours, d’habits seyants pour séduire la civilisation humaine face à ses crises en vantant sa contribution à améliorer le sort de la planète en déployant des solutions en matière de proximité, de déplacements, de télétravail, d’aides à la décision, de tâches jusqu’alors dévolues aux hommes.  Les outils numériques séduiront de toute évidence l’humanité du fait de l’amélioration des échanges, du meilleur partage de l’information, de la communication instantanée, de l’exactitude des informations transmises, de la puissance de calcul et de synthèse des données, de sa capacité à orienter, à rapprocher et laissant peu l’initiative au hasard des rencontres. Le déterminisme des rencontres sera à l’œuvre, nous entrons dans le monde de la vie rationnelle qui a horreur de l’improvisation, de l’imprévisible. Il sera alors devenu confortable de ne pas penser par soi et de subir l’injonction du navigateur « C’est l’heure de ta promenade, va à droite, achète-moi cet objet, divertis toi avec ce film, ne consomme pas cette viande… 

 

Auteur Eric LEMAITRE

Le Messie Technologique

 

Il est évident que le monde numérique tentera de se draper de ses plus beaux atours, d’habits seyants pour séduire la civilisation humaine face à ses crises en vantant sa contribution à améliorer le sort de la planète en déployant des solutions en matière de proximité, de déplacements, de télétravail, d’aides à la décision, de tâches jusqu’alors dévolues aux hommes.  Les outils numériques séduiront de toute évidence l’humanité du fait de l’amélioration des échanges, du meilleur partage de l’information, de la communication instantanée, de l’exactitude des informations transmises, de la puissance de calcul et de synthèse des données, de sa capacité à orienter, à rapprocher et laissant peu l’initiative au hasard des rencontres. Le déterminisme des rencontres sera à l’œuvre, nous entrons dans le monde de la vie rationnelle qui a horreur de l’improvisation, de l’imprévisible. Il sera alors devenu confortable de ne pas penser par soi et de subir l’injonction du navigateur « C’est l’heure de ta promenade, va à droite, achète-moi cet objet, divertis toi avec ce film, ne consomme pas cette viande… »Dans son livre « la France contre les robots » Bernanos signa un texte puissant et d’une vraie portée prophétique soulignant finalement l’aptitude d’une humanité docile capable de céder à l’efficience de la technologie, dans ce texte vigoureux, Bernanos fustige, l’abandon de la dimension réflexive de l’être humain, emporté par la séduction de la Calypso et qui ne rêve plus l’éphémère de la vie, son libre arbitre ! « La Technique prétendra tôt ou tard former des collaborateurs acquis corps et âme à son Principe, c’est-à-dire qui accepteront sans discussion inutile sa conception de l’ordre, de la vie, ses Raisons de Vivre. Dans un monde tout entier voué à l’Efficience, au Rendement, n’importe-t-il pas que chaque citoyen, dès sa naissance, soit consacré aux mêmes dieux ? La Technique ne peut être discutée, les solutions qu’elle impose étant par définition les plus pratiques. Une solution pratique n’est pas esthétique ou morale. Imbéciles ! La Technique ne se reconnaît-elle pas déjà le droit, par exemple, d’orienter les jeunes enfants vers telle ou telle profession ? N’attendez pas qu’elle se contente toujours de les orienter, elle les désignera. Ainsi, à l’idée morale, et même surnaturelle, de la vocation s’oppose peu à peu celle d’une simple disposition physique et mentale, facilement contrôlable par les Techniciens. ». Dans ce texte, sorte de pamphlet contre la technique érigé en système, Bernanos estime finalement que cette vie vouée à la puissance de la machine, encartera et limitera l’homme. Cette puissance machiniste qui est à l’œuvre ira jusqu’à troubler l’âme de l’homme, jusqu’à l’enserrer dans ses griffes. C’est le Philosophe Éric Sadin qui expose cette vision du « hub », prolonge en quelque sorte la pensée prémonitoire de Bernanos en décrivant cette vaste plate-forme aéroportuaire ou transite toute l’activité aérienne et qui pourrait ainsi préfigurer ce mouvement de monde rationnalisé, ce monde rationnalisé par une technologie hyper sophistiquée, Éric Sadin évoque « ces structures architecturales et logistiques qui battent désormais au rythme des processeurs s’assurant à tout instant du bon équilibre [1]». Un principe mis en œuvre comme l’indique Éric Sadin dans la « Smart City ».  Ce principe de rationalisation et de mathématisation de la cité « Utopia » est en œuvre, en mouvement. “Le spectacle de la machine qui produit du sens dispense l’homme de penser[2]est bel et bien sur le point d’être amorcé, notre civilisation dans cet effet de bascule de la singularité technologique est entrain au fil de l’eau de remettre les clés de sa gestion entre les mains de ce fameux « messie technologique ». Nous « accepterons sans discussion inutile sa conception de l’ordre, de la vie, ses Raisons de Vivre », voilà ce que préfigure l’Utopia transhumaniste et le modèle de mathématisation promise avec le développement de l’intelligence artificielle.  

