La fin de l’ancien monde annonce t-elle celle de nos démocraties ?

Charles Éric de Saint Germain est Philosophe, il est l’auteur de la défaite de la raison et fut invité par l’église réformée de Reims à Science Po pour aborder les fondements de l’autorité dans des contextes de crise de la démocratie.

Résumé de la Conférence du Philosophe Charles Eric de Saint Germain auteur de la défaite de la Raison

Rappelons que l’épitre aux Romains souligne que toute autorité vient de Dieu, lui seul en est la source.  L’autorité fut fondée dans la dimension de la transcendance qui s’enracine dans la tradition. Or nous rappelle Charles Éric le monde moderne se caractérise par le délitement de toute référence à la tradition qui conduit de fait comme le souligne également la Philosophe Anah Arendt. Anah Arendt n’évoque-t-elle pas la fin ou la disparition de l’autorité dans le monde moderne, en raison de toute absence de repères forgés par la dimension de la transcendance qui légitimerait dès lors l’autorité.

L’autorité est une forme de pouvoir mais un pouvoir qui s’inscrit dans la dimension relationnelle qui n’est de fait pas exclusivement verticale, l’autorité c’est également faire avec mais non contre, la violence ou la contrainte imposée d’en haut,  est ainsi le contraire du véritable pouvoir.

Sans la dimension relationnelle, et celle finalement qui touche à la transcendance (ce pouvoir je ne le détiens pas, je n’en suis pas le possesseur, il m’a été confiée, il est d’essence divine), les pouvoirs seront fragiles, contestables car sans ancrage, sans enracinement, sans référence à une relation mais également à un droit naturel qui fonde la société. Le monde s’en trouve dès lors livré à lui-même. Or c’est bien l’autorité de droit divin, si celle-ci est bien comprise et non instrumentalisée qui peut apportée en réalité une solution à la crise de l’autorité que vit la démocratie de nos jours.

La perte du sens de la transcendance pour Anah Arendt comme le souligne Charles Éric, rend de fait nos démocraties ingouvernables car après s’être débarrassées du sacré, ces mêmes démocraties ont perdu la légitimité de gouverner et de s’appuyer sur la protection de conduites traditionnelles, de traditions transmises qui constituent les socles élémentaires et fondamentaux du vivre ensemble.

Ainsi les valeurs du monde moderne avec notamment l’esprit des lumières (les philosophes), ont contribué au fil de l’eau à affaiblir l’autorité. Ces valeurs ont transformé de fond en comble, les relations que nous entretenons avec nous-même et avec les autres.

Les raisons de ce délitement de l’autorité mais pas seulement, nous les trouvons dans les œuvres respectives de Pic de la Mirandole qui indiqua que le créateur n’a fait grâce à l’homme que celle de s’affirmer comme son propre maître et de conquérir par sa volonté, la place qu’il voudra occuper au sein du monde réel.  Un pas de plus sera franchi avec Descartes qui explique qu’il dépend de l’homme de s’établir « comme maître et possesseur de la nature » ce qui marqua avec Descartes une rupture de l’autorité de la tradition, en remettant en cause les principes de la liberté de conscience de ce qui pourrait être tenu pour vrai. Ainsi avec les philosophes des Lumières, l’homme va se concevoir et ce que souligne Charles Éric comme une puissance créatrice achevant sa nature par l’éducation et construisant un nouveau destin. Nouveau destin si j’ose ici l’écrire via une puissance technologique qui n’a ni curseur, ni bornes.

Note de Eric LEMAITRE 

Dans ces contextes Yascha Mounk, professeur de théorie politique à Harvard, dans son livre Le Peuple contre la démocratie (L’Observatoire, 2018) déclara que : « Pour la première foisla plus ancienne et puissante démocratie du monde a élu un président qui n’hésite pas à exprimer publiquement son dédain pour les principes constitutionnels les plus élémentaires ». Or n’est-ce pas ici l’annonce d’un déclin d’une certaine forme de tradition (la prise en compte des contre pouvoirs, celle des conseillers qui équilibrent l’exercice du pouvoir). N’est ce donc pas le crépuscule avancé d’un pouvoir qui outrepasse ou enjambe les contre-pouvoirs, les corps intermédiaires.

Ce pouvoir aujourd’hui qui entend basculer dans ce nouveau monde post-humaniste, niant l’existence d’un récit qui a fondé notre histoire, l’histoire y compris contemporaine. Or en réduisant les manifestations qui contestent le pouvoir, à un phénomène exclusivement populiste, le président prend en réalité le risque de saper et de remettre en question la démocratie qui justement s’exprime par le peuple.  Il est ainsi paradoxal que les symboles érigés au début du quinquennat soient ceux de la verticalité, mais si cette verticalité ne puisse pas ses sources dans la tradition et la transcendance, cette verticalité risque bien de se dissoudre dans une forme d’autoritarisme, qui ne serait plus alors l’autorité souhaitée par le même peuple qui le conteste.