Auteur Eric LEMAITRE
Partie I
La perfectibilité de l’espèce humaine est l’impensé majeur d’une nouvelle métaphysique et anthropologie qui se dessine à l’aune des avancées prodigieuses de l’univers techno-scientifique.
Le récit transhumaniste commence dès le livre de la genèse, le premier livre du pentateuque avec cette promesse « vous ne mourrez pas », tous les mythes et légendes anciennes, celles des sumériens de la Mésopotamie, des fables de l’odyssée de Homère, l’élixir des alchimistes des chinois et leurs pilules d’immortalité, nous rapportent des rêves de dépassement de l’humanité et de conquêtes contre la mort.
L’histoire très ancienne de ces récits nous évoquent de fait la mémoire d’une humanité à la quête de son paradis perdu et sa volonté de conquérir le fruit interdit en gommant si possible le récit construit de la civilisation humaine fondée depuis la chute, sur l’idée de la mort.
Définir le transhumanisme
Pour aborder le transhumanisme, Jacques Testart, célèbre biologiste français co-auteur du livre « Au péril de l’humain » emploie les termes « d’infantilisme archaïque » pour dépeindre le mouvement transhumaniste montrant ainsi la puérilité d’un désir de transcendance, comme la vanité du mouvement qui l’incarne, sa futilité vaine, de « gosses » immatures bricolant dangereusement le génome, le « lego » humain qui impacterait lourdement la civilisation humaine.
Le transhumanisme est ainsi un mouvement idéologique porté par la Silicon Valley, des auteurs de sciences fiction, des universitaires, des chercheurs en neuro science. Ces derniers vont mêler une pensée idéologique parfaitement construite et l’usage des techno sciences visant l’amélioration des propriétés physiques et cognitives des êtres humains. Ce fantasme transhumaniste va ainsi se nourrir de l’idée de mettre fin à la mort et de récrire l’alphabet du vivant. Le courant idéologique n’en reste pas moins en perpétuel évolution, du fait des bouleversements techniques et de nouvelles perspectives offertes par les découvertes dans les domaines de la science notamment quantique.
Aboutir à la mutabilité du gendre humain dans une forme nouvelle
Mais au juste de quoi parle-ton lorsque nous évoquons le mot transhumanisme, ce serait une erreur selon moi de réduire le transhumanisme à ces dernières décennies, au fantasme d’un théologien Teilhard de Chardin et son modèle de la noosphère[1], à la vision du Biologiste Britannique Julian Huxley [le frère d’Aldous Huxley] qui utilisèrent respectivement et pour la première fois les néologismes de transhumanité et de transhumanisme. Ces termes de transhumanisme, de transhumanité désignaient selon leurs auteurs, les métabolismes de l’humanité via les progrès d’une technoscience maîtrisant une nouvelle phase de l’espèce humaine mais en étant cette fois les instigateurs de l’évolution Darwinienne. L’évolution de la technoscience espérée par le courant transhumaniste, devrait en effet, aboutir à mutabilité du genre humain dans une forme nouvelle comme le prédisait la fameuse fable de Pic de La Mirandole. Cette fable faisait l’éloge des potentialités de l’homme plaidant pour son auto détermination, qui au gré de ses transformations, s’égalera à Dieu.
Mais on peut légitiment imaginer que l’érudit Pic de la Mirandole avant sans doute lu Plotin[2] philosophe gréco-romain, néo platonien, qui lui-même avait écrit : « Si tu ne vois pas encore ta propre beauté, fais comme le sculpteur d’une statue qui doit devenir belle : il enlève ceci, il gratte cela… De la même manière, toi aussi, enlève tout ce qui est superflu, redresse ce qui est oblique. »
Ainsi le rêve de transcender la mort et de rupture avec la dimension de la finitude habite l’imaginaire humain depuis ses origines, et ne dissocie pas aujourd’hui de l’avancée fulgurante de la technique qui permet « le séquençage à haut débit » du génome humain
Le transhumanisme est en réalité ancré dans l’histoire de l’humanité, depuis le commencement et si quelques mots devaient définir le transhumanisme, ce sont bien ces termes ; « Rêve de dépassement ; d’en finir avec les barrières d’un corps promis à la finitude ». Or ce rêve de dépassement, de s’affranchir des limites du corps et même de prolonger la vie indéfiniment, jalonnent en réalité toute l’histoire de notre humanité. Le transhumanisme comme idéologie construite par les quelques penseurs de la Silicon Valley s’ancre en réalité dans la gnose chrétienne, les fameuses légendes ou les grands mythes de l’humanité. Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil quoiqu’en disent certains historiens du transhumanisme qui enferment les débuts du transhumanisme dans des projets purement techniques qui consistaient à vaincre un jour la mort comme la cryogénisation du corps humain avec l’espérance fallacieuse que les avancées technologiques du futur autoriseront de réanimer le corps devenu inerte avec la mort des fonctions biologiques.