Le modèle de mathématisation et d’intelligence rationnelle, le fantasme d’assurer « l’infaillibilité du raisonnement » avait été ainsi imaginé trois siècles plus tôt par le philosophe Leibnitz[3] qui avait conçu un rêve incroyable, oui incroyable à l’heure des algorithmes, à l’heure de l’intelligence artificielle, celui de mathématiser la pensée et de créer une machine à raisonner. Le rêve de Leibniz, philosophe du XVIIe siècle (siècle où la technique n’était pourtant pas dominante), était de transformer l’argumentation en théorème, de convertir une discussion en un système d’équations et de proposer à un débatteur, en cas de difficulté argumentative, le recours à un « calculus ratiocinator », une machine à raisonner. Leibnitz décrivait ainsi le processus de la pensée humaine comme la simple manipulation mécanique de symboles, une idée reprise plus tard par le prix Nobel d’économie Herbert Simon, quand celui-ci conçut le concept d’Intelligence artificielle. L’intelligence artificielle sorte de Messie Technologique ou de « Maman artificielle » qui exprime la vacuité d’un monde qui a abandonné l’intelligence du cœur au profit d’un artefact qui réfléchit désormais pour lui. Nous devons cependant reconnaitre la fascination et la tentation qu’opère ce nouvel objet de la pensée que l’on nomme sans doute à tort « L’intelligence artificielle » qui n’est en soi qu’un dispositif de savants calculs statistiques contribuant à réguler ou faciliter l’être humain dans l’ensemble de ses tâches. Mais c’est bien cette fascination qui opère une séduction quasi envoutante en regard des capacités cognitives proposées par ce système de calcul.  Il n’est pas improbable malgré quelques difficultés relevées à ce jour, que les barrières techniques soient levées et autorisent l’émergence d’un calculateur aux capacités de calculs gigantesques et avec des applications infinies enrichies par des   exaoctet de milliards de données et des données qui toucheront toute la vie sociale des êtres humains. Les combinaisons de ces données permettront l’intrusion dans tous les interstices de la vie, de tous les espaces de la vie sociale et plus rien n’échappera au pouvoir de « colonisation »  et de contrôle de ce Messie technologique, de ces ordinateurs bardés de calculs algorithmiques, capables de factoriser toutes les dimensions de la vie humaine avec des capacités de prédiction, de guidage, d’espionnage, de surveillance généralisée de nos faits et gestes assurant sans doute une paix factice mais éphémère, car le moindre cataclysme pourrait bien amener l’effondrement de cette nouvelle cathédrale humaine. Comme l’écrit avec justesse ce journaliste ce messie technologique « n’est plus à notre service mais se sert de nous afin d’orienter nos comportements et de définir des dogmes auxquels nous devrions nous plier, à commencer par celui de la transparence  de nos existences [4]».

[1] Citation extraite du Livre « L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle »

[2] Citation de Jean Baudrillard penseur de l’innovation sociale

[3] Le rêve de Leibniz, philosophe du XVIIe siècle (siècle où la technique n’était pourtant pas dominante), était de transformer l’argumentation en théorème, de convertir une discussion en un système d’équations et de proposer à un débatteur, en cas de difficulté argumentative, le recours à un calculus ratiocinator, une machine à raisonner. Leibnitz décrivait ainsi le processus de la pensée humaine comme la simple manipulation mécanique de symboles, une idée reprise plus tard par le prix Nobel d’économie Herbert Simon, quand celui-ci conçut le concept d’Intelligence artificielle.

[4] Référence de la citation : http://premium.lefigaro.fr/vox/politique/2018/11/29/31001-20181129ARTFIG00357–l-intelligence-artificielle-revee-par-la-silicon-valley-cherche-a-nous-aliener.php

Transparence & transhumanisme du romancier : Marc Dugain

 

Transparence & transhumanisme

Marc Dugain : « Dire qu’on va y arriver grâce à la technologie, c’est criminel »

Le romancier Marc Dugain nous décrit une société sans âmes et sans esprit, une société de nouveaux golem, d’êtres humanoïdes, la civilisation des cyborg, dans une nouvelle œuvre Transparence et Transhumanisme publiée en 2019 dont les conclusions effrayantes ont été écrites à partir de ces premiers signes transhumanistes que nous dessinent l’empreinte de la société post humaine technique et enveloppante qui se construit devant nos yeux, entendant réparer les dégâts laissés par l’homme prédateur.

Marc Dugain dépeint un monde ultra connecté, une société qu’il appelle « transparence », car toutes les données sur nous-mêmes ont été aspirées, vampirisées. Cette société produit des sortes de Golem, des humanoïdes, des cyborgs car cette société est devenue capable d’engendrer des autres que nous-mêmes, des cyborgs qui ne mangent pas, qui ne produisent donc pas de déchets, qui ne consomment pas, qui ne commercent pas.

