Le Léviathan cybernétique

Nous avons dans les textes déjà publiés sur notre site, cette nouvelle métaphysique qui se dessine à l’aune d’un monde qui entend se réduire à une forme de mécanique privée d’âme, la mécanisation du monde s’est installée dans l’esprit de notre humanité et avec la mécanisation a surgi, cette volonté de mathématiser la nature, d’artificialiser la vie. Pour reprendre les mots[1] du sociologue Edgar Morin cité par le philosophe Bertrand Vergely, nous entrons dans la formation d’un monde devenue une méga structure, « méga machine anthropo sociale […] inséparable d’un appareil d’état computeur, ordonnateur, décisionnel ». Cette méga-machine sociale prend de nos jours une ampleur inouïe du fait des avancées prodigieuses de cette science des algorithmes fondée sur le calcul d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre une infinité de problèmes et affectant toutes les sphères de la vie sociale comme celle qui touche à tous les domaines de l’organisation. Pour le sociologue Edgar Morin le concept de machine qui est réplicable à tous les êtres dotés d’une organisation active, l’est également pour toutes les structures et modèles fondés sur ce principe d’organisation. « Je veux maintenant montrer que notre première notion de machine, conçue comme être physique praxique/transformateur/producteur a valeur universelle, c’est-à-dire s’applique à toutes les organisations actives connues… [2]».

 

Auteur Eric LEMAITRE

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Nous avons dans les textes déjà publiés sur notre site, décrit largement cette nouvelle métaphysique qui se dessine à l’aune d’un monde qui entend se réduire à une forme de mécanique privée d’âme, la mécanisation du monde s’est installée dans l’esprit de notre humanité et avec la mécanisation a surgi, cette volonté de mathématiser la nature, d’artificialiser la vie. Pour reprendre les mots[1] du sociologue Edgar Morin cité par le philosophe Bertrand Vergely, nous entrons dans la formation d’un monde devenue une méga structure, « méga machine anthropo sociale […] inséparable d’un appareil d’état computeur, ordonnateur, décisionnel ». Cette méga-machine sociale prend de nos jours une ampleur inouïe du fait des avancées prodigieuses de cette science des algorithmes fondée sur le calcul d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre une infinité de problèmes et affectant toutes les sphères de la vie sociale comme celle qui touche à tous les domaines de l’organisation. Pour le sociologue Edgar Morin le concept de machine qui est réplicable à tous les êtres dotés d’une organisation active, l’est également pour toutes les structures et modèles fondés sur ce principe d’organisation. « Je veux maintenant montrer que notre première notion de machine, conçue comme être physique praxique/transformateur/producteur a valeur universelle, c’est-à-dire s’applique à toutes les organisations actives connues… [2]».

Autrement dit le pilotage, la gouvernance, l’organisation de la vie politique, sociale pourrait bien passer des mains d’une institution humaine, à celle d’une méga-machine.  Selon une conception purement immanente et matérialiste, le monde est intégralement constitué de systèmes, vivants ou non-vivants, imbriqués et en interaction, il ne serait pas ainsi inenvisageable de le gérer via un méga système contrôlant toutes les activités biologiques ou non. Dans ces contextes, la formule de Saint-Simon qui lui est attribuée sans certitude : « remplacer le gouvernement des hommes par l’administration des choses » montre en effet une forme de cheminement tenant à l’évolution des modèles d’organisations. Des modèles d’organisation qui pourraient bien demain ou à très court terme, se dispenser de l’intelligence de l’homme du fait du pouvoir absorbant de la norme. La norme consommée par la machine, ne rendant plus si indispensable la gouvernance dépendant des hommes, ce pouvoir-là passant entre les mains d’une méga machine artificielle bardée de logiques informationnelles et prenant les décisions conformes à cette logique.

Ainsi la conception technocratique qui adule le pouvoir des sciences fondées sur les algorithmes pourrait bien basculer entre les « mains » d’une méga machine sociale et qui sait si elle ne sera pas capable d’avoir sa propre autonomie, car l’homme aura eu « la paresse » pour reprendre la formule d’Emmanuel Kant, de lui déléguer trouvant là plus de confort, lui évitant les conflits d’un pouvoir toujours incertain. Avec la cybernétique, la gouvernance humaine va ainsi se doter d’une forme de « directrice de conscience » d’outils qui lui permettront de dépasser la subjectivité comme l’irrationnalité humaine au profit d’une conception purement structurante, efficiente, rationnelle et informationnelle de l’existence.

