Auteur Eric LEMAITRE
– La crise de 2008
a-t-elle changé le rapport à l’économie et à l’éthique ?
La crise de 2008 résulte en grande partie de la crise des subprimes mais elle est aussi la résultante de facteurs microéconomiques à l’échelle des ménages, des particuliers, des entreprises qui ont emprunté et macroéconomiques à l’échelle des systèmes de régulation de la finance ou de la monnaie et de l’ensemble des organismes prêteurs.
Cette crise est d’abord le fruit d’une déréglementation irréfléchie de la finance, opérée depuis les années 1980.
C’est en effet dans les années 80 que le monde de la finance a fait un lobbying démesuré pour déréguler le capitalisme et lui laisser les coudées franches. Au cours de cette période (années 80) sur un plan strictement économique le courant libéral a ainsi prôné une forme de libéralisation financière.
Dans ce contexte de libéralisation les banques, un grand nombre d’entreprises financières, de grandes banques se sont engouffrés dans cet exercice sans curseur moral et l’attention nécessaire à apporter à cet exercice auprès des personnes les plus fragiles. Les bonnes pratiques bancaires consistant à peser, à discerner se sont volatilisées dans les années 80 et dans un système de crédit finalement dévoyé, égaré par la cupidité et l’avidité du gain.
L’appétit du gain déconnecté de la vie réelle, du quotidien des gens modestes, a gouverné en quelque sorte le monde bancaire, un monde bancaire qui s’est employé à faire rêver sans appréhender les risques du désenchantement pour toute une population désireuse d’accéder à des conditions matérielles chargées en réalité d’illusions « heureuses ». C’est Joseph Stiglitz économiste américain altermondialiste qui souligna que « la cupidité est le moteur de la finance », cupidité qui pousse finalement les banques à préférer la loterie à l’épargne sage, cette dimension de loterie est illustrée au travers de la dimension spéculative particulièrement prégnante dans le monde bancaire.
C’est donc cette cupidité qui entraina de fait la crise mondiale et par effet de domino entraina le monde dans une crise définitivement dramatique pour bon nombre de personnes, d’entreprises. Ce qui aggrava finalement la pauvreté ou la précarisation d’une grande partie de la population.
Au-delà de l’interprétation des mécanismes qui ont accéléré et précipité une crise majeure, il faut surtout mettre, la loupe sur les drames personnelles que suscite ce genre de crises et de ce point de vue la finance mondiale est souvent froide, aveugle et finalement sans éthique.
– Quelles leçons ont été tirées de cette crise !
Je vais vous décevoir, je ne suis pas sûr que des leçons morales aient été tirées. De plus comme vous le savez l’état français est venu au secours de ses banques comme d’autres nations d’ailleurs. L’état dans son rôle de pompier des finances publiques, est venu en quelque sorte panser, les failles du système bancaire mais ce même Etat se trouve par ailleurs empêcher finalement de réguler, de contrôler, de superviser les mondes bancaires qui sans vergogne et cynisme ont accepté a contrario de vivre sous perfusion au risque de faire écrouler l’économie mondiale.
Pourquoi l’état
serait-il empêché de superviser le système financier ?
La réponse est somme toute simple si l’on contrôle le système bancaire, nous risquons alors de fragiliser l’économie réelle et en outre la vérité est que le monde bancaire ou le capitalisme d’une manière générale tient entre ses mains les nations qui empruntent et se sont largement endettées auprès des organismes financiers. Alors moraliser le monde bancaire est dans un tel contexte extrêmement difficile. Nous prenons conscience que ce système est dévoyé, car la finance n’a pas de couleur morale, elle est en quelque sorte dévoyée, pire corrompue.
– Que faudrait-il faire aujourd’hui pour rendre l’économie plus juste et plus éthique ?