L’homo Deus a ainsi trouvé le moyen radical d’éradiquer les problèmes dont les hommes étaient la cause. Mais heureusement nous allons survivre au travers de nos instruments, de nos « Golem », de nos créations et ces créations seront si parfaites que l’harmonie sur terre sera bel et bien revenue.  Ainsi plus de crises économiques, écologiques, sociales, nous sommes allées au bout du bout, au bout de nous-mêmes pour générer la société rationnelle. Or si cet épilogue de notre humanité nous apparaît à première vue invraisemblable, je crois en réalité qu’il nous faut être en alerte, car à vouloir la radicalité, l’extrême, l’excessif, nous sommes bien sur le point d’engendrer le pire et une autre forme de cataclysme née de l’absurdité de nos aspirations à une forme de cité parfaite, une cité qui a évacué l’intériorité, le plaisir, l’échange, le bonheur.

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Nvidia présente Isaac, sa nouvelle plateforme d’intelligence artificielle

Nvidia poursuit le développement d’innovations tant sur l’IA que sur des systèmes robotiques intégrés. Durant le CES 2018, la société a officialisé un partenariat technologique avec Uber, Volkswagen et Baidu. Pour ce qui est de ses autres projets, la société travaille sur une technologie, basée sur l’IA,…

 

Nvidia poursuit le développement d’innovations tant sur l’IA que sur des systèmes robotiques intégrés. Durant le CES 2018, la société a officialisé un partenariat technologique avec Uber, Volkswagen et Baidu. Pour ce qui est de ses autres projets, la société travaille sur une technologie, basée sur l’IA,…

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https://siecledigital.fr/2018/06/06/nvidia-isaac-nouvelle-plateforme-intelligence-artificielle/

L’apparition du transhumanisme !

Le transhumanisme se définit d’emblée comme une idéologie intriquant une vision scientiste et une conception progressiste de l’homme (Nous reviendrons plus largement sur cette vision dans ce chapitre).

Cette idéologie remet en cause les fondements touchant à la fois l’essence humaine en tant qu’identité et à la nature qui caractérise le vivant, l’origine humaine puisqu’il s’agit de casser les barrières homme et machine, de casser les codes du vivant et de matière inerte, en les intriquant, en les entremêlant. Selon une nouvelle formule définissant l’homme dans cette vision postmoderne, l’être humain se réduit à un programme. Un programme puisqu’en effet la génétique a su déchiffrer le génome, et en déchiffrant, il serait donc possible de codifier puis pas moins de reprogrammer l’homme.

Dépendance et fascination pour les nouveaux pouvoirs de la technologie.

Dans ce chapitre et les chapitres suivants nous mettons en évidence le cheminement idéologique post moderne qui voit l’avènement simultané de la technoscience[1] et du transhumanisme.

Le transhumanisme se définit d’emblée comme une idéologie intriquant une vision scientiste et une conception progressiste de l’homme (Nous reviendrons plus largement sur cette vision dans ce chapitre).

Cette idéologie remet en cause les fondements touchant à la fois l’essence humaine en tant qu’identité et à la nature qui caractérise le vivant, l’origine humaine puisqu’il s’agit de casser les barrières homme et machine, de casser les codes du vivant et de matière inerte, en les intriquant, en les entremêlant. Selon une nouvelle formule définissant l’homme dans cette vision postmoderne, l’être humain se réduit à un programme. Un programme puisqu’en effet la génétique a su déchiffrer le génome, et en déchiffrant, il serait donc possible de codifier puis pas moins de reprogrammer l’homme.

En découvrant puis appréhendant la charpente du génome, la science sans conscience s’autorise à manipuler, à modifier la structure du corps, à combiner et implémenter les pièces de la matière et les pièces de la nature humaine. Le savant transhumaniste s’ingéniant à se transformer en couturier démiurgique, assemblant le monde cybernétique et l’ADN humain.  Ainsi l’être humain ne sera plus « anthropos » mais un être technique.

Cette idéologie n’est pas seulement fondée sur la foi inconditionnelle dans les progrès illimités de la science, mais elle est ancrée à la fois dans une vision réformatrice qui touchera à toutes les dimensions de la vie sociale, culturelle et économique. Le transhumanisme en proposant une redéfinition de l’homme, fonde ainsi une vision rénovatrice de la société en l’articulant autour de l’économie numérique et de l’intelligence artificielle, poussé par une envie de survie et d’immortalité.