N’est-ce pas là l’émergence d’une forme de Léviathan, tel que le philosophe Hobbes l’imaginait, un homme artificiel. Ce n’est plus en effet la transcendance qui inspire, oriente la vie humaine, les lois divines qui lui sont données mais ce sont les règles immanentes, celles d’une méga-machine sociale dépendante de l’efficience technique, de la puissance des algorithmes qui orienteront demain les activités humaines dépendant ainsi du pouvoir des machines et de leurs injonctions.

L’intelligence artificielle est finalement l’arme d’un monde cybernétique qui est appelée à imposer sa loi, et imposer la conduite dans l’ensemble de la vie sociale. Nous prenons conscience d’un changement de paradigme concernant la technologie, celle-ci devenant plus intrusive, interagissant de plus en plus avec l’humain, nous sommes confrontés à une technologie servicielle certes mais qui revêt de plus en plus un « pouvoir injonctif » entraînant le déracinement progressif des sacro saintes valeurs et   principes qui ont fondé les bases de la civilisation humaine, partant de l’intelligence de l’homme , de notre libre arbitre, de la conscience qui exerce bien ou mal son action, l’humain était alors aux commandes de la civilisation mais ses échecs répétés lui font penser que la régulation de l’activité humaine doit dépendre désormais d’une supra intelligence mécanisée pour organiser la vie. Nous assistons là à la mutation et à l’évolution du pouvoir, une évolution qui résulte des échecs politiques, religieux et sociaux d’une humanité incapable de s’être jusque là autogéré. Il fallait réparer cette condition d’une civilisation qui porte en elle les stigmates de ses blessures, meurtrissures infligées par des conflits permanents, les frustrations qui émanent depuis le crime de Caïn ne supportant pas que son offrande ne trouva pas la reconnaissance de son créateur. L’évolution de l’histoire fut marquée non par la dialectique du maître et de l’esclave, de la lutte des classes mais l’histoire est marquée essentiellement par la rivalité des idéologies persuadées qu’elles portent en elles-mêmes les solutions pour résoudre, régler les affaires humaines. Or les échecs répétés ont fini par conduire l’homme à se confier dans l’espérance que sa propre machine « conçue comme être physique » artificiel qui réparera l’infamie de ses idéologies finalement inefficaces souvent mortifères et parfois semant la terreur, les conflits répétés. L’homme se mettant en quête d’une nouvelle gouvernance, ne croyant plus à l’intermédiation des assemblée humaines, a fini par se confier dans la machine et ses nouvelles chapelles techniques pour gérer, organiser, structurer sa vie sociale et surtout le divertir afin que les hommes ne prennent plus la peine de penser, de songer à eux même. La machine et l’ensemble de ses jouets s’emploieront à le divertir, l’homme iconoclaste adorera ses statuettes non plus muettes mais interactives et injonctives. L’homme se pliera aux règles de ces lois immanentes lui garantissant de façon factice, paix, sécurité et harmonie en échange de lui confier son âme docile.

Un nouveau léviathan se lèvera donc et nous sommes ici loin d’une quelconque lubie, ce léviathan est une forme d’anti humanisme qui porte en son sein la haine de l’humanité, puisque cette humanité doit lui être finalement corvéable, assujettie. La haine de l’homme s’exprime à travers la dimension injonctive, le rendre sujet d’un modèle mécanique sans consentement, sans le libre arbitre de sa conscience.  Ce modèle a été finalement rendu possible car l’homme a fini par nier l’existence d’une transcendance, a évacué l’idée de toute incarnation d’une vie intérieure, a fini par abdiquer avec sa conscience en la livrant au pouvoir de la machine qu’il a fini par adorer, contemplant les prodiges de sa création « pensante », épaté par l’artifice de ses raisonnements, oubliant même qu’il en a programmé le fonctionnement, les modalités de calculs. Nous entrons bel et bien dans l’univers de la cybernétique qui modélisera les échanges humains qui harmonisera les conduites et les affaires humaines. Or nous pourrions penser que tout ceci relève d’un registre délirant et insensé, qu’une telle chose ne saurait finalement advenir, pourtant nous arrivons à grands pas dans cet environnement et sans que nous en ayons pris conscience tout indique, que nous prenons le chemin de ce modèle social qui subrepticement colonise la vie de nos organisations, de nos entreprises, de nos villes. Vous pensez sans doute que nous agitions là un épouvantail à moineaux ou à corbeaux mais pourtant, le dispositif d’intelligence artificielle qui émerveille les humains, est bel et bien entrain de nous domestiquer. Il est faramineux de constater autour de nous, l’usage et l’emploi de ces objets sans corps qui nous renseignent et poliment nous informent, jusqu’au jour où nous recevrons leur injonction, « ferme tes lumières ! fais ta promenade avec ton chien, regard ce soir cette émission ! »

