L’insistance concernant la critique du système technicien peut étonner, parfois agacer mon lecteur mais n’a pas d’autres objectif que d’enfoncer en quelque sorte le clou. La révolution technique est en effet à mon sens totale, elle vient comme absorber, consommer, l’identité de l’homme dans l’ensemble des composantes liées à son humanité, sa vie sociale et culturelle. Je rentrais en effet hier d’un enterrement, ce sont des moments qui paradoxalement vous ramènent souvent à la vie, à la vraie vie et sur le trottoir que j’empruntais, une jeune femme avait ses yeux rivés sur l’écran et avançait d’un pas rapide mais sans prendre garde à son environnement, j’ai dû m’écarter face à son indifférence tant elle semblait absorber sans doute, par les textos lus et je lui fis remarquer que la vraie vie était ailleurs mais pas dans les écrans …
L’homme est ainsi comme environné, ingéré puis envoûté par la technique… N’est-ce pas Jacques ELLUL qui partagea son scepticisme vis-à-vis de la technique en déclarant ceci :
« Je me méfie totalement de tout le mouvement utopiste, car il n’évitera pas le piège de la reconstruction de la cité rationnelle et parfaite, c’est-à-dire où la Technique sera Tout et en Tous. ».
« La cité rationnelle » comme l’écrit Jacques ELLUL, a une forme utopique, le meilleur des mondes, celle de l’égrégore, l’égrégore qui est une collectivité universelle bienveillante, pour tous, la bienveillance du communisme numérique en quelque sorte.
Dans cette cité numérique mais en réalité « dystopique », le pire des mondes, nous devenons les objets d’un système technicien nous liant tous aux projets d’une société virtuelle et déshumanisante. Cet égrégore ne fait plus de l’homme un être incarné dont il conviendrait de prendre soin, un être d’abord de relations, mais fait de lui, une matière connectée à d’autres matières : smartphone, tablette, montre digitale, carte à puce et demain qui sait son propre corps connecté…
J’ose ici le proclamer que l’humanité qui a voulu l’égalité avec Dieu est en passe de vivre « la honte prométhéenne » en ce sens qu’après avoir créé son Golem, fasciné par sa créature, il lui cède en quelque sorte son âme en nous partageant une perplexité, il a été capable d’être l’auteur de quelque chose qui le dépasse désormais, sans comprendre que lui-même fut aussi créé de peu inférieur à Dieu.
L’homme démiurgique finit en fin de compte par adorer sa propre créature. Finissant ainsi par gommer Dieu, déclarant même sa mort. L’humanité a pris sa revanche, elle a enfin chassé Dieu de sa cité, elle est sur le point d’adorer une nouvelle idole et de reconstruire un monde idéalisé, un nouvel EDEN, un nouveau monde célébrant le progrès, signant en quelque sorte la fin d’une partie de son humanité… Voilà ce que nous pouvons appeler « la honte prométhéenne » que décrivit fort bien le philosophe Allemand Günther Anders.
Ainsi comme l’écrit Bernard Charbonneau dans un texte que nous avons récemment publié sur ce blog,
« Il nous faut le temps d’oublier l’ancien Dieu pour nous en fabriquer un nouveau et recréer totalement l’univers à son image. La Totalité sur terre : depuis l’alpha du réel jusqu’à l’oméga du vrai ? Nous n’aurons de cesse que nous ne l’ayons atteinte. Voilà l’entreprise raisonnable dans laquelle l’âge de raison a engagé l’humanité. »
Enfin la révolution numérique, ce phénomène brutal et massif se déploie aujourd’hui sous nos yeux comme une véritable déferlante, phénomène qui est sur le point de remodeler la société de demain. Sa dynamique propre et la vitesse à laquelle elle s’étend sont de nature à rebattre toutes les cartes de la vie et de l’organisation sociale. Chaque révolution industrielle s’est enfin de compte, accompagnée autrefois d’une restructuration de la vie sociale, chaque révolution industrielle a imposé une forme de réadaptation de la vie et des rapports aux autres.
La rapidité avec laquelle les innovations du monde numérique s’étale aujourd’hui ne laissera dès lors aucun répit, d’où une désorientation sociale et psychologique qui sera sans précédent dans l’histoire. Le monde numérique est en train de casser les repères culturels qui avaient été à présent les nôtres ; le nouveau monde qui se déploie sous nos yeux est sur le point d’être recomposée avec de nouvelles règles, de nouveaux codes, une nouvelle normalisation, de nouvelles oligarchies (les scientistes) dont les projets autour de la technicité sont de nature à fragiliser, à déconstruire l’homme, à renverser les valeurs, les tables de l’ancien monde, leurs hiérarchies, leurs institutions.
Enfin pour conclure une grande partie du livre est consacrée à cette dimension « Qu’est-ce que l’homme ? » Nous traitons largement de l’anthropologie Chrétienne, je vous invite notamment à découvrir le texte de Gérald PECH un authentique bijou théologique … merci de m’avoir lu et surtout de lire ce livre « La déconstruction de l’homme »!