Dans un texte[2] de Hannah Arendt, extrait de son livre l’homme moderne, de manière quasi prémonitoire, l’auteure prédit les dérives du monde moderne « Il se pourrait, créatures terrestres qui avons commencé d’agir en habitants de l’univers, que nous ne soyons plus jamais capables de comprendre, c’est-à-dire de penser et d’exprimer, les choses que nous sommes cependant capables de faire… S’il s’avérait que le savoir (au sens moderne de savoir-faire) et la pensée se sont séparés pour de bon, nous serions bien alors les jouets et les esclaves non pas tant de nos machines que de nos connaissances pratiques créatures écervelées à la merci de tous les engins technologiquement possibles, si meurtriers soient-ils »

Cette réflexion d’Hannah Arendt est infiniment profonde, puisqu’elle nous renvoie à la dimension même de penser et à l’abandon qui nous guette de la léguer à la machine qui pourrait avoir la faculté de penser à notre place.  Le « Ne plus penser et ne plus exprimer » extrait de la citation de Hannah Arendt est infiniment prophétique puisque la Philosophe nous renvoie à cette domination de la machine cybernétique dont elle n’imaginait ni l’étendue ni les possibles, ni l’extravagance ni la tentation de rendre corvéable l’homme.

Cette machine cybernétique dont nous pourrions bien devenir addictes. En abdiquant peu à peu notre faculté de gouverner le monde, nous lui abandonnons les commandes au profit de son ingénierie, son intelligence artificielle et ses facultés d’auto apprentissage. Ainsi Hannah Arendt a raison, ce n’est pas le progrès technique qui devrait nous alarmer et nous amener à méditer sur les usages de la machine, mais notre propre rapport à la technologie, autrement dit notre probable dépendance et notre fascination pour ses nouveaux pouvoirs.

Cette technologie doit nous faire examiner comment organiser notre savoir de façon à ce que son développement exponentiel ne nous réduise pas définitivement à ne plus penser, au point que nous devenions de simples marionnettes numériques, des jouets et des esclaves à l’image des êtres humains guidés par le monde des « Pokémon ».

Le transhumanisme est-il un nouvel humanisme ?

Le « Nouvel Humanisme »[3] est un courant de pensée, contemporain visant une transformation du monde, aspirant à un changement de civilisation et à l’émergence d’une nation humaine universelle fondée sur des valeurs de diversité, d’égalité, de connaissance au-delà de ce qui est accepté comme vérité absolue.

Donc à la question le transhumanisme est-il nouvel humanisme, la réponse est probablement oui, mais diffère sans doute de ce courant auquel se rapporte notre début de réponse. Pour répondre de façon plus explicite, la question appelle d’emblée de préciser, de définir les deux termes qui forment le mot transhumanisme.

En effet le mot transhumanisme est la jonction des termes (préfixe) Trans et (suffixe) humanisme.

Trans : radical (préfixe) d’origine latine qui signifie de l’autre côté.

Humanisme : Si le terme humanisme étymologiquement découle du mot latin  « humanus » (cultivé), le terme humanisme désigne également un courant culturelphilosophique et politique, marqué par le retour aux textes antiques,  né au cours du XIVème XVème et XVIème siècle qui propose un « modèle humain »

Ce courant Intellectuel rassemblait des érudits manifestant une « appétence » pour les savoirs dans tous les domaines de la connaissance humaine, ces érudits humanistes comme Pétrarque[4], Erasme[5], Pic de la Mirandole[6] plaçaient l’homme au cœur de l’univers et considéraient l’homme comme étant doté de facultés intellectuelles quasi illimitées.

Le mot Trans associé à humanisme annonce donc d’un point de vue philosophique, un changement de paradigme, un autre monde, un monde inédit, le passage d’un monde ancien à un monde nouveau, la fin d’une époque et sa culture pour entrer dans un nouvel âge, une nouvelle histoire de l’humanité.

Le « transhumanisme » présente incontestablement des analogies avec la période historique de la renaissance mais les orientations, différent, la vision humaniste en effet est une vision du libre arbitre focalisée sur l’homme donnant une place centrale à l’homme, l’homme qui n’est pas soumis au déterminisme. En opposition la vision transhumaniste est une vision dominée par une approche purement mécaniste de l’homme, réduisant les phénomènes de la nature à des lois sans âme et sans vie, une vision mécaniste assimilant l’homme à un assemblage de matières qu’il est possible de corriger, d’améliorer et de performer.

Ainsi au XVème siècle l’humanisme se renforce comme mouvement intellectuel émergeant d’une période de crise spirituelle profonde héritée des premières remises en causes humanistes du siècle précédent et dévoile des analogies fortes avec notre propre époque.

Des analogies en effet avec notre époque actuelle qui est traversée par des mutations et crises importantes affectant la société dans son ensemble et plonge l’humanité dans une forme de vacuité et de vide spirituel.

Le transhumanisme s’inspire en partie des conceptions philosophiques de l’humanisme du XVème et du XVIème siècle de par ses similitudes et ce souci de proposer également un nouveau modèle humain considérant que l’homme a un rôle actif, impliqué dans la quête du savoir. Bien entendu le transhumanisme s’éloigne de l’humanisme en rompant avec sa philosophie à l’origine de conception chrétienne, en allant encore plus loin puisqu’il s’agit de refonder cette fois-ci l’anthropologie, d’arguer d’une nouvelle mutation nécessaire de l’espèce humaine. L’humanisme du XVème et XVIème siècle est née d’une époque en mutation, une révolution sociale avait été alors engagée, celle qui se dessine aujourd’hui avec le transhumanisme relève plus d’une déshumanisation que d’une humanisation du monde, d’une ouverture des esprits sur la culture, il s’agit davantage d’une époque qui naviguera sur les surfaces des écrans loin d’approfondir la lecture des livres sorties des imprimeries de Gutenberg.