[1] Citation extraite pages 448-449 du livre du Philosophe Bertrand Vergely Transhumanisme la grande Illusion Editions le Passeur.

[2] Extrait de la citation de l’essai : Penser avec Edgard Morin Robert fortin Presse de l’Université Laval, Québec Collection Savoir penser 2008. https://docplayer.fr/52009736-Penser-avec-edgar-morin.html

Vers une nouvelle organisation sociale

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De la loi à la norme, la technicité qui est au service de l’organisation rationnelle

D’un côté le monde numérique, le monde des écrans exerce une influence négative sur les jeunes enfants, de l’autre ce même monde numérique opère une influence considérable dans l’organisation sociale.

De nombreux penseurs, philosophes politiques mais également Chrétiens engagés dans la vie de la cité ont pris conscience d’un changement complet qui touche aujourd’hui l’organisation de nos sociétés. Si hier les institutions étaient marquées par le caractère moral et disciplinaire, la société de nos jours évolue vers une dimension particulièrement normative, codifiant et contrôlant les comportements. Ce serait ainsi une tendance de fond qui caractériserait la façon dont le monde tendrait aujourd’hui à s’organiser. Une organisation sociale dont la technicité numérique pourrait être à terme l’arme fatale, l’instrument délibérément choisi pour contrôler l’ensemble de l’appareil social et sociétal.

Après un basculement des valeurs qui remet en question la vision traditionnelle d’une société marquée par une forme de responsabilité de soi, de discipline (L’armée et jadis le Service National) et de morale (Religion), la société dérive vers une volonté idéologique dont la finalité est de construire avec la fin ou le délitement des « institutions disciplinaires » un nouveau modèle sociétal. Il s’agit de refonder l’homme autour de nouvelles représentations technicistes, progressistes, de nouvelles normes, et de nouvelles valeurs de l’idéologie contemporaine visant à arracher l’homme de stéréotypes culturels et issus de la religion judéo chrétienne.

Il y a en outre ce besoin prégnant d’organiser le monde dans lequel nous évoluons par la norme et la « raison purement instrumentale » subordonnée à des fins de domination et non par la relation et l’intelligence.

Nous assistons d’ailleurs à une accélération sans précédent de la technicité numérique qui est au service de l’organisation rationnelle pour gérer un monde de plus en plus sophistiqué, complexe et fragile. Il s’agit dans cette société numérique et ce monde virtuel, d’amener les hommes à être rivés sur les écrans et à ne dépendre que d’une vie sans souffle, sans vie dont le substitut est devenu un monde de connexions. L’humanité a ainsi à son service une science et une technologie, aptes à répondre à ses appétits de connaissance, de bien-être, de gestion du quotidien, et de savoir, mais une technologie puissante et de plus en plus intrusive qui peut desservir demain, notre libre arbitre, notre liberté de conscience, notre liberté de mouvements.

Même de nos jours, les algorithmes interviennent pour déterminer notamment dans les grandes villes les établissements des futurs lycéens et collégiens, les familles s’en remettent aux algorithmes pour déterminer l’affectation choisie pour leurs chères têtes blondes. Nous lisions ainsi sur le site de l’académie de Reims que pour aider au travail de classement des commissions préparatoires à l’affectation, un outil informatisé (AFFELNET)[1] était dorénavant utilisé, il permettrait de classer les élèves… il est précisé « selon leurs vœux », mais gageons qu’à terme ce terme « vœux » finalement très humain finira bien par disparaître.

Le post humanisme se dessine ainsi et dans cet effet de bascule d’une nouvelle humanité, la vulnérabilité de l’homme sera largement compensée par un appareillage technologique qui performera ses limites afin de corriger le droit à l’erreur, le libre arbitre, la faiblesse au risque de n’être plus qu’un homme déshumanisé car des implants auront relayé ses insuffisances.