En finir avec les barrières du réel
En réalité le transhumanisme avant d’être le pensé d’une technoscience, entend avant tout vaincre la mort. Le transhumanisme est en conséquence et en premier lieu un fantasme humain, celle d’une mémoire de l’éden perdu. Tous les récits légendaires comme celles de certaines croyances religieuses, convergent et s’inscrivent dans la même aspiration, la condition de la mort est insupportable à l’homme. Cette idée de la mort est en effet insupportable au transhumaniste qui aspire le dépassement de la condition humaine via la reprogrammation des gènes de l’homme ou même de générer une autre forme humaine, un humain hybridé avec la machine dont il suffirait de remplacer les pièces obsolètes promettant ainsi de prolonger indéfiniment la vie, chacun ici a pu entendre l’enthousiasme délirant des transhumanistes « Vaincre la Mort ». Le transhumanisme qui est une forme nouvelle de la gnose chrétienne[3] a une perception qui se traduit par une forme de révolte contre ce corps emprisonné par l’imperfection et voué à une fin inéluctable. Le transhumanisme qui n’est pas une nouvelle science humaine, instrumentalise et entend coloniser la science pour combattre à la fois, la mort et abolir le récit d’une civilisation enfermée par l’idée même de la mort.
Capitaliser sur les moyens de la technoscience pour réaliser les fantasmes de l’homme devenu Dieu
Le transhumanisme dans sa conception thaumaturgique comprend la réparation de l’homme à savoir son amélioration grâce à la maîtrise scientifique, des gênes des atomes, des bits, des neurones, et à la convergence des progrès fulgurants accomplis par la science dans les quatre domaines des nanotechnologies, des biotechnologies, de l’informatique, et des réseaux cognitifs. Le transhumanisme entend prendre les commandes de l’’évolution des darwinistes, capitaliser sur tous les moyens techniques soit en hybridant le corps, soit en modifiant le génome. Les transhumanistes réduisent ainsi le corps à une matière mécanique, à une machine utile et façonnable à l’infini. La construction d’un corps augmenté devient ainsi la lubie de ce siècle pour s’adapter aux valeurs de la perfectibilité humaine et des valeurs progressistes qui soutiennent ce fantasme du corps mutant, libéré de ses stéréotypes, de « corps amélioré conçu avec soin et expertise, corrigé de ses imperfections naturelles » comme le soulignaient Jacques Testart et Agnès Rousseaux.
J’écrivais dans mon précédent livre que le transhumanisme est un chemin néopaïen, une antireligion au sens de la relation, qui nous conduira au post humanisme, dont l’apothéose et la prothèse est l’intelligence artificielle : la créature de l’homme mutant, devenue autonome, mais restant une matière sans esprit, libre de toute contingence, pour ne laisser que le conatus spinozien (l’effort d’exister) aux commandes d’un corps augmenté. Tant et si bien que, pour atteindre ce but, il faut impérativement éteindre l’âme, ce pont vibrant créé par Dieu, et incorporé à son environnement, pour le relier exclusivement à un monde réel et tangible.
Depuis l’Eden perdu, le transhumanisme est l’aboutissement d’une quête absolue de bien-être, de prolonger la vie et non une recherche de sens.
Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Il me semble en réalité que le transhumanisme est l’aboutissement à la fois logique et cohérent de la recherche absolue du bien-être, de l’investissement dans la dimension technique pour solutionner les besoins inhérents d’une espèce humaine confrontée à sa fragilité. L’enjeu de toute la civilisation fut ainsi de conduire l’être humain à s’émanciper de toutes les contraintes qui ont fait obstacle à ce souhait existentiel de s’affranchir de toute corvéabilité et pénibilité qui vont à l’encontre de son bien-être. La technique évolutive a été finalement le palliatif, l’expédient heureux pour entamer ce rêve de dépassement concernant les limites ontologiques qui caractérisent l’être humain.
L’appétence du genre humain pour la nouveauté est invariablement posée comme « l’équivalent du mieux », ce qui tend à nous rapprocher de la vie idéale Cette appétence du progrès va finalement et rapidement devenir l’une des obsessions de l’idéologie transhumaniste, la recherche du confort et demain celle de l’éternité sans lendemain, la quête inachevée ou le rêve inabouti en quelque sorte de Gilgamesh.
[1] La noosphère : Néologisme dérivé de deux mots grecs [Esprit et Sphère], concept élaboré par le théologien Teilhard de Chardin et par Vladimir Vernadsky chimiste russe : la noosphère est la résultante d’un processus d’évolution, allant de la matière inanimée en passant par la vie biologique puis finissant par la connexion de toutes les consciences humaines, l’humanité serait ainsi en voie d’une forme de planétisation [terme emprunté à Teilhard], de totalisation des esprits, des consciences de plus en plus solidaires et reliée entre toutes les êtres, une forme de sociosphère planétaire.
[2] Citation extraite : Ennéades, tome 1 de Plotin
[3] La gnose chrétienne : le salut de l’âme passe par la connaissance et pour la gnose dite dualiste le corps et la vie terrestre sont perçus comme une forme de prison dont l’homme doit se libérer pour être sauvé.
Une réflexion sur « Aux origines du transhumanisme »