Un avant goût de mon prochain Essai :
Transhumanisme : Le réveil de la Conscience ?
Auteur Eric LEMAITRE
En déplacement à DIE pour présenter mon premier essai « la déconstruction de l’homme », je décide au retour de m’arrêter chez de vieux amis rémois pour les saluer. Mon court séjour fut empreint de cette dimension relationnelle à laquelle je reste profondément attaché. Écoutant mes amis, je fus attentif à celui de Marc dont le récit de vie est particulièrement touchant. Marc n’est pas une personnalité exubérante, extravertie, chez Marc tout est intériorisé, feutré, ce garçon habituellement réservé me relata avec beaucoup d’entrain son déplacement entre Valence et Erevan, du Vercors au Caucase, de la Drôme à l’Arménie, un périple de quelques milliers de kilomètres parcourus en vélo couché. Ce périple était animé par le désir d’investir l’effort au profit de la réhabilitation de l’école de Chirakamout[1].
Son déplacement fut balisé par l’intensité des rencontres, de mille anecdotes, de richesses d’hommes et de femmes chez lesquelles il séjourna, d’entrevues inattendues, accidentelles. Plongé dans son récit, le visage de Marc fut celui d’un homme émerveillé, partageant cette découverte de l’intériorité enrichie par les milliers de visages croisés sur sa route. Le voyage de Marc est à mille lieues des vies urbaines assommantes et abasourdies par les rythmes trépidants, morcelés par les temps d’une consommation qui n’a plus pris goût à vivre dans les espaces d’une vie où l’horloge du temps peut s’arrêter pour celui qui veut vivre le présent qui s’offre à lui comme une offrande vivante.
Marc lui décida de ne pas emporter cette horloge, se délestant même de tous les objets encombrants, de tous ces objets techniques qui le relient au monde à l’exception de son téléphone qui le rapprochait en revanche de sa chère épouse Françoise. Mais au cours de son périple dans un lieu de nulle part, en Transnistrie une région autonome de Moldavie, par distraction ou inadvertance, il égara son téléphone et ne le retrouva plus, Marc était à mille bornes de chez lui, comment joindre alors son épouse, la rassurer, il décide d’entreprendre le chemin inverse pour scruter sur l’asphalte l’objet perdu, son regard se désole finalement de ne le trouver ni aux bordures des routes, ni dans les caniveaux.
La tristesse l’envahit sur ce chemin qui devait le mener en Arménie, la nuit de son manteau sombre commence à envelopper Marc, Marc poursuit sa route. Un homme lui fit des signes l’arrêta, cet homme qui se nomme Alex, lui adressa la parole, ou plutôt ils échangèrent en signes ne parlant ni l’un l’autre une langue commune, ils se firent cependant aider par une autre personne qui put s’exprimer en anglais, Alex, lui indiqua qu’il allait revenir pour le rechercher afin de le loger chez lui, il tiendra sa parole et il était accompagné de son épouse et de sa sœur. Marc embarqua dans sa camionnette et logea dans une assemblée chrétienne. Le couple qui accueillit Marc avait préparé un repas gargantuesque, un menu à profusion, un véritable festin d’amitié, un accueil chaleureux. Le couple permit à Marc de joindre Françoise, l’épouse de Marc. Après cette rencontre dont l’empreinte de l’amour était manifeste, Marc eut ce propos sublime pour magnifier cette relation « Que valent quelques grammes de technologies face à des tonnes d’amour ? Une leçon dans ce monde où l’on privilégie la possession à la relation ».
