Entre Gilgamesh vieux récit de Mésopotamie et les transhumanistes, il serait sans doute judicieux de s’interroger de la pertinence de cet étrange rapprochement. Au fond sans tourner autour du pot, le rapprochement s’inscrit bien dans la quête de l’immortalité, l’obsession des transhumanistes mais qui était aussi celle de l’épopée de Gilgamesh. Cette épopée est un des plus anciens et vieux récits épiques de Mésopotamie, récit écrit sur une tablette cunéiforme par le scribe Mésopotamien Unini vers 2650 av. J.-C
Gilgamesh est finalement et en quelque sorte l’avatar contemporain de ces nouveaux apôtres de la Silicon Valley en quête d’immortalité, une quête technologique de la reconquête de l’arbre de vie. Une quête sans conscience, sans conscience qu’au bout de ce voyage, comme le relate le récit sumérien, le serpent s’emparera de la plante et plongera l’homme dans le désarroi, le désespoir, rendant ainsi vain toute tentative de vaincre la mort. La légende sumérienne illustre cette vanité en quelque sorte de l’homme de vouloir s’extraire de sa condition et de modifier ainsi sa destinée en prétendant retrouver le chemin de l’éternité.
La légende sumérienne nous relate donc la quête de l’immortalité de Gilgamesh. Gilgamesh est le cinquième roi de la première dynastie d’Uruk. Le récit nous relate la colère des Dieux et notamment d’un Dieu contre la totalité de l’humanité, le Dieu Enlil qui fit le projet de détruire tout le genre humain en provoquant un déluge. Ce vieux récit antérieur à la Bible n’est pas sans nous rappeler l’épisode du même déluge relaté dans le premier livre du pentateuque.
Le Dieu Enlil prit soin d’avertir Utanapishtim (Noé dans le récit biblique) de son projet fomentant de faire disparaître toute trace de vie humaine. La divinité chargea Utanapishtim [Noé] d’amener sa famille et ses proches, ainsi qu’une partie des animaux de la terre. L’inondation atteindrait tous les animaux et les humains qui n’avaient pas été abrités dans le navire, un récit identique à celui rapporté dans le livre de genèse dont les similitudes avec le texte sumérien sont fascinantes.
Uta-Napishtim [Noé] qui fut épargné par le déluge en raison de sa fidélité envers les Dieux, reçut de leur part la vie éternelle. Entre temps Gilgamesh traumatisé par la mort de son ami Enkidu décide de ne pas mourir et se met en quête de rechercher l’éternité. Gilgamesh entame alors un voyage pour rencontrer celui qui fut épargné par le déluge et qui reçut des dieux, la faveur de devenir immortel, Gilgamesh rencontrant Uta-Napishtim, l’interrogea et lui demande les secrets de la vie éternelle. Uta-Napishtim [Noé] tout en conseillant Gilgamesh le mit en garde de cette quête vaine et dangereuse mais cependant révèle alors l’existence d’une plante mystérieuse capable de répondre à ce besoin d’immortalité éprouvé par Gilgamesh. Gilgamesh, reprit alors espoir, partit à la conquête de la plante au péril de sa vie et l’emporte avec lui dans son voyage de retour à Uruk… Mais à son retour, la plante lui est subtilisé par un serpent.
Le serpent est ici et finalement le symbole de la condition humaine, la condition de l’homme déchu relaté dans le livre de la Genèse. La mort est l’épilogue de l’homme déchu, son salaire en quelque sorte. De fait l’arbre de vie devient inaccessible comme le rapporte le livre de la genèse. Lorsque il prend conscience de l’impair, Gilgamesh désespère et se déplore de cette situation existentielle. Il louvoie et hésite à reprendre le chemin pour se mettre à nouveau en quête de trouver cette plante, finalement il abandonne apprenant que son rêve d’immortalité n’est qu’une vaine illusion.
Il y a là comme une forme d’analogie étonnante avec l’épilogue du livre de la genèse qui évoque cette rupture entre l’homme et son créateur, chassé du Paradis, deux chérubins s’interposent et interdisent l’accès à l’arbre de vie [La plante qui procure la vie éternelle] « Il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie » (Genèse 3, 24). Le récit de Gilgamesh est certainement l’évocation de cette aspiration à retrouver sa condition initiale de l’Adam non déchu et nourri par l’arbre de vie, lui assurant si possible son éternité.
Le transhumanisme est de fait l’aspiration trouble de l’homme déchu, désireux de revenir en Eden tout en s’affranchissant de tout accès par Dieu. L’homme errant devenu démiurgique se faisant ainsi l’égal de Dieu, auteur de son projet d’homme augmenté mais désespéré de lui, ne pas réaliser son fantasme car au bout de ce voyage, de cette frénétique quête d’immortalité, il rencontre le serpent qui s’empare de sa trouvaille, son arbre technologique, la connaissance sans l’éternité.