Auteur Eric LEMAITRE
Le livre d’Esther a inspiré ce texte
Le dernier livre du nouveau testament écrit par l’apôtre Jean, met en scène trois personnages énigmatiques, trois figures qui symbolisent l’hostilité contre le christianisme, une sorte de trinité à l’envers de celle révélée dans l’évangile par celui qui est l’auteur de cette lettre aux églises / intitulée Apocalypse c’est-à-dire révélation. Ces trois figures « formes » d’entités redoutables sont respectivement l’anti christ, le faux prophète, la bête. Ces trois entités catalysent le mal absolu et une hostilité profonde contre la révélation d’un Dieu incarné. L’anti christ mène une guerre farouche contre le Dieu des Chrétiens, son visage est celui de l’anti incarnation, il est assimilé par l’apôtre Paul à l’homme d’iniquité qui doit se révéler à la fin des temps, il est l’adversaire déclaré contre le Christ. Le faux prophète est l’instigateur d’une nouvelle religion et prendra clairement le contrepied de l’annonce de la bonne nouvelle contenue dans les évangiles, le faux prophète est l’allié de l’homme qui personnifiera à lui seul cette dimension s’opposant à Christ, ce faux prophète est l’anti thèse du prophète qui interroge, questionne la conscience qui n’est ni dans l’aveuglement ni l’auto proclamation de sa personne, il est la figure humble d’un Jean Baptiste qui interpelle celui qui l’écoute à prendre position pour ce changement en lui-même. Le faux prophète ne s’inscrit pas dans la dimension humble et spirituelle mais voudra incarner le présent et l’immédiat. La bête quant à elle peut aussi être la figure du dragon, elle incarne toutes les principautés des mondes humains ou spirituels qui s’opposent à Dieu, elle est celle qui inspire l’iniquité, la fausse religion, le relativisme de la vérité.
Le transhumanisme en soi incarne cette anti religion, les transhumanistes de la Silicon Valley professe en effet l’athéisme et une culture totalement matérialiste, leur évangile est une manière de corrompre l’évangile, de contrer la dimension surnaturelle comme la dimension spirituelle révélées par Jésus-Christ. Le transhumanisme est une préfiguration d’un anti christianisme qui sommeille depuis la nuit des temps à travers ses promesses qui pourraient séduire l’humanité par désir d’exaucer ici et maintenant tous ses fantasmes, de désirs de performances, d’extravagances. La puissance sans doute technologique de la Bête va devenir de plus en plus manifeste, elle donnera l’illusion de résoudre beaucoup de problèmes et elle montrera au monde entier que les hommes « n’ont nullement besoin de connaitre le vrai Dieu » et qu’ils peuvent au travers des promesses de la Silicon Valley posséder l’avenir, la vie prolongée, la vie réussie, l’homme enfin possédera mais sera sans doute lui aussi domestiqué par le pouvoir des machines qui auront su asservir l’âme des hommes.
