Un texte de Eric LEMAITRE
avec les contributions de Jérôme SAINTON Docteur en Médecine et Claude BOUCTON
La révolution
génétique
ou le nouvel Eugénisme
L’Eugénisme, l’idéologie transhumaniste
auréolée aujourd’hui d’humanisme
L’eugénisme qui fut jadis une théorie scientifique visant à intervenir sur le patrimoine génétique de l’espèce humaine, engendra hier la pire monstruosité que connut l’humanité, avec la montée de l’idéologie Nazie. Pourtant l’idéologie eugéniste refait bel et bien surface, cette hydre que l’on croyait définitivement éteinte, s’est enveloppée d’un nouvel habit plus convenable, d’une apparence séante.
Ainsi les idéologies barbares combattues hier, continuent d’avancer dans les esprits de manière plus subtile, ce que certains ont qualifié de « monstre doux », nouveau spectre qui avance, masqué, auréolé d’humanisme, mais au demeurant terrifiant.
Ce monstre doux que décrivait Alexis d’Alexis de Tocqueville « un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre? ».
Dans le contexte d’un monde social envahi par un consumérisme progressiste, ces idéologies d’hier, que l’on croyait en définitive à jamais éteintes, ressurgissent sous la forme d’un être bestial, revêtu d’un masque d’agneau ! C’est ainsi qu’avec les avancées des techniques de procréation médicalement assistée, et la possibilité de déceler sur l’embryon ou le fœtus, les anomalies génétiques, est évoqué le « retour de l’eugénisme », un eugénisme plus angélique, plus acceptable forcément !
Si les pro GPA et PMA se défendent en dénonçant un pur fantasme, se moquant de l’accusation de pratiques qui ne s’éloignent pas des idéologies eugénistes, il importe que ces derniers reconnaissent que l’apparition et l’évolution de techniques de plus en plus sophistiquées, conduisent nécessairement à développer les pratiques eugéniques. Après les infanticides connus au cours de l’histoire, ou ceux qui épisodiquement sont relatés dans les actualités, l’interruption de grossesses ou le fœticide sélectif ont été largement prescrits après l’épisode de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Le fœticide sélectif s’est imposé dans les esprits avec les nouvelles capacités techniques de diagnostic génétique (analyse chromosomique), ou morphologique (échographie), sur le fœtus. Enfin, comme le rapporte le biologiste Jacques Testart[1] « la conjonction de la fécondation hors du corps (1978) et de l’examen de l’ADN embryonnaire (1990) a permis de développer le diagnostic préimplantatoire (DPI) sur les embryons issus de la fécondation in vitro (FIV) depuis les années 1990 ».
Subrepticement, l’idée d’une sélection des êtres humains dès leur naissance, gagne les esprits. Lorsque l’expression de société eugéniste est utilisée, l’usage de ces mots suscite une opposition vive, targuant souvent ceux qui utilisent ces termes, de communiquer une pure invention, dénigrant le progrès ou s’opposant à toute forme d’égalité. Pourtant nous sommes bel et bien arrivés à une conception eugéniste de la société, lorsque notamment le dépistage est proposé aux femmes enceintes, pour détecter d’éventuelles anomalies, et proposer ainsi aux mères, l’interruption de leur grossesse. A ce jour, il importe de porter à la connaissance de chacun, que tous les fœtus trisomiques ont quasiment fait l’objet d’une interruption de grossesse. Ainsi au cours de ces dernières décennies, le dépistage de la trisomie 21 a connu un essor indéniable, avec un taux de couverture croissant de femmes enceintes demandant un diagnostic prénatal, ce qui a eu pour résultat, une très importante augmentation du nombre d’amniocentèses, une procédure médicale invasive utilisée lors du diagnostic prénatal.
Sur un plan sociologique, toutes les dernières enquêtes d’opinion révèlent que les femmes sondées reconnaissent qu’elles choisiraient d’éliminer un fœtus ayant été diagnostiqué comme trisomique. Or avec l’avènement d’une société orientée vers la performance, l’image de soi, c’est un monde profondément consumériste qui aspire dès lors à un bien-être idéalisé, et à un enfant idéal indemne de toute anomalie génétique.