Le transhumanisme ou le déni du réel

Nous entrons dans un monde ou le rapport au virtuel est plus prégnant ou le rapport à l’autre s’atténue, s’efface.  Nous sommes dans le monde de l’immédiat, d’ici et maintenant, nous entrons dans l’ailleurs, de l’autre côté, hors du lieu et du temps. L’espace technique se substitue à l’espace naturel, le forum numérique à l’agora, le virtuel à la rencontre de l’autre.

La révolution numérique nous fait entrer dans la dimension du monde désincarné. Quelques exemples illustrent notre propos :

  • Dans le monde de l’entreprise l’habitude chez les salariés est de s’adresser des courriels, l’usage des courriels devenant quasi envahissant, phagocytant la concentration, mobilisant toute l’attention.
  • Nous entrons également dans l’ère du télétravail avec ses avantages et ses inconvénients, l’inconvénient étant de nous éloigner de la sphère des relations tangibles, des contacts avec les autres, du face à face.
  • Le monde des réseaux sociaux est un monde de cyber espace donnant l’illusion narcissique d’exister pour les autres, mais en réalité nous nous détachons de la rencontre avec l’autre, bien qu’il soit aussi concevable que cela suscite l’envie de rencontrer l’autre puis d’incarner la relation. Mais l’usage de contacts numériques nous fait inévitablement entrer dans un espace virtuel nous détachant de l’existence tangible et temporel.

Ainsi le virtuel est l’absence de rapport à la réalité, l’absence d’un rapport au tangible, il n’y a plus un temps, un réel, un espace objectif, mais des temps et des espaces, des temps et des espaces parallèles au-delà de nos espaces réels et tangibles, que nous voudrons créer.

Au quotidien et en partant d’exemples non exhaustifs nous sommes également des usagers d’objets qui peu à peu, subrepticement, nous familiarise à un monde virtuel et transhumaniste …

Ainsi :

  • de plus en plus d’entreprises n’ont plus recours à des imprimés, transmettent des données ou des documents dématérialisés,
  • des hommes et des femmes pour favoriser leurs rencontres ont recours à des agences matrimoniales numériques, ce sont les algorithmes mathématiques qui décident lors des rencontres, des profils les plus idoines.
  • d’autres croient participer à des jeux ludiques mais sont également pilotés par des algorithmes et ils deviennent sans en prendre conscience, les produits de ces machines.
  • pour leurs activités physiques, des sportifs du quotidien ont recours à des bracelets connectés, de véritables capteurs d’activités pour tracer la dépense d’énergie.
  • Enfin de plus en plus de maisons sont connectés à des portables, des tablettes numériques et vous pouvez à distance préparer la tasse de thé ou de café au moment où vous arriverez chez vous, attendu par de gentils robots qui auront peut-être fait le ménage chez vous.

Je citre ici Laurent Alexandre[7] Chirurgien urologue militant du transhumanisme, dans l’émission Qu’est-ce que l’homme. Ainsi “On a de plus en plus de technologies très transgressives qui sont acceptées massivement par la société. En réalité la société devient massivement transhumaniste sans en connaître le mot.”

Le transhumanisme est porté par l’un des géants du monde numérique

Le transhumanisme est un courant idéologique porté principalement par l’un des Géants du WEB, la société Google. Ce courant idéologique dont emblématiquement la société Google est le porte-parole, propose une nouvelle lecture de l’homme (« trans ») au-delà de l’homme, un nouveau modèle anthropologique[8] par-delà l’encerclement du corps qui enferme l’homme dans cette idée de finitude et de mortalité.

Ce modèle anthropologique se résume comme la volonté explicite de corriger le génome humain entaché par l’imperfection génétique puis de glisser subrepticement vers l’amélioration performée de l’espèce humaine et l’émergence d’un nouvel homme, aspirant enfin à l’immortalité.

Le transhumanisme s’appuie sur la révolution numérique, demain une nouvelle révolution quantique[9] et technique pour engager la transformation radicale et sans limites de la société, comme autrefois l’humanisme s’est adossée à la révolution de l’imprimerie pour diffuser la connaissance, transformer la société en lui donnant accès au savoir. Les grands imprimeurs ont été eux même des humanistes tel Robert Estienne à Paris[10] ou l’Orléanais Etienne Dolet.