Le monde bancaire n’a pas de « valeurs », ce qui est en soi un oxymore paradoxal, sa raison d’être est d’exister à cause de la seule finance, la philanthropie n’est pas sa tasse de thé. Pourtant une banque éthique pourrait bel et bien exister, si sa gouvernance était pilotée par la volonté d’amener plus d’équité pour réduire la précarité et porter un réel intérêt aux personnes les plus pauvres en les accompagnant dans la bonne gestion de leurs revenus.
Mais au-delà Il faudrait injecter de l’altruisme dans l’économie et dans le secteur bancaire, c’est-à-dire considérer la personne, avoir de la considération pour la personne, et s’interroger sur la portée des actes financiers, sur les effets de ses actes, les conséquences qu’ils peuvent augurer.
L’économie devrait en effet être plus juste, plus éthique, préoccupée comme je le rappelais précédemment de ses effets sociaux. Or notre modèle économique est loin du partage, toute l’économie est fondée non sur l’idée de redistribution, de la répartition équitable mais sur celle d’une compétitivité gagnante et profitable. Or il faudrait encourager l’économie du don, de l’altruisme, par exemple avantager ou défiscaliser les banques comme les entreprises qui décident de verser un don à la collectivité pour lutter par exemple contre la pauvreté, la grande précarité.
Il faudrait inciter et encourager le développement vertueux du monde bancaire, encourager les banques qui socialement interviennent pour redistribuer une partie de ses bénéfices au profit d’une lutte contre le mal logement… (Il y a sans doute une quantité d’exemples à imaginer autour de cette notion de don, pour soutenir des initiatives socialement bienveillantes, veillant au bien, veillant au bien-être de son prochain !
Mais soyons cependant justes, puisque en effet et depuis la fin des années 1980, un certain nombre d’institutions spécialisées dans les finances solidaires se sont proposés de développer le microcrédit personnel, la loi Borloo a ainsi accéléré ce processus d’institutionnalisation du micro crédit et de lutte finalement contre la précarisation. Mais à l’heure de la digitalisation bancaire et de la numérisation des services, je crains en réalité que l’on ne vienne aggraver la situation des personnes les plus pauvres. Je rendais dernièrement visite à un ami dans une grande pauvreté, et qui m’indiquait qu’on allait lui transmettre un code pour accéder à son dossier, mais il ne possède ni ordinateur, ni tablette, c’est son entourage, ses proches qui l’aideront à gérer cette situation …. Nous entrons bel et bien avec le monde numérique dans le monde UBU, le monde rocambolesque, symbole du délire du pouvoir et de l’absurdité des hiérarchies bureaucratique et des mondes numériques qui sont à l’aube de blesser les plus démunis en les isolant plus que jamais.
Mais dans les mesures proposées pour changer l’état d’esprit des banques je ne prône pourtant pas la coercition, la contrainte étatique qui peut être aussi dommageable pour la libre entreprise. Tout ceci doit relever du don et encourager le développement vertueux de l’entreprise ne me semble pas avoir été suffisamment développé ou en tout cas suffisamment initié.
– Peut-il y avoir une éthique chrétienne en matière d’économie ? Quelle est-elle ?
L’éthique Chrétienne en matière d’économie est essentiellement orientée sur la conversion de soi. Il n’y a donc pas de postulats chrétiens en matière économique, cela commence par une réforme personnelle. Ainsi un chef d’entreprise qui confesse sa foi chrétienne, doit être juste envers son environnement, ses salariés, ses fournisseurs et appliquer le principe de redevabilité auprès de l’ensemble de ses partenaires ou collaborateurs. Je connais un chef d’entreprise qui verse 10% de ses bénéfices à des œuvres sociales, il s’inscrit dès lors dans cette dimension vertueuse de l’éthique chrétienne en matière économique. Je pense que tout chef d’entreprise devrait avoir gravé dans les principes de sa gouvernance, les propos de l’apôtre Paul : « L’œil ne peut pas dire à la main : Je n’ai pas besoin de toi ; ni la tête dire aux pieds : Je n’ai pas besoin de vous. Mais bien plutôt, les membres du corps qui paraissent être les plus faibles sont nécessaires ; et ceux que nous estimons être les moins honorables du corps, nous les entourons d’un plus grand honneur. Ainsi nos membres les moins honnêtes reçoivent le plus d’honneur, tandis que ceux qui sont honnêtes n’en ont pas besoin. Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d’honneur à ce qui en manquait, afin qu’il n’y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient également soin les uns des autres. Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui. Vous êtes le corps de Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. »
– Concernant l’Ethique sociale et économique que nous enseigne la Bible à ce sujet ?