La fragilité d’un enfant différent des autres, constituerait pour beaucoup, et dès lors, dans l’imaginaire social, une charge insurmontable pour les parents. Cette idée d’accueillir, puis d’accompagner, un enfant avec un handicap, devient, hélas et bien souvent, une idée intolérable. Cela en dit long sur les mutations sociales mortifères que nous vivons aujourd’hui dans ces contextes idéologiques, où les tenants d’un darwinisme social, ne rencontreraient plus à terme d’opposition. Dans un futur proche nous pourrions ainsi accepter « la sélection des plus aptes ».
Implicitement, avec les progrès de la techno science, les avancées techniques conduiront certainement à un déplacement de la dimension de l’accueil et du don de l’enfant, vers une notion de désir d’enfant et d’un désir choisissant ce que devra être cet enfant, répondant ainsi parfaitement aux normes et conventions sociales. Cette dimension que nous décrivons est bien souvent objectée, or l’empreinte consumériste progresse dans les mentalités au fur et à mesure que les conceptions matérialistes de la vie avancent, de fait l’idée de choisir un embryon sain peut conduire demain au choix d’un embryon ne présentant certes aucune anomalie mais dont le désir est aussi qu’il soit doté de caractères répondant aux désirs des parents si l’offre médicale le permet. Rappelons qu’en France la loi bioéthique encadre rigoureusement à ce jour les pratiques génétiques, le diagnostic préimplantatoire est ainsi autorisé quand l’un des parents peut transmettre une maladie génétique grave. Nonobstant rien interdit d’imaginer, un futur plus laxiste moins préventif et passant par-dessus les lois morales.
L’eugénisme dans l’histoire
Le mot Eugénisme, est inévitablement associé à l’idéologie Nazie, qui fut à son paroxysme, l’expression d’une idéologie foncièrement anti humaine. Pourtant, l’eugénisme, qui signifie littéralement, bien naître, s’est défini au fil du temps, à la fois comme une méthode et comme une pratique visant à surpasser le patrimoine génétique initial de l’espèce humaine. La pensée eugéniste est pourtant très ancienne, il faut remonter à plusieurs millénaires, à l’époque où Pharaon entendait organiser le meurtre des enfants hébreux mâles, afin d’éviter que les Hébreux ne deviennent trop nombreux[2]. La Grèce Antique fut le témoin de l’élimination des enfants faibles, qui ne pouvaient que constituer une charge pour la société. A Sparte, ancienne ville du Péloponnèse, les anciens examinaient les aptitudes de l’enfant nouveau-né, et s’ils estimaient que l’enfant fût trop faible, vulnérable, ils le faisaient jeter dans un gouffre appelé « les Aphotètes ». Un enfant chétif, selon la conception et l’idéologie répandue à Sparte, ne devait pas à cette époque, être une charge pour la cité.
Il n’est pas contestable que le christianisme a combattu au sein de la société, une forme de rejet du plus fragile, et que de fait, l’Évangile constituât une forme de rempart à toute tentative de rejet du plus faible. Mais au cours du XIXe siècle, l’idée de laisser faire une sélection naturelle au sein de la société, gagna les esprits. Albert Spencer, sociologue et philosophe anglais, défendit en effet une forme de philosophie évolutionniste, il fut très tôt identifié comme l’un des principaux défenseurs de la théorie de l’évolution au XIXe siècle, avec Charles Darwin. Sociologue, Spencer conçut la société comme un ensemble, une organisation qui sélectionne naturellement les plus aptes, il est par ailleurs l’auteur même de cette expression « Sélection des plus aptes ».