Comment ne pas songer à ce roman fiction Fahrenheit 451, roman dystopique décrivant une société pleinement déshumanisée où la dimension même de l’amour semble totalement absente, chacun vivant pour soi désintéressé des autres et désintéressé par la mémoire que transmet la culture, dans un furieux égotisme, le monde de Fahrenheit 451 est celui de l’écran cathodique, préfigurant notre monde envahi par les tablettes et smartphones, le livre papier dans cette société sans âme étant interdit, il risque d’éveiller la conscience, les mots d’un livre impriment mieux l’âme de celui qui aime les pages, les touche. Ray Bradbury auteur du roman considère que le bonheur, le véritable bonheur émane de notre relation avec la nature et ne résulta pas de bonheurs artificiels : « Regarde le monde, il est plus extraordinaire que tous les rêves fabriqués ou achetés en usine. » ! Au fond Marc s’est employé à regarder le monde, c’est-à-dire les gens, ces gens, bien plus importants que les objets artificiels fabriqués dans les usines consuméristes, ces biens artificiels qui ne nous font pas de bien, le bien qui résulte seulement d’un geste amical, d’une main tendue. Marc a sans doute magnifié les paysages et cette relation avec l’air, la diversité que lui offre la vue de ces perspectives qui enchantent nos yeux, mais Marc a surtout magnifié l’amour, la relation à l’autre, au prochain.
La dimension relationnelle fut le fil conducteur de mon premier essai « La déconstruction de l’homme » coécrit avec Gérald Pech. Cette dimension relationnelle à laquelle est attaché Marc est aussi ce bien commun que je partage avec lui. Cette dimension relationnelle comme la vie intérieure sont aujourd’hui grignotées, écorchées, dépouillées par une « civilisation[2] » technicienne qui a fait de l’homme son objet pour emprunter ici le propos du théologien Jacques Ellul.
Cette dimension relationnelle se délite, se désagrège au profit de connexions numériques, ces échanges désincarnés sans chair, sans substance, sans vie. Pour caractériser une société qui ne s’inscrit plus dans la dimension du lien. L’économiste et sociologue Jacques Généreux, utilisa ce mot étrange, celui de la « dissociété », une société désunie, vampirisée par l’assèchement des solidarités entre personnes, un monde à l’inverse de ce moment providentiel relaté par Marc.
Face au délitement de la vie relationnelle nous assistons bel et bien à l’émergence d’une société marchande qui entend redéfinir la vie relationnelle, l’anthropologie, prétendant ainsi civiliser l’homme en l’anesthésiant via la consommation des objets numériques, lui assurant le confort d’une vie programmée en lui faisant miroiter un âge d’or d’un monde augmenté, autonome et s’auto déterminant.
Nous entrons dans la civilisation de la rationalité indolente, celle qui calcule, régente, promet paix et sécurité, s’obstine à réduire nos actes et nos gestes à l’expression de données, traduites en codes. Nous subissons docilement l’injonction des machines prédictives qui ayant appris de nos comportements finissent par nous domestiquer, à nous emmener dans la dépendance, la subordination et à la toute-puissance d’une matière façonnée en nouveau golem[3].
Ce qui est ainsi à craindre c’est l’excès de confiance attribuée à l’homme aux objets numériques qui deviennent les nouvelles idoles, les nouvelles, statuettes idolâtres de notre siècle, car leur ont été conférées cette capacité de ne plus être muettes et de faire appel à l’imaginaire superstitieux, mais d’être des objets interactifs et de répondre à l’ensemble des besoins changeant ainsi nos rapports aux autres et au besoin de relationnel.
Dans la même veine, C.S LEWIS écrivain britannique auteur de série de sept romans : « Le Monde de Narnia » prédit de manière magistrale cette tragédie qui se dessine au fil des siècles. L’homme démiurgique en raison de sa puissance technicienne a aujourd’hui la capacité de soumettre toute la nature à sa volonté, il a, grâce au développement technique, la possibilité que la création dont il n’est pas l’auteur lui soit ordonnée, il lui est désormais possible de transgresser les lois naturelles, de franchir le Rubicon que lui imposait la nature après avoir consommé le fruit interdit. L’homme dans sa vanité prométhéenne cherche de plus en plus à s’en affranchir. De manière quasi intuitive ce qui n’est pas sans nous rappeler la pensée de Jacques ELLUL, CS LEWIS, nous rappelle que « …Maîtriser la nature et la mettre au service de l’homme est une chose, mais cette situation aboutie, paradoxalement, au contrôle de l’homme ».
Ainsi ; pour CS LEWIS, il est essentiel de dénoncer l’esprit de relativité qui caractérise la pensée de ce monde, de transmettre de façon urgente et avant qu’il ne soit trop tard, une « vérité solide » pour ne pas subir demain le diktat des désirs qui franchissent le Rubicon après le déni de toute « morale universelle » inscrit dans la vie relationnelle. L’avertissement que CS Lewis nous livre dans son livre « L’abolition de l’homme » est un véritable pamphlet contre ces idéologies mortifères qui se moquent du bien, de la morale transmise (son livre est écrit dans le contexte du Nazisme).
Le livre « L’abolition de l’homme » est rédigé pendant la Seconde Guerre mondiale, sans que pour autant le nazisme soit nommé. Le livre de CS LEWIS, n’a pas pris une seule ride en regard de la vacuité de notre modernité : cette modernité qui tente de nous affranchir de toute valeur, en refusant de soumettre nos découvertes scientifiques à des normes morales universelles. Depuis des siècles, ce mouvement de déconstruction, s’est accéléré en quelques décennies, ce mouvement comme un ouragan tend toujours plus à dénaturer l’homme et pour reprendre l’expression de CS LEWIS à l’abolir, abolir l’homme dans ce qu’il y a d’unique et de sacré.
Le sacré réside dans cette dimension relationnelle, de ce rapport à l’autre certes compliqué, car notre nature humaine est complexe, car elle nous porte sur des envies, des désirs qui ne sont pas toujours partagés par nos voisins. Mais laisser à la machine le soin de réguler nos rapports à l’autre en dit long sur le « vide de la pensée [4]», la déréliction morale qui caractérise cette société où l’individu est un être morcelé, réduit à la seule matière, et comme le dépeint l’économiste Jacques Généreux « écartelé et anesthésié ». La condition de l’homme contemporain est celle finalement de vivre une forme d’extase extravagante dans le narcissisme et la profusion des biens voire jusqu’à la dépendance, jusqu’à même à livrer son âme à son propre golem, sa propre créature artificielle, renonçant à son intelligence. L’homme contemporain s’envole vers cet âge d’or, part avec ses milliards de coreligionnaires en transhumance, vers le pays promis, le nouvel Éden, l’âge d’or des transhumanistes. Une nouvelle civilisation technicienne voit le jour où le roi sera une forme de nouveau « Léviathan[5] », de messie numérique régnant sur le monde, le monde humain qui n’a pas souhaité craindre son avènement, voire même s’en est moqué, jusqu’au jour où les hommes acceptèrent sa signature sur leur propre peau, dans leur propre chair. Ce que présageait Aldous Huxley dans la seconde préface [1946 seconde édition du meilleur des mondes] dans son livre où l’auteur souligna que :
« La révolution véritablement révolutionnaire se réalisera non pas dans la société, mais dans l’âme et la chair des êtres humains. »
Ce nouvel essai n’est pas la réplique ou la reformulation du précédent ouvrage « La déconstruction de l’homme », mais il décrit le long processus qui nous conduit depuis le commencement de l’humanité, jusqu’à cette nouvelle civilisation où l’empreinte technique signera définitivement un changement de société, un basculement où les hommes auront cessé d’être libres, d’être des êtres relationnels, de connaitre une vie intérieure parce qu’ils ont souhaité posséder les objets et ont accepté leurs pouvoirs, leurs dominations. Le transhumanisme est en réalité une histoire construite depuis l’Eden perdu, enfoui dans l’inconscient humain avec ce rêve prométhéen de dépassement de lui-même, de s’affranchir de toutes les barrières, de toutes les limites. C’est un nouvel alphabet qui s’écrit sous nos yeux, une nouvelle écriture numérique de l’humanité qui se déploie sous nos yeux, une nouvelle anthropologie qui se dessine, fondée sur une métamorphose artificielle du génome humain au prétexte que ce corps ne fonde pas notre identité. Si certes ce livre ne fait pas l’impasse des éléments déjà connus par de nombreux lecteurs, l’ouvrage entend démontrer que sous nos yeux se construit une nouvelle civilisation, un nouveau monde barbare dont l’idéologie technique n’est ni plus ni moins que la domestication de l’homme machiniste, dont l’âme a été rendue corvéable au produit de son fantasme et de ses rêves de dépassement.