Nous glissons ainsi subrepticement vers une société qui ressemblerait à l’organisation de BABEL, un monde d’uniformisation visant à mener les hommes vers une « nouvelle conscience universelle », expression que j’emprunte ici au Théologien Philippe PLET (Philippe PLET « Babel et le culte du Bonheur »).

L’essayiste Jacques ATTALI ne dit d’ailleurs pas autre chose à propos de cette « nouvelle conscience universelle », dans un article publié sur le Blog State.fr « Après avoir connu d’innombrables formes d’organisations sociales, dont la famille nucléaire n’est qu’un des avatars les plus récents, et tout aussi provisoire que ceux qui l’ont précédé, nous allons lentement vers une humanité unisexe, où les hommes et les femmes seront égaux sur tous les plans, y compris celui de la procréation, qui ne sera plus le privilège, ou le fardeau, des femmes. » Une société unisexe qui revendique finalement l’interchangeabilité, les femmes et les hommes seront égaux sur tous les plans, c’est bien sur ce point que l’on parle de « nouvelle conscience universelle », une remise en cause de l’altérité, de la différence des complémentarités des hommes et des femmes.

Repenser l’organisation sociale et sociétale

Or pour mener les hommes à cette nouvelle conscience universelle et citoyenne dont l’écologie est l’un de ses aspects en regard des problématiques mutantes du climat qui vient impacter l’ensemble des continents, il faut bien repenser l’organisation sociale et sociétale.

Outre la problématique touchant les bouleversements écologiques, d’autres mutations sont en cours comme :

  • les valeurs d’égalitarisme, de libéralisme moral, de relativisme et d’interchangeabilité sont en vogue,
  • le projet également d’une éviction de toute forme de transcendance, l’homme devenant son propre maitre, son propre Dieu.
  • Le processus engagé pour arracher de la mémoire de l’humanité le souvenir des lois divines transmises via la thora et l’évangile.
  • L’évacuation du « droit naturel » dans le positivisme juridique moderne, car il est aujourd’hui difficile de se référer directement à la révélation et à la transcendance, mais le droit naturel en était l’équivalent sur le plan métaphysique.

Dans de tels contextes, il est impérieux pour la nouvelle idéologie transhumaniste dont le rêve utopique est de refonder l’homme, de se conformer, de conduire les hommes à adhérer aux nouvelles représentations, cela passe bien entendu par de nouveaux programmes d’éducation, mais également par :

  • cette société des médias qui s’emploie à formater et conditionner les esprits,
  • cette société du divertissement qui lobotomise la faculté de penser.
  • Cette société qui devient infiniment sécuritaire et qui glisse vers la surveillance des citoyens sous prétexte de garantir leurs libertés

Sur ce dernier point soulignant l’aspect sécuritaire vers lequel tend la société, force est d’observer sa dimension anxiogène dans son ensemble, du trouble causé par les attentats terroristes qui ont ensanglanté récemment le Pays (Janvier 2015, l’attentat meurtrier contre la revue Charlie et le magasin fréquenté et géré par des personnes de confession Juive). Ce climat d’insécurité précipite ainsi l’Etat, en appui de sa volonté de légiférer puis d’organiser les moyens de surveillance de ses citoyens, moyens de surveillance sans précédent pour anticiper d’autres risques terroristes (moyens qu’un rapport récent de la CNIL dénonçait).

Nous nous interrogeons si l’appel à la sécurité n’est pas un simple prétexte pour instaurer une société de surveillance qui de toute façon était programmée de manière latente, bien avant les attentats terroristes…

Une nouvelle dialectique du sens donné au mot liberté

Or nous observons à ce jour dans une nouvelle évolution de la dialectique du sens donné aux mots mêmes.

Ainsi le mot liberté aujourd’hui ne se définit plus comme le seul exercice en conscience de sa propre volonté. Nous assistons à une forme de mutation du mot liberté, une transformation radicale du sens qui était jusque-là conféré au mot liberté. La liberté à laquelle on attachait :

  • l’expression,
  • la conscience,
  • l’action,
  • le mouvement.

Aujourd’hui la sécurité est promue comme la première des « libertés », ce qui constitue bien un changement de paradigme.

La notion même de liberté s’est muée, s’est adossée à toutes ces notions associées à des évènements anxiogènes qui troublent de nos jours la modernité de notre époque, la sécurité des personnes, la sécurité sanitaire et alimentaire, l’ordre public.