L’eugénisme est une approche idéologique, qui fut développée par Francis Galton, un cousin de Charles Darwin. L’un et l’autre, ont tenu des thèses, qui en leur temps ont bousculé les conceptions, qui étaient jusqu’à présent, associées au monde du vivant. Charles Darwin entendait donner une explication théorique de l’hérédité des caractères acquis par les espèces, et concluait à l’évolution naturelle des espèces. Francis Galton anthropologue, pionnier de la biométrie, et brillant statisticien, souligne le rôle primordial et prédictif des facteurs héréditaires, jouant un rôle corrélatif dans la détermination des différences individuelles. Francis Galton promouvait les concepts de race inférieure et supérieure, même s’il fallait recontextualiser les positions idéologiques de l’anthropologue, il convient cependant de souligner que Galton fera valoir l’hérédité des qualités intellectuelles et des qualités physiques, ceci lui donnant à penser, selon Dominique Aubert-Marson[3] Biologiste et chercheur, « que l’appartenance à une « race douée » (nature) joue un rôle majeur, l’environnement (nurture) jouant un rôle mineur… »
Etrange destin de deux hommes et de même parenté, Charles DARWIN et Francis Galton dont les idéologies furent finalement assez proches, l’un défendant la sélection naturelle, et l’autre la sélection sociale.
Relativement à l’analyse sociale, Galton eut recours à la courbe de Gauss pour classer les individus et repérer non pas « l’homme moyen », mais « l’homme génial », puisque c’est ce dernier qui évolue vers l’être parfait, la visée nécessaire de sa politique eugéniste. Nous comprenons mieux, comment une telle thèse mortifère a ainsi influencé des conceptions idéologiques dévastatrices, et marqué indélébilement le XXème d’une noirceur à la fois ineffaçable, et d’une odeur nauséabonde.
Le génie génétique
au service du nouvel eugénisme
Dans la période contemporaine, les progrès du génie génétique et le développement des techniques de procréation médicalement assistée, ont ouvert de nouvelles perspectives et possibilités médicales. Avec le transhumanisme, s’ouvrent littéralement de nouveaux enjeux.
En effet, les transhumanistes accréditent l’idée, que le génome humain n’est finalement que le reflet d’une forme de programmation. Certes le génome est immensément complexe, mais la technoscience s’est employée à le décoder, à le manipuler, à le décrypter. Reprogrammer l’humain, ne relève plus, dès lors, d’une idée insolite ou biscornue. Concevoir des programmes génétiques, tels ces tests de programmation génétique du cerveau, sont, bel et bien, des tentatives menées dans les laboratoires du vivant. C’est dans ce contexte que les ingénieurs biologiques du Massachusetts Institute of Technology, ont en effet, créé un langage de programmation, qui leur permet d’appréhender, puis, de concevoir rapidement des circuits complexes ; l’ADN codé donnant ainsi de nouvelles fonctions pour les cellules vivantes. Que ne laisserait entrevoir de telles recherches, visant demain à doper artificiellement des hommes, voir les corriger, même avec des visées humanistes ! Si l’on commence ainsi, à réparer les dysfonctionnements du cerveau et guérir les anomalies, n’adviendra-t-il pas le temps de rechercher à idéaliser l’être humain, et anticiper le temps de l’homme augmenté et « performé », un nouveau type d’humain, un sur homme amélioré par le génie génétique.
Mais comme le souligne à nouveau Jacques Testart « c’est surtout la préoccupation de qualité du produit-enfant qui anime désormais la fabrique de l’humain. Outre les méthodes sélectives (choix d’un tiers géniteur, sélection d’un embryon), l’Aide Médicale à la Procréation vise à proposer l’amélioration de l’embryon, et des praticiens s’emballent de projets eugéniques quand la technologie prétend disposer d’outils efficaces et précis pour modifier le génome ».
De la sorte, le projet de conquête absurde et qui touche au génome humain ne semble plus avoir de limites, subséquemment la fécondation de bébés issus de plusieurs parents[4], pour obtenir un bébé « génétiquement parfait » n’est plus si improbable, le premier bébé, résultat d’une manipulation du génome de trois parents, est né au Mexique, l’enfant est en effet né de la manipulation de l’ADN de trois parents. Il s’agissait de transférer des matériaux génétiques du noyau pour éviter que la mère ne transmette à son enfant des gènes défectueux responsables du syndrome de Leigh « de transmission maternelle », une maladie neurologique progressive caractérisée par des lésions neuropathologiques.
La Grande-Bretagne était devenue le premier pays au monde à autoriser la conception d’enfants « à trois parents ». La technique imaginée par Doug Turnbull, de l’université de Newcastle, au Royaume-Uni, et dénommée « transfert pronucléaire » (PNT), consiste à prélever le noyau de l’ovule de la mère contenant des mitochondries défaillantes. L’ovocyte est ensuite fécondé avec le sperme du père, puis le noyau de l’œuf est transféré dans l’ovule énucléé de la donneuse.