Le livre ne se conclura pas par une note pessimiste, car le Chrétien que je suis, préfère mettre son espérance dans la vie relationnelle incarnée, seul cap pour renverser Prométhée, l’homme démiurgique et me réjouir comme Marc quand il confessa qu’est-ce que quelques grammes de technologies perdues, face à la tonne d’amour reçu ». Alors possédons le bien le plus précieux qui soit à savoir l’amour, plutôt que d’embrasser l’hédonisme des objets, de spéculer sur les services factices qu’ils seraient susceptibles de nous rendre, méfions-nous de ces nouvelles idoles en réalité muettes, incapables de nous rendre le véritable change, la véritable joie, l’authentique relation d’âme à âme. Il nous semble dès lors impératif de nous recentrer sur la dimension de la conscience, l’esprit qui réside en nous et de revenir à la dimension du souffle pour résister à cette tentation technique que nous offre ce monde pour nous dédouaner de toute forme de vie intérieure. Toute la trame de ce livre sera guidée par la dimension de la conscience, entreprenons tout pour que cette conscience ne soit pas éteinte, qu’elle revienne à la source qui l’étanche et l’éloigne de toutes les appétences artificielles. Sans cette source, nous serons comme des hommes et des femmes inhabitées toujours à la quête de réponses qui ne remplissent ni l’esprit, ni le cœur. Aussi ce livre ne se conclura pas par la recherche d’un nouveau modèle social, car il ne me semble pas que cela soit la bonne réponse à apporter, ce dont l’homme a besoin, c’est de renouer prioritairement avec sa vie intérieure, de recevoir cette naissance d’en haut, comme Nicodème[6] qui était en quête de réponses, comme la Samaritaine[7] qui se rendait à la fontaine pour remplir sa cruche d’eau. L’homme a besoin de renouer avec ses racines, pour résister à l’ouragan d’un monde qui veut emporter avec lui la conscience de l’homme. Je rejoins ainsi la pensée de Sénèque qui évoque la vigueur de l’arbre qui résiste aux assauts vigoureux de la tempête : « Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient ». Cette phrase de Sénèque[8] a une résonance particulière dans ce monde qui subit les assauts répétés d’une pensée idéologique qui entend évacuer toute référence à la transcendance, à un Dieu créateur, dont le souffle de l’esprit n’a jamais en soi était éteint.
[1] L’actuel village de Chirakamout (ou Shirakamout) a été fondé au XIXe siècle : le village primitif s’étendait un peu plus loin, à proximité de la petite église ruinée de Tchitchkhanavank, appelée de nos jours Hin jam (« La vieille église »). Cette appellation s’explique par l’existence d’une église moderne beaucoup plus grande construite dans l’actuel village après sa fondation, et qui a été complètement renversée par le tremblement de terre, au point que ses ruines sont irrécupérables.
[2] Le mot culture serait ici plus approprié mais nous conservons le terme de civilisation comme l’ensemble des traits qui caractérisent la société contemporaine et ces traits concernent aussi bien la technique, la culture mais également les idéologies
[3] Golem : Dans la mythologie talmudique, le golem est un être artificiel, conçu à partir de l’argile chargé d’assister l’homme, une première forme d’être humanoïde.
[4] Hannah Arendt : « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal »
[5] La Bible décrit le léviathan comme un monstre féroce et puissant Esaïe 27.1 le Léviathan, le serpent fugitif, […], le serpent tortueux ; {…], ce monstre qui habite la mer
[6] Bible : Evangile de Jean 3 : 1-21
[7] Bible : Evangile de Jean 4 : 1-42
[8] Sénèque, Dramaturge, Homme d’état, Philosophe (- 65)
Bonjour Eric
Merci pour cette avant-première. Quel honneur tu me fais !
Beau chapitre.
Je me permets de te signaler ce qui me semble un petit oubli (dernier paragraphe) :
Le livre ne se conclura par une note pessimiste, Le livre ne se conclura pas par une note pessimiste,
Je te joins un article récent du journal Reforme.
Amitiés
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Merci cher Marc pour ta vigilance, cette coquille est corrigée… Merci infiniment… Notre rencontre m’a marquée comme tu le vois
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