Rappelons comme le mentionne explicitement la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789,  à l’instar de ces textes que La « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (art. 4 de la Déclaration des droits de l’homme), ce qui implique la possibilité de « faire tout ce qui n’est point interdit, comme ne pas faire ce qui n’est point obligatoire » (art. 5), la « liberté de dire ou de faire ce qui n’est pas contraire à l’ordre public ou à la morale publique »

Ainsi la sécurité ne saurait constituer un principe général du Droit. Dans les textes du droit Français comme Européen, il s’agissait au contraire, non d’annoncer, le droit à la sécurité, mais de souligner de manière intangible le droit pour chaque citoyen à la sûreté, de garantir sa protection contre l’intrusion du pouvoir, l’ingérence ou l’arbitraire, ou demain de la police de la pensée.

Un être autonome plutôt qu’un être libre

Dans la logique d’une conception matérialiste touchant l’homme, le terme liberté pourrait à terme être assimilé à une conception de l’ancien monde, il est fort à parier que le terme en vogue sera demain celui d’être autonome. Au fond l’autonomie dans cette logique matérialiste serait celle de l’électron libre, un être prêt à créer ses propres normes, ses propres lois, son propre mouvement tout en appartenant à une organisation globale, dont il aurait l’illusion de s’échapper et de choisir comme il l’entend ses références. Toutefois cette autonomie ne sera qu’apparente, car le mouvement de l’électron libre sera codifié, normé, il aura l’illusion du choix mais évoluera dans un système où il deviendra un sujet, une parcelle à la fois atomisée et formatée. De fait toute avancée dans l’autonomie ne pourra évoluer paradoxalement que dans la dépendance.

L’univers de l’autonomie serait astreint à dépendre paradoxalement d’un système dont il n’échapperait pas, un sujet « libre » corvéable à un monde sans limites et pourtant assujetti à des normes qui lui seraient imposées.

Vers une société de surveillance

Au cours du XVIIIème siècle, le philosophe anglais Jeremy Bentham s’est approprié le thème de la surveillance. En consacrant sa réflexion sur la dimension de la surveillance, le philosophe s’improvise architecte et conçoit les plans d’une prison idéale. Le but de Jérémy Bentham via un nouveau modèle de prison, fut de concevoir un bâtiment qui devait influer sur le comportement des prisonniers et optimiser les conditions d’une surveillance absolue et intrusive des personnes incarcérées.

Cette approche de la surveillance suscita plus tard chez un autre philosophe Michel Foucault (livre écrit en 1975 : Surveiller et punir) une réflexion sur les développements du concept de surveillance. Dès 1975 Michel Foucault partage l’intuition du pouvoir que donne la technologie. Le philosophe entrevoit ainsi avec clairvoyance les modalités sans pareil que la technologie, peut décliner via des dispositifs de surveillance de plus en plus performants qui seront susceptibles d’être mis en œuvre de manière totalement efficiente.

Si l’auteur de l’article ne partage pas toutes les conceptions philosophiques avancées par le Philosophe, force est de reconnaitre que l’intuition d’une société hyper technique en dérive et fondée sur le contrôle de ses citoyens se dessine, en ce sens Michel FOUCAULT avait raison comme bien avant lui Georges ORWELL l’avait également pressenti en écrivant son fameux livre 1984.

Pour revenir au livre « Surveiller et Punir », ne voit-on pas ainsi la vision du Philosophe Michel FOUCAULT se dessiner chaque jour de façon tangible, des milliards d’êtres humains sont aujourd’hui connectés à Internet et des centaines de millions connectées à des réseaux sociaux. Les fichages numériques sont rendus possibles et les garanties données par les opérateurs Internet seront soumises aux évolutions d’une loi de plus en plus sécuritaire.  Des dispositifs technologiques et qui ne se réduisent pas à l’usage d’Internet (Les cartes à puces, la biotechnologie, tous les produits numériques qui sont susceptibles dès aujourd’hui et demain de tracer les individus) et qui nous rapprochent de l’aspiration sécuritaire des sociétés modernes, de l’Angsoc que décrit Georges Orwell dans son fameux livre 1984.