Or pour le professeur Royère, le directeur procréation, génétique et embryologie humaine à l’Agence de la biomédecine en France, « Le risque est que la manipulation induise chez l’embryon de nouvelles pathologies ou anomalies, alors qu’on cherchait au contraire à obtenir un bébé sain ».
Les avancées sournoises du transhumanisme
Les avancées du transhumanisme sont sournoises, subtiles comme nous l’écrivions précédemment, le nouvel eugénisme, empreinte un nouveau langage, teinté d’humanisme et de progressisme, et qui dans l’air du temps, passe beaucoup mieux, nous faisant ainsi passer pour des ringards, des conservateurs surannés, ne comprenant rien à l’avènement du progrès.
Or ce nouvel Eugénisme revêtu, des habits du transhumanisme, progresse du fait, à la fois de notre désertion, de l’abandon des valeurs morales, et de la défection de l’éthique, que l’on nous défend de promouvoir, sans être taxé de défenseur de l’inégalité.
Ainsi, qu’est-ce qu’aujourd’hui le Conseil Consultatif National d’Éthique, sinon des hommes et des femmes, dont la plupart ne sont plus habités par la dimension du spirituel, qui apporte la raison à la conscience, « la conscience, à la science ».
Jérôme Sainton Docteur en Médecine évoquait dans un mémoire de fin d’étude en Bioéthique, l’Éthique de la mise en œuvre[5] et non du fond, la bioéthique a dans ce nouveau contexte sociétal pour fonction de compenser la réalité, de mettre des mots sur des pratiques, afin de nous convaincre que c’est bien l’homme qui fixe les règles. Elle a donc in fine pour objectif de familiariser, « d’habituer les gens aux développements technologiques pour les amener à désirer bientôt ce dont ils ont peur aujourd’hui. […] Le Comité National d’Éthique est d’abord un comité de bienveillance de l’essor technoscientifique. Certaines technologies seraient très mal acceptées aujourd’hui, mais si, dans quinze ou vingt ans, elles sont bien acceptées, ce sera en partie grâce aux comités d’éthique, qui auront dit : “il faut développer la recherche, il faut faire attention, il faut attendre un peu, il faut un moratoire…” toutes sortes de propositions qui n’ont rien à voir avec un interdit et qui permettent de s’accoutumer à l’idée. » (J Testart, en collaboration avec Christian Godin, Au bazar du vivant : biologie, médecine et bioéthique sous la coupe libérale, Seuil (points virgule), Paris, 2001, p.132-133). Ainsi la bioéthique a pour finalité d’adapter l’homme au système technicien : c’est elle qui assure la transition entre les anciennes et les nouvelles valeurs.
Le monde, habité par des désirs prométhéens, installe ainsi, et au fil de son histoire, une technicité qui réduira l’humain au rang de machines, puisque notre génome en est réduit à n’être qu’un logiciel programmable à souhait. En écrivant ces lignes, résonne en moi ces mots de l’écologie humaine, « Prendre soin de l’homme, de tout l’homme » qui est l’antithèse de l’homme modifié ou augmenté, l’antithèse d’un transhumanisme qui aliène la dimension ontologique de l’homme, l’essence même d’une finitude qui ne trouve sa grandeur qu’en son créateur.
[1] Jacques Testart Biologiste français qui a permis la naissance du premier bébé éprouvette en France en 1982.
[2] Le récit est rapporté dans le livre d’Exode chapitre 1.
[3] Dominique Aubert-Marson Maître de conférences, Laboratoire de biologie du développement et de la différenciation neuromusculaire, Université Paris Descartes
[4]http://www.rtl.be/info/magazine/science-nature/un-bebe-issu-de-trois-parents-biologiques-differents-voit-le-jour-grace-a-une-methode-controversee-854463.aspx
[5] Nous reprenons ici l’intégralité du texte de Jérôme Sainton, extrait de son mémoire de Bioéthique, Jérôme Sainton est Docteur en médecine.
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