Le magistrat et l’intelligence artificielle : la Justice de demain sera prédictive et expéditive !

                                

 

La Justice prédictive est-elle un pas de plus vers la déshumanisation de l’homme ?

J’écoutais à la radio au cours d’une matinée un avocat inquiet mais décidé de s’opposer à la volonté de l’état français de presser le pas de la Justice en incorporant davantage d’intelligence artificielle pour l’analyse des affaires simples à traiter et ainsi offrir aux magistrats de se concentrer sur des dossiers plus complexes. Le recours à un système judiciaire impacté par l’intelligence artificielle est un premier pas qui est de nature à bouleverser demain le rapport de l’homme à ce qui pourrait prendre la forme d’une véritable machine judiciaire.

Ce terme machine qui qualifiait le plus souvent une justice souvent complexe mêlant l’empilement des lois et de leurs dérivées, la multitude des contextes nuançant les appréciations et les acteurs aux caractères multiformes, mais également l’absence de célérité de la justice de par la complexité des procédures de saisies.  

Le rêve de l’état progressiste devenu ainsi lasse de cette justice lente et bureaucrate, décide d’entamer une révolution dans les process des juridictions. Il faut selon l’idéologie du progrès, face à la lenteur de cette vielle Dame, la remuer, l’amener à cohabiter avec l’autre machine : l’intelligence artificielle qui devrait lui servir de support afin de simplifier les intrications du monde juridique et de réduire le temps chronophage des dossiers à digérer.

La dimension humaine dans l’histoire de la Justice

Dans toute l’histoire, comme institution, la dimension humaine même de la Justice est revêtue à la fois comme un modèle de régulation de la vie sociale, un modèle quasi universel d’arbitrage des conflits, avec cette vocation en arrière fond, de pacifier les querelles issues de toute la vie sociale et de rendre justice dans les crimes et les délits.

C’est ainsi un fait de toute notre histoire, la justice a été rendue jusqu’à aujourd’hui par les hommes, qui se soumettent aux lois en rigueur ou se pliant aux exigences des législateurs pour faire appliquer le droit. Des hommes de droit qui arbitrent, appliquent la sentence ou bien innocentent celui ou celle qui fut qualifié de coupable. La justice comporte en soi, une dimension d’inachevée, parce ce que la justice est entachée de faiblesse et d’humanité incarnées parfois ou bien souvent par une dimension irrationnelle, fragile, parfois inéquitable, parce que cette justice est encore une fois, et nous insistons profondément ancrée dans l’humain ! Ces juges humains qui mêlent la clémence, la tolérance ou bien la sévérité implacable témoignent ou révèlent les distorsions liées à son fonctionnement.  La justice est ainsi imparfaite parce que complexe, changeante, mêlant les émotions et la raison, la passion et la distance nécessaire pour juger.

La Justice est certes lente, elle prend trop souvent son temps entassant les dossiers, empilant les affaires, et forcément des tensions se créent avec ceux qui aspirent à une justice plus rapide.  Les attentes sont nombreuses parmi les justiciables qui aspirent à une juridiction sans tâches, absolument compétente et savante, équitable et inattaquable : en un mot une justice parfaite et dont la balance ne serait jamais fausse.

Cette quête éternelle des sociétés humaines vers une justice omnisciente, incontestable, avisée ou prudente dans l’énoncé de ses jugements est une chimère. L’homme malgré sa quête d’absolu n’a pas les attributs divins pour rendre un jugement plein de discernement, parfaitement loyal envers le coupable comme envers la victime. La justice engendrera toujours des sentiments de frustration, d’agacement et de révolte même si elle s’abrite derrière le code, la règle non arbitraire qui régit ses décisions.

La tentation de la justice de s’en remettre à l’Intelligence Artificielle

Alors cette juridiction imparfaite n’est-elle pas incitée à céder à cette nouvelle tentation de s’en remettre non à Dieu mais à cette puissance qui aujourd’hui fascine le monde, cette puissance de calcul qu’offre le monde des algorithmes capables d’emmagasiner les données laissées par les arrêts des magistrats et de consommer ainsi les jurisprudences de tous les tribunaux. Fascinante car la puissance de calcul, c’est le monde de la cité rationnelle parfaite, qui ne commet pas d’erreur. La machine algorithmique ne peut pas commettre d’erreur, voilà bien la chimère, la nouvelle tromperie de ce siècle. Cette justice implacable car elle serait gouvernée par les formules savantes ne serait au fond qu’un Dieu froid, qui mécaniquement traite les dossiers puis envoie au moyen de ses algorithmes robots la sentence à des sujets humains, puis mécaniquement les relancera s’ils ne s’acquittent pas de leur condamnation.  Est-ce là le monde du futur que nous décrivons ?   

Non nous ne décrivons pas un monde glaçant et dystopique, c’est bel et bien et hélas le monde d’aujourd’hui qui commence, celui de la « cité rationnelle » ! La cité parfaite, normative compilant toutes les informations, toutes les données, « la cité rationnelle [1]» qui ne peut se tromper ! Comment cette juridiction pourrait-elle d’ailleurs se tromper, cette nouvelle juridiction se ressource en effet au sein de la mathématisation de notre société. Le magistrat se laissera dicter le verdict dompté par ses robots calculateurs, comme ces médecins dessaisis demain de la faculté de diagnostiquer puisque les logiciels de séquençage, décodent des millions de fragments d’ADN en un temps record ! Ces algorithmes savent mieux que le médecin détecter l’origine des maux, et demains ces nouvelles juridictions codées offriront l’exécution la plus rapide, car bien évidemment, les logiciels nouveaux Dalloz[2] analyseront et traiteront toute la vie judiciaire, comme aucun humain lent et sujet à l’erreur !