Évoquer « la bête », cette entité biblique peut paraître bien étrange pour nos lecteurs non familiers aux passages que nous trouvons à la fin du nouveau testament. Pourtant la bête préfigure le monde à venir, la description qui en est donnée indique que l’on est en soi plus proche d’une entité qui serait de nature comme nous l’avions introduit au début de ce chapitre, de bousculer avec fracas, l’ordre du monde. La bête ou le Léviathan, deux créatures bibliques jouent un rôle finalement comparable, ces entités préfigurent les représentations d’un monde marqué par une autorité redoutable. Au moyen-âge, une fresque de Giacomo Rossignolo représente le jugement dernier, le léviathan est au cœur même de cette fresque, il dessine clairement l’image d’une entité qui avale les âmes. Pour pousser l’image et la rendre plus contemporaine quant à son évocation, il me semble qu’aujourd’hui, un même léviathan est à l’œuvre aimantant le monde, aliénant la dimension qui touche l’intériorité, l’âme humaine. Et cette dimension est manifestée par l’anti incarnation, il faut s’opposer à Christ, comme autrefois le Nazisme s’est opposé aux Juifs car ils incarnaient la loi divine du droit à la vie, à la liberté et à la dignité, ensemble de principes articulés sur une même fondement « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Lévitique XIX, 18), ensemble de lois qui remettaient en cause l’idéologie Nazie fondée sur la suprématie d’une race supérieure. Le nazisme exécrait non seulement le peuple Juif mais également le peuple Chrétien dont le fondement repose sur l’idée d’un sauveur et de l’amour du prochain dépassant le lien du sang. Tout oppose Christianisme et Nazisme, tout oppose également Christianisme et Transhumanisme, ce qui les oppose fondamentalement c’est la croyance dans une forme d’immanence, l’idéologie Nazie s’inscrivant dans l’adulation des forces de la nature, le Transhumanisme dans sa capacité à changer et à transformer la nature, le dénominateur commun et funeste de ces idéologies, c’est l’anéantissement de la conscience puisque pour une idéologie, elle est corvéable à un état tout puissant et pour l’autre, elle est réductible à la matière lui déniant la dimension d’une conscience et d’une vie intérieure qui dépasse celle de notre corps.
Ce monde-là comme celui des siècles passés, semble être dépeint dans ce dernier livre du nouveau testament, celui écrit par Jean l’apôtre, ce dernier texte écrit par Jean, relate le dernier épilogue de l’humanité, le combat titanesque livré par l’immanence d’un monde qui s’oppose à toute idée de transcendance et livre sa destinée entre les mains d’une forme de Léviathan artificiel, une méga structure qui rassemble toutes les formes de pouvoirs à la fois religieux, économique et politique. Le monde religieux représenté dans cette lettre écrite par l’apôtre, est celui de l’anti incarnation, un monde où l’immanence prime, un monde qui réfute à la fois la dimension intérieure et le message relationnel contenu dans les évangiles, se refusant de reconnaître la divinité de Christ. Cette méga structure appelée Babylone et dominé par la Bête, révèle le monde politique qui est celui d’une gouvernance totalisante, aspirant que tout être humain soit assujetti et corvéable. Le monde économique figurant dans cette méga structure, cette nouvelle Babylone, symbolise la marchandisation comme la réification absolue de la vie y compris celle qui touche à la marchandisation des âmes. Dans le livre de l’apocalypse, nous avons affaire dans le chapitre 13 à la description d’un combat spirituel et à l’émergence de nouveaux cultes : cultes autour de de l’image (dogmes idolâtres) culte autour d’une nouvelle religion idéologique, dogmatique, destructrice et exclusive, promouvant une nouvelle théologie de l’homme, une conception syncrétique enfermant l’homme dans des schémas aliénants, même si l’apôtre Jean ne l’a pas explicitement décrit dans les termes qui sont les miens, je le concède volontiers. Pourtant le mal [a]git et se révèle dans les projets funestes d’une humanité qui résolument choisit de tourner le dos à toute transcendance, se détourne finalement du seul Dieu créateur. Le culte d’adoration au sein de ce monde Babylonien est non seulement dévolu aux entités formant une même trinité, mais il sera aussi celui des objets façonnés par l’homme, un culte pour ces objets, produits ou fruits du génie technique. Les hommes seront en effet fascinés par les prodiges de la science (l’intelligence artificielle et les performances techniques qui captiveront et séduiront les