Je vous renvoie à un article complet que j’ai écrit sur les normes biblique https://deconstructionhomme.com/2018/05/30/vision-urbaine-sociale-et-economique-dans-une-perspective-biblique/ et également à mon essai sur la « Déconstruction de l’homme, critique du système technicien » où très clairement la Bible énonce un certain nombre de normes et de règles concernant la vie sociale, la vie économique. Le Lévitique Chapitre 25 donne des instructions concernant la dimension qui touche au partage. Il y a une attention toute particulière que portent les écritures à la situation des plus précaires… Ainsi la Bible révèle un véritable code de bonne gestion, de gouvernance économique… Si nous lisons les textes d’Exode 23 (v. 10 à 11) et le Lévitique 25.22. Nous avons là un enseignement sur la prévention de la pauvreté. Un théologien évoque à propos de ce livre « Une solution rationnelle que propose le livre du lévitique pour sauver la prospérité d’Israël de l’âpreté au gain, de l’avarice et de la cupidité de ceux qui savent mieux que les autres tirer profit des produits de la grâce auxquels chacun, même le plus endetté, contribue et peut encore contribuer par son activité. Faute de cela, l’or s’accumule dans les coffres, le blé pourrit dans les greniers et il n’y a plus personne pour renforcer les digues le jour où la tempête menace de les emporter. ».
Quel est mon regard sur l’économie d’aujourd’hui ?
L’économie est loin de l’altruisme évoqué précédemment et aujourd’hui toute l’économie des états, est fondée sur la dépense publique mais sans remise en cause et en profondeur des rouages d’une économie capitalistique cupide, orientée sur l’avidité du gain. Il faut donc réinjecter une dose d’altruisme et encourager les initiatives autour du don.
Il faut en profondeur modifier l’état d’esprit d’un monde orienté sur la seule performance, le progrès sans fin et sans limites car en réalité ce monde économique n’est pas l’économie du réel qui est confronté à l’épuisement de nos ressources les ressources naturelles indispensables à la vie même des populations humaines se sont raréfiées. En ce début du XXIe siècle, l’épuisement des ressources est devenu l’une des questions les plus préoccupantes pour l’avenir de l’humanité. Qu’en est-il ainsi de la durabilité de notre civilisation technologique, si l’on prend en considération l’inadéquation croissante des termes de la relation entre croissance exponentielle et limites de nos ressources ! La mondialisation appelée de ses vœux par le monde néo libéral et progressiste va nous entraîner dans la spirale des grandes catastrophes qui pendent au nez de toutes les nations, car ces nations n’ont pas cherché à œuvrer sur les principes de solidarité, d’altruisme, de vie locale et de subsidiarité. C’est le philosophe Aristote qui, est à l’origine de la notion de subsidiarité quand il décrit la société organique, « La Cité », « au sein de laquelle s’emboîtent hiérarchiquement des groupes : familles-villages, chacun de ces groupes essayant d’être auto-suffisants ». Il faut ainsi encourager le local comme la seule source d’une société conviviale et solidaire régulée bien entendu par les règles d’un savoir vivre ensemble. Mais ceci peut relever de l’utopie si et j’en suis parfaitement conscient la réforme de cette mentalité ne commence pas par soi !