Nous pressentons la force de cette société technique dont la puissance s’appuiera sur le développement des datasciences, de l’analytique prédictive, l’augmentation de l’intelligence embarquée dans un nombre croissant d’objets eux-mêmes connectés, la personnalisation de plus en plus grande des biens et des services identifiant les particularismes des profils consommateurs, les caractéristiques qui font leur ADN, les bulles algorithmiques de plus en plus adaptées aux personnalités, un monde de plus en plus serviciel mais dont nous finirons par devenir les purs produits, alors que nous étions appelés à dominer la matière mais non à lui être soumis, or c’est bien là l’émergence de la société …

Là encore, nous citons Jacques ELLUL : « La mort, la procréation, la naissance, l’habitat sont soumis à la rationalisation comme étant le dernier stade de la chaîne sans fin industrielle…ce qui semblerait être le plus personnel dans l’homme est maintenant technisé : la façon dont il se repose et se détend … la façon dont il prend une décision … fait l’objet des techniques de la recherche opérationnelle… »[2]

Les technologies du numérique conduisent à un appauvrissement de la culture, anesthésient la faculté de penser

En écrivant ces lignes nous songions également au célèbre livre de Ray Bradbury (Fahrenheit 451) qui décrit une société américaine dans laquelle la lecture des livres est prohibée.  Les autorités du pays obligent la population à l’usage des nouvelles technologies et ce en les incitant à des conduites addictives.

Le livre de Ray Bradbury décrit la façon dont la puissance cathodique (et les autres technologies) anéantissent l’intérêt du peuple dans les plaisirs tels que la littérature et la lecture.

Dans un univers totalement désincarné sur le plan de la relation et déshumanisé, Fahrenheit 451 dépeint le fonctionnement d’une société totalitaire et de surveillance qui s’est plu à détruire le livre au motif que l’édification culturelle entraîne des désordres et qu’elle est susceptible d’éveiller les consciences.

Dans ce monde dystopique[3] (contraire d’utopique) où l’étourdissement anesthésiant de l’image cathodique règne en masse, des agents sont chargés de réprimer tout contrevenant surpris de lire, cette police de la pensée (des pompiers pyromanes) est chargée d’organiser la répression littéraire en brûlant la mémoire d’une culture ancienne, d’une culture des origines, d’une culture séculaire.

Tocqueville, n’avait-il pas lui-même anticipé, dès le XIX è siècle, cette emprise que le pouvoir social d’une société totalitaire, exercerait sur les individus. Tocqueville avait ainsi montré que l’Etat Providence finirait, au nom du bonheur et du divertissement de ses membres, à exercer un contrôle total sur la société, retirant toute initiative aux individus en les poussant à se transformer en moutons peureux et passifs, en un troupeau atomisé et servile.

Dans son livre Démocratie en Amérique, livre d’une acuité marquante, dans une vision fulgurante, Tocqueville prophétisait ainsi l’avènement d’un nouvel ordre social, d’une société individualiste marquée par l’égalitarisme, chacun sera devenu ainsi l’identique de l’autre : « Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs. » (Démocratie, II 4.6) Et aussi l’avènement d’une oppression d’un genre nouveau, qui n’est plus despotisme ou tyrannie, mais une « sorte de servitude, réglée, douce et paisible (…), un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, [agissant par] un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes [qui] ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » (Démocratie, II 4.6)

Les mutations d’une société qui se dirige vers une dimension de surveillance conjuguée à des ressources technologiques sans précédent, immanquablement nous font enfin songer au texte d’Apocalypse 13 qui décrit un monde de contrôle marqué par la puissance consumériste et totalitaire qui a une emprise sur tous les hommes via leur marquage tel un troupeau ne pouvant ni acheter, ni vendre s’ils n’avaient pas le sceau qui les identifie comme asservis au pouvoir de la Bête.

La bête est ainsi cette figure tyrannique qui a vocation à mettre l’homme sous son emprise n’autorisant pas une quelconque dérive, une quelconque rébellion, « réduisant enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. Tocqueville ». Ainsi cette idéologie construisant une nouvelle conscience universelle aura besoin de contrôler la diffusion des pensées, d’exercer sur les consciences sa police pour n’autoriser aucune marginalisation possible.

[1] http://www.ac-reims.fr/cid76345/apres-troisieme.html

[2] Jacques Ellul La technique ou l’enjeu du siècle, Economica extrait d’une citation page 117

[3] Au contraire de l’utopie, la dystopie relate une histoire ayant lieu dans une société imaginaire difficile ou impossible à vivre.

Exemple de dystopie : 1984, de G. Orwell, est l’exemple parfait de la dystopie.