Via l’idéologie transhumaniste, une nouvelle conception de l’humanité se profile, elle est à la croisée d’une nouvelle transgression :

  • une volonté explicite de s’affranchir du monde réel,
  • de briser les barrières de la matière,
  • de dépasser la finitude telle qu’elle s’incarne dans le monde naturel,
  • d’engendrer de nouvelles révolutions …

… Révolutions anthropologiques, culturelles, théologiques, sociales et économiques dans une dimension du Nous « Collaboratif ». Une nouvelle Babel s’instaure, porteuse d’une vision d’une humanité sans Dieu, du refus de la souveraineté de Dieu.

Les valeurs, les croyances fondamentales qui caractérisent la vision transhumaniste l’opposant au monde tel que nous le connaissons à ce jour 

L’idée centrale du transhumanisme est de promouvoir le recours comme l’usage des nouvelles technologies (nanotechnologie[11], biotechnologie, technologie de l’information, découvertes des sciences cognitives, ce qui inclut aussi l’intelligence artificielle, la robotique, etc ).

La vocation fondamentale qui caractérise l’idéologie transhumaniste s’inscrit dès lors dans la volonté d’améliorer la condition humaine de façon radicale.

La valeur idéologique principale de ce courant repose notamment sur l’ambition de prolonger la vie humaine au-delà des limites naturelles (ralentissement, voire inversion du processus de vieillissement), amélioration de capacités physiques, sensorielles, cognitives et émotionnelles pour permettre de nouvelles expériences de pensée, de dialogue, de compréhension réciproque, d’interaction, de partage, et la découverte de notre environnement.

Les valeurs déclinées autour de cette volonté d’améliorer la condition humaine, s’articulent sur le souhait de faire émerger :

  • La société collective et communautaire versus Société clientéliste
  • La société de l’autonomie régulée dépassant le libre choix
  • La consommation durable par opposition à l’obsolescence programmée
  • La société virtuelle et dématérialisée à l’envers de la société réelle
  • La société servicielle et collaborative une avancée en regard de la société industrielle et capitaliste

Le transhumanisme ou l’idéologie (prométhéenne) de quoi s’agit-il exactement ?

En effet, une idéologie est un système structurant, modélisant une représentation du monde dans lequel nous vivons, c’est également un système de concepts et d’idées à partir desquels la réalité est pensée, une façon de se représenter et de voir le monde.

Dans ce contexte, le transhumanisme à travers son université (la singularity université basée à San Francisco) se définit comme un mouvement d’intellectuels, de savants et d’érudits technicistes. Le transhumanisme embrasse une idéologie prométhéenne[12] qui est ancrée dans une conception matérialiste et scientiste[13], fondamentalement liée au développement économique des nouvelles technologies.

Le mouvement transhumaniste valorise en effet, prône l’usage des sciences et des techniques afin :

  • de développer les capacités humaines,
  • d’augmenter les capacités physiques comme cognitives,
  • de dépasser les limites de l’homme conférées par son ADN, la finitude qui caractérise l’homme,
  • de casser la barrière liée à l’encerclement que constitue en quelque sorte le corps humain.
  • De susciter l’émergence d’une prétendue nouvelle économie sociale ou la totalité du monde numérique serait à votre service.

Citons Tugdual Derville[14] « Le transhumanisme participe pleinement d’un projet idéologique visant à ce que l’homme puisse se donner lui-même sa propre forme, en refusant de se recevoir d’un donné naturel pour lui signifiant ». C’est le refus de sa condition de créature au profit d’une tentative d’auto-divinisation

A quoi ressemble le futur pour les transhumanistes ?

 Pour les transhumanistes, il convient de dépasser la mort biologique. Améliorer le corps, défaillant par nature. Transformer le génome, modifier l’ADN. S’affranchir le plus possible des limites physiques, des limites de l’encerclement dans lequel nous enferme le monde réel.

Les transhumanistes revendiquent la liberté absolue d’augmentation corporelle et cérébrale en nous affranchissant de toute dimension corvéable, de toute attache, libérée enfin du sol.  Une volonté en quelque sorte d’en finir avec la « punition » divine : « C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière »[15].

Le futur transhumaniste est un chemin néopaganiste, une anti religion au sens de la relation, qui peut conduire au post humanisme dont l’apothéose est l’intelligence artificielle, la créature de l’homme devenue autonome mais restant une matière sans esprit, libre de toute contingence pour ne laisser que le conatus[16] spinozien aux commandes d’un corps transcendé. Tant et si bien que pour atteindre ce but il faut impérativement éteindre l’âme, ce pont vibrant créé par Dieu et incorporé à son environnement pour le relier à un monde réel et tangible.

Pour reprendre l’intuition du philosophe Levinas qui ira jusqu’à affirmer que « la technique nous délivre des attachements terrestres, des « dieux du lieu et du paysage » dont elle nous a montré « qu’ils ne sont que des choses, et qu’étant des choses ils ne sont pas grand-chose »[17]. C’est ainsi que nous pourrions résumer le futur transhumaniste tour à tour réalité augmentée et réalité virtuelle, une forme d’éden ou d’ersatz, d’un bonheur perdu que l’homme tente de réparer ou de retrouver le chemin du paradis mais sans réconciliation avec le créateur.