La robotisation de la justice aux mains des algorithmes   !

Qu’en est-il exactement de cette avancée de la judiciarisation robotisée, est-ce exagéré de prétendre que là aussi le monde des algorithmes est sur le point de coloniser la Justice. Les tribunaux humains, magistrats et avocats feront bien de s’en inquiéter. Aux Etats-Unis les cabinets d’avocat sont d’ores et déjà assistés par ces machines algorithmes pour traiter des affaires touchant le monde des entreprises.  D’autres logiciels interviennent quant à eux dans la prise de décision des juges chargés des remises en liberté. Les exemples s’enchainent et se multiplient, les exemples qui préfigurent demain la généralisation d’une justice algorithmique, portée par les progrès de l’intelligences artificielle toujours plus performante, toujours plus experte et incarnant le rêve d’une forme de justice divine, objective et omnisciente ? 

La juridiction algorithmique n’est que le nouvel avatar d’une soif d’équité absolue exprimée par le monde humain. Le monde humain obsédé par cette quête d’une justice utopique, nécessairement parfaite et devant nécessairement être extérieure à l’homme et à ses imperfections. L’homme ne croit plus à aucune verticalité divine, à aucune pythie qui rendrait ses oracles et orienterait le sort réservé à la cité des hommes. L’homme n’invoque plus son créateur, préférant remettre son sort entre les mains de sa création qu’il croira être sous son contrôle.

La révolution numérique en marche 

La révolution numérique bel et bien en marche y compris dans le domaine du Droit envahi par la règle, la norme, et des normes qui vont de complexité en complexité.

La« République numérique »[3] voulue par la gouvernance de François Hollande puis accentuée par le nouveau Président Emmanuel Macron,ce nouveau monde entend étendre le mouvement d’ouverture des data aux décisions de justice. C’est un processus qui annonce une forme de mécanisation dont l’emprise envahira les tribunaux et on a peine à imaginer l’existence d’un robot siégeant « assis ou debout » avec le magistrat si ce dernier aurait encore une légitimité.   Mais c’est vrai la transition ne serait pas aussi bruyante ou inquiétante, nous nous familiariserons, nous nous habituerons à voir le juge en compagnie d’un gentil Robot « Pepper[4] »spécialiste du droit mais certainement pas Pépère.  Ces « Pepper » aideront nos magistrats,les assisteront en apportant une somme d’informations sur les prévenus recensant par exemple les procès-verbaux, les infractions commises par le prévenu. Nous assisterons  à une forme de traçage systématisées des justiciables, effeuillés par l’intrusion des calculs des algorithmes implacables et qui ne produiront pas d’erreurs sur la lecture des prévenus se présentant devant les juges.

Ces algorithmes seront programmés pour recommander une évaluation de la peine encourue, et mécaniseront le discours à tenir auprès du justiciable. Le Juge et son assistant se « concerteront » ou plutôt le juge finira par s’en remettre au délibéré de « Pepper » et c’est le juge Pépère qui finira par perdre toute faculté de jugement puisqu’il n’aura plus pour guide son discernement, cette conscience de lui-même qui lui permet de discerner du fait même qu’il est lui-même humain. 

Dans un premier temps le gentil « Pepper » se cantonnera au rôle d’outil, d’assistant juridique pour décortiquer les nœuds des affaires de plus en plus complexes mais au fil de son apprentissage, « parce que l’intelligence artificielle apprend » ce petit robot souriant et bien sympathique offrira au fil d’une expertise croissante, une aide certaine à la prise de décision, le juge ne sera bientôt plus irremplaçable !

Ainsi l’apparition des nouvelles technologies dans les juridictions ira bien en s’accélérant.  Nous assistons ainsi depuis quelque temps à une montée en puissance des legal-tech, ces sociétés et ces startups qui proposent des services juridiques aussi bien aux cabinets d’avocats, qu’aux magistrats afin de les assister dans leurs prises de décisions

L’intelligence artificielle investit bel et bien et colonisera comme nous le rappelions précédemment, le domaine du droit. Elle bouleversera demain le quotidien des tribunaux et couronnera le nouveau monde devenu si docile à la domestication du « système technicien ».  Aussi est-il temps qu’avocats et magistrats disent stop à cette ingénierie de l’espace judiciaire qui annonce la déshumanisation d’un tribunal qui doit pourtant privilégier la seule dimension relationnelle et son humanité même sujet à l’erreur !

Lire également cette info confortant notre propos écrit plusieurs mois plus tôt…

https://usbeketrica.com/article/estonie-robots-justice


[1] Terme emprunté à Jacques ELLUL

[2] Célèbre maison d’éditions que connaissent tous les juristes

[3] La loi pour une République numérique, publiée au Journal officiel 8 Octobre 2016, vise à favoriser l’ouverture et la circulation des données et du savoir.

[4]  Pepper est un robot humanoïde, développé par la société SoftBank Robotics