hommes en créant de nouvelles addictions pour nous extraire du réel, de la relation en face à face, la relation à l’autre. Le culte sera aussi celui de l’image de la liberté apparente, de l’homme débarrassé de toute référence à une quelconque transcendance. Il est curieux de noter que la bête réclamera également l’adoration pour elle-même[1] et cette adoration réclamée me fait songer au livre d’Esther[2] notamment à ce personnage Haman nommé aux plus hautes fonctions de l’empire Perse et sujet du Roi Assuérus, le Roi influencé par Haman décrète un arrêté hostile au peuple Juif et fomente le désir de supprimer les juifs lorsque Mardochée refusa notamment de plier le genou, de se courber et de se prosterner comme un signe d’allégeance. Ce refus chez Mardochée de plier le genou, tenait aux convictions de sa conscience parce qu’il était juif. Ce haut fonctionnaire n’avait pas supporté que le Juif Mardochée attaché aux traditions Judaïques refusa ainsi de plier l’échine, choisissant plutôt de se soumettre aux lois de son cœur, celles héritées des lois qui lui ont été révélées par le Dieu de l’Univers. A la suite de ce refus le haut fonctionnaire consulta le Roi Assuérus afin qu’une lettre[3] proclame sur l’ensemble du Royaume, le massacre des Juifs, leur extermination totale, car le haut fonctionnaire du Royaume jugeait ce peuple comme étant à part, différent des nations habitant les 127 provinces du Royaume de Perse sous la gouvernance d’Assuérus. Le peuple de Mardochée fut miraculeusement délivré d’un grand massacre à cause d’Esther qui trouva grâce aux yeux du Roi Assuérus dont elle était devenue la première concubine, c’est depuis cette délivrance miraculeuse que l’on commémore le Pourim afin de rappeler ce récit relaté dans le livre d’Esther. Dans le chapitre 13 du livre de l’apocalypse, il est également fait mention comme d’ailleurs le livre de Daniel, de la volonté de l’entité d’être adoré : « Et il lui fut donné d’animer l’image de la bête, afin que l’image de la bête parle, et qu’elle fasse que tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la bête soient tués » Or ceux qui ne soumettront pas à cette injonction seront massacrés.
Mais pourquoi rappeler finalement ce récit celui d’Esther et ces récits bibliques, car il nous semble que la conscience est bien l’enjeu de ce siècle envahi par une forme de doxa imposée par la culture des médias. Toutes les sociétés totalitaires naissant finalement de l’indifférence des individus, il suffit de les distraire, de les divertir. Hannah Arendt avait relevé cette problématique morale d’une société plongée dans une forme de nihilisme culturel, détachée de la recherche de sens en déclarant que « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal. » Le refus de s’indigner, le renoncement de soi, de ne plus oser discerner. Les formes de léthargies des consciences, conduisent inévitablement à installer le caractère liberticide de l’état. Les sociétés totalitaires ont toujours pour démarche la volonté d’anéantir, d’aliéner la fonction de penser, la capacité de réagir. Les facultés de conscience, savoir alerter, savoir discerner, savoir poser les problèmes ont toujours dérangé les gouvernances. Ainsi c’est bien le changement de la conscience qui est engagé à l’aune d’une société post humaniste, galvanisée par le monde des objets virtuels ou numériques, la facilité d’accéder au plaisir des sens et aux promesses que lui font miroiter les temples de la consommation. Dans de tels contextes, le délitement de la conscience est engagé, altération du jugement qui puiserait son origine dans plusieurs sources : le nivellement de la culture, le divertissement, la crise économique qui épuise et déstructure l’homme et enfin le monde des objets dits intelligents qui préfigurent l’âge d’or du transhumanisme.
[1] 2 Thessaloniciens 2 : 34 : Que personne ne vous séduise d’aucune manière ; car il faut que l’apostasie soit arrivée auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme du péché, le fils de la perdition, 4l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu ou de ce qu’on adore, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se proclamant lui-même Dieu.
[2] Le livre d’Esther est un livre qui figure dans l’ancien testament et évoque notamment le projet d’exterminer le peuple juif déjoué par la Reine Esther qui fut l’instrument choisi par Dieu pour influencer le Roi Assuérus et l’amenant à condamner celui qui avait le projet de se débarrasser du peuple qui n’avait pas migré sur ses terres.
[3] Livre d’Esther chapitre 3 versets 12-15