Les quatre prochaines révolutions du transhumanisme…  

Les bouleversements en réalité brève échéance sont à la fois métaphysique, anthropologique, culturelle et économique :

  • La révolution métaphysique, une nouvelle gnose, il faut reprendre en main un monde imparfait, un monde « raté » ou non abouti et c’est à « l’homme et à lui seul» d’engager le changement, de transformer le monde, de fonder le nouvel humanisme sans transcendance.
  • La révolution anthropologique : Il faut dépasser l’encerclement du corps, se démarquer du corps sexué, du corps fini, du corps mortel, il faut ainsi s’affranchir des limites inhérentes à l’humanité – le corps sexué, la finitude de l’homme, et la mort inévitable.
  • La révolution culturelle, il faut quitter l’ancien monde, assurer le bien-être planétaire, maximiser les services gratuits, collaboratifs ou participatifs, créer une intelligence collective qui pense l’équilibre et l’harmonie des éco systèmes, le développement durable de la planète.

Dans cette dimension collective Il faut réaliser l’autorégulation des composants écosystèmes et des humains pour favoriser la vie et s’en remettre demain à une supra intelligence artificielle qui assurera la régulation, c’est le réveil du Mythe de Gaïa[18]. Selon ce mythe tous les êtres vivants sur Terre formeraient ainsi un super organisme interagissant entre eux et assurant en fin de compte leur harmonie — appelé « Gaïa », d’après le nom de la déesse de la mythologie grecque personnifiant la Terre.

Ainsi dans cette révolution culturelle, le monde numérique de Gaïa grâce à la magie algorithme façonne le devenir des rencontres et des inter actions humaines en intervenant comme une agence matrimoniale.

  • La révolution économique, supprimer la verticalité, les circuits de distribution avec intermédiaires, inventer de nouveaux paradigmes et modèles économiques en renversant les institutions obsolètes Pôle Emploi, Les Navettes taxis. Dans cet univers totalement numérisé, l’homme percevra l’univers virtuel comme un monde à son service. Le monde économique sera alors remodelé puis gouverné, voire totalement supplanté par les algorithmes mathématiques qui déjà scrutent les modes de vie, établissent des profils de consommation, anticipent les marchés, les fluctuations boursières sont devancées par toute une machinerie de calculs qui font l’économie d’un recours à des interventions humaines.

Pourquoi tenions-nous à aborder dans cet ouvrage collectif le thème du transhumanisme ?

Comme Chrétiens, nous considérons que notre devoir est de savoir… :

  • …observer les signes des temps de les discerner,
  • …comprendre les mutations qui s’organisent,
  • …lire les changements qui s’opèrent à l’aune des Saintes Ecritures qui nous fournissent des

   clés pour comprendre où va le monde,

  • …expliquer ainsi à nos concitoyens afin de participer activement à l’éveil des consciences.

A l’heure de la mondialisation et d’une mondialisation accélérée des idéologies mortifères, il importe pour nous Chrétiens de connaître la nature des nouveaux paradigmes, des changements qui interviennent à l’aune des écritures décrivant en des termes si particuliers que les événements qui se dévoilent à nos yeux se voient confirmés par ces mêmes écritures comme étant prédits ou plus précisément prophétisés

A l’instar du Professeur Jérôme Lejeune[19] « Il faut clairement dire les choses, la qualité d’une civilisation se mesure au respect qu’elle porte aux plus faibles de ses membres. Il n’y a pas d’autre critère de jugement. » Or nous sommes en passe de changer de paradigme, la vulnérabilité, la finitude, comme la fragilité doivent être relégués à des mondes anciens qui seraient les facteurs aliénants. Le monde nouveau se construira autour de promesses technologiques, de progrès susceptibles demain d’enchanter le monde, mais toujours de progrès qui seront l’expression d’un eldorado qui détruira les valeurs fondatrices d’une civilisation ou l’on prend soin de l’humain, du plus fragile, du plus vulnérable.

Il est ainsi étrange de constater que tout une tradition idéologique ignore délibérément semble-t-il et très largement, la valeur de la vulnérabilité qui est quasi absente des discours philosophiques, hormis chez quelques auteurs qui ont su aborder la dimension de la déficience de l’homme.

« Comment pouvait-il en être autrement déclare le Philosophe Michel Terestchenko s’il s’agit pour tant de philosophes – de Platon à Kant, en passant par les Stoïciens ou Descartes – de nous mettre à l’abri, de nous apprendre la voie de l’autosuffisance, de la non dépendance, de la prééminence de la raison sur les émotions et les sentiments, autrement dit de nous apprendre à être le moins vulnérable possible ? »

Pourtant la vulnérabilité fait sens pour beaucoup d’entre nous, l’apôtre Paul n’affirme-t-il pas que « quand je suis faible, alors je suis fort »[20]. Or la vulnérabilité n’a-t-elle pas quelque chose à nous enseigner sur notre propre humanité.

La vulnérabilité nous invite en effet, nous qui pensons certainement « être forts » et dans « la norme sociale  » (efficaces, performants…), à prendre soin des plus faibles. Sans doute est-ce, à certains égards, une bonne chose que de témoigner de compassion, de vigilance pour les autres.

A l’endroit de nos enfants, de la famille nous entendons témoigner notre vigilance pour tous les enfants vis-à-vis de toutes ces idéologies mortifères et de l’esprit artificiel engendré par la puissance de l’idéologie qui veut façonner un nouvel homme libéré de ses stéréotypes, de la puissance de la technique qui nous laisse croire artificiellement à notre propre invulnérabilité.

[1] Néologisme mettant en évidence le caractère intriqué des liens entre les sciences et les techniques.

[2] Hannah Arendt citation extraite de son livre Conditions de l’homme moderne, Calman-Lévy, Paris 1961. P 9-10

[3] http://www.mouvementhumaniste.fr/nouvelhumanisme.htm#nouvel

[4] Pétraque (1304 – 1374) considéré comme le premier humaniste

[5] Erasme (1469-1536) élabora une conception de l’homme qui se définit indépendamment de sa foi religieuse et doué d’un libre arbitre.

[6] Pic de la Mirandole (1463-1494), appelé le « prince des érudits ».

[7] Laurent Alexandre, est un chirurgien-urologue français, il se passionne pour les questions qui touchent au transhumanisme et aux bouleversements que pourrait connaître l’humanité.

[8] Anthropologie :  Le terme anthropologie vient de deux mots grecs, anthrôpos, qui signifie « homme » (au sens générique), et logos, qui signifie parole, discours. L’anthropologie est la synthèse des différentes sciences humaines et naturelles. L’anthropologie dans son étude de l’être humain s’intéresse à sa diversité biologique et à sa diversité culturelle

[9] Ordinateurs quantiques : Construire des ordinateurs qui puissent interagir : voir, écouter, dialoguer. Développer des moteurs de recherche intelligents, qui comprennent ainsi la demande de leurs usagers

[10] Robert Estienne, est un humaniste qui établit sa propre imprimerie, succédant ainsi à son père Henri Estienne, premier d’une lignée d’imprimeurs réputés.

[11] Nanotechnologies : Ensemble des études et des procédés de fabrication et de manipulation de structures (électroniques, chimiques…), de dispositifs et de systèmes matériels à l’échelle du nanomètre (nm), ce qui est l’ordre de grandeur de la distance entre deux atomes Source Wikipédia.

[12] Dans la mythologie grecque, Prométhée est un Titan, il aurait conçu les hommes à partir d’eau et de terre. Prométhée fait en sorte que l’Homme puisse tenir debout, Prométhée donne à l’homme un corps, distingué et proche de celui des dieux, il enseigne aux hommes l’art et les métallurgies. Dans la mythologie grecque et qui est l’essence même du mythe prométhéen, Prométhée va être en guerre contre les Dieux et après la victoire des nouveaux dieux dirigés par Zeus sur les Titans, Prométhée va se rendre alors sur le char du Soleil avec une torche, dissimule un tison dans une tige creuse et donne le « feu sacré » à la race humaine. Le feu dans la mythologie grecque, représentait la divinité.

[13] Scientiste : Selon Ernest Renan n (1823-1892), le scientisme entend ni plus moins « organiser scientifiquement l’humanité ». Il s’agit dès lors d’appliquer à la vie sociale et dans toutes les sphères de la vie les principes et méthodes de la science moderne.

[14] Tugdual Derville est un des trois initiateurs du courant pour une écologie humaine, il a fondé l’association À bras ouverts pour organiser l’accueil par des accompagnateurs bénévoles d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes porteurs d’un handicap mental. Il est également Directeur Général d’Alliance Vita. Cette association s’est engagée à promouvoir la sensibilisation à la fois des publics et des décideurs à la protection de la vie humaine. Il est également l’auteur du livre « Le temps de l’homme ».

[15] Citation du livre de la Genèse chapitre 3 verset 15 dans la Bible version Louis Segond.

[16] Terme latin qui signifie l’effort « l’effort » d’exister, autrement dit de persévérer dans l’être constitue l’essence intime de chaque chose selon Spinoza

[17] Emmanuel Levinas (1906-1995) :  Dieu, la mort et le temps, p. 194, Grasset et Fasquelle, Livre de poche, 1993.

[18] Gaïa : Déesse grecque qui personnifie dans la mythologie, la terre. Sans l’aide d’un mâle elle met au monde Ouranos qui personnifie le Ciel. Avec Ouranos son fils, elle engendre les Titans et les Titanides, les Cyclopes et les Hécatonchires.

[19]  Jérôme LEJEUNE 1926-1994, médecin et professeur de génétique découvreur de l’anomalie chromosomique responsable de la trisomie 21.

[20] La Bible : 2 corinthiens chapitre 